L'Huma : autre son de cloche du coté de l'opposition syrienne non militarisée, non confessionelle, non manipulée
4 Février 2012 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Impérialisme
Haytham Manna est responsable à l’étranger du Comité national de coordination pour le changement démocratique (CNCD), l’une des principales branches de l’opposition syrienne.
Les discussions sont toujours en cours à l’ONU concernant la Syrie. Une résolution pourrait être votée dans les prochains jours. Sa dernière version souligne la nécessité de résoudre la crise « de manière pacifique » et précise condamner « toute violence, d’où quelle vienne ».
Comment jugez-vous ce qui se passe à l’ONU, et plus particulièrement l’attitude de la Ligue arabe ?
Haytham Manna. Nous vivons une période très difficile et cruciale. La Ligue arabe est sortie de son état de sclérose dans lequel elle se trouvait depuis plus de soixante ans, pour participer activement à la résolution des situations de crise dans certains pays. Mais lorsque les pays qui sont traditionnellement forts et modérés, comme l’Égypte, sont affaiblis à cause de leurs problèmes internes, le Conseil des pays du Golfe joue un rôle spectaculaire et plus important que son poids réel, rôle qu’on essaie de contrebalancer avec la présence de l’Afrique du Nord. On essaie de faire de notre mieux pour que la Ligue arabe apporte des réponses adéquates et équilibrées à la situation. Car malheureusement les pays du Golfe mélangent deux données principales : leur conflit avec l’Iran et la situation interne en Syrie. Nous en faisons les frais. Chaque fois qu’il y a une poussée dans le conflit avec l’Iran, on voit l’intensification des attaques, la surenchère et l’appui inconditionnel aux extrémistes parmi les révolutionnaires syriens. Quand je dis « extrémistes », je pense à deux tendances très dangereuses : le confessionnalisme et la militarisation de la révolution.
La Ligue arabe semble se placer dans le camp occidental et tente de marginaliser la Russie. Est-ce votre avis ?
Haytham Manna. J’ai personnellement demandé au secrétaire général de la Ligue arabe, Nabil Al Araby, d’aller à Moscou avant d’aller à New York. Parce qu’il n’est pas très logique qu’un pays presque invisible sur l’échiquier international comme le Qatar ait un rôle plus important que la Russie dans le dossier syrien. Mais cette négligence ne peut que générer des blocages à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité de l’ONU.
Pensez-vous que le projet de résolution actuellement en discussion est de nature à débloquer la situation ?
Haytham Manna. La formule présentée à l’origine ne va pas dans le bon sens. Il faut des modifications et un dialogue très constructif entre la Russie et la Ligue arabe. La Syrie est le dernier bastion de présence militaire et stratégique de la Russie dans la région. Elle ne va donc pas laisser les choses se passer comme en Libye. Il y a un « complexe libyen ». Depuis le 1er novembre, il y avait une chance pour l’opposition syrienne : le plan d’action arabe. Le régime syrien, l’ensemble des forces de l’opposition, la Russie et les Occidentaux ont accepté ce plan. Pour la première fois, après huit mois de conflit, on est arrivé à un plan accepté par les belligérants et les forces concernées. Nous avons dit qu’après les modifications faites au Caire sur ce qu’on appelle les étapes de l’application pratique de ce plan, s’il y avait des critiques ou un refus de la part du régime syrien et de la Russie, on devait trouver un compromis.
N’y a-t-il pas un problème de représentativité et d’unité de l’opposition syrienne ?
Haytham Manna. On ne peut pas défendre les positions du Conseil national syrien (CNS), qui ne cesse de répéter qu’il est le représentant unique du peuple, de la révolution et de l’avenir. Cela fait quarante ans que je me bats contre de telles pratiques. C’est une attitude fermée mais en même temps soutenue par des pays comme la France et les pays du Golfe. On ne peut pas parler d’un avenir brillant pour l’opposition, sauf si le CNS revient à la raison et aux principes démocratiques qui manquent totalement dans le discours de ses dirigeants depuis l’échec qu’ils ont planifié concernant le document que nous avions signé, Burhan Ghalioun et moi-même, finalement dénoncé par le bureau exécutif du CNS. Il y a une tendance au sein du CNS qui estime que le soutien des pays du Golfe et de la France, de pays très influents dans le dossier, avoir de l’argent et l’appui des médias ne nécessite pas d’avoir l’unité avec les autres pour être plus représentatif. C’est le péché originel de M. Juppé et de la politique du Quai d’Orsay, qui donne beaucoup de poids à une seule branche de l’opposition au détriment des autres, comme s’ils étaient en train de voter à la place du peuple syrien. Contrairement au CNS, nous sommes complètement opposés à une intervention militaire. Quant au corridor humanitaire dont il est question, pourquoi n’a-t-il pas été mis en place à Gaza lors de l’intervention israélienne ?
On nous reparle de la nécessité d’une intervention pour des raisons humanitaires. Que répondez-vous à ça ?
Haytham Manna. Vous pensez que ceux qui se font massacrer ne sont pas les nôtres ? Certains nous enlèvent même les martyrs de nos familles. Il y a des surenchères sur la « victimisation ». Il existe aujourd’hui le risque d’une guerre civile que personne ne peut contrôler. Aujourd’hui, les journalistes acceptent à peine de nous parler, nous les politiques. Dans un mois, si les choses continuent, on interrogera les émirs de guerre, des deux côtés. On a d’ailleurs commencé. Maintenant, dans les médias occidentaux, on glorifie tout ce qui concerne la militarisation, même quand il s’agit de tueries confessionnelles. C’est la transformation de la révolution en guerre qui peut amener un autre régime autoritaire. La révolution a des valeurs, elle est là parce que les gens se sont révoltés contre la corruption et le despotisme.
Existe-t-il encore une fenêtre d’opportunité pour une résolution pacifique et dans le sens des demandes initiales du peuple syrien ?
Haytham Manna. Le défi principal est de garder l’espoir que le mot « politique » reste plus fort que le mot « militarisation ». L’opposition doit s’unir et le dialogue entre les différents courants doit aboutir à un programme commun pour qu’existe une force politique capable de répondre aux défis de la situation actuelle.
Entretien réalisé par Pierre Barbancey
Réveil Communiste :
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