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Réveil Communiste

7) le socialisme et le négatif (Dépasser la démocratie bourgeoise, 7/12)

25 Octobre 2023 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #GQ, #Théorie immédiate, #Front historique, #Positions, #Europe de l'Est

Hegel et ses disciples

Hegel et ses disciples

7) Lire l'article précédent : Faire la révolution, c'est prendre des risques


7 : Le socialisme et le négatif

Il va de soi que la critique du socialisme réel et de sa pratique politique ne peut aboutir qu’à une condamnation sans appel si on part du point de vue que l’État de droit bourgeois qui règne actuellement est un idéal absolu, et si l'on prend au sérieux les slogans roublards qui le définissent comme « le plus mauvais système à l’exclusion de tous les autres », comme la « société ouverte» (il est vrai assiégée d’ennemis, on se demande bien pourquoi). Mais contrairement au capitalisme le socialisme réel a eu du mal à traiter le négatif sous ses formes diverses.

N’importe quel négatif n’aurait pas l’affaire pour immuniser le socialisme contre la sclérose : L’église catholique et la petite propriété paysanne, en Pologne, ne pouvaient pas jouer ce rôle. Quant aux médias privés, depuis toujours alignés sur la classe dominante, et qui ont perdu rapidement toute déontologie, leur plate servilité devant les puissances d'argent les disqualifie pour le rôle. Sans doute pourra-t-on dire à la rigueur que le jour où une presse satirique prolétarienne plus mordante que le « Krokodil » soviétique taillerait avec insolence le portrait des grands dirigeants du prolétariat, le socialisme aurait triomphé. La satire par voie de presse est en quelque sorte un indicateur du degré de liberté politique dans une société donnée, mais comme le montre immédiatement la lecture de cette presse, elle n’a pas créé cette liberté dont elle jouit, elle l’exploite comme un filon. La liberté de la presse s'use quand on fait semblant de s'en servir. La presse satirique n’a strictement aucun potentiel révolutionnaire (ni même libertaire). Elle offre un exutoire au ressentiment. Elle est le signe de la bonne santé de l’ordre bourgeois. Elle sert de boite au lettre aux dénonciations anonymes. Et dans l’état actuel des choses, la satire politique se prête, comme le reste de l’expression médiatique, à la manipulation vénale, quand elle ne fait pas spontanément le « bruit médiatique » c’est-à-dire la publicité des politiciens qu’elle déchire avec ses ongles de papier.

Si le pluralisme électoral, la liberté totale de la presse, le droit d’association et de réunion n’ont pas été compatibles jusqu’à présent avec la volonté de lutter contre le capitalisme et l’impérialisme, c’est pour de bonnes raisons : dans la société de classe ils penchent invariablement du même coté. Et il faut dépasser cette situation non en procédant à une sorte de dénégation freudienne (nous n’avons jamais rien eu à voir avec cette histoire, et d’ailleurs nous avons cessé de nous y référer !) mais en le sachant, en sachant que nos prédécesseurs dans cette voie que nous sommes loin d’égaler en audace et en détermination n’ont pas eu dans leur jeu la carte du « soft power ». Il est vrai que la nouvelle donne du XXème siècle aux peuples dans la Grande Guerre de 1914 1918, c’était plutôt du « plomb durci » pour tous, comme à Gaza.

L’un des principaux chefs politiques visés par la critique des excès du socialisme réel, Staline, dans les Principes du léninisme (1924), justifiait la dictature en se basant sur le fait que les moyens d’influencer les masses, dont les médias, sont des propriétés des détenteurs des grands moyens de production qui exercent ainsi leur dictature de classe. Rien n’a changé à cela. C’est même pire encore aujourd’hui car le conformisme bourgeois et le mimétisme moutonnier des faiseurs d’opinion se sont grandement aggravés, et la presse indépendante est maintenant tellement noyée dans une masse d’information et d’image triviales ou insensées qu’elle n’a plus d'effet politique, elle n'a même plus l’influence indirecte que l’on obtient à travers les réactions indignées de ses adversaires.

 A cette quasi dictature médiatique se rajoute la menace fasciste. La bourgeoisie aura toujours la ressource, comme Rosa Luxembourg l’avait prédit dès 1899 en pleine époque d’euphorie démocratique et d’abandon du marxisme par la gauche - en l’occurrence le puissant SPD allemand, premier parti socialiste électoral de masse, de recourir à la dictature et à la répression directes en cas de péril. Les partis du prolétariat peuvent participer, doivent participer aux élections mais ne peuvent pas et ne doivent pas les gagner. C’est ça la règle du jeu de la démocratie bourgeoise.

Jusqu’à présent. Toutefois, il existe aussi une tendance de la bourgeoisie de l’Union Européenne qui voudrait maintenant clore la partie. Elle vise à interdire carrément toute participation politique prolétarienne par la diabolisation légale du communisme et le détournement de la mémoire du XXème siècle – comme elle a interdit arbitrairement les médias russes au début de la guerre d’Ukraine. Elle influence les programmes scolaires afin d’opérer une sidération politique des jeunes générations, par la théorie du « totalitarisme » et l’assimilation du communisme au fascisme par l’imposition d’une histoire officielle parfaitement falsifiée.

Pour en revenir à notre paradis, la liberté d’opinion dont nous jouissons, égale pour tous, à ce titre ressemble à la liberté de signer un contrat de travail, qui se signale par une égalité formelle de droits qui remet en fait le salarié pieds et poing lié entre les mains de l’exploiteur. Ce sont des libertés imaginaires : j’ai en effet le droit d’exprimer des opinions à condition que ça ne serve à rien, dans un contexte tel que leur mise en pratique en soit impossible. Le « cause toujours » remplace « ferme ta gueule », sauf dans les moments de crise du capitalisme où ses défenseurs en reviennent aux méthodes éprouvée, jusques et y compris au génocide. Et la rançon de cette liberté sans contenu, de ses polémiques sans débat, c’est l’extrême médiocrité des créations culturelles dans notre société, ravalées à n’être plus que des critères de distinction sociale dépourvus de contenu.

Mais le mouvement révolutionnaire du XXème siècle s’est heurté à un obstacle imprévu causé par l’oubli de la dialectique chez ceux qui auraient dû être au contraire les premiers à savoir s’en servir : il a négligé que le faux est un moment du vrai, et rien n’est plus dangereux que de négliger l’importance réelle des illusions. Le marxiste le plus lucide à cet égard Antonio Gramsci.

La suppression de droits formels sans contenus effectifs provoque une oppression bien réelle. Il en est de la liberté (factice) du petit bourgeois qui choisit sa panoplie existentielle dans l’hypermarché virtuel des idéologies et des "looks" esthétiques comme de l’insécurité physique (exagérée) ressentie par le prolétaire. Dans un cas comme dans l’autre on peut démontrer, y compris avec des chiffres, que non, tu n’es pas libre de tes choix et de tes désirs, conditionnés par la publicité et le marketing que tu es ! ou que non, tu n’es pas plus en danger de vol ou d’agression, et même plutôt moins, que ne l’était ton aïeul! Ces raisonnements souvent teintés d’un certain mépris, comme si les savants qui les formulent étaient quant à eux parfaitement dépourvus d’illusions, ratent complètement leur objectif car il ne s’agit pas de la réalité objectivement révélée par les statistiques mais de la réalité vécue des affects et de dynamiques psychosociales d’auto-réalisation. En effet,  si on ne se sent pas libre, si on ne se sent pas en sécurité, et bien on ne l’est pas, et le ressentiment produit s’accumule comme une toxine mortelle dans le corps social s’il ne trouve pas d’expression légitime. 

On utilise ici le concept nietzschéen de « ressentiment ». Nietzsche comme penseur et comme destin individuel , témoin et même symptôme clinique des rêves de grandeur de la petite bourgeoisie montante de la fin du XIXème siècle n’a-t-il pas eu le génie de caractériser avant tous les autres la mentalité agressive et médiocre qui prévaut chez tous les sujets isolés les uns des autres de la « dictature démocratique » de la bourgeoisie ? Sans se rallier en rien à ses opinions antidémocratiques, il offre une radiographie de la mentalité du « troupeau » post-fasciste que nous formons malgré nous dans la démocratie de marché, une foule d’individus aliénés à prétentions aristocratiques et tyrannisés par la loi de leur désir. Cette influence de valeurs réactionnaires et individualistes sur la société relayée par l’éducation secondaire et les intellectuels organiques de la bourgeoisie est très profonde. Il faudra longtemps avant que nous choisissions de nous rallier en pleine conscience à l’idée spinoziste et engelsienne de la liberté comme connaissance de la nécessité, et que nous cessions d’adhérer comme des moutons à l’idée de la liberté qui prévaut aujourd’hui, comme pulsion de consommation à assouvir sans délai, comme souveraineté du caprice, et névrose solitaire généralisée. Et ce seront ces humains avec leur aliénation caractéristique, leur individualisme de masse, nous autres en fait, qui feront la prochaine révolution. Il faudra compter avec nos illusions individualistes, comme ont été ménagées parfois les illusions religieuses des masses.

GQ, 18 juin 2023

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