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Réveil Communiste

"Chirac est un vers", une philosophie Marxiste du langage par J.J. Lecercle

11 Janvier 2008 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Théorie immédiate

Jean Jacques Lecercle,
 

Une philosophie marxiste du langage

 
Actuel Marx, 2004
 
 

L’auteur est un linguiste anglicisant qui enseigne en Grande Bretagne, et qui se présente avec un humour un peu conventionnel dans le milieu universitaire d’outre Manche, comme un paléo marxiste althussérien. L’auteur se propose donc de pratiquer un exercice de matérialisme dialectique et historique appliqué à la science du langage. Une partie critique, une partie propositions, sous formes de thèses au dogmatisme assumé. Il pense dans le cadre théorique de la pensée de l’idéologie selon Althusser, et avec affinités multiples: Volochinov (et Bakhtine), Deleuze, Judith Butler, un peu l’esprit de Wittgenstein, Pasolini (et à travers lui Gramsci). Marx et Engels, ces auteurs étant cités longuement, et Lénine.

 

Le point de départ est une critique de l’impérialisme dans le langage, à travers le titre provocateur du Sun, ‘Chirac est un vers”, paru en édition française au moment du début de la guerre d’Irak. L’auteur considère que ce titre si mal traduit en français, d’une insulte anglaise qui n’a pas de porté réelle en français, révèle une conception du langage implicite qui se répand partout et qui a des conséquences graves. Cette conception suppose que la proposition dénote un état de chose, le mot un référent, sans reste, sans connotation, sans travail de la métaphore. Elle est en régression sur la linguistique moderne qui s’est construite depuis Saussure en introduisant entre le signe et son référent le nouveau intermédiaire du sens ou du signifié.

 

Ce point de départ permet aussi d’introduire une définition de l’anglais comme langue de l’impérialisme, l’auteur, anglomane et angliciste s’estimant au dessus du soupçon de nationalisme linguistique primaire, en fait-il veut défendre ce qui relie l’histoire et la culture au sens dans l’anglais, actuellement détruit au profit d’un anglais de communication transparent, sans histoire ni culture. Suit un tableau assez précis de la situation de l’anglais impérial, à la fois conquérant et menacé par cette domination même.

Puis deux critiques de fond. Critique de deux pensées du langage qu’il estime dominante,

Celle de Chomsky, renvoyé en définitive à une biologisation et un naturalisme scientiste, qui pose problème, malgré la position politique de Chomsky qu’il partage entièrement. Mais Chomsky représente un idéal de linguistique explicite, conscient de la nécessité d’une philosophie du langage, et soucieux d’expliquer les phénomènes; la linguistique de Chomsky invite donc à la critique.

 

Critique de la linguistique en reprenant la critique deleuzienne (dans Mille Plateaux) qui conteste les postulats de la linguistiques, qui posent un langage informatif par essence, explicable de manière immanente, un système homogène, étudiable uniquement dans son aspect de langue standard.

 

            Ces caractéristiques sont: langage comme organe mental, faculté générale et innée de l’espèce humaine, individualisme méthodologique (pas de langue système en dehors des locuteurs), langage sans histoire. L’auteur se livre ensuite à une analyse de cas précis qui montrent que les règles de la grammaire de l’anglais ne peuvent pas être des structures biologique, (non traductibilité, rôle du contexte historique culturel et social dans la formation des règles, règles qui sont plutôt des maximes que des lois).

 

            Pour conclure sur les quatre caractéristiques néfastes de la linguistique chomskyenne: individualisme méthodologique, refus de l’histoire, fétichisme, naturalisme. Il s’agit d’une PSS (philosophie spontanée de savant), matérialiste par un coté (idée du langage organe), mais d’un matérialisme mécaniste et dominé, et idéaliste de l’autre, le langage étant conçu sur le modèle d’une monade, mais “avec porte et fenêtres”).Le programme de recherche de Chomsky est très différent du programme saussurien, qui pose l’existence d’un large système comme objet d’étude.

 
 

La deuxième critique porte sur la philosophie du langage la plus répandue, ou qui a le plus d’échos pratiques, celle d’Habermas, philosophe irénique qui part de Marx pour arriver au consensus qu’il fonde dans l’idée que le simple fait de la communication linguistiques est déjà consensuel. Habermas sort du matérialisme historique par la droite en remplaçant le travail par le langage, langage qui remplace aussi la conscience dans le champ de la philosophie. Le social est pensé sur le mode de la coopération et non de la lutte. A la base, l’agir communicationnel (cette philosophie me semble au cœur du ouiouisme de gauche), l’autre concept clé étant celui de “monde vécu” tiré de la phénoménologie, et qui est une sorte de référence commune non problématique de tous les locuteurs. Habermas invoque un “transcendantal faible”: il recherche les conditions de possibilités de l’interlocution. Pour lui elles sont les suivantes: tout locuteur émet quatre prétentions universelles à la validité de ce qu’il dit: intelligibilité, vérité, sincérité, justesse (= respect de normes communes); on peut sortit de l’agir communicationnel et entrer dans l’agir stratégique (mais c’est une faute). La structure du langage est une structure éthique, et refuser le consensus signifie sortir du cercle de la raison.

 

            La Philosophie d’Habermas est plus riche que la pragmatique anglo-saxonne car elle introduit la pensée du social et une description non triviale du langage et de la vérité. Mais elle sort de la dialectique, sinon de la raison (mais l’auteur ne se réfère pas à la dialectique).

 

Critique d’Habermas: sa philosophie est fondée (comme toute selon l’auteur), sur un mythe d’origine, et ici très reconnaissable; le mythe de Babel, postulat d’une langue de référence unique, avec incapacité de penser le négatif dans la langue. Il ignore les phénomènes agonistiques, sa théorie n’est d’aucune utilité pour la critique littéraire, qui n’a que faire de cette espèce de transparence morale. Il ne peut rendre compte non plus de l’épaisseur historique et culturelle, des clichés, des proverbes, etc., Le point de départ mythique (qui selon l’auteur est nécessaire pour un philosophe) est en l’occurrence néfaste. Il régresse au niveau de l’individualisme méthodologique parce que son interlocution est conçue sur le modèle du contrat juridique, au fond c’est un mythe du contrat. Enfin pour lui la société évolue par accumulation de savoir et non par révolutions et sauts dialectiques. Cependant on peut adhérer à cette philosophie en la remettant sur ses pieds; on pose que ce n’est pas une philosophie première mais une philosophie programme. une sorte de communisme langagier qui à l’instar de Bensaïd absout le marxisme du péché de téléologique.

 

Son importance s’explique par la conjoncture d’après-guerre, par l’État Providence et la Guerre Froide, et depuis le libéralisme triomphant nous aurait replongé depuis dans une conjoncture marxiste (?). (livre écrit en 2004, bref moment d’optimisme de notre coté, mais la crise, comme d’habitude, tarde à valider nos conjectures).

 

Quelle est au fond la philosophie actuellement dominante du langage? C’est l’idée que le langage est un instrument de communication, évidence lourde de la doxa, et qui est le masque de la propagande (l’action décidée étant toujours proposée comme la seule possible). Rappel de l’hostilité de Deleuze à la communication (oui, mais enfin, ça communique quand même!). Ce sont les PSS des linguistes, comme celle de Chomsky,

C’est la philosophie explicite du langage, Austin, Searle, Grice d’un coté, Habermas de l’autre. Pour sortir de la pensée dominante du langage, il faut une autre philosophie (marxiste).

 

La philosophie dominante est caractérisée ainsi: immanence, langue des anges, fonctionnalité, la première fonction, référentielle, est la communication, transparence, idéalité, systémicité et synchronie. il faut inverser tout ça., non-immanence, dysfonctionnalité, opacité, matérialité, systématicité partielle, historicité. Et incidemment, mais sans entrer dans les détails, Saussure fait l’objet d’un traitement intermédiaire, avec reproche d’abstraire le langage de la langue. Mais le mérite de rompre avec l’individualisme méthodologique. JJ Lecercle est tout de même d’accord avec Saussure en ce que celui-ci pose le langage comme objet d’étude autonome qui n’est pas réductible à un objet collectif reconstruit sur la base de l’individualisme méthodologique comme somme des actions des individus.

 

Que dire de la tradition marxiste?

 

Gare aux effets du bon sens stalinien en linguistique, Staline étant l’auteur d’une brochure sur les questions linguistiques, qui a été accueillie favorablement par les intellectuels communistes en 1950, car il rendait aux chercheurs leur autonomie dans le contexte de la polémique “science prolétarienne, science bourgeoise”. Il y a donc une tradition marxiste du langage instrument de communication transparent, et cela ne nous surprendra pas de trouver en Staline son propagandiste. Staline,  opposé à Pasolini, et aussi à la linguistique de Deleuze et Guatarri, dans “Mille plateau”, et même à Lénine qui a écrit une brochure sur les mots d’ordres en 1917. Lecercle annexe D et G au marxisme, ce sont des “paramarxistes”, dit-il.

 

Il a donc deux illustrations marxistes de ces linguistiques opposées, Staline étant largement un réducteur du langage à la communication, cette réduction s’enracinant dans la thèse du dépérissement de la lutte des classes sous le socialisme. Il reproche à Staline d’être au fond comme tous les autres des postulants de la langue communication. Sa langue est hors de l’histoire, et l’auteur s’inscrit en faux. Il prétend que la communication n’est pas l’essence du langage. Pour lui la langue est idéologie. Pasolini, quant à lui propose une théorie des rapports oral-écrit qui place la langue réelle à l’intersection de deux domaines, l’oralité populaire et dialectale qui accumule des restes retombés de la sphère historique, et la langue écrite des pouvoirs qui ne peut s’analyser que de l’extérieur, dans la compréhension de son instrumentalisation dans la lutte des classes.

 

Lénine, dans son texte de 1917 sur le mot d’ordre, commenté par Althusser et par D&G sert d’indicateur de l’extrême importance stratégique des questions de langage dans la révolution. Il fait la théorie du mot d’ordre juste, comme intervention dans la conjoncture.

 

Marx et Engels, sur le langage ont écrit des textes courts, qui chez Marx travaillent la métaphore du signe linguistique/signe monétaire et chez Engels posent le fondement du mythe marxiste de l’origine du langage dans la coopération des travailleurs (le marxiste Tran Duc Thao préfère plutôt le paradigme des chasseurs-cueilleurs).

 

On tire de tout ça un cadre pour une philosophie marxiste du langage. La philosophie marxiste selon Althusser est articulée en trois niveaux: théorie générale, analyse concrète de la formation sociale, et analyse stratégique et tactique. En linguistique, ce schéma donnerait ceci:

 

Le linguiste soutient le matérialisme, un matérialisme des rapports de forces; qui aboutit à une conception agonistique du langage. Analyse des langues naturelles, et nationales, et production de mots d’ordres justes. Le sens d’un énoncé est donné dans son interprétation c’est à dire dans la lutte nécessaire pour imposer cette interprétation, dans le rapport de force qu’elle établit. Continuations du marxisme: Volochinov, D&G

 

L’auteur passe en revue les concepts clé du linguiste soviétique Volochinov, signe, idéologie, mot, conscience produite par le langage, pluri-accentuation, réfraction plutôt que reflet, monologue intérieur. Volochinov s’oppose à l’idéalisme subjectif et à l’objectivisme abstrait des écoles de linguistes. Le cœur de la linguistique est une pragmatique socialisée. Volochinov s’intéresse particulièrement au discours rapporté, au style indirect libre.

 

Qu’est ce qu’une position marxiste en linguistique?

 

Le marxisme est une analyse du capitalisme, un programme politique, une conception globale de l’histoire, et une analyse tactique et stratégique de la conjoncture, et implique des thèses marxistes sur le langage, défini comme praxis, phénomène historique, social, matériel, politique dont la fonction est de produire des sujets.

 

Enfin le livre se termine par un lexique contrasté de philosophie du langage.

 

L’utilité de la démarche; penser l’impérialisme dans la langue, penser les questions nationales et la mondialisation. Il semble au fond assimiler le fait national au fait linguistique (cas du Corse), la langue se posant dans l’affirmation nationale (cas bien connu de l’italien).

 

JJ Lecercle se réfère à la lutte des classes, mais les exemples à proprement parler “classistes” purs n’abondent pas dans son ouvrage. C’est un livre effectivement en situation, une intervention politique, dans le champ de la linguistique, au moment de la guerre d’Irak, dans le contexte britannique.

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