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Réveil Communiste

Le péché originel du courant trotskyste en France

19 Octobre 2010 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Front historique

liste de diffusion de Annie Lacroix-Riz   -  www.historiographie.info

 

Mail origine :

 

15/10/2010

 

[…] un camarade docker du Havre a entendu parler de tentatives de pénétration US de la profession dés 1945 (donc avant la scission syndicale qui de toutes manières n'a pas débouché sur la création de syndicats FO sur les ports) et de corruption de militants CGT pour rendre possibles les débarquements de matériel  et blé US quelle que soit la situation sociale

Connais-tu des sources documentaires là dessus ?

merci
Amitiés

B.

 

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Réponse de Annie Lacroix-Riz

17/10/2010

 

Cher B,

J’ai trouvé il y a quelques années dans la série F7 des Archives nationales (police générale), vol.15284, dossier Parti communiste internationaliste (P.C.I) un texte explicite sur l’usage du Havre comme relais de la tactique de « gauche » choisie par les Etats-Unis pour investir le syndicalisme alors dominé par le courant « unitaire » de Frachon. L’usage systématique, contre les communistes, des trotskistes avait permis, dans les années 1930 aux Etats-Unis mêmes, d’affaiblir ou de liquider le courant marxiste du syndicalisme « radical » (CIO) ; il fut logiquement étendu à la sphère d'influence américaine en Europe. Le choix de l’option « gauchiste » par Washington est explicité dans presque tous mes travaux sur le syndicalisme (cités ci-dessous) :

 

Fiche des Renseignements généraux X.P. 18/D.B. 4, 4 décembre 1945, document de 2 p., texte interrompu (je ne sais combien de pages manquent), qui signale l’exploitation du trotskisme au service de la propagande anticommuniste importée des Etats-Unis, via Le Havre : « (...) La section française du Parti communiste internationaliste a établi un contact permanent avec la section américaine. Un service de courrier fonctionnerait actuellement des États-Unis au Havre et retour par l'intermédiaire des bateaux de ravitaillement américains. Ce service, qui serait bientôt au point, permettrait l’envoi régulier de brochures, tracts et journaux et grandes quantités à l’intention des troupes américaines en Europe.

On annonce, d'autre part, l’arrivée au Havre, ce soir, d’un agent de liaison trotskiste qui doit ramener à Paris une grande quantité de journaux. L’hebdomadaire trotskiste américain The Militant doit être prochainement distribué parmi les membres de l’armée américaine stationnés en Europe, ainsi que la revue Fourth International. Des appels à la désertion feraient l’objet d’une active campagne de la part des sections européennes de la 4ème Internationale. Il est à remarquer la grande place réservée dans The Militant à la question indochinoise. » (la tactique gauchiste a été également utilisée dans le combat contre tous les rivaux coloniaux de Washington, qui prétendait à la relève des empires : c’est un des aspects de la conquête américaine du syndicalisme anticommuniste dans l’empire français, tentative réussie de conquête, toujours via Irving Brown, que j’ai étudiée dans l’ouvrage Les Protectorats d’Afrique du Nord entre la France et Washington du débarquement à l'indépendance 1942-1956, Paris, L'Harmattan, 1988, p. 215-223).

 

Plus générale, la fiche des RG, Paris, 20 avril 1946 (sans autre référence), précise :

« De bonne source, on signale que les Américains interviennent dans le financement de l’Internationale trotskiste, notamment en France où l’activité se manifeste avec un certaine vigueur. Ils pensent que les trotskistes pourraient obtenir un ou deux sièges aux élections législatives. On rappelle que ces derniers sont très actifs aux États-Unis où leur influence paraît dépasser celle des communistes. »

 

Les dossiers F7, d’une part, et ceux du Ministère des Affaires étrangères, B Amérique, États-Unis, 1944-1952, dossiers réservés vol. 320-321, documents SDECE, février 1945-novembre 1948, février 49-février 1952, sont assez divers et concordants pour exclure l’hypothèse de racontars fantaisistes de « basse police » ‑ thèse de ceux que la franchise brutale des archives de police dérange.

 

De façon plus générale, la corruption du syndicalisme par Washington a concerné, dès la Libération, chacun des pays d’Europe de la sphère d'influence américaine ‑ et de la soviétique aussi d'ailleurs : la dernière édition de mon livre Le Vatican, l'Europe et le Reich de la Première Guerre mondiale à la Guerre froide (1914-1955), Paris, Armand Colin, parue le 13 octobre 2010, expose la précocité et l’ampleur de la stratégie de conquête de la sphère d'influence soviétique (« Rollback »), chapitres 10 et 11. J’ai traité des liens entre la question syndicale et les Etats-Unis dans Le choix de Marianne et divers articles et communications (liste ci-dessous), dont quatre que tu trouveras en pièces jointes ; trois d'entre eux «Réflexion sur un ouvrage récent (1992)» (deux articles) et « Léon Blum et la pratique du pouvoir en 1936 et 1946 » figurent déjà sur mon site (www.historiographie.info), et peuvent y être consultés.

 

A ma connaissance, le meilleur historien travaillant sur le rôle des syndicats américains (AFL et CIO) et des services de renseignements américains dans l’évolution du syndicalisme européen – bien avant la création, à l’été 1947, de la CIA – est le chercheur britannique Anthony Carew, qui prépare une étude systématique « des activités d’Irving Brown et [Jay] Lovestone entre1945-1975 », recherche de longue haleine dont, en janvier 2009, il m’a écrit avoir accompli la première moitié (nous échangeons volontiers nos travaux). En France, l’extrême timidité de l’historiographie et l’abandon de l’histoire de la classe ouvrière laissent en friche le terrain, que j’ai abordé à quelques occasions. J’espère que la génération suivante des historiens, dans un autre contexte général – donc universitaire ‑ que celui des dernières décennies, remettra ce champ en culture.

 

Carew Anthony, Labour under the Marshall Plan, Manchester, Manchester University Press, 1987

Carew Anthony et al., dir., The International Confederation of Free Trade Unions (International & Comparative Social History), A. Carew, M. Dreyfus, G. Van Goethem, R. Gumbrell-Mac Cormick, Peter Lang, Berne, 2000 (série de communications)

Carew Anthony, «The Schism within the World Federation of Trade Unions : Government and Trade Union Diplomacy», International Review of Social History, 1984, part 3, p. 297-335;

« The origins of CIA financing of AFL programs », CovertAction Quarterly, spring-summer 1999, 56-60; version raccourcie de « The American Labor Movement in Fizzland : the Free Trade Union Committee and the CIA », Labor History, vol. 39, n° 1, 1998, p. 25-42;

« Conflict within the ICFTU : Anti-Communism et Anti-Colonialism in the 1950 », International Review of Social History, 41, 1996, p. 147-181

 

Cochrane Bert, Labor and Communism : the conflict that shaped American Unions Princeton, Princeton University Press, 1977

 

Fichter Michael, Besatzungsmacht und Gewerkschaften. Zur Entwincklung und Anwendung der US-Gewerkschaftspolitik in Deutschland 1944-1948, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1982

 

Godson Roy, American Labor and European Politics. The AFL as a transnational Force, New York, Crane, Russak & C°, 1976

 

Holter Darryl, The Battle for Coal. Miners and the Politics of nationalization in France, 1940-1940, DeKalb, Northern Illinois University Press, 1992

 

Lacroix-Riz Annie, Le choix de Marianne: les relations franco-américaines de 1944 à 1948, Paris, Editions Sociales, 1986

« Du bon usage de la “politique de la gauche non communiste” », Cahiers d'histoire de l'institut de recherches marxistes (chirm), n° 30, 1987, p. 75-104 (pas de version Word, c’était avant l’ordinateur...)

«La reconstitution du syndicalisme ouest-allemand: stratégies occidentales et triomphe américain 1945-1949», chirm, «I. 1945-1946: débats de fond et prédominance de l'action souterraine», n° 36, 1989, p. 65-92, «II. Vers la fusion syndicale trizonale: combats d'arrière-garde français et offensive américaine, 1947-1949», n° 39, 1990, p. 35-70;

«Autour d'Irving Brown: l'AFL, le Free Trade Union Committee, le Département d'État et la scission syndicale française (1944-1947)», Le Mouvement Social, avril1990, p. 79-118;

«Réflexion sur un ouvrage récent (1992)», 2 articles Cahiers d'histoire de l'institut de recherches marxistes, 1994 (critique du livre de Gérard Bossuat,L'Europe occidentale à l'heure américaine. Le Plan Marshall et l'unité européenne 1945-1952, Complexe, Bruxelles, 1992) : 1, «Avant le Plan Marshall: Prêt-Bail et consensus américain», n° 54, 1994, p. 115-140 ; 2, «Le Plan Marshall, ses clauses et ses conséquences», n° 55, 1994, p. 115-153 (étude des aspects syndicaux) ;

«La grève d'avril-mai 1947 de la Régie Renault: des événements à leur contexte général», Renault histoire, n° 6, juin 1994, p. 128-161;

«La scission de 1947 (1943-1947)», in Pierre Cours-Salies et René Mouriaux, coordonnateurs, L’unité syndicale en France, 1895-1995, Paris, Syllepses, 1997, p. 31-50.

« Léon Blum et la pratique du pouvoir en 1936 et 1946 », colloque « Socialisme, république et démocratie », université Lille II et III (CRAPS et IRHiS), 17-18 novembre 2006

 

Lademacher Karl, éd., Gewerkschaften im Ost-West-Konflikt : Die Politik der American Federation of Labor im Europa der Nachkriegzeit, Melsungen, 1982

 

Mac Shane Denis, International Labour and the Origins of the Cold War, Oxford, The Clarendon Press, 1992

 

Maier Charles S., «Le plan Marshall et les syndicats», Le Monde, Liber n° 2, décembre 1989

N° spécial du Mouvement social (n°162), janvier-mars 1993, Syndicats d'Europe.

 

Radosh Ronald, American Labor and United States Foreign Policy, New York, Random House, 1969

 

Rice-Maximin Edward, «The United States and the French Left, 1945-1949 : the View from the State Department», Journal of Contemporary History, vol. 19, 1984, p. 729-747

 

Romero Federico, Gli Stati Uniti e il Sindicalismo europeo 1944-1951, Roma, Edizioni Lavoro, 1989

 

Wall Irwin, L'influence américaine sur la politique française 1945-1954, Paris, Balland, 1989; «American Influence and French Politics : a story without an end», French Politics and Society (Newsletter), Fall 1986, (p. 26-31)

 

Weiler Peter, British Labor and the Cold War, Stanford University Press, Stanford, 1988; «The United States, International Labor and the Cold War : the Break-Up of the World Federation of Trade Unions», Diplomatic History, V, 1981, p. 1-22. WFTU (World Federation of Trade Unions) : FSM (Fédération Syndicale Mondiale);

Ernest Bevin, Manchester, Manchester University Press, Saint-Martin’s Press, 1993.

 

Les ouvrages en langue étrangère peuvent être consultés à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine de l’université de Nanterre.

 

Amitiés,

 

Annie

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