Le vote Mélenchon n'en vaut plus la chandelle
Un sondage (?) viendrait de placer Mélenchon dans un groupe de quatre candidats qui peuvent prétendre au second tour, juste derrière Pécresse, MLP, et Z. Alors du coup, faut-il voter pour lui? Voter pour lui serait-il "utile"? et utile à quoi? (ndgq 5/1/22]
Mélenchon aurait pu comme Mitterrand être élu président à sa troisième tentative, ne serait-ce que parce que la persévérance de cette ambition apporte une notoriété populaire de fond. Du seul fait que les électeurs s'étaient habitués à lui sa victoire ne paraissait plus impossible. Mais pour d’autres facteurs, elle est devenue beaucoup plus improbable qu’en 2017, l’année où il a raté sa chance.
En 2012, JLM avait obtenu un excellent 11 %, du jamais vu pour un candidat « gauche de gauche » depuis longtemps, bien que des sondages hyperboliques qui le plaçaient encore plus haut aient un peu gâché la fête. De ce succès absolument rien n’a été fait pour organiser un mouvement populaire, comme rien n’avait été fait non plus de la victoire du « non » en 2005. Les résultats de toutes les élections intermédiaires entre les deux présidentielles sanctionnèrent cruellement le PG comme le PCF qui avait lancé le candidat dans la cours des grands, et l'abstention se mit à galoper.
Malgré ces déboires, Mélenchon refit surface pendant l’été 2016, en lançant la FI, entièrement organisée autour de sa personne, mais qui semblait transcender le clivage droite-gauche en visant le vote populaire, tout en infléchissant sérieusement son langage dans un sens « dégagiste », populiste et anti-impérialiste. Il partait d’un seuil solide d’intentions de vote d’environ 12 %, sans même avoir fait campagne, ce qui permettait d’envisager le second tour, le seul à gauche dans ce cas, et il tranchait avec des déclarations très fermes sur l’OTAN, et sur l’UE.
Cela me parut suffisant pour militer dans le PCF, au grand scandale de mes amis politiques purs et durs, pour la candidature Mélenchon, comme le firent alors d’autres communistes non-repentis en dehors du parti (le PRCF, le RCC) etc. pour les mêmes raisons.
Le résultat inespéré de 7 millions de voix (19,6% des suffrages exprimés) le mettait à 700 000 voix du second tour, qu’il n’aurait d'ailleurs certainement pas gagné contre Macron. Cependant, dès le soir du premier tour Mélenchon avait commencé à se débarrasser de ce capital politique tout nouvellement acquis comme s'il s'agissait d’une patate chaude. Les candidats présentés par la FI , six semaines après le second tour, ne récoltaient que 35 % des voix qui s’étaient portées sur lui. Cette déroute, à peine le premier succès enregistré, s’explique par plusieurs facteurs. D’une part, JLM avait commencé à retropédaler sur les aspects « populistes » de son programme avant le premier tour, et il choisit symboliquement de finir une campagne tonitruante, de façon inoffensive, en allant rendre visite en péniche sur le canal Saint-Martin avec son copain Iglesias à la foule clairsemée des bobos de l’Est parisien. Il s’afficha soudain pro-européen dans son dernier grand meeting, et il refusa de soutenir clairement le Venezuela bolivarien, lorsqu’il fut attaqué sur le sujet, ce qui rappelait son lamentable vote impérialiste au parlement européen en 2011, pour l’invasion de la Libye.
Son attitude de mauvais perdant bien peu « présidentielle » le soir du premier tour l'a décrédibilisé et a fait passer le refus courageux de l’appel au vote Macron pour un caprice égocentrique, impression confirmée par sa réaction ridicule aux perquisitions judiciaires de ses locaux, l’année suivante. Enfin, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’a fait aucun effort pour se coordonner avec le PCF, qui était pourtant la seule formation importante qui le soutenait, ni pour préparer des candidatures communes au législatives. Un relent prononcé d’anticommunisme lambertiste est réapparu à cette occasion (« vous êtes le néant, vous êtes la mort ») ; il n’y avait pas que Trump pour produire des tweets agressifs, invraisemblables, et indignes d'un homme politique à ce niveau.
Plus fondamentalement, la campagne de Mélenchon n’a pas gagné - et ne le pouvait pas - parce qu’il y avait pour la mettre en œuvre trop de bobos, pas assez de prolos.
En 2022, avec le recul, la question se pose à nouveau, faut-il encore voter Mélenchon, pour réaliser un résultat honorable comme en 2012, ou même pour viser le deuxième tour comme en 2017 ?
Atteindre le second tour, où l'on peut parvenir par hasard, grâce à la désunion de l'adversaire, et être élu sont deux choses différentes. Ce qui rendait le pari sur ce candidat si intéressant en 2017, c’était l’hypothèse fort possible qu’il se retrouverait au second tour contre Marine le Pen, en position de gagner en exploitant le rejet de cette dernière (un peu comme Pedro Castillo a gagné contre Keiko Fujimori l'année dernière au Pérou).
Mais aujourd’hui, il est de plus en plus clair que JLM au second tour ne doit pas s’attendre à des cadeaux de la part du centre-gauche soi-disant républicain dans un éventuel duel avec MLP ou avec Z. Son positionnement compris à tort ou à raison comme « islamo-gauchiste » risque aussi de couper l’apport d’un vote dégagiste venu de l’extrême droite dans une configuration qui le placerait contre Macron (celui là ou un autre représentant du marais). Et il est bien clair aujourd’hui qu’aucun candidat de la gauche réelle (celle qui s’en prend au capital) ne peut être élu dans aucune élection si tacitement des électeurs d'extrême-droite ne se reportent pas sur lui. Tout candidat qui construit un discours de campagne incompatible avec ce report doit être écarté.
Bref, pour un JLM qui a choisi de se positionner à gauche de la gauche, la gauche est tout simplement trop faible pour le porter à la victoire. Il ne pourrait se placer au second tour, avec de la chance, qu’en siphonnant toutes ses réserves dès le premier tour. Fabien Roussel a donc raison de souligner, pour justifier l’existence de sa candidature, que le problème de la gauche n’est pas tant qu’elle est divisée, que le fait qu’elle est dans l'état actuel beaucoup trop faible pour gagner, aux alentours d’un quart de l’électorat, un sixième si on compte les abstentionnistes !
La gauche en question, à laquelle ne s’identifient positivement guère plus de 10 % des sondés dans les enquêtes d’opinion ne représente plus qu’une fraction de la bourgeoisie, la faction de l'ingérence humanitaire, nouveau "fardeau de l'homme blanc", moralisatrice et obsédée de conformisme éthique, et les malheureux qu’elle influence via ses relais communautaristes (étudiants, petite-bourgeoisie des minorités). Mélenchon a choisi cette base, probablement contre ses convictions, et il a eu tort. Il a purgé de manière autocratique son organisation de tous les souverainistes qui s'y trouvaient, les accablant d'insultes et de calomnies. Gauchistes communautaristes et écologistes timbrés tiennent à présent le haut du pavé parmi ses conseillers, qu’il n’écoute d’ailleurs même pas mais qui saturent sa communication. Son ambition personnelle semble être la seule boussole qui lui reste.
Sanders, Corbyn, Iglesias, Tsipras, et enfin Mélenchon, une génération de la gauche politique occidentale s’éclipse, faute de courage politique, mais faute surtout d’ancrage dans les classes populaires.
Dans ces conditions je voterai sans espoir excessif mais sans regrets pour Fabien Roussel, qui est certainement le meilleur candidat qui pouvait sortir des rangs du PCF. Et pour preuve, les difficultés qu’il éprouve [qu'il éprouvait jusqu'à récemment, note du 15 février 2022] à mobiliser un corps de militants plutôt défaitistes sélectionnés par les directions issues de la mutation du PCF, et la dissidence ouverte d’une partie des cadres, dont Marie Georges Buffet, comme par hasard, scandalisés d’un discours qui malgré ses limitations, notamment sur l'UE, s’adresse véritablement à la classe ouvrière dans son unité, indifféremment à ses divisions de genre, de religion, etc.
Un résultat honorable de ce candidat renforcerait les idées du socialisme en France et l’influence des défenseurs de la classe ouvrière dans le PCF et dans la CGT (on peut envisager au moins les 8% du PTB en Belgique !).
Arriver au second tour est plus qu'improbable, mais comme pour tous les autres candidats de gauche, et sans doute même un peu moins, car la campagne de Roussel est la seule à gauche qui soit destinée aux classes populaires et notamment aux abstentionnistes. Les grotesques attaques contre lui provenant de l'extrême-gauche bourgeoise sur "le fromage, le vin, la viande" et la fureur et la haine des gauchistes qu'a provoqué son engagement pour la sécurité le montrent bien. Et il est très improbable que les électeurs des classes populaires qui ont choisi de voter pour Mélenchon au premier tour en 2017 recommencent pour un candidat qui s'aligne sur Sandrine Rousseau, Mme hausse-du-carburant !
Mélenchon s'étant autodétruit, il faudra voter sur les programmes et dans ce cas je préfère un programme avec énergie nucléaire et droit à la sécurité, et sans quinoa, simple question de goût.
Mélenchon aura ses signatures, il a suffisamment de réseau pour ça. Cela dit, s'il avait besoin du PCF il aurait dû négocier au lieu de s'imaginer qu'il pouvait le prendre de haut. Je voterai pour lui au second tour, s'il y parvient, mais cela ne l'empêchera pas de prendre une raclée.
GQ, 20 octobre 2021, revu le 26 janvier 2022
PS : il peut paraître cruel d'associer Jeremy Corbyn à la liste des politiciens de gauche occidentaux velléitaires de la dernière décennie qui tirent leur révérence, mais je crois que son échec à la tête du parti travailliste britannique, alors qu'on fondait beaucoup d'espoir sur lui, est dû principalement à son refus d'assumer explicitement le Brexit, et de lui donner un sens social, et non aux calomnies du lobby sioniste. Ce qui l'a perdu, c'est cette mollesse inattendue pour défendre la souveraineté britannique, et non sa solidarité avec la Palestine. Du moins c'est mon avis , croyant connaître un peu le pays outre-Manche. Et c'est quand même curieux que ce qui est bon pour la Palestine, souveraineté et indépendance nationale, ne le serait pas pour la Grande Bretagne !