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Réveil Communiste

Matérialisme dialectique et logique, de Pierre Raymond (1942 - 2014) , publié en 1977

25 Juillet 2023 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #GQ, #Théorie immédiate, #Front historique, #Positions, #Art et culture révolutionnaires

Compte rendu de lecture de "Matérialisme dialectique et Logique", 1977, une critique marxiste de Pierre Raymond de la philosophie analytique.

Première publication le 5 décembre 2007. GQ.


Cet essai de Pierre Raymond, philosophe des sciences althussérien, commence par poser la question de la philosophie marxiste: pour lui, elle n’est pas encore constituée. Il faut aller au-delà de la tradition épistémologique issue d’Engels, et élaborer une vraie philosophie matérialiste qui tienne compte des succès et des limites de la logique mathématique des XIXème et XXèmes siècles, qu’Engels ignorait, et des "philosophies de la rigueur" qui se sont appuyées sur elles. Plus profondément, il faut revenir sur la scission entre la science et la philosophie, étudier les conséquences de leur divorce au XVIIIème, qu’il place en rapport direct avec les nouvelles conditions crées par l’apparition de la science de l’histoire, et du prolétariat comme acteur conscient de l'histoire, au début du XIXème siècle. Il en arrive à la conclusion que la révolution prolétarienne est une condition pour retrouver l'unité du savoir, science, philosophie et technique.

La tradition dialectique en l'état est sibylline, peu exploitable par les sciences, si ce n’est sous la forme d’une rhétorique sans fécondité. Pourtant une discipline vite mutilée a pris son envol chez Frege et Russel, qui aurait pu, qui pourrait encore être d’une grande utilité théorique au marxisme.

Hegel est le premier à tenter véritablement de faire fusionner la logique et l’histoire mais il le fait en échouant immédiatement sur la platitude d’une réconciliation avec le monde tel qu’il est : le but de l'Histoire, c'est la bureaucratie d'État prussienne de 1830! C’est parce que pour lui les contradictions réelles sont aplaties sur la contradiction logique, sont pensées dans les catégories d'une discipline logique qui n'avait alors pratiquement pas bougé depuis Aristote et où la négation réelle était assimilée à la négation discursive. Or de son coté, la logique nouvelle qui se développe dès l'époque de Hegel, partir des recherches de Boole et de Bolzano, est d’emblée hostile à l’histoire. Pour Pierre Raymond, autant Hegel, Engels, que la logique mathématisée échouent dans l'interprétation logique du réel, par sujétion à l’empirisme philosophique, qui vient comme une roue de secours philosophique palier les difficultés à comprendre l’expérience concrète. On pourrait donc comprendre une bonne partie de la modernité philosophique et linguistique du vingtième siècle comme la retombée d’un échec à sortir de l’empirisme de Hume.

L’auteur se fait critique de l’idéologie de la rigueur qui s’exprime de façon diverse chez les philosophes Husserl, Bolzano, Wittgenstein, Carnap, Popper, etc. Phénoménologie et néopositivisme réintroduisent subrepticement des vieilleries métaphysiques ou plutôt idéalistes (car la métaphysique pour lui n’est pas à comprendre avec un accent péjoratif), il s’agit de la tentative folle de constituer des rapports de production purement intérieurs aux forces productives scientifiques. Impérialisme de la logique dont l’échec est retentissant et qui est pourtant toujours renaissant en l’absence d’une véritable philosophie matérialiste et dialectique. De Bolzano à Gödel, on refait sempiternellement l’itinéraire du Thééthète de Platon, pour se retrouver face aux même apories de l’idéalisme tel qu’il était à l’origine. Mais à un niveau bien inférieur au philosophe grec, par superposition de la vacuité du sens et du sens commun le plus vide, par usage plat de l’empirisme en guise de théorie de l’expérience. L'idéologie de la rigueur fait aussi ses ravages dans l’enseignement des mathématiques,  contribuant à fonder la scission science philosophie par la spécialisation précoce des étudiants.

Au passage, PR fournit une lumineuse explication de la dialectique hégélienne, à lire d'urgence pour ceux qui la trouvent difficile (voir page 47).

Hegel tend à plaquer l’histoire sur la logique et le développement du réel sur celui du concept, mais il bloque l'avancée de l’impérialisme de la logique parce qu’il considère que le rationnel se trouve dans l’usage langagier (idées que Wittgenstein dans les Recherches logiques retrouvera après l'échec de sa première philosophie), et non dans une formulation symbolique en surplomb du langage courant. L’usage précède la règle. Marx hérite de Hegel sa sensibilité à l’histoire mais d'une dialectique qui est pauvre en concept. Il doit penser le changement dans le pluralisme des contradictions et de leurs moments, ce qui n’est pas aisé avec les catégories hégéliennes qui ne sont historiques qu'à demi, en ce que le développement historique est immanent à ce qui est déjà contenu dans le concept, "la plante déjà est entière dans le germe".

En passant ensuite à l’étude du courant logicien rigoriste, Pierre Raymond constate que Bolzano essaye de sauver le monde des vérités éternelles en le logeant dans les mathématiques. Sa logique mathématisée doit surplomber toute science particulière. Placer la logique en position extérieure au temps de l’histoire a pour effet de l’extérioriser par rapport à l’être, au temps, au sujet, au langage et à l’expérience. Il ne s’agit pas de critiquer la logique comme telle mais sa prétention à être une théorie générale de la science, elle qui est incapable de comprendre la pratique des sciences théoriques qui sont toutes expérimentales. Boole veut déménager la logique hors de la maison philosophie grâce au calcul algébrique. Pourtant cette logique n'est pour lui rien d'autre que l’ensemble de règles mentales à observer pour raisonner, les lois de la pensée. Mais c’est un discours qui vient légiférer après coup, sans fécondité heuristique. La vraie nature du raisonnement est historique, la logique de Boole est un cul-de-jatte qui explique aux sciences expérimentales comment il faut faire pour marcher.

Retour à Marx et Engels: ce dernier doit faire face d’urgence à une réaction métaphysique contre la science de l’histoire et pour cela bricole sur une base hégélienne et empiriste une philosophie dialectique qui n'est pas du tout satisfaisante. La restauration qu’il opère des liens de la science et de la philosophie est prématurée et aventureuse. En fait, son information scientifique est remarquable, c’est au niveau philosophique qu’il pèche par ignorance [jugement de PR]. Engels bute sur la différence entre les sciences historiques et les sciences expérimentales, et s’égare dans une théorie de l’éternel retour bien dans l'air de son temps, et profondément antidialectique (par exemple par la préoccupation angoissée de la mort thermique de l'Univers) et dans le mythe du flux, assimilé à la dialectique.

Pierre Raymond a donc posé des jalons sur une route qui attendra sans doute longtemps de nouveaux explorateurs. La bourgeoisie ne recrute plus de chercheurs ni d'universitaires marxistes de sa compétence depuis la chute de l'URSS. Et pourquoi le ferait-elle?

GQ, relu le 21 juin 2023
 

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G
Mail perso sur cet ouvrage en effet assez "escarpé" !<br /> <br /> Bonjour, <br /> <br /> J'ai sorti à la bibliothèque municipale du Mans (qui a des pépites!) l'ouvrage de Pierre Raymond que tu recommandes et <br /> ai lu le second chapitre. Certes, il faut relever le défi que pose l'empirisme logique utilisé de Carnap à Popper pour dénier toute <br /> scientificité au marxisme, voire toute possibilité de science sociale. C'est très intéressant de faire remonter ça à Bolzano et de pointer que l'offensive <br /> anti-hégelienne commence dès la mort de celui-ci. <br /> <br /> Toutefois, j'avoue les insuffisances de ma culture épistémologique et par conséquent avoir beaucoup de mal à suivre l'argumentation. Je trouve aussi que le Hegel qu'il décrit<br /> se trouve singulièrement "aplati"... bref, tu nous a entraîné vers un sentier passablement escarpé....<br /> <br /> Fraternellement,
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G
J'ignore quel fut le parcours ultérieur de Pierre Raymond qui a mené je crois savoir une existence prosaïque de prof de prépa; il est possible que ce texte fut son sommet critique, mais il continue à bien tenir sa place dans le combat contre l'idéalisme universitaire sous toutes ses déclinaisons.
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I
https://www.facebook.com/notes/olivier-imbert/rationalisme-moderne-et-marx/2131890029486/ voilà ce qu'ont peut aussi ajouter sur matérialisme dialectique, idéalisme dialectique, spiritualisme dialectique, et logique "transcendantale" autant que positivisme logique.
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I
A l'époque, pour moi en 1979, j'avais déjà trouvé qu'il mettait d'ailleurs comme sa collègue Imbert Claude bien peu de critiques sur Fregge et son idéalisme logique, comme d'ailleurs l'idéalisme de Russell, l'ensemble en effet, assez à la mode dans les milieux et programmesz universitaires, y compris d'ailleurs sur Popper. Notamment dans un numéro spécial de la pensée où il( Pierre Raymond) se contentait de trouver du "pas encore assez pensé à son rationalisme de la réfutabilité à propos de "l'aspect dialectique et historique des probalbilités" et des logiques probabilitaires. Et un an après à peu près Lecourt a sorti "l'ordre et les jeux" qui tout en préférant Wittgenststein à Popper, mettait "fin à la prise de parti en philosophie" et aussi au "matérialisme historique et à son rationalisme dialectique et non formel" et fasait la promotion d'"un surmatérialisme". Pourtant cette prise de parti en philosophie les avaient les uns et les autres conduit à faire de l'épistémolologie et des logiques une affaire historique et de rationalités de "structures en contradiction" de contenus conceptuels se mettant en formes dans des formalismes articulés en sytèmes ou totalités parfois. Et cela rendait impossible la réduction des concepts à simples "fonctions" de l'intellect agent savant, comme le font justement, les logiciens transcencdantaux et donc aussi ce qu'ils appellent tous leur platonisme! Voilà pourquoi, je préfère son- à Pierre Raymond- plus ancien "le passage au matérialisme" et aussi, plus récent (que ce texte un peu vide, dans "la collection algorithme" chez Maspéro très ambitieuse mais vite face à la vacuité du projet), "La résistible fatalité de l'histoire" , très valable sur la rationalité politique et de classe de l'union du peuple du vietnam, dans la pensée du général Giap, tout comme l'exigence d'union du peuple de France, et aussi pour le coup sur les aléas des pratiques historiques loin d'être un matérialisme de la rencontre et de l'aléa en tant que pur hasard sans conceptualisation tel que c'est devenu et encore actuellement, lui en permettaint la limitation et donc aussi une certaine maîtrise des moments et structures historiques. Mais, à ma connaissance, à la différence de certains, y compris de ses proches, il s'est tu une fois passé 81 et en disant qu'il nous restait seulement à assumer aussi l'afghanistan en espérant un nouveau moment rendant possible l'expression manifeste du pouvoir populaire sur mes gouvernements atlantistes! En attendant il a fait son métier, enseigner, à Henri IV! <br /> Voilà ce que j'ai fait et enseigné sur ces questions en mettant à distance "la rencontre" et le "surmatérialisme" et pas la prise de parti, léniniste! https://1drv.ms/w/s!ApbpRluoRAvliSarTQ5QpG1ug_-v.<br /> Je suis un peu vache avec P.Raymond sur Popper dans la pensée, son article s'intitule Matérialisme historique ou matérialisme biologique, c'est en 1979; mais il y a d'autres articles! et je trouve que si sa bio-logique de la sélection des meilleures théories par les essais et erreurs à Popper est bien très loin de la saisie objective du progrès et de l'évolution des idées scientifiques, la considérer tout de même comme matérialisme me paraît ne pas voir le côté transcendantal (et donc spiritualiste) de son histoire[ qui d'ailleurs laisse le côté matérialiste à Khun et à Feyerabend donc aussi en lieu et place des concepts en système et totalité, de simple paradigme, comme Foucault à son tour des épistémé(s) en lieu et place de d' idéologie-graphie] ou "éternitaire" du rationalisme fragile de La ("seule et unique") logique de la découverte scientifique.
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M
Je ne connais pas les ouvrages de tous les auteurs cités dans l'article. Il me semble cependant qu'un élément de base de la réflexion d'Engels sur la relation science-philosophie reste plutôt pertinent. S'il les considérait fondamentalement inséparables, il estimait que rien ne permettait d'affirmer la science comme absolument supérieure car toute science (théorie ou expérience) repose sur des concepts et produit des concepts. Quant à l'importance qu'ont pris les mathématiques dans la science, elle a commencé à être questionnée depuis quelques années (voir Dingle, entre autres). On a presque le sentiment de vivre la 3ème ère du règne des mathématiques: on s'est d'abord efforcé de traduire sous forme mathématique notre interprétation des connaissances tirées de la réalité; puis on a commencé à penser que toute la réalité est mathématique; on semble en être aujourd'hui au point où l'on devrait considérer que les mathématiques produisent la réalité. C'est, à vrai dire, depuis l'avènement de la pensée Relativiste que les scientifiques ont fini par nier le rôle déterminant des abstractions dans la connaissance et l'interprétation de la réalité, allant jusqu'à prétendre pouvoir les dilater ou les contracter...Ce qui a autorisé ces savants à nous affirmer l'existence d'un big-bang originel, "vérité révélée" assénée par les religions, particulièrement les monothéistes, depuis qu'elles ont été inventées. Ce que l'on pouvait pardonner au sieur Lemaître, abbé de son état, qui inventa "l'atome primitif" mais qui ne peut être accepté de la part de scientifiques soutenant que la matière doit nécessairement avoir été créée (voir H. Reeves, expert vulgarisateur). Mais je ne suis qu'un matérialiste attardé...<br /> Méc-créant.<br /> (Blog: immondialisation: peuples en solde!")
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