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Réveil Communiste

De Sakharov et Soljenitsyne, à Boualem Sansal : la répression des intellectuels dissidents est-elle justifiée?

16 Mars 2025 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #GQ, #Front historique, #Théorie immédiate, #Russie, #Europe de l'Est, #Répression, #Art et culture révolutionnaires, #Mille raisons de regretter l'URSS, #Algérie

 

"Si tu ne lis pas de livre, tu redeviendras vite analphabète" (affiche soviétique des années 1920). Le peuple doit créer ses propres intellectuels.

Republié dans le contexte de l'arrestation de Boualem Sansal en Algérie, qui n'est pas un contre-révolutionnaire d'un pays socialiste, mais un partisan du sionisme et un nostalgique de la colonisation de son propre pays, qui remet à la mode la figure de l'écrivain "dissident" et les campagnes de soutien à Saint Germain des Prés.

Dans l'atmosphère politique des années 1960 et 1970, les intellectuels de gauche occidentaux prenaient leurs distances avec l'URSS à cause des persécutions réelles ou supposées qui s'y produisaient à l'encontre d'intellectuels dissidents (par esprit de corps en quelque sorte, sans s'interroger du tout sur le contenu réel des idées de Soljenitsyne ou de Sakharov).

L'image de tyrannie qu'elles dessinaient a causé énormément de tort à la cause du socialisme, et a contribué à la formation de l'idéologie néo-impérialiste actuelle, qui permet aux descendants de ces intellectuels "de gauche" de justifier n'importe quelle guerre impérialiste au nom des droits de l'homme.

Nous admettrons ici que l'Union soviétique de ses années-là, issue de la révolution d'octobre 1917, de la collectivisation des terres de 1929, des plans économiques des années 1930, et de la Grande Guerre patriotique de 1941-1945 conservait vers 1968 la caractéristique d'avoir un régime politique issu directement de la dictature du prolétariat, malgré des signes graves d'essoufflement. D'où la question, à laquelle on peut tenter de répondre avec le recul historique :

La dictature du prolétariat, notamment sous la forme qu'elle a revêtu en URSS, était-elle une "dictature tout court"? la répression qu'elle infligeait aux intellectuels exprimant des tendances bourgeoises était-elle justifiée?

Ces questions méritent un vrai débat. Pour expliquer mon point de vue, je ferais entendre pour commencer quelques observations :

1) Dans l'image que l'on se fait de la dictature révolutionnaire, il ne faut accorder aucun crédit à la critique émanant des adversaires du socialisme, et ce qui ne simplifie pas les choses, c'est qu'il y en a effectivement qui sont déguisés en partisans du socialisme. Démasquer ces derniers est une tâche ingrate et nécessaire. Quant aux faits de l'histoire des révolutions tels qu'il sont rapportés par l'histoire et les sciences humaines bourgeoises, ils sont présentés voire créés dans un storytelling séculaire, de manière à diffuser la peur chez les professionnels de la pensée, l'éclectisme invertébré chez les étudiants, le conservatisme prudent et la pusillanimité historique chez tous, ou parfois chez les plus indociles un romantisme révolutionnaire volontiers extrémiste mais en fait complètement désarmé.

2) Il n'existe pas dans la vie réelle de garanties absolues permettant d'éviter par avance les excès et les abus du pouvoir politique, et la superstructure juridique qui prétend les fournir, quelques soient les bonnes intentions des juges et des avocats de gauche qui la garnissent, travaille structurellement à la protection de la propriété privée et à la conservation de l'ordre capitaliste. Les droits de l'homme ne sont que les droits du bourgeois, et ils n'ont jamais protégé personne en dehors de cette classe.

3) La dictature du prolétariat est un régime de transition où le parti du prolétariat exerce tous les pouvoirs. Il faut souligner le mot "transition" qui signifie qu'il s'agit d'un état d'exception provisoire qui a vocation à être de courte durée, mais sans norme légale, comparable à la guerre .

4) S'il n'apparait pas à nouveau une génération révolutionnaire comme celle de la Russie en 1917, capable de perpétrer ces grandes "voies de fait" que sont les révolutions, le capitalisme règnera éternellement (c'est à dire pas très longtemps, jusqu'à ce qu'il ait détruit l'humanité).

5) Souvent le recul moralisant par rapport à l'histoire communiste s'explique par, d'une part, le manque de détermination morale, d'autre part le refus inconscient des fins de la révolution prolétarienne, qui doit effectivement mettre fin à l'individu bourgeois, et à sa psychologie, qu'elle soit de nuance romantique, mégalomane ou conformiste.

6) Les intellectuels dans une société à un moment donné reflètent un passé et un état des contradictions dans cette société, où leur liberté créatrice et leur conscience est étroitement conditionnée. Ils croient créer des formes et des idées librement, et ils n'aiment pas qu'on leur rappelle leur surdétermination, personne n'aime avoir à en rabattre sur son prestige et ses illusions. Et la situation qui les a créés est vite dépassée en période révolutionnaire, ce qui entraine leur glissement à droite rapide (on en voit des exemples contemporains en Amérique latine). Ce qui rend difficile le débat sur les questions culturelles est la sur-représentation de l'intelligentsia, en tant que groupe social, et donc la prégnance de ses préjugés chez les militants de gauche qui prétendent avoir un mot à dire sur la révolution.

7) Ce n'est pas le stalinisme, quoiqu'on entende exactement par ce terme, qui fut le fossoyeur du socialisme, c'est le retour en force de la culture bourgeoise en URSS comme partout ailleurs dans la seconde moitié du XXème siècle. Ce retour est une conséquence du retard de la révolution culturelle sur la révolution économique, sachant que cette nécessaire révolution culturelle n'a que peu de rapports avec la culture nihiliste d'avant-garde diffusée partout qui s'est développée au XXème siècle dans la Bohème internationale, de Paris à New York et de Berlin à la Californie, et qui est devenue l'académisme du "nouvel âge du capitalisme". Quant au prétendu "stalinisme", ce n'est rien d'autre que la contre-violence exercée par des révolutionnaires déterminés, engagés en terre inconnue, sur une voie où personne ne les avait précédés.

8) Dans la société bourgeoise, les intellectuels (littérateurs, professeurs, juristes, journalistes ...) se voient attribuer le rôle de spécialistes de la conscience et de la liberté, au détriment des hommes sans qualité, et revendiquent plus ou moins consciemment à ce titre un statut dérogatoire sur tous les plans, qui leur permettrait d'échapper à toute responsabilité, et à tout jugement, moral, esthétique, historique, et prétendent même à une sorte d'immunité juridique ! Mais ce groupe social n'est que le coté jardin du maintien de l'ordre social, dont la police et les tribunaux sont le coté cour.

9) Les grands intellectuels actuels n'expriment que le programme du capitalisme, dont ils sont souvent les salariés directs à ce titre, et ses contradictions qu'ils ne parviennent pas à dissimuler, et cela bien moins librement qu'au XXème siècle.

L'analyse des difficultés rencontrées par les révolutionnaires réels réellement parvenus au pouvoir peut aboutir à deux conclusions opposées : celle qui prévaut dans les médias et dans l'Université mainstream, pour lesquels la révolution n'est, au vu de l'expérience, vraiment pas souhaitable du tout. Et celle du prolétariat pour qui la prochaine révolution devra aller beaucoup plus fort et beaucoup plus loin. Il lui va falloir reprendre le pouvoir dans la culture (et user du smart power utilisé par la bourgeoisie qui dose simultanément raison, séduction, ruse et contrainte) en posant l'évidence que la révolution qui conduit à la prise du pouvoir du prolétariat est un droit absolu, qu'elle est même le fondement de tous les droits futurs.

Faire la révolution implique de détruire beaucoup de belles et grandes choses du passé, en toute conscience, mais cette table rase, paradoxalement, est bien davantage à la portée du prolétariat aujourd'hui qu'en 1917, au vu des destructions culturelles dues au capitalisme lui-même : la nature, les nations, les villes, le langage, l'art, le respect humain, la morale élémentaire et le savoir-vivre sous toutes leurs formes sont passés à l'as au cours du vingtième siècle, écrasés par le rouleau compresseur de la marchandise et par la soif du profit.

La dictature du prolétariat était-elle (est-elle) une "dictature tout court"? Évidemment oui !

La répression qu'elle inflige aux intellectuels exprimant des tendances bourgeoises est-elle légitime? Absolument oui ! Est-elle toujours souhaitable? Non, dans la mesure où la critique de bonne foi renforce ce qu'elle critique. Mais il n'existe plus guère de critique de bonne foi provenant de la bourgeoisie.

GQ, août-novembre 2017 - relu le 30 novembre 2024

PS : De même qu'il y a nombre de faux révolutionnaires qui se prennent pour des vrais dans l'Université et même dans les médias, il y a aussi de grands intellectuels "faux conservateurs", dont le plus illustre aura été Balzac, source d'inspiration inépuisable pour Marx. On peut y adjoindre Kafka, l'explorateur des contradictions du capitalisme du XXème siècle, qui fascinait Georges Lukacs. Et, le plus grand de tous, contre ses intentions conscientes, Dostoïevski qui a transmis dans un cadre inversé mais magnifié par l'art du récit la parole du grand écrivain fondateur du parti révolutionnaire russe, Tchernichevski, réduit au silence par la prison et la déportation, dont la figure magnifique hante littéralement ses romans, à commencer par Crime et Châtiment.
 
PPS; 13 août 2020 : commentaire sous la réponse d'Antoine Manessis consultable ici :"on peut combattre une idée, on ne peut pas l'interdire"
 
Je crois que ta formule qui résume bien ton idée : "on peut combattre une idée, on ne peut pas l'interdire" est parlante, mais qu'elle est fausse; par exemple et sans aller très loin, nous sommes actuellement dans un processus d'interdiction graduel des idées communistes, après leur marginalisation. Tu parles comme Rosa qui disait, la liberté, c'est la liberté de ceux qui ne pensent pas comme moi - et bien ! ceux qui ne pensaient pas comme elle l'ont tuée !

Évidemment tu as raison de dire que prôner la dictature et la répression ce n'est pas la meilleure manière de se rendre populaire, mais ce n'est pas exactement mon propos, ce que je veux réaffirmer, c'est que les objectifs du socialisme sont supérieurs à la morale et au droit bourgeois, et non l'inverse, et c'est ce que pensaient tous les révolutionnaires au monde qui ont fait des révolutions, au moins jusqu'à la mort de Staline. Dont Gramsci, qui pensait qu'il fallait refonder toute la civilisation, sur les bases de la praxis révolutionnaire. Bref, il faut refonder la foi populaire en le progrès social et en la révolution et décomplexer les communistes.

Tu dis qu'interdire le jazz ou le rock, c'est stupide, certainement, et que l'interdit attire, sans doute aussi, mais ce ne sont que des péripéties. En fait plutôt qu'à des idées le socialisme a eu affaire à une énorme campagne de publicité pour le capitalisme.

Il nous faut le "smart power" de l'ennemi : utiliser la persuasion et la contrainte au bon moment et aux bonnes doses, de manière machiavélienne. Et dans l'état actuel des choses, où nous n'allons pas réprimer grand monde, affirmer que lorsque les pays socialistes ont usé de répression, c'est regrettable mais c'est qu'il le fallait.

Dans le cas de Soljenitsyne, le vers était dans le fruit, puisqu'il a été lancé par Khrouchtchev
!
 
 

 

 

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R
Assez d ' accord avec RBOBA, il ne faut pas faire de SANSAL un nouveau Soljenitsine, on peut comprendre que l' Algérie veuille le sanctionner pour ses positions pro colonialiste , une interdiction de séjour serait une mesure adaptée puisqu il déteste son pays devenu indépendant il aurait alors le loisir de résider chez ceux qui ont persécute son peuple et dont les descendants le soutiennent.
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R
Effectivement, Boualem Sansal est un nostalgique de la colonisation de l'Algérie et également un soutien indéfectible au sionisme et à Israël où il s'est rendu à plusieurs reprises pour s'y faire "adouber". Pourtant, il a bénéficié de la part du pays qui l'a vu naître et grandir, d'études supérieures et.... gratuites, qui lui ont permis d'accéder à de très hautes fonctions en Algérie, dans un Ministère, avec une pension de retraite, je suppose, conséquente. Je suis d'ailleurs époustouflée de constater à quel point les autorités algériennes ont fait preuve de patience à son égard, lui qui n'avait de cesse de "cracher sur son pays auquel il devait tout". Et là je cite un des intervenant de l'émission de France Inter, "Le masque et la plume". Ce qui ne l'empêchait pas de faire des allers-retours fréquents entre la France et l'Algérie, sans être le moins du monde inquiété ! Néanmoins, je pense que les autorités algériennes ont eu tort de l'arrêter : c'est lui faire trop d'honneur. Et en même temps et ainsi que le dit l'adage (s'il n'existe pas, je viens de l'inventer) : "Dis-moi qui te défend ou soutiens et je te dirai qui tu es". Toute la facho-sphère médiatique et politique française ! Il sera donc "contraint" par souci de "reconnaissance" d'accepter d'être publié par l'une de leurs maisons d'édition ! Dans ce cas là, je vois mal les droits-de-l'hommisme se précipiter pour acheter ses livres ! Quant à ses nouveaux "amis", ils finiront pas se lasser de lui si ses livres leur coûtent plus qu'il leur rapportent, en un mot, s'il n'es plus "bankable". Ce triste Sire finira dans les oubliettes de l'Histoire, comme tous ceux qui ont trahi; S'il est bien prisonnier, il ne l'est pas que des autorités algériennes.
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J
Je souscris. Vous avez raison en cas de révolution certain d'entre nous devront se salir les mains et liquider ou faire taire des contre révolutionnaires/intello dissidents si nécessaire.<br /> J'aime baucoup votre parallèle avec Rosa Luxembourg!
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R
En ce qui concerne les contre-révolutionnaires intellectuels, s'il faut les mettre hors d'état de nuire, le faire sans les tuer, il ne faut pas leur donner de martyrs.
G
http://nbh-pour-un-nouveau-bloc-historique.over-blog.com/2020/08/on-peut-combattre-une-idee-on-ne-peut-pas-l-interdire.html<br /> <br /> Un réponse d'Antoine Manessis sur son blog
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R
commentaire sous l'article d'Antoine :<br /> <br /> Je crois que ta formule qui résume bien ton idée : "on peut combattre une idée, on ne peut pas l'interdire" est parlante, mais qu'elle est fausse; par exemple et sans aller très loin, nous sommes actuellement dans un processus d'interdiction graduel des idées communistes, après leur marginalisation. Tu parles comme Rosa qui disait, la liberté, c'est la liberté de ceux qui ne pensent pas comme moi ... et ceux qui ne pensaient pas comme elle l'ont tuée ! évidemment tu as raison de dire que prôner la dictature et la répression ce n'est pas la meilleure manière de se rendre populaire, mais ce n'est pas exactement mon propos, ce que je veux réaffirmer, c'est que les objectifs du socialisme sont supérieurs à la morale et au droit bourgeois, et non l'inverse, ce que pensaient tous les révolutionnaires au monde au moins jusqu'à la mort de Staline. Dont Gramsci, qui pensait qu'il fallait refonder toute la civilisation, sur les bases de la praxis révolutionnaire. Bref, il faut refonder la foi populaire en le progrès social et en la révolution et décomplexer les communistes. Tu dis qu'interdire le jazz ou le rock, c'est stupide, certainement, et que l'interdit attire, sans doute aussi, mais ce ne sont que des péripéties. En fait plutôt qu'à des idées le socialisme a eu affaire à une énorme campagne de publicité pour le capitalisme. Il nous faut le "smart power" de l'ennemi : utiliser la persuasion et la contrainte au bon moment et aux bonnes doses, de manière machiavélienne. Et dans l'état actuel des choses, où nous n'allons pas réprimer grand monde, affirmer que lorsque les pays socialistes ont usé de répression, c'est regrettable mais c'est qu'il le fallait. Dans le cas de Soljenitsyne, le vers était dans le fruit, puisqu'il a été lancé par Khrouchtchev.
G
Commentaire de Ivan Lavallée :<br /> <br /> Bon, visiblement il y a un problème, je n’arrive pas à répondre à ton article sur la répression de la dissidence : voici ce que ça me répond "Le jeton CSRF est invalide. Veuillez renvoyer le formulaire. » pourtant j’ai tout fait bien.<br /> Bon voici mon commentaire:<br /> <br /> Bon, j'ai l'impression qu'il y a eu un problème avec ma réponse, je remets le couvert:<br /> Il me semble que tu omets là deux éléments importants pour ne pas dire fondamentaux, d'ailleurs ils sont liés:<br /> 1) les expériences socialistes du XXe siècle et celle en cours au XXIe se mènent dans le contexte où l'idéologie dominante est celle de la classe dominante au plan mondial, à savoir la bourgeoisie, ensuite économiquement c'est encore ce système qui est aussi dominant, donc, y compris au plan idéologique les pays socialistes sont dans une position défensive (et pour l'URSS, pas seulement idéologique, il a fallu faire la guerre et quelle guerre) et, dans des cultures qui n'ont pas l'habitude du débat que, bon gré, mal gré la démocratie bourgeoise a apportée dans nos cultures, même biaisée, il n'y a guère le choix. Seules des contradictions internes et les luttes afférentes feront évoluer les choses;<br /> 2) la révolution s'est produite dans des pays à forces productives arriérées et qui ne sont pas moteurs au plan international du point de vue des sciences et techniques (la Chine fait le forcing en la matière), même si il y a eu par le passé en URSS des avancées sérieuses sur tel ou tel point, la productivité du travail n'y a jamais atteint le quart de celle des USA, et encore moins de la France. Il faut dire à ce propos que la "révolution prolétarienne" que tu évoques n'est pas faite par le prolétariat ouvrier, ni en URSS ni, encore moins, en Chine. La "dictature du prolétariat" n'est alors que la dictature d'une toute petite minorité (pas même pour l'essentiel issue du prolétariat) portée par l'idéologie communiste digérée à la sauce de la culture locale, culture politique extrêmement violente en ce qui concerne la Chine.<br /> Salut et fraternité
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