La crise de la dette, la faute à Maastricht, et non à la loi Giscard de 73
légende: chapiteau dit de la calomnie
par Alain Beitone, professeur de Sciences économiques et sociales Lycée Thiers Marseille,
pour avoir longtemps partagé la même section syndicale qu’Alain Beitone, pas la même tendance lui étant Ecole Emancipée, je sais que c’est quelqu’un qui a souvent des réflexions pertinentes et j’apprécie au plus haut point son analyse de cette rumeur lancée par l’extrême-droite et dont le caractère sumplificateur et complotiste une fois de plus nous interdit de poser des questions sur le rôle de l’europe et du traité de Maastricht, de la structure des bugets, la fiscalité, etc… Cette propagande qui ramène tous les problèmes à un seul, toujours fruit d’un complot racial, n’a pas pour objectif de construire des solutions politiques mais bien de développer une rumeur haineuse… Et de ce point de vue, une fois de plus je reprocherais à Alain Beitone qu’au titre des consommations publiques qui seraient nécessairement concurrentielles avec la consommation privée, il oublie de souligner le poids des dépenses militaires et donc de laisser croire qu’il n’y aurait pas dans la consommation de l’Etat des choix drastiques à opérer, opposer simplement consommations privées et consommations publiques est un peu rustique surtout quand on sait qu’aujourd’hui non seulement le bufget militaire est un des plus lourds mais encore le seul qui soit en progression. Il faudra bien pourtant s’interroger sur une nouvelle articulation public-privé et surtout d’un contrôle de l’ensemble du secteur financier dans le cadre d’une planification des besoins. A cette remarque près, je partage l’analyse d’Alain Beitone. (note de danielle Bleitrach)
- La rumeur enfle depuis quelques semaines, sur internet, dans les médias, dans les déclarations de leaders politiques : la source de tous nos maux économiques serait la “loi de 1973″.
C’est l’extrême droite qui est à l’origine du mouvement. D’Alain Soral à Marine Le Pen, les choses sont claires la “loi Pompidou, Giscard, Rothschild”, en réformant les statuts de la Banque de France empêche l’Etat de “battre monnaie” pour se financer ce qui permet aux banques privées de s’engraisser en encaissant les intérêts de la dette. Certains n’hésitent pas à parler de “casse du siècle”.
Curieusement, la dénonciation de la “loi de 1973″ fait aussi florès au sein de la gauche radicale. Un document récent sur la dette diffusé par Attac et la Fondation Copernic, fait de cette loi une des trois causes principales de la crise actuelle. Fort heureusement, la connotation antisémite est absente de ce second type de discours. Mais sur le plan économique, l’argumentation est la même : avant la loi de 1973, l’Etat pouvait se financer à des taux très faibles auprès de la Banque de France, depuis, il est devenu prisonnier des marchés financiers. Il suffirait donc d’en revenir au mode de financement ancien pour que les problèmes soient résolus et seule l’obstination de la BCE et des allemands nous empêcherait d’adopter cette solution de “bon sens”.
Le fait que la loi de 1973 ait été abrogée en 1994 ne conduit apparemment pas ces innombrables blogueurs et autres auteurs de tracts à se poser la moindre question. De plus, bien avant cette loi, les banques commerciales assuraient déjà la création d’une bonne partie de la monnaie.
Par ailleurs, la loi de 1973 ne fait que confirmer la possibilité ancienne pour le Trésor d’obtenir des avances auprès de la Banque de France dans le cadre d’une convention approuvée par le parlement. Bref, une analyse économique et historique même superficielle conduit à rejeter l’explication incantatoire par “ la loi de 1973 ”. Comme souvent, les rumeurs, en même temps qu’elles proposent une explication simpliste, occultent les vrais problèmes. Citons en rapidement quelques uns :
- La crise des dettes souveraines dans la zone euro, n’est pas d’abord liée au niveau d’endettement (le Japon, les Etats-Unis, la Grande Bretagne sont plus endettés), il s’agit d’une crise de la gouvernance au sein de la zone euro. Quand bien même la “loi de 1973″ expliquerait la montée de la dette publique en France (ce qui n’est pas le cas), elle n’explique pas la crise des dettes souveraines dans l’Union Européenne à laquelle il faut répondre ici et maintenant.
- La France est bien passée d’un financement de la dette publique très largement administré dans le cadre du “circuit du Trésor”, à un financement par le marché. On peut préférer une moindre dépendance à l’égard des marchés financiers, mais sans oublier que le financement administré n’est pas sans inconvénients. Et sans oublier non plus que le passage au financement de marché était lié à la volonté d’obtenir des crédits à moindre coûts sur un marché plus profond et plus liquide.
- La crise actuelle des dettes souveraines en Europe est d’abord une crise liée à l’ampleur des mouvements spéculatifs et la régulation insuffisante du système financier. C’est de cela qu’il faudrait discuter, et non de la loi de 1973.
- L’augmentation brutale du taux d’endettement des Etats en Europe est d’abord la conséquence de la crise économique mondiale qui s’est déclenchée en 2007 à partir de l’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis. Ce qui est en jeu, c’est d’abord la relance de la croissance et l’abandon des politiques de rigueur qui ne peuvent qu’accroître la gravité de la situation économique. Sur ce dossier aussi, la dénonciation de la loi de 1973 n’est d’aucun secours.
- En invoquant la loi de 1973, on passe sous silence l’essentiel : le traité de Maastricht et la définition qu’il donne des missions de la Banque Centrale Européenne. De nombreux économistes (P. Artus, J. Pisani-Ferry, H. Rey) ont souligné que pour mettre un coup d’arrêt à la crise de la dette, il faudrait que la BCE annonce un taux d’intérêt plafond sur les dettes publiques et son intention de racheter sans limitation les titres de dette si ce taux est dépassé sur le marché. J.C. Trichet, puis M. Draghi se sont refusés jusqu’ici à une telle politique en invoquant la lettre des Traités et le statut de la BCE. C’est cela qu’il faudrait changer et non la “loi de 1973″ abrogée depuis longtemps.
- Enfin, il faut rappeler que si l’on souhaite accroître la part relative des consommations collectives dans le revenu national, il faut nécessairement réduire la part relative des consommations privées.
Pour que cela se produise de façon compatible avec la justice sociale, il faut une réforme fiscale d’ampleur, donnant au système de prélèvement fiscal et social un caractère véritablement progressif. Croire que l’on peut répondre aux besoins sociaux en finançant par la création monétaire la construction d’école et d’hôpitaux ou la recherche scientifique c’est entretenir une illusion dangereuse. Certes, la science économique nous enseigne que la création de monnaie joue un rôle essentiel pour assurer la croissance en finançant par anticipation la création de richesses futures, mais cela n’est pas contradictoire avec la nécessaire prise en compte des contraintes de financement liées, notamment à la répartition plus ou moins équitable des revenus.
Ce serait l’honneur de la gauche, surtout de celle qui veut changer radicalement l’ordre du monde existant, de poser les vrais problèmes plutôt que d’alimenter la rumeur fantaisiste sur la “loi de 1973″.
Dernier ouvrage paru : Dictionnaire de sciences économiques (Armand Colin), 2010.