Contrairement à la légende noire anticommuniste, il n'y a pas eu de génocide en Ukraine en 1932-33

Une mise au point publiée après que les parlements européen et français s'étaient permis de décréter la vérité historique sur les événements d'Ukraine en 1932-1933, rédigée pour l’essentiel à 2014. On se reportera aussi aux critiques du film de propagande "l'ombre de Staline", sorti en 2021, dont celle-ci - et on notera le fait que l'expérience soviétique doit bien gêner les thuriféraires du capitalisme puisqu'ils la combattent encore, presque un siècle après les faits, et 33 ans après la dissolution de l'URSS !
Sur la famine ukrainienne de 1932 qui eut effectivement lieu, il y a eu des études historiques poussées, non partisanes et concluantes, sur la question des causes (voir, par exemple, Mark Tauger, "Famine et transformation agricole en URSS") et on ne trouve rien dans les archives qui établisse ou même qui suggère l’idée d’une volonté génocidaire de la part du pouvoir soviétique. Ce n'est pourtant pas faute de l'avoir cherché.
L’origine de ce qu’il faut bien appeler une légende noire se trouve dans la presse nazie allemande de l'année 1933, relayée par la presse sympathisante outre-Atlantique (Notamment celle du milliardaire Hearst), puis dans les mythes anticommunistes du mouvement fasciste ukrainien, replié en Occident après la défaite allemande en 1945, et imposés comme histoire officielle depuis 1991.
Aujourd’hui le culte et la mémoire factice du génocide sont les plus répandus précisément en Galicie et Volhynie, les provinces ukrainiennes annexées à l’URSS postérieurement à la famine, en 1939, et sous l’influence d’un courant nationaliste d'abord rallié au nazisme, puis soutenu par l’Occident, qui est parvenu au pouvoir à l'issue d'un coup d'État présenté en Occident comme un mouvement populaire, avec l'aide de l'UE et des États-Unis, en 2014.
Mais comme on peut toujours prétendre que l’absence de preuves est la preuve qu’elles ont été supprimées (méthode de raisonnement philosophique fort prisée par Hannah Arendt et considérée comme légitime nulle part, sauf quand il s’agit d’étudier l’URSS) et comme il est impossible de prouver une proposition négative, même en histoire, il faut établir la « non existence » du génocide avec une autre logique. Il faut se mettre à la place des bolcheviks au pouvoir dans les circonstances précises des années 1930.
La famine qui a frappé en 1932 la zone céréalière des Terres Noires de l'Union Soviétique qui s’étendent de l’Ukraine au Kazakhstan, aurait causé environ 6 millions de victimes en Ukraine (20% de la population !) si on en croit les historiens hostiles à l’URSS, ce qui semble beaucoup au vu de la rapidité de la croissance de l’économie et des progrès de la société soviétiques jusqu’en 1941. Comme la moitié des victimes se trouvait en Russie ou au Kazakhstan, et que la moitié des Ukrainiens est en réalité ethniquement ou linguistiquement russe, si le pouvoir soviétique avait eu la volonté de tuer massivement des Ukrainiens il aurait sans doute agi autrement qu’en massacrant des foules de non-Ukrainiens ; ou alors on l’imagine comme un traitre de mélodrame ou comme un de ces seconds rôles de série B, du registre des « méchants » de Hollywood qui se tuent entre eux par pure bêtise.
L’organisation volontaire de la famine en Ukraine en 1932 par le gouvernement soviétique aurait été un non-sens politique car elle aurait touché d’abord la paysannerie pauvre, qui était justement la base sociale que le pouvoir cherchait à se rallier, et sur laquelle le parti s’appuyait pour réaliser la collectivisation des terres et assurer le bon fonctionnement des fermes collectives, les nouveaux kolkhozes.
Sur un autre plan, l’hypothèse d’une famine artificielle et génocidaire est également absurde, car elle consiste à prêter aux dirigeants soviétiques des projets incohérents avec leurs objectifs pratiques et leurs présupposés idéologiques. Si Staline avait organisé une famine en Ukraine, causant la mort de millions de producteurs de la région la plus riche de l’URSS, il aurait délibérément affaibli l’URSS. La supposition que Staline, quelque tyran qu'on considère qu'il ait été, ait pris ce risque, est la plus absurde qui soit, car toute son action et toute sa vie s’explique par ce qu’il croit avoir compris comme la marche à suivre la plus favorable à la puissance et au développement de l’URSS, dont il croit le système social nouveau destiné à surpasser rapidement le capitalisme, pour peu qu’il survive à l’inévitable agression destinée à y mettre fin et qui viendra rapidement de la part d’une ou plusieurs puissances capitalistes.
La famine se produit dans un territoire d'économie paysanne démographiquement parvenu à la saturation, dans le contexte de l'implantation d'un économie planifiée, et il est trop tôt pour que l’on puisse l’imputer à l’incurie ou à l’imprévoyance des autorités (même s’il y eut des cas de dysfonctionnement graves, notamment dans les estimations des récoltes). Il s’agit du moment de la fin du premier plan quinquennal, du moment du décollage économique de l’URSS ; l’armée, les villes, les usines et les chantiers des grandes infrastructures ont bénéficié d’une priorité de ravitaillement ; ce qui se produit spontanément sous l’empire de la loi du marché dans les famines « non socialistes ». Cette priorité est exigée par la continuité de l’État dont l’effondrement causerait un cataclysme social encore bien plus meurtrier que la famine, dont la paysannerie paierait le prix principal et dont la Guerre Civile de 1917- 1922 a été une première manifestation.
Mark Tauger montre d'ailleurs que c'est justement la collectivisation et la modernisation accélérée de l'agriculture qui l'a accompagnée qui a finalement extrait l'espace russe de la fatalité séculaire du retour cyclique des disettes et des famines.
S’il y a une cause politique à la famine, plus exactement à son aggravation, c’est le désordre provoqué par les aléas de la collectivisation, c'est-à-dire la résistance des paysans qui s’estiment spoliés, parfois à juste titre par les excès de zèle - dénoncés par Staline lui-même dès 1930 dans son article de la Pravda, le vertige du succès, parfois par antagonisme politique recuit, ce qui a conduit à des actes très nombreux et documentés de sabotage de la production, d’abattage du bétail, de destruction des récoltes (les paysans riches, dits les « koulaks » dans l’argot péjoratif de l’époque disposant, ou croyant disposer, de réserves suffisantes pour survivre à cette politique du pire).
Mais de toute manière, le génocide n’est pas dans le style d’action des communistes de l’époque de Staline, ni d’aucune autre époque d’ailleurs. Il ne correspond pas à leur mentalité, ni à leur idéologie. Le service du peuple est l’alpha et l’oméga de l’éthos communiste, et même les opportunistes engagés dans leurs rangs doivent faire semblant de s’y plier. Lorsque des ennemis du peuple sont désignés, ils peuvent être déportés ou même exécutés, mais ce n’est pas le peuple lui-même qu’il s’agit d’éliminer ; il s’agit toujours de catégories d’individus identifiées par les autorités comme des adversaires politiques (koulaks, gardes-blancs, trotskystes, etc.), non de groupes préexistants ethniques ou religieux (Ukrainiens, juifs). Lorsque les officiers polonais prisonniers sont exterminés en 1940 - si c'est bien le cas que ce massacre soit imputable aux autorités soviétiques, les hommes de troupe sont épargnés, ainsi d’ailleurs que les officiers ralliés à l’URSS. Il y a là un crime de guerre contre des prisonniers, mais pas de génocide des Polonais, contrairement à celui perpétré par les nationalistes ukrainiens en Volhynie en 1943. Les injustices cruelles sont nombreuses, dans le contexte d’une société et d’un État qui repart de zéro, mais le gouvernement soviétique cherche à ce que la répression frappe le groupe ennemi qu’il a décidé de viser, et non n’importe qui au hasard.
Les déportations massives qui ont frappé des groupes ethniques ou des groupes sociaux ne sont pas des procédés d’élimination, mais des dispositions stratégiques pour éloigner des groupes considérés comme déloyaux des frontières ou du reste de leur peuple. Dans le cas de la déportation des koulaks, qu'ils soient ukrainiens ou russes, il s’agit de déraciner ce groupe explicitement contre-révolutionnaire et de l'utiliser pour le défrichement de terres nouvelles, dans le cadre du déplacement géographique général de l’espace soviétique vers l’Est prévu par les plans pour améliorer la capacité de défense du pays.
La politique soviétique des années 1930 est très dure, la mortalité dans ces déplacements forcés est élevée, mais cette politique est conduite dans des conditions encore plus dures que le peuple et le parti n’ont pas choisies, et sous la menace mortelle de disparaître, si un progrès accéléré (un siècle en dix ans) n’est pas accompli. Tout s’efface derrière cette priorité.
La famine a eu lieu, mais d’une part comme elle ne s’est pas prolongée en 1933 contrairement à la légende d’origine hitlérienne, son bilan est certainement bien moindre que ce qui circule partout (les 6 millions de morts sont un total obtenu par des extrapolations démographiques aventureuses), et elle n’a pas de cause politique directe, bien que les contre-effets de la collectivisation aient joué un rôle aggravant. Il n’y a donc aucun génocide subi par les Ukrainiens de la part d'un pouvoir soviétique où les Ukrainiens étaient d'ailleurs très nombreux à jouer un rôle clef. Par contre les nationalistes ukrainiens dont les héritiers directs et revendiqués sont maintenant au pouvoir à Kiev ont massivement et activement participé aux massacres de juifs de la Guerre Civile (1918 à 1921) et de la Shoah (1941 à 1944). Le seul génocide ukrainien réel, c’est celui qui a été perpétré par les envahisseurs Allemands, et par des Ukrainiens nazifiés contre leurs compatriotes juifs (et polonais), couplé à l’extermination massive des communistes. La légende noire du « Holodomor » au delà de l'intention de diaboliser éternellement l'expérience soviétique, a accessoirement pour but aussi de le relativiser et de l’excuser. Et la croyance aveugle en cette légende est devenue un marqueur idéologique fort de l'extrême-droite en Occident et un symptôme de la fascisation de l'Europe bien plus inquiétant que les succès électoraux relatifs du Front National en France.
GQ, 9 juin 2014, relu le 27 septembre 2023
PS : Le dossier historiographique de la question est bien traité par Annie Lacroix-Riz, on peut s'y reporter, il y a de nombreux articles de cet auteur publiés sur ce blog accessibles par le moteur de recherche.
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