Critique politique de "Cinéma Komunisto"
27 Septembre 2013 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #GQ, #Europe de l'Est, #Front historique
Le film est intéressant à plus d'un titre, sans pour autant qu'il faille forcément adhérer aux différents discours qu'il véhicule. Particulièrement pour moi, qui ai abouti au communisme par la voie yougoslave, que j'ai visitée vers 1970, à l'âge de douze ans, précoce sans doute mais imparfaitement lucide, et sans grands conseils pour me guider vers le drapeau rouge. Comme Charlot, je l'ai ramassé par terre, et il était tombé du camion "Yougoslavie". Je suis donc allé le voir lundi dernier au studio Saint Michel, et j'ai assisté au débat qui a suivi la projection, en présence de la réalisatrice.
La jeune réalisatrice serbe a présenté son parcours politique comme celui d’une déçue de la révolution colorée de 2000, une démocrate-libérale repentie en quelque sorte, issue d'une famille anticommuniste "de gauche" dit elle. Elle commence de manière assez banale par une critique de style sémiologique du corpus du cinéma yougoslave des années 1945 à 1990, composé pour moitié de films de guerre évoquant la guerre des partisans, et dont j’avais vu quelques uns dans les années 1970, puis abandonne assez vite le second degré mondain voire kitsch qui est impliqué par cet angle de vue.
Le ton du film en réalité tourne à la nostalgie nationale-patriotique de l'État yougoslave qui s'est diffusé partout dans l’espace occupé naguère par ce grand pays, nourrie de l'insatisfaction par rapport aux nouveaux États croupions qui l'ont remplacé. En ce sens il est normal que ce soit le "Figaro", qui en fasse la promo (le journaliste qui mène le débat vient du FIG mag).
La réalisatrice a affirmé au public que cette nostalgie n'était pas celle du socialisme mais d'une nation serbo-croate perdue, qui existe encore comme communauté linguistique, et a laissé voir sans la revendiquer explicitement une grande sympathie pour Tito, culte de la personnalité compris (le fil conducteur du film est le projectionniste de Tito qui est béat devant le grand leader et ciment de la nation, qui s'avère avoir été un cinéphage vorace qui se faisait projeter en privé un film par jour, sans les choisir). Les contradictions parfois un peu ridicules du personnage sont exhibées avec une tendresse discutable.
Une camarade présente lui a demandé, si la nostalgie en question n'était pas celle du socialisme, c'était donc la nostalgie de quoi, et elle a répondu par une anecdote expliquant que dans un taxi à Mexico, le chauffeur ignore totalement l'existence de la Serbie, mais réagit élogieusement au rappel de la Yougoslavie, et de Tito. Ce qui est dire à la fois la qualité du film et ses limites. Mais tout de même, produire aujourd'hui un film à la gloire de Tito avec de l'argent de la "culture", il faut le faire ! Et les intentions sont bonnes . Elle a aussi glissé dans le débat en guise de clin d’œil une anecdote favorable à Fidel, dont le projectionniste se souvient comme un des seuls hôtes de Tito à lui avoir serré la main.
Elle est partie de l’évocation sempiternelle de la guerre des partisans dans les productions du cinéma yougoslave comme « mythe fondateur » de la Yougoslavie, pour en arriver à l’idée qu’il pourrait bien ne pas s’agir d’un mythe, après tout. La métaphore du Cinéma Paradiso (= Komunisto) a changé de sens en cours de travail, l’accent s’est déplacé de "cinéma" à "paradiso", de la propagande au paradis (perdu, comme tous les paradis) communiste. Le communisme, au lieu d’exister sur pellicule, s’est déplacé maintenant dans le cœur des yougoslaves. Si c'est le cas c’est déjà un progrès vers le réel.
Cela dit le film contient une révolte et une indignation réelle provoquée par le cours destructif imposé par l’Occident aux peuples yougoslaves, signalé par les traces du missile lancé en 1999 sur la maison-musée de Tito à Belgrade. S'il ont éprouvé le besoins de la détruire, c'est qu'ils devaient bien avoir une raison (à moins que la bêtise ...) ! Et avec Tito et ses caprices de despote éclairé, c'est aussi le "monde perdu" du socialisme qui est évoqué. Le film a servi de support à de nombreux débats dans toute la zone yougoslave, Kosovo compris, et à la surprise de la réalisatrice, au lieu de porter sur le vrai ou le faux du cinéma de propagande qui sert de matériaux à ce documentaire, toutes les discussions ont tourné à la lamentation collective autour du monde perdu.
De manière significative, l’autogestion, qui fut si populaire chez nous au PSU et dans le nouveau PS après 1971, est complètement absente de cette nostalgie. Elle semble bien n’avoir été qu’un système de prête-noms pour trafiquants de la future perestoïka, comme on le voit par l'évocation des affairistes qui gèrent le studio Avala, dans les années 1960 à l'époque des coproductions internationales, et dont le sort funeste actuel (la remise au bulldozer) est l'autre fil conducteur du film.
J'en suis sorti avec une impression mêlée. Le principal mérite du film est de faire réfléchir, et ce n'est pas courant. Mais le sens de ces réflexions m'éloigne encore davantage de la porte de Yougoslavie, aujourd'hui détruite, par laquelle je suis entré dans l'univers communiste il y a quarante trois ans.
De cette réflexion, il reste que la rupture de 1948 avec le Kominform et l'URSS fut une faute, et la personnalité immodeste de Tito joua son rôle conjoncturel. Staline ne devait pas beaucoup apprécier sa tendance croissante à se pavaner dans la jet-set. Et sans verser contre le chef des partisans dans l’anathème maoïste, on sort de là en se disant que cette dictature communiste-là, qui cherchait à faire monter les enchères entre "les deux blocs", n'était pas légitime, alors que les démocraties populaires tentaient vraiment de monter un nouveau mode de production. En RDA, en Tchécoslovaquie, en Hongrie ou en Roumanie, les sacrifices demandés à la liberté individuelle avaient un sens, ou au moins un but. En yougoslavie, il y avait des aménagements, les frontières étaient ouvertes, les intellectuels pouvaient s'approvisionner au marché de "l'avant garde" artistique ou littéraire, mais il n'y avait sans doute pas beaucoup plus de politique que dans ces pays "non alignés" où Tito promenait son nationalisme de gauche. Pas plus de politique que chez nous, maintenant. Quoique les avantages sociaux acquis par le peuple vers 1975 soient brièvement évoqués par la voix incrédule d'un fugitif, pourtant comblé de bienfaits par le capitalisme, puisque émigré à Los Angeles depuis 1952.
La destruction de la Yougoslavie entre 1990 et 1999 pour la conformer à l'ordre européen marchand, pharisaïque, raciste et consumériste montre bien qu'il n'y a jamais eu d'alternative au "socialisme réel", quelque part entre capitalisme et socialisme avec les avantages des deux à la fois. Puisque la Yougoslavie autogestionnaire de Tito prétendait être cela, et malgré son discours pluraliste l'Occident l'a détruite.
GQ, 27 septembre 2013
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