Qui peut nous expliquer Marx, Lénine, et les autres ? Plutôt Paul Sweezy que Louis Althusser !
26 Octobre 2025 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Théorie immédiate, #Economie, #Front historique, #États-Unis, #Qu'est-ce que la "gauche", #GQ
Que faire des commentateurs de Marx ?
Prenons par exemple Althusser, qui n'est pas le pire pourtant, ce professeur de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm qui a écrivit Pour Marx et Lire le Capital dans le but de donner une sorte de respectabilité académique à son objet. Le résultat en fut de former toute une génération d’étudiants marxistes grand-bourgeois plus extrémistes les uns que les autres, mais qui rapidement changèrent de bord au cours des années 1970.
Althusser n'est pas responsable des reniements de ses disciples, mais pour l'avoir lu à une époque où il était encore à la mode, j'avoue n'avoir jamais compris sa démarche - on m'a dit depuis qu'il s'efforçait d'introduire de force le marxisme dans le moule du structuralisme, lequel est aussi passé de mode depuis.
Il faut le dire tout net, les commentateurs et les explicateurs de Marx sont bien trop difficiles à lire et à comprendre pour être honnêtes, et il faut identifier cette difficulté, car Althusser n’est pas difficile de la même manière que Marx lui-même, ni que Lénine (lequel souffre plutôt de paraître trop évident, et Mao aussi, mais encore autrement). Savoir si cette difficulté incombe au lecteur, à l’auteur, ou au sujet traité. Savoir aussi si on doit surmonter une ignorance naïve, ou un faux savoir placé là sur le chemin justement pour défendre l’ignorance.
J'ai découvert par hasard à Cuba en 2014 un texte véritablement utile pour ceux qui veulent comprendre le marxisme, ses enjeux, ses débats historiques : l’étude de l’économiste universitaire américain Paul Sweezy (1910 - 2004), fondateur de la Monthly Review - une des meilleures revues marxistes historiques qui est toujours publiée à New York - et dont la première version remonte aux années 1940 : la Théorie du développement capitaliste, malheureusement non disponible en traduction française, qui est dans sa première partie un cours concis et clair sur le Capital, et dans sa seconde, une explication des débats polémiques entre marxistes, et avec les antimarxistes sérieux de 1880 à 1940, où toutes les questions épineuses sont clairement posées, notamment celle de la chute tendancielle du taux de profit, et celle de la formule de transformation de la valeur des marchandises en prix - et des solutions proposées.
Il faut comprendre que Marx en recherchant la vérité s'était donné pour mission de soulever le voile qui recouvre l’exploitation du travail, c’est à dire la contribution gratuite des travailleurs à l’accumulation du capital et à l'existence des classes non travailleuses. Il ne s’était pas donné pour but de développer une théorie pour sa beauté intrinsèque, à aligner à coté des autres sur les étagères des bibliothèques universitaires, ni de se faire une place, même dissidente et oppositionnelle dans la tradition de la culture.
Au rebours de ce commentaire éclairant, et des autres économistes marxistes universitaires orthodoxes de culture anglo-saxonne, comme Maurice Dobbs à Cambridge, par exemple, il y avait ceux, plutôt des Français, et plutôt des philosophes, qui étaient difficiles à lire, plus encore que le Capital lui-même. Difficiles sans doute parce qu’ils traitaient d’une matière difficile, dont la lecture nécessitait un solide acquis lexical et conceptuel, mais plus souvent parce qu'ils ne maîtrisaient pas bien leur sujet et qu’on ne les comprenait pas, parce qu’ils ne comprenaient pas eux-mêmes ce qu’ils écrivaient, et il y avaient aussi ceux qui étaient obscurs parce qu’ils avaient quelque chose à cacher – parfois inconsciemment. La lecture d’ouvrages marxistes ou à telle prétention ne peut pas être naïve, et on ne peut pas supposer a priori la bonne foi de la part d'intellectuels célèbres qui font carrière dans la société en la critiquant.
Les lecteurs honnêtes doivent sans doute par principe et pour commencer supposer que s'ils ne comprennent pas de quoi ça parle, ce que ça dit, et où ça veut en venir, qu'il leur manque des références pour accéder au sens, mais ils peuvent aussi à bon droit exiger un effort de pédagogie, surtout de la part de commentateurs et de professeurs qui sont payés pour ça - et bien payés. Lorsqu'ils tournent autour du pot et qu'ils envoient des signes implicites du contraire de ce qu’ils affichent comme intention sur la quatrième de couverture, la difficulté est plutôt imputable aux auteurs qu'aux déficiences des lecteurs.
Gramsci, qui est un communiste marxiste original, mais tout à fait aligné sur l'URSS dans le contexte stalinien de son époque est d’ailleurs dénaturé de cette manière par la culture universitaire actuelle pour lui faire dire exactement le contraire de ses intentions : ce partisan du sens commun devient à complet contre-sens une sorte de porte-parole des minorités culturelles.
L’idéal pour comprendre Marx serait d’avoir d’abord lu et compris les grands auteurs de l’économie politique classique bourgeoise à l'origine de la théorie de la valeur-travail, de 1760 – 1830, Adam Smith, Ricardo, Quesnay, et compris aussi les objections à cette théorie venant de Say, Malthus, etc, parce que ce sont ces auteurs qui laissent l’état de la question là où Marx s'en empare – alors que l’on tend plutôt à conseiller en préalable la lecture de Hegel, plus difficile que Marx pour un esprit formé dans le système scolaire - et qui lui-même souffre d'une incompréhension systématique.
On peut bien entendu lire des cours ou des résumés qui expliquent les idées de ces auteurs, mais la lecture directe et aisée de La Richesse des Nations et du court traité de Ricardo, dont les œuvres complètes furent rééditées à Cambridge en 1950 sous les auspices du marxo-ricardien, ami de Gramsci Piero Sraffa, Principes de l’économie politique et de l'impôt, et cela avant de lire le Capital, mettrait bien mieux en place les problématiques que Marx veut élucider.
Dans l'ordre idéal , lire : Le Manifeste, La richesse des Nations, Les Principes de Ricardo, l'Anti-Dühring de Engels, et le Capital, volume 1.
Ensuite il faut se familiariser avec les thèses adverses de l’économie néoclassique marginaliste, qui furent développées à partir de 1870 pour nier la valeur-travail et la réalité de l’exploitation des travailleurs dans le système capitaliste, et qui sont à la base de ce qui est enseigné encore aujourd’hui comme science économique (mais le livre précité de Paul Sweezy, qui fut formé comme un économiste marginaliste au début de sa carrière, est une bonne introduction à cela aussi).
Être un intellectuel marxiste est vivre dans une contradiction permanente; si c’est dans un pays bourgeois, il lui est permis de critiquer le système qui l'entretient à condition d'être hermétique et inoffensif, et si c’est dans un pays socialiste, de quel point de vue de classe peut-il le critiquer ?
Les intellectuels sont presque tous des professeurs, ce qui leur impose une sorte d'éclectisme méthodologique. Chaque théorie va être présentée à fin pédagogique comme une sorte de structure close en elle-même, une totalité cohérente et idéalisée comme telle, avec sa beauté, et à ce titre le marxisme n'en est qu'une parmi d’autres.
Il ne faut pas oublier que Marx propose non une "pensée" mais une théorie scientifique objective, à l’appui de la révolution prolétarienne. Si on n’est ni prolétaire, ni communiste, ni intéressé par la vérité scientifique, mais un amateur de systèmes de pensée, on ne va pas y trouver son bonheur. Et de fait, on a bien l’impression que Marx était détesté dans le fond par beaucoup de ses disciples.
Le meilleur commentateur de Marx, pour finir, c'est tout simplement Lénine.
GQ, 19 octobre 2024, relu le 13 mai 2025
PS Chaque penseur important a son "moment" : celui de Sweezy, fut la participation américaine à l’alliance antifasciste mondiale de 1941 à 1945, celui d'Althusser, Mai 68. Différence de sérieux significative.
Réveil Communiste :
Réveil Communiste est animé depuis 2010 par Gilles Questiaux (GQ), né en 1958 à Neuilly sur Seine, professeur d'histoire de l'enseignement secondaire en Seine Saint-Denis de 1990 à 2020, membre du PCF et du SNES. Les opinions exprimées dans le blog n'engagent pas ces deux organisations.
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