Le coup d'État au Chili en 1973 et ses leçons pour la gauche mondiale
22 Septembre 2024 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Chili, #Qu'est-ce que la "gauche", #Front historique, #Impérialisme, #GQ
Publié le 11 septembre 2023 - Je précise que l'article n'a pas été écrit pour donner des conseils rétrospectifs à Allende et l'Unité populaire chilienne mais pour démystifier le récit sur la liberté politique et l'alternance qui existeraient dans le capitalisme.
Le coup d’État au Chili perpétré par le général Pinochet le 11 septembre 1973, il y a 50 ans, avec l’appui des États-Unis, fut un événement traumatique et en un certain sens fatal pour l’histoire de la gauche telle qu’elle se pensait, et parfois se pense encore : comme le courant politique bien intentionné représentant le peuple, qui dispute le pouvoir à la droite, représentante cynique des milieux d’affaires, dans une compétition électorale sans doute biaisée, mais qu’il ne serait pas impossible de gagner un jour.
Les milliers de rues baptisées « Salvador Allende » par les municipalités d’Union de la Gauche après leur raz-de-marée au scrutin local de 1977 témoignent encore du choc ressenti dans le « peuple de gauche » de l’époque – bien que ce peuple militant se soit en suite très rapidement éloigné du modèle politique que le président chilien avait tenté d’appliquer dans son pays lointain entre 1970 et 1973.
Le Chili en 1970, comme l’Argentine et l’Uruguay, malgré leur appartenance à l’Amérique latine, étaient en effet avant d’être soumise à des dictatures féroces des démocraties libérales propres sur elles peuplées majoritairement d’immigrants européens civilisés, le genre de pays convenant pensait-on à un modèle de transition pacifique au socialisme.
Le coup a montré – ou aurait dû nous montrer - qu’il n’y aura pas et qu’il n’y aura jamais d’alternance électorale pacifique gauche - droite possible, il n’y a d’alternance qu’entre modes de la gouvernance capitaliste, entre fascisme et libéralisme. L’alternance civilisée entre modes de production ça n’existe pas.
Autrement dit, elle ne peut pas avoir lieu sans recours dans une certaine mesure à la force, pour neutraliser les potentiels putschistes, les agents de l’impérialisme dont les terroristes et les médias pratiquant la désinformation, et avec la participation au moins d’une partie des forces armées, et d’ailleurs c’est bien ce qui a été tenté par la gauche la plus conséquente guidée par le Parti communiste au Portugal dès l’année suivante.
Le destin de l’Unité populaire chilienne a été obéré par la nécessité de servir de modèle politique illusoire d’une transition douce telle que la proposaient à l’époque les unions des partis de la gauche européenne, et le courant euro-communiste de partis communistes occidentaux déjà en quête de respectabilité.
Puis l’événement a été digéré sur le mode moral, et ce qui a été reproché à Pinochet et à sa clique est d’avoir assassiné et torturé par milliers des militants de gauche. Mais cette condamnation morale justifiée a dépolitisé et masqué le vrai problème : l’impossibilité de l'alternance dite « démocratique ». Et de fait, dans les années 2000, la « gauche » est revenue au pouvoir au Chili, comme elle était revenue au pouvoir en Espagne après le franquisme dans le décor festif et hédoniste de la Movida, en acceptant de n’occuper que l’apparence du pouvoir - et d’en toucher les prébendes - dans une société libérale permissive mais complètement verrouillée sur les questions économiques et sociales.
Aujourd’hui les assassins du musicien Victor Jara dont ils ont coupé les mains dans le stade de Santiago sont rattrapés par la justice chilienne et sont en fuite. Mais croit-on que pourrir la vie de ces vieillards répugnants va rendre justice à Victor Jara ? Seule la victoire du socialisme au Chili pourrait le faire !
Pinochet et ses sbires ont donc été utiles deux fois : en noyant dans le sang l’expérience socialiste réelle, puis en servant - un peu mais pas trop – de boucs émissaires nécessaires à la démonstration du retour de la démocratie sur le mode de la farce et du (non)repentir. Le langage de la morale est bien insuffisant pour juger de leur cas. Ils ont eu l’appui de tout ce que le Chili comptait d’institutions bourgeoises irréprochables. Et on devrait savoir maintenant que pour transformer des exécutants obéissants en assassins sadiques il suffit d’implanter avec la voix des médias et des intellectuels organiques un discours qui les excuse par avance en prétendant que l’ennemi se prépare à faire bien pire. Et beaucoup de gens diront alors que Pinochet c’était le moindre mal par rapport aux "crimes de Staline" et au Goulag dont la dénonciation était alors en vogue. Soljenitsyne n’est-il pas venu du froid pour apporter son soutien au Général Franco, et Pinochet n’était-il pas devenu l’idole des « dissidents » soviétiques portés aux nues dans le récit antitotalitaire ?
Si Allende avait eu la possibilité et la volonté d’anticiper sur le coup d’État en faisant un coup de force préventif, en utilisant des secteurs loyaux des forces armées ou de la police, il aurait certainement fortement déçu ses admirateurs légalistes sur l'autre rive de l'océan et il aurait sans doute fourni un argument de poids à la propagande électorale anti-communiste. Et Mitterrand n’aurait jamais été élu, en tout cas dans une coalition d’union de la gauche.
La belle affaire.
Il fallait préserver l'idée que le socialisme était en quelque sorte un projet inoffensif. Mais les États-Unis se moquaient bien que la gauche réelle fût parvenue au pouvoir par la voie légale, et que cela pût être en Europe un mauvais exemple. Ils n’en voulaient pas de quelque manière que ce fût, et ils étaient déterminés à l’éliminer par tous les moyens. Ils ont recommencé depuis, au Nicaragua, au Venezuela, avec moins de réussite – car un peuple averti en vaut deux. Et ils recommenceront jusqu’à ce qu’ils soient recyclés en société socialiste – ce qui pourrait bien arriver plus tôt qu’on imagine au vu des contradictions qui les déchirent aujourd’hui.
Il n’y a pas non plus d’alternative entre voie électorale et lutte armée. L’alternative est entre dictature du prolétariat, ou alignement sur le capitalisme, entre Alvaro Cunhal ou Mario Soares, pour revenir au Portugal de 1974 quand la leçon à tirer du désastre du Chili paraissait évidente. Et le contrôle des médias qui avaient créé dans ce dernier pays les conditions du coup d’État est apparu comme une nécessité pour les militaires révolutionnaires et les militants du PCP.
S’ils n’ont pas gagné, au moins n’ont-ils pas été exterminés.
Cela dit c’est comme par hasard juste après la terrifiante démonstration fournie par les gorilles chiliens et argentins que la gauche intellectuelle occidentale et latino-américaine a préféré le plus souvent cesser de lutter contre l'impérialisme et de se préoccuper des travailleurs pour s’adonner aux délices de la complexité post-moderne.
GQ, 10 septembre 2023
Réveil Communiste :
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