Marx est-il méchant ? Les marxistes sont-ils méchants ?
7 Avril 2025 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #GQ, #Théorie immédiate, #Qu'est-ce que la "gauche", #classe ouvrière, #Positions
Marx est-il méchant ? Nous les marxistes, sommes-nous méchants aussi ?
Et l’engagement politique marxiste devrait-il être altruiste et bienveillant ?
Bertrand Russell, le logicien et philosophe anglais (1872 - 1970) a écrit quelque part, si j’en crois un texte qui circule sur les RS, que l’échec du marxisme qu’il croyait pouvoir constater était imputable au fait que Marx n’était pas intéressé par procurer le bonheur aux travailleurs, mais le malheur aux bourgeois. On ne voit pas trop sur quel texte il s’appuie d’ailleurs, mais il est vrai que si Russell était un militant de la paix et un savant bienveillant, indulgent, mais très sûr de lui en ce qui concerne la qualité de son jugement intellectuel et moral sur toutes les questions qu’il abordait, Marx était souvent sarcastique et très satirique avec ses adversaires.
Russell ne comprenait pas que Marx avait à l’origine de sa démarche exactement la même motivation que lui : l’amour de la vérité, car il croyait sans doute que dans ce cas Marx aurait abouti à la même philosophie que lui.
Marx est en effet le premier à avoir compris que le capitalisme en produisant sa justification idéologique pseudo-scientifique qui envahit la culture à tous les niveaux conduit à la ruine de toute référence à la vérité, à la « post-vérité ».
Nietzsche, pourfendeur de la vérité s’il en fut jamais, s’il avait lu Marx aurait exprimé sur lui à peu près la même idée mais autrement, en supposant qu’il était plein de haine et de ressentiment pour l'élite aristocratique, et c’est peut être l’influence indirecte de ce penseur populaire et très influent dans l’ambiance morale de la culture dans toute l’Europe au tout début du XXème siècle et que Russell n’estime pas beaucoup par ailleurs qui lui fait juger le théoricien principal du socialisme de cette manière téméraire.
Cette question est moins futile qu’elle paraît : le fanatisme, la cruauté et la violence illimitées imputées aux bolcheviks et aux staliniens est sans doute un argument de poids qui fait obstacle au retour en grâce du socialisme dans les nouvelles générations, où un tournant néo-victorien, puritain, infantile, et moralisateur se généralise sur toutes sortes de questions – avec un certain goût pour la dénonciation ad-hominem, pour le dire gentiment.
Contrairement au portrait à charge dressé par un siècle d’hystérie anti-communiste qui a fini par sédimenter dans les programmes scolaires, les militants communistes sont au service de la classe ouvrière et ne sont pas des agents machiavéliques de la cause envoyés par Moscou, comme l’agitateur communiste imaginaire du roman de Steinbeck En un combat douteux - roman pourtant écrit par un sympathisant, et dont le titre fait référence à la révolte de Satan contre Dieu - qui pratique un accouchement sans avoir la qualification pour le faire, pour gagner la confiance des ouvriers agricoles de l’Oklahoma plongés dans la misère et jetés sur les routes par la crise de 1929. En réalité, le travail social désintéressé – et éducatif, culturel, médical, etc - est une des formes d’engagement militant concret les plus gratifiantes, les plus saines, et les plus efficaces qui soit.
Mais aujourd’hui les militants de gauche ou ceux qui sont présentés comme tels semblent avoir basculé dans l’autre extrême . Ils seraient devenus extrêmement altruistes, et ne se mobiliseraient que pour les causes qui ne sont justement pas celles qui les concernent. Des blancs qui se mobilisent contre le racisme, des hommes contre les violences faites aux femmes, des étudiants privilégiés contre les discriminations, des hétéros « cisgenres » pour les LGTB, et des bourgeois pour les travailleurs immigrés, surtout s’ils n’ont pas de papiers. Au point que les intéressés en prennent de l’ombrage comme s’ils avaient affaire à des sortes de squatteurs idéologiques de leurs territoires de lutte. Outre l’opportunisme du moment, il y a là une évidente vanité morale qui s’exprime, mais aussi une sorte de culpabilité cachée qui est à l’œuvre : on ne veut pas paraître égoïste et intéressé ! Sans doute parce qu’on l’est en réalité. On affirme se repentir des péchés de ses ancêtres, mais on veut leur faire endosser les siens. Ce qui n’est pas joli-joli.
Dans certains cas cette mobilisation morale aboutit à des résultats positifs, mais souvent quelque peu décalés par rapport à ceux qui était envisagés au départ, et les bénéficiaires deviennent les nouveaux pauvres de la paroisse du village mondial.
Or que signifie la formule du Manifeste du Parti Communiste, « l’émancipation de travailleurs sera l’œuvre de travailleurs eux-mêmes » , si ce n’est que le projet politique du prolétariat doit se développer autour de ses intérêts matériels et moraux, et qu’il doit être porté par des militants qui sauf exception en sont issus ou qui partagent son mode de vie – bien qu’ils puissent trouver leur théorie ailleurs, chez Marx par exemple. Il n’est pas le seul groupe qui puisse faire l’objet, vu du dehors, de compassion et d’aide désintéressée, mais par contre c’est bien le seul dont le travail gratuit finit par nourrir tous les autres, y compris ceux qui travaillent pour améliorer sa condition, et les individus déclassés secourus par leurs bonnes œuvres.
Parce que l’exploitation du travail salarié ou du travail dépendant est la base structurelle de la société capitaliste ; tandis que la réparation caritative des abus des sociétés de classes fait partie intégrante de l’équilibre social de ces sociétés.
Les militants des partis ouvriers qui sont sincères et dépourvus d’opportunisme ne sont pas lancés à la poursuite de leur intérêt égoïste – bien que les libéraux aient tendance à assimiler l’action collective des salariés à une forme d’extorsion et le mouvement ouvrier à la mafia - et si c’était le cas ils adhéreraient au capitalisme et à ses rêves d'enrichissement, mais ce ne sont pas des saints non plus. Leur éthique n’est pas l'expression de leur bonté, mais de la solidarité entre les exploités qui partagent les mêmes conditions de vie, et un destin comparable sur toute la planète, qui se manifeste particulièrement au moment des luttes sociales dans les entreprises, mais aussi dans la lutte internationale pour la paix et contre l’impérialisme.
On peut dire que Russell a raison en partie : la différence entre un chrétien, ou un humanitaire, c’est à dire la version moderne du chrétien, et un communiste, c’est que le premier veut partager – en théorie - sa richesse avec les pauvres, et le second veut partager avec les pauvres les richesses des riches - et surtout leur confisquer les moyens de production ! - et que ce projet à chaque fois qu’il s’est concrétisé dans l’histoire depuis le Moyen-Âge les a plongés dans une horreur sans nom. Ce cynisme apparent n’est pas une faiblesse morale mais une manifestation de vérité et de lucidité de la part de ceux qui veulent changer le monde.
GQ 29 juin 2024, relu le 7 avril 2025
Réveil Communiste :
Réveil Communiste est animé depuis 2010 par Gilles Questiaux (GQ), né en 1958 à Neuilly sur Seine, professeur d'histoire de l'enseignement secondaire en Seine Saint-Denis de 1990 à 2020, membre du PCF et du SNES. Les opinions exprimées dans le blog n'engagent pas ces deux organisations.
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Le blog est communiste, non-repenti, et orthodoxe (comme ils disent). Il défend l'honneur du mouvement ouvrier et communiste issu de la Révolution d'Octobre, historiquement lié à l'URSS quand elle était gouvernée par Lénine et par Staline, mais sans fétichisme ni sectarisme. Sa ligne politique est de travailler à la création et à l'unité du parti du prolétariat moderne, et de lutter contre l'impérialisme (contre le seul qui importe, l'impérialisme occidental, dirigé par les États-Unis).
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