Trump, est-il bon, est-il mauvais ? pour la paix, et pour le mouvement ouvrier
Trump et la paix, du lard ou du cochon?
Que faut-il penser de la politique internationale et nationale que Donald Trump met en œuvre de manière spectaculaire – mais pas forcément cohérente - depuis son instauration à la Maison Blanche, le 20 janvier 2025 ? doit-on la juger, surtout par comparaison avec celle de Joe Biden, « globalement positive » comme aurait dit peut-être Georges Marchais ?
Sur l’Ukraine, d’abord : il semble proposer de manière floue un deal aux Russes sur la base de la cession des territoires ukrainiens qu’ils contrôlent déjà, de manière à faire cesser les combats en figeant le rapport de force – ce qui n’est que remettre la fin de partie à plus tard, pour reconstituer les arsenaux américains, et tourner son appareil militaire contre la Chine. Cette proposition qui reste pour le moment « en l’air » faute de cadre de négociation ne tient pas compte du fait que les Russes affirment qu’ils ne cesseront les opérations militaires que dans le cadre d’un accord de sécurité global et solide.
Il semble vouloir se désengager de l’Europe, et obliger ce faisant celle-ci à prendre le relais, si elle veut continuer la guerre, et à doubler ses dépenses militaires, et à utiliser ce pactole trouvé on ne sait où pour acheter des armes américaines, comme Biden l’avait obligée à acheter du GNL américain. L’un de ses mantras de campagne était bien que l’Amérique se ruinait à défendre un tas de pays parasitaires de sa bonne volonté. Il s’agit donc d’une poursuite d’avantages à court terme qui ne tient aucun compte de l’intérêt global d’un pays qui vit essentiellement aux crochets du monde entier en exploitant le rôle du dollar comme monnaie de réserve et d’échange internationale.
Mais les Russes de leur coté semblent avoir ralenti leurs opérations militaires déjà fort prudentes, depuis le 20 janvier. Ils croiraient que Trump va leur livrer l’Ukraine sur un plateau, peut être par affinité idéologique anti-LGTB, qu’ils n’agiraient pas autrement ! Il y a une composante géopolitique permanente de naïveté russe, ou plutôt de la naïveté de leurs classes dirigeantes dans leur confrontation avec l’Occident, depuis Pierre le Grand.
Comme la Russie n’a pas fait d’étincelles sur le terrain, on doit baser son jugement des opérations militaires sur le seul critère objectif indéniable dans un conflit où la perception des réalités est rendue difficile par l’omniprésence de la propagande et de la communication : qui est l’occupation du terrain. Sans doute a-t-on fini par comprendre en Occident que l’Ukraine réduite aujourd’hui à peut être 30 millions d’habitants n’allait pas vaincre une Russie cinq fois plus peuplée et dix fois plus riche, mais de là à ce que sa défense s’effondre prochainement, comme la petite sphère internet du camp pro-russe l’affirme sans discontinuer, depuis deux ans, il y a un grand pas au vu de l’expérience de trois années de stagnation sur le front de cette guerre de drones et d’autres technologies nouvelles.
Donc la politique de Trump serait tout simplement de passer le bébé aux Européens, en jugeant qu’ils sont trop faibles militairement pour faire trop de conneries, pour se lancer dans des provocations dangereuses et à grande échelle conduisant à la guerre mondiale. Et rien n’est moins sûr de ce point de vue : les provocations antirusses ont déjà commencé dans la Baltique, où les lilliputiens scandinaves et baltes, flanqués d’une Pologne congénitalement idiote sur le plan géopolitique depuis trois siècles semblent enthousiastes à l’idée d’ouvrir un second front contre Kaliningrad, la Biélorussie, et la flotte russe de Pétersbourg.
il y a au moins un accent de sincérité dans les discours de l’équipe de Trump, qui portent sur le refus d’envisager la guerre nucléaire avec les Russes, et le rejet de Zelensky par ceux qui l’ont créé peut s’expliquer par le caractère irresponsable et instable du personnage – plutôt que par son style vestimentaire, qui vaut bien la casquette de Trump. Trump a d’ailleurs des accents compassionnels sur le sort des victimes de la guerre, les millions de jeunes hommes tués de part et d’autre qui sincères ou non ont le mérite d'exister et sont les bienvenus dans un monde où les bobos stupides et inhumains verts, rose, ou bleus qui prétendent nous gouverner et décider en notre nom, les Macron et les Van der Leyen ou les Analena Bearbock n’en parlent littéralement jamais, et n’offrent comme perspective que la guerre sans fin pour le drapeau de la démocratie de marché, jusqu’au dernier Ukrainien – et Roumain, Polonais, Baltes, Finlandais, si ça continue comme ça et l'économie de guerre pour nous en puisant directement dans l'épargne et dans les retraites.
L’autre aspect essentiel de la politique étrangère de Trump consiste à reprendre le projet d’Obama de faire pivoter les moyens militaires des États-Unis et de leur garde rapprochée anglo-saxonne des « five eyes » (États-unis, Royaume-Uni, Australie, Nouvelle Zélande, et Canada, malgré tous les tarifs douaniers dans ce dernier cas) contre la Chine. En ce sens son discours anti-ukrainien apparaît comme une tentative de séduire et de corrompre la Russie et ses dirigeants pour la séparer des BRICS en général, et de la Chine en particulier, assez grossière dans le fond, mais la Russie en Ukraine est déjà tombée dans des pièges plus grossiers que cela depuis 1991, et l’habilité de négociateur qu’on prête à Poutine est tout à fait surfaite - ainsi que celle de stratège militaire, malgré les illusions courantes sur ces points chez les amis de la Russie (non communistes).
Sur le Moyen-Orient, une sorte de flatterie outrancière vise à embobiner le lobby sioniste en commençant par les plus extrémistes, en lui servant d’un coté une surenchère irréaliste vers le Grand Israël qui le poussera à commettre de nouveaux crimes de masses et de folles imprudences et de l'autre des décisions unilatérales, comme celles qui ont imposé la trêve à Gaza, pour lui faire comprendre sans doute qui est le patron. Notons que ces surenchères ne font que reprendre les projets de l’administration Biden, et aliènent le monde arabo-musulman de la même manière. Signalons qu’Israël a voté avec les États-Unis et la Russie contre la résolution des Nations Unies qui incriminait une nouvelle fois ce dernier pays à l’occasion du troisième anniversaire de la guerre. Verrons-nous en guise de remerciement une résurrection du tropisme sioniste des oligarques russes post-pérestroïka ?
Le discours de Trump au sujet des voisins proches de la Yuma est tout autre que celui concernant la guerre en Ukraine, et il faut s’attendre de ce fait à une grande agressivité verbale et législative contre les pays progressistes d’Amérique latine ; bien que l’agression miliaire directe contre eux soit pour le moment assez improbable, et n’oublions pas qu’elle a été abandonnée contre le Venezuela dans le premier mandat Trump, lors de la crise Guaido en 2019. Le discours xénophobe anti-mexicain semble déjà se calmer, depuis que la présidente du Mexique lui a tapé sur le nez ... Le nouveau Caligula qui sème la terreur chez les biens-pensants émet beaucoup de vent avec sa bouche, et le lynchage en direct de Zelensky dans le bureau ovale a laissé repartir le clown entier et bien vivant, et toujours aussi toxique.
Trump est beaucoup plus agressif envers ses alliés et envers des pays faibles qu'il contrôle déjà complètement, qu’envers les pays ouvertement hostiles. Mais ces outrances verbales, quoiqu’il en soit de leur profondeur, coupent l’herbe sous les pieds des courants pro-américains dans le monde, et Elon Musk avec la liquidation de l’ USAID, leur coupe carrément les vivres – peut être par pur aveuglement idéologique (croire ou même dire sans le croire que l’USAID est infestée de marxistes, il faut quand même le faire!).
Mais la simple existence incontournable du discours nationaliste trumpiste, et de ses déclinaisons en Europe et dans le monde, aussi stupide soit-il, est fondamentalement positif car il brise l’unanimité du "cercle de la raison" qui permettait de concentrer le tir des médias globaux contre les adversaires de l'impérialisme, comme une artillerie lourde pour préparer et effectuer des changements de régime partout dans le monde; et aussi de censurer les voix alternatives.
La politique douanière et migratoire, qui sont liées, sont les plus intéressantes de notre point de vue, et les plus susceptibles de ruiner en profondeur l’Empire américain qui vit du dollar et de l’importation de force de travail qu’elle n’est plus capable de renouveler, cela bien sûr si elle est menée de manière durable, ce qui serait étonnant. Les États-Unis vivent de l’importation de ce qu’ils consomment payé en monnaie de singe, et de l’importation de travailleurs pour les emplois non qualifiés, mais aussi pour les spécialistes de la tech. Les mesures de restrictions à cet effet provoqueront à court terme une crise majeure, à moins qu’elles ne soient rapidement rectifiées, officiellement ou non.
L’attaque contre la « bureaucratie » fédérale menée au pas de charge par Elon Musk paraît surtout manifester un parti pris idéologique peu clairvoyant. Nous ne sommes plus dans les années 1960 où on pouvait argumenter de manière plausible sur la base de la critique de l' État providence, quand le taux marginal d’imposition des revenus était de 91 %, aujourd’hui où les citoyens des États-Unis sont de plus en plus scandalisés par l'arrogance des milliardaires, ou plutôt des trillionaires, dont Musk est bien l'archétype. Elle contribue à miner l’État fédéral et aggrave les risques d’un brutal déclassement des classes moyennes qui se voient qui plus est sommées de prendre le relais des immigrants dans les champs de coton, ou ce qui en tient lieu, pour faire le ménage, et sur les chantiers. Elle aiguise ainsi la lutte des classes et de concert avec les effets des mesures économiques risque de faire plonger la popularité du président chez les ploucs du mouvement MAGA ( Rendre à l'Amérique sa grandeur passée) bien mal nommé qui représentent la base de son électorat.
En conséquence de quoi, on peut estimer que la seconde expérience de Donald Trump prépare un déclassement brutal et certainement nécessaire des États-unis, couplé à un désengagement international, et que de puissantes forces vont se lever pour l’empêcher et vont en fait l'aggraver du désordre qu'elle vont produire : celles qui assument la « destinée manifeste » impérialiste américaine et qui dominent la classe politique américaine et européenne depuis 1945. Ce retour de flamme pourrait se produire si l’UE entrait en guerre ouverte avec la Russie et se faisait rosser – mais ça non plus ce n’est pas sûr, car si la Russie est bien timide quand il s’agit de donner une leçon aux roquets qui lui aboient dans les jambes, et si elle ne peut ou ne veut pas mettre l’Ukraine hors de combat en trois ans, qu’en sera-t-il d’une coalition de pays plusieurs fois plus riches et plus peuplés qu’elle - si mal dirigée soit-elle ?
Sinon un coup d’État ou un complot interne à Washington n’est pas exclu, à moins bien sûr que l’équipée de Trump et de sa cohorte de chevaux-légers libertariens périphériques et ruraux ne fasse pschitt, et qu’on se retrouve à l’automne 2025 dans la même situation que l’année précédente à la même date, les deux pieds dans la boue.
GQ, 5 mars 2025
PS : Cavafy : "Si les Barbares étaient venus, ils étaient quand même une solution"
PPS : Sur les marxistes de l'USAID, il y a peut être encore là-dedans pas mal de trotskystes et d'ultra-gauchistes, ces mouvements n'ayant jamais vécu autrement, et aussi d'écolos. Curieux quand même que le HPI Elon Musk ne comprenne pas leur rôle !