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Réveil Communiste

La discipline communiste, le centralisme démocratique, grandeurs et misères

20 Janvier 2025 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Qu'est-ce que la "gauche", #Front historique, #classe ouvrière, #Théorie immédiate, #GQ

Le dilemne des militants en 1964 c'était choisir entre Mao et Togliatti

Le dilemne des militants en 1964 c'était choisir entre Mao et Togliatti

 

La culture de la discipline dans les partis communistes historiques issus du Komintern aligné sur l’URSS (1919 - 1943), ses vertus et ses limites.

La culture politique des partis communistes reposait sur la notion de centralisme démocratique. En théorie, il s’agissait de discuter de la ligne démocratiquement, et de l’appliquer ensuite avec discipline, qu’on eût soutenu ou non la ligne choisie au cours de la discussion.

La pratique réelle, constante et souvent très efficace dans ces organisations pendant longtemps fut assez différente de cela. En fait de débat démocratique, il y avait plutôt dans le parti français, au cours des années 1960 et 1970, une discussion organisée à partir d’un rapport d’orientation fourni par la direction et dont le but était d’instruire la base, et de lui faire adhérer intellectuellement et émotionnellement aux objectifs et à la stratégie fixées par le bureau politique, lui-même suivant au cas échéant des orientations fixées par le Bureau Politique du Parti communiste de l’URSS. Ainsi l’a-t-on vu lors de la querelle russo-chinoise, qui causa l'exclusion du courant marxiste-léniniste (maoïste).

Remettre en question ce rapport était très mal vu et la confiance envers les voix dissidentes ne revenait pas facilement, et seulement quand d’autres problèmes et d’autres discussions survenues ensuite avait fait oublier le désaccord initial et donnait l’occasion au dissident de faire amende honorable en prenant partie contre la dissidence suivante. D’où une atmosphère souvent vécue comme étouffante par des intellectuels qui étaient pourtant fortement attirés par l’engagement dans un parti ouvrier qui leur apparaissait et qui était véritablement alors le seul instrument politique réellement existant pour changer le monde.

Les militants de base des partis historiques de la IIIème Internationale au moment de leur apogée (1930 – 1970) étaient des ouvriers ou des paysans dont la scolarité s’était terminée au certificat d’étude primaire et qui étaient en demande ardente de formation et de culture, et qui faisaient confiance totalement aux dirigeants de ces partis qu’ils avaient choisi d’intégrer en assumant les risques de la répression, considérables à l’époque ; sauf parfois dans les domaines précis où leur expérience du travail ou de la lutte sur le terrain pouvait contredire les consignes d’en haut.

Cette confiance reposait sur le fait que la direction des partis de la Troisième Internationale avait été « bolchevisée » dès les années 1920 (les adversaires et les dissidents disaient « stalinisée ») c’est à dire qu’elle reflétait la composition sociologique du parti, et qu’elle défendait une solidarité inconditionnelle envers l’URSS, la patrie du socialisme. S’opposer à la ligne signifiait une faible loyauté de classe et en général qu’on n’était qu’un petit-bourgeois individualiste et ambitieux, et il faut reconnaître que c’était souvent le cas, ou pire un potentiel agent ennemi infiltré - lesquels avaient plutôt tendance à en rajouter dans le conformisme.

Cette bolchevisation et prolétarisation des directions signifiait aussi que les partis communistes étaient en phase avec leur base sur les questions de mœurs et de culture. Le conservatisme reproché de tous cotés aux PCF des années 1960 (moins au PCI, sans doute à cause du jésuitisme ambiant dans la culture italienne) provenait de cette proximité des dirigeants avec les mentalités de ceux qu’il voulait organiser.

La pratique du centralisme démocratique est cohérente. En quoi un parti de combat contre le capitalisme est-il comparable du point de vue interne à une collectivité démocratique qui gouverne dans un territoire donné des citoyens aux intérêts de classe et aux opinions différentes ? Il ressemble plutôt à une armée révolutionnaire, dont le modèle originel remonte peut-être la « Model Army » de la révolution anglaise du XVIIème siècle - et dans une armée une certaine liberté de discussion dans les rangs est indispensable pour prendre des initiatives tactiques, mais ne peux pas contribuer à définir les objectifs stratégiques.

Pourquoi ce système organisé de haut en bas ? parce que les partis marxistes-léninistes mettaient en œuvre une théorie politique et économique scientifique, dont la vérité devait rester indiscutable sur le fond pour conserver la cohésion, et ils étaient disciplinés pour mener la lutte pour le pouvoir politique qui est toujours sans pitié. Les partis qui veulent réellement changer la base économique et sociale en brisant le consensus légal et en remettant en cause l’État de droit savent ce qu’ils doivent attendre de leurs adversaires et ne peuvent pas se permettre le luxe de s’égarer dans d’interminables débats internes, de se diviser, de tergiverser, de donner une tribune au défaitisme.

Sans doute la théorie marxiste-léniniste que ces partis voulaient mettre en pratique était-elle essentiellement scientifique, mais elle différait d’une théorie scientifique classique qui doit – en principe - pouvoir être remise en cause à tout moment - parce que ses postulats et ses hypothèses de départ ne pouvaient pas être modifiées à volonté sous peine d’affaiblir le parti ou même de le détruire, et parce que la plupart de ses membres, y compris d’ailleurs la plupart de ses cadres n’avaient pas une maîtrise scientifique suffisante pour faire ce travail critique de manière créative - et ce n’était pas ce qu’on leur demandait. La vulgarisation de la théorie diffusée dans le public des militants et des sympathisants aux fin d'agitation et de propagande était vécue comme un dogme, et il ne pouvait pas en être autrement.

Mais cette philosophie de la discipline de parti dans la lutte à mort contre le capitalisme et la bourgeoisie internationale tendit évidemment à se modifier quand il se créa dans certains grands pays capitalistes un équilibre politique durable de 1945 à 1980 environ, et que le parti communiste évolua en grand parti électoral d’opposition, en une sorte d’institution paradoxale de la société qu’il voulait transformer graduellement mais dont il combattait le gouvernement. C’était alors la situation atteinte en France, en Italie, au Chili, et quelques autre pays.

Ainsi, en 1964, au moment même où il se débarrassait de ses militants ouvriers maoïstes, le PCF se lançait dans le soutien à la candidature Mitterrand. Il choisissait contre De Gaule - et contre l’intérêt stratégique de l'URSS - de soutenir un candidat lié à l’extrême-droite et tendanciellement pro-américain - dans l'espoir sans doute de le contrôler.

Les fantassins de la lutte politique qui devaient porter de manière souple et intelligente, mais toujours conforme à la ligne le message du parti dans les masses, à domicile, sur les marchés et dans les lieux de travail, manifester leur force et leur nombre dans la rue, organiser des grèves et bloquer les routes en cas de coup de force fasciste, exercer une pression physique sur les bataillons au service de la bourgeoisie dans l’espace public, soutenir, protéger et animer les luttes sociales, intervenir dans la culture pour propager le marxisme, voire s’engager en masse dans des brigades internationales devinrent des militants électoraux, qui intériorisèrent ce rôle au point qu’ils finirent par confondre le moyen et la fin. Et leur recrutement s’effectua de moins en moins dans les ateliers de production et de plus en plus souvent dans les universités bourgeoises qui tendaient parallèlement à se massifier.

Cette évolution vers une l'assimilation culturelle des masses est irréversible. Elle conduit à diffuser une nouvelle forme d'individualisme  consumériste qui doit être envisagée comme une sorte de religion, bien plus aliénante dans le monde d’aujourd’hui que ce qui subsiste des religions historiques, et sans doute davantage que celles-ci le furent à leur âge hégémonique.

Tout comme les gros bataillons et les grandes manœuvres stratégiques de grande échelle semblent être devenues impossibles dans la guerre moderne dans les formes qui se développent sous nos yeux en Ukraine, le schéma qui sépare clairement direction stratégique et mise en œuvre tactique ne semble plus fonctionner du tout sur le plan politique. La lutte moderne - celle des Gilets Jaunes, par exemple - procède par l’agrégation spontanée d’initiatives locales et souvent perd son élan avant même d'atteindre un résultat, sauf d'être apparue dans les médias.

Les masses du monde actuel ne sont plus des masses de manœuvre conscientes, dont la conscience consistait à accepter rationnellement un commandement éclairé de manière disciplinée, mais des essaims d’individus influençables qui se forment subitement et se dissolvent tout aussi rapidement autour de revendications de base, de questions d’actualité et de modes intellectuelles. On les atteint par l’image et par l’influence de la séduction. Et non par la conscience, et surtout pas par la conscience de la nécessité de la discipline qui a été complètement délégitimée dès l’éducation de base (sauf évidemment dans les entreprises capitalistes !).

Leur idéologie ne provient plus d’un effort d’auto-formation à la contre-culture théorique, économique, historique et philosophique prolétarienne mais d’un long séjour peu fructueux dans le système scolaire bourgeois qui s’est élargi principalement dans ce but, où ils n’ont pas véritablement acquis les éléments d’un jugement personnel, mais certainement la revendication d’en avoir un. Cette illusion sur ses propres capacités de jugement et sur son indépendance d’esprit, réfutées quotidiennement par l’expérience vécue de l’influence de la publicité et du marketing, mais très largement répandue, fait obstacle à la conscience comme la nouvelle religion des masses. La formation idéologique des militants et des cadres qui se basait sur les acquis élémentaires et méthodologiques simples mais solides de l’éducation primaire et technique qui avait cours au XXème siècle doit maintenant composer avec des foules de demi-savants à l’esprit perturbé par une multitude de mythes historiques et politiques, nationalistes, religieux, idéalistes et mystiques, et plus souvent encore par les apologues démocrates ou libéraux, mais tous tant qu'ils sont anticommunistes et contre-révolutionnaires, et distillés par le collège, le lycée et l’enseignement supérieur, dans tous les pays et dominant l'esprit des nouvelles générations même parmi les prolétaires les plus exploités.

La dissolution de la masse prolétarienne consciente de soi mais prudente et réaliste sur ses capacités propres, telle qu’elle existait dans la première moitié du XXème siècle, en collection anomique d’individus étourdis, amnésiques, naïfs, vaniteux, narcissiques et arrogants est certes une grande victoire culturelle de la bourgeoisie.

Mais de même que le « gorille apprivoisé » de l'ingénieur du travail Taylor, l’ouvrier spécialisé attaché à la chaîne de montage de la production en série dans les grandes usines du capitalisme fordiste, tel qu'il est décrit par Antonio Gramsci, a évolué à l'encontre des intentions de ses créateurs pour prendre la forme de l’ouvrier conscient de la grande industrie qui fit trembler le capitalisme sur ses bases dans les années médianes du XXème siècle, de Détroit à Turin et de Billancourt à Sochaux, l’individualiste de masse parcellisé et ubérisé peut à son tour prendre conscience de sa position dans la lutte des classes et de son intérêt à s’organiser collectivement dans une organisation politique révolutionnaire nouvelle qui lui serait adaptée.

Les partis du Komintern ne peuvent plus tels-quels servir de modèle d'organisation, mais ils peuvent servir de base de ralliement idéologique et de matériaux par leur histoire épique et par leur réalisations concrètes, en politique et en économie, à un nouveau récit rassembleur pour les prolétaires de tous les pays.

GQ, 4 juillet 2024

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R
Membre du PCF de 1968 à 1983., secrétaire de ma cellule d' entreprise et membre du bureau de la section de ma ville, ce que j' ai vécu, c'est beaucoup de centralisme et très peu de democratie et cela de la base au sommet... aujourd hui il n y a ni centralisme ni démocratie... Ex : qui a décidé que le PCF devait voter la livraison d' armes à l' Ukraine?
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L
Bonjour.<br /> "L’histoire ne repasse pas les plats" dit le proverbe. Ceci incite à beaucoup de scepticisme à propos de votre conclusion.<br /> Le passage par une phase de profonde Barbarie, surtout en Europe, surtout dans les grandes métropoles, apparait le plus probable. Celle-ci rebattera les cartes en faveur des producteurs : Une catégorie composée certes du salariat/prolétariat, mais pas que (artisans, petites industries, paysans). <br /> Le sens de l’histoire est orienté par une structuration toujours plus grande de la matière et de l’énergie (néguentropie), dont le matérialisme historique est une occurrence.<br /> Il en résulte que l’organisation politique future sera plus structurée que par le passé. Une structuration à une classe dominante apparait dépassée. Une structuration plus grande sera un jeu d’opposition-coopération entre deux classes productrices principales résiduelles. D’ailleurs, c’est déjà ce qui se passe de manière imparfaite en Chine et en Russie.<br /> Comment cela adviendra politiquement ?<br /> Sans doute, de guerre lasse, à l’initiative d’un dirigeant éclairé par cette vision. Un dirigeant suffisamment reconnu pour mettre en place cette "paix des braves", celle de ceux s’étant opposés jusque dans leur chair au capitalisme décadent et nihiliste. Un dirigeant pouvant venir de la droite comme de la gauche.<br /> Cordialement.<br /> Luc Laforets<br /> www.1P6R.org
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