A propos de l'antisémitisme - ou de l'antijudaïsme - contemporain
4 Octobre 2024 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #GQ, #Théorie immédiate, #Front historique, #Impérialisme, #Ce que dit la presse, #Positions, #Asie occidentale
La dénonciation de l'antisémitisme supposé des défenseurs des Palestiniens n'est qu'une diversion cousue de fil blanc pour saturer l'espace médiatique et pour faire contrepoids aux images terribles qui filtrent de Gaza, Reste à savoir pourquoi elle semble fonctionner jusqu'à un certain point au moins, pour remobiliser le camp impérialiste et sidérer les indécis.
Ces réflexions ont été inspirées par l'appel à manifester contre l'antisémitisme, à l’initiative des présidents des deux chambres du parlement, le dimanche 12 novembre 2023 à Paris. L’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme - et aussi de la mémoire de la Shoah - pour couvrir le massacre en cours des Palestiniens à Gaza par l'armée israélienne est une nouvelle forme de perversité bourgeoise à la mode, et comme on pouvait s'y attendre de sa part le président français fait du zèle.
Il est impossible de ne pas voir que tout ressentiment contre Israël se transformera inévitablement en ressentiment anti-juif, parce qu’Israël se définit comme l’État national des juifs, que la très grande majorité des juifs le reconnaissent comme tel explicitement ou non, et que les juifs qui refusent cette assimilation sont peu nombreux, peu entendus, ou sont si complètement assimilés à la culture et à la vie politique du pays dont ils ont la nationalité qu'on ne peut plus vraiment les considérer comme juifs au sens ethnique et religieux du terme.
La distinction entre juifs et israéliens est purement verbale, puisque tous les juifs qui se revendiquent comme tels sont annexés bon gré mal gré à Israël et le sont par les deux camps en présence.
Le ressentiment des Palestiniens contre les juifs est inévitable : ils les ont chassé de leur pays dans un passé récent encore vivace dans la mémoire et soumis à l’occupation militaire depuis trois générations. N’importe quel peuple réagirait de la même manière dans des circonstances semblables, et des éléments extrémistes prêts à tout pour se venger y seraient apparus aussi.
La solidarité universelle des anti-impérialistes envers les Palestiniens est donc logique et cohérente avec leur démarche générale. Mais ce n’est pas le seul cas d’un peuple chassé brutalement de sa terre d’origine et force est de constater que le sort des Arméniens chassés dernièrement du Karabakh où ils vivaient depuis des millénaires - avec l'accord de l'Occident - ne suscite pas beaucoup d’émotion.
Il y aurait donc une variable cachée : l’antijudaïsme explicable des Palestiniens et des musulmans qui s’identifient à leur cause serait rejoint par un antijudaïsme occidental de l’ordre du non-dit. C’est l’accusation permanente que profèrent les sionistes contre la gauche pro-palestinienne et c’est une opinion répandue chez beaucoup d’observateurs inquiets à la recherche d'une problématique neutralité. Mais en supposant que ce ressenti ne soit pas de l’ordre de la paranoïa, le simple fait de constater un problème ne clôt pas la question. L’antijudaïsme n’explique pas grand-chose s’il n'est pas lui même expliqué.
L'antijudaïsme de gauche qui est mis en accusation (l’antisémitisme de droite ayant trouvé chez les Arabes de nouveaux boucs-émissaires, s'est mué en philosémitisme fanatique jusque dans les rangs du RN) renvoie à la position qu'occupent les juifs dans la lutte des classes occidentale, et le recul du marxisme qui fait une distinction conceptuelle très nette entre la responsabilité individuelle et l’appartenance à une classe sociale a ouvert la porte au retour du populisme de gauche antijudaïque formulé sans nuance - entre autres - par Proudhon, le père fondateur du courant anarchiste et libertaire.
La population juive européenne comportait au début du XXème siècle deux branches bien distinctes, dont l’une a formé jusqu’en 1945 une nation sans territoire propre mais étendue sur de vastes régions d’Europe orientale, dotée d’une langue originale, le yiddish, comportant un prolétariat révolutionnaire particulièrement conscient et actif, et qui a disparu à la suite du génocide nazi et de l'émigration des survivants, ou par assimilation aux populations locales, et dont l’autre forme depuis longtemps un sous-groupe de la bourgeoisie en Europe occidentale, et à ce titre a fait l’objet de ressentiments sociaux accumulés - et qui comme on sait, peuvent devenir meurtriers en temps de crise ou de guerre. Il faut remarquer que l’historiographie des juifs est complètement aveugle sur leur identité de classe au sein de la formation sociale de l’Occident du XXème siècle, pour mettre en avant des récits identitaires ethnico-religieux métaphysiques qui font parfois insulte à l’intelligence et qui ressemblent au discours national bourgeois en général, en ce qu’ils nient leur caractère de classe.
La bourgeoisie est en effet constituée non d'individus isolés mais de réseaux culturels, de sous-groupes ethniques et religieux, indispensables à la solidarité, à l’entraide et au succès personnel des individus placés en concurrence de tous contre tous pour la réussite économique. Les groupes juifs font partie de ces réseaux et sont parmi les plus visibles.
Après avoir tenté de détourner la colère populaire contre eux, la bourgeoisie a changé son fusil d’épaule en 1945, et a fait de la défense des juifs une de ses missions morales. Cette cause amalgamée à l’idéologie des droits de l’homme permet aussi de créer un discours d’apparence universaliste qui est en fait à la gloire de la néo-nation occidentale (Europe, Amérique du Nord, Océanie) qui prétend à l’universelle domination du monde et de l'impérialisme occidental refondé après la décolonisation. L’Occident est juste, parce qu’il protège les juifs, lesquels se retrouvent une nouvelle fois dans la position inconfortable de preuve historique de la vérité des prétentions des chrétiens - ou de leurs héritiers.
Par réaction les juifs sont perçus dans le reste du monde comme des champions enthousiastes de l’impérialisme occidental, et domine là-bas la tendance à considérer les Israéliens en bloc comme des colons blancs à renvoyer en Amérique du Nord ou en Europe.
Il existe aussi des survivances de l’antisémitisme d'extrême-droite tel qu'il était formulé avant-guerre, mais l'extrême-droite implicitement ou explicitement raciste tend à préférer Israël - où elle est d'ailleurs au pouvoir - à ses ennemis arabo-musulmans et à s'aligner dans ce domaine comme dans d'autres sur le consensus officiel libéral européen et nord-américain.
Prétendre combattre l’antisémitisme dans les circonstances présentes aboutit à l'alimenter et c'est effectivement le but recherché, pour rapiécer le narratif sioniste en lambeaux.
GQ, 11 novembre 2023, relu le 8 juin 2025
Réveil Communiste :
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