Economie et justice sociale : les États-Unis, le plus mauvais exemple possible, par James Petras

Le plus mauvais exemple possible
L’article qui suit écrit par un universitaire étasunien a été publié sur le site canadien GLOBAL RESEARCH. Il dresse en quelques phrases un tableau cru de la société de ce pays qui se prétend exceptionnel.
Tous les mécanismes politiques, économiques, fiscaux qu’il décrit aux Etats-Unis (sans rentrer dans le détail car il s’adresse principalement à des lecteurs nord-américains assez informés) sont à l’œuvre dans toutes les « démocraties » occidentales avancées. Mais « l’exceptionnalisme » étasunien tient au fait qu’ils y sont appliqués avec une brutalité paroxystique, une violence de classe sans frein.
Que la France soit alliée avec un tel pays qui porte la guerre presque partout dans le monde et que ce modèle sociopolitique repoussant continue à être une référence de la classe dirigeante française devient insupportable à la lecture de ce bref tableau d’une société violente à l’intérieur comme à l’extérieur.
Traduction COMAGUER (et chapeau)
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Comment les milliardaires deviennent milliardaires
Par le professeur James Petras, Global Research, 05 octobre 2017,
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Parmi tous les pays capitalistes développés les Etats-Unis ont les plus grandes inégalités, le taux de mortalité le plus élevé, les impôts les plus régressifs, et les aides publiques les plus importante pour les banquiers et les milliardaires. (1) Dans cet essai, nous allons mettre en évidence les racines socio-économiques des inégalités et la relation entre la concentration de la richesse et la mobilité descendante des classes sociales et des salariés.
Comment les milliardaires deviennent milliardaires
Contrairement à la propagande diffusée par la presse économique, entre 67 % et 72 % pour cent des sociétés n’avaient aucun impôt à payer après les crédits et les exemptions, tandis que leurs ouvriers et employés payaient entre 25 30 % d'impôts. Le taux d’imposition pour la minorité des sociétés, qui sont imposables était de 14 %.
Selon l'Internal Revenue Service, l'évasion fiscale des milliardaires s'élève, par une estimation prudente, à 458 milliards de dollars, autant de recettes publiques perdues chaque année, presque mille milliards de dollars tous les deux ans.
Les plus grandes sociétés américaines ont mis à l'abri plus de 2500 milliards de dollars dans des paradis fiscaux à l'étranger où ils n'ont pas payé d'impôts ou à un taux d'imposition inférieur à 10%.
Pendant ce temps les entreprises US en crise ont reçu plus de 14 400 milliards de dollars (12,800 milliards selon Bloomberg) en argent public de renflouement, venant soit du Trésor américain soit de la Réserve fédérale, la plupart de ces sommes provenant des contribuables qui sont en très grande majorité des ouvriers, des employés et des retraités.
Des banquiers qui ont reçu ces fonds prêtés sans intérêt ou à faible taux et des fonds de sauvetage ont gagné des milliards de dollars de bénéfices, la plupart résultant de saisies hypothécaires des ménages de la classe ouvrière.
Par le biais de décisions juridiques légales et de saisies illégales, les banquiers ont expulsé 9.3 millions de familles. Plus de 20 millions de personnes ont perdu leurs biens, souvent en raison de dettes illégales ou frauduleuses.
Un petit nombre d'escrocs financiers, y compris les cadres de Wall Street des principales banques (Goldman Sachs, J. P. Morgan etc.), ont payé des amendes - mais personne n'est allé en prison pour la fraude gargantuesque qui a poussé des millions d'Américains dans la misère.
Il y a d'autres banquiers escrocs, comme l'actuel secrétaire du Trésor Steve Mnuchin, qui se sont enrichis par des saisies illégales de milliers de propriétés en Californie. Certains ont été poursuivis, tous ont été disculpés, grâce à l'influence de dirigeants politiques démocrates pendant les années Obama.
La Silicon Valley et ses milliardaires innovants ont trouvé de nouvelles façons d'éviter l'impôt en utilisant des paradis fiscaux à l'étranger et des radiations de taxes. Ils augmentent leur richesse et les bénéfices de leurs entreprises en payant leurs travailleurs manuels et de service locaux avec des salaires de misère. Les cadres de la Silicon Valley gagnent mille fois plus que leurs salariés productifs
Les inégalités de classe sont encore renforcées par les divisions ethniques. Des multimillionnaires blancs, chinois et indiens exploitent des latinos des Vietnamiens et des travailleurs philippins.
Les Milliardaires des conglomérats commerciaux, comme Walmart, exploitent les travailleurs en payant des salaires de misère et leur accordent peu d'avantages. Walmart fait $16 milliards de dollars par année de bénéfices en payant ses salariés entre 10 $ et 13 $ l'heure et en s'appuyant sur des aides locales ou fédérales pour fournir des services aux familles de ses travailleurs pauvres par le biais de Medicaid et de bons d'alimentation. Jeff Bezos le ploutocrate d’Amazon exploite ses travailleurs en payant un salaire horaire de 12,50 $ alors qu'il a accumulé plus de 80 milliards de dollars de bénéfices. Le PDG David Albany d’UPS touche 11 millions de dollars par an en exploitant des travailleurs à 11 $ de l'heure. Fred Smith PDG de Federal Express, touche $16 millions par an et ses travailleurs sont payés 11 $ de l'heure.
L'inégalité n'est pas comme les économistes libéraux et conservateurs et les journalistes aiment le prétendre le résultat d’une infériorité en matière de « technologie » et d’« éducation » mais un euphémisme contemporain exprimant le culte de supériorité de la classe dirigeante. Les inégalités sont le résultat de faibles salaires, fondés sur de gros profits financiers, d’escroqueries, d’aides publiques de plusieurs milliers de milliards de dollars à distribuer et plusieurs milliards de dollars de fraude fiscale. La classe dirigeante a maîtrisé la "technologie" de l'exploitation de l'Etat, en pillant le Trésor et celle de l’exploitation de la classe ouvrière. L'exploitation capitaliste des travailleurs de la production à bas salaires fournit des milliards supplémentaires pour les fondations « philanthropiques » des familles de milliardaires qui soignent ainsi leur image publique à l'aide d'un autre truc d'évasion fiscale : les « donations » dont ils tirent gloire
Les travailleurs paient des impôts disproportionnés pour l'éducation, la santé, les services sociaux et publics et les subventions pour les milliardaires.
Les milliardaires de l'industrie de l'armement et des conglomérats de sécurité / mercenaires reçoivent plus de 700 milliards de dollars du budget fédéral, tandis que plus de 100 millions de travailleurs américains manquent de soins de santé adéquats et leurs enfants sont entreposés dans des écoles détériorées.
Travailleurs et employeurs: taux de mortalité
Les Milliardaires les multimillionnaires et leurs familles jouissent d'une vie plus longue et plus saine que leurs travailleurs. Ils n'ont pas besoin de politiques d'assurance santé ou d'hôpitaux publics. Les PDG vivent en moyenne dix ans de plus qu'un travailleur et bénéficient de vingt ans de plus de vies saines et sans maladies graves.
Les cliniques privées réservées ainsi que les meilleurs soins médicaux offrent les traitements les plus avancés et des médicaments sûrs et éprouvés qui permettent aux milliardaires et aux membres de leur famille de vivre plus longtemps et en meilleure santé. La qualité de leurs soins médicaux et les qualifications de leurs fournisseurs médicaux présentent un contraste frappant avec l'apartheid des soins de santé qui caractérise le reste des États-Unis.
Les travailleurs sont traités et maltraités par le système de santé: ils ont un traitement médical inadéquat et souvent marqué par l’incompétence (des prescripteurs), des examens rapides par des assistants médicaux inexpérimentés et finissent par être victimes de la prescription excessive de stupéfiants et d'autres médicaments hautement addictifs. La prescription excessive de stupéfiants par des «fournisseurs» incompétents a grandement contribué à l'augmentation des décès prématurés chez les travailleurs, à la spirale des surdoses d'opiacés, à l'incapacité due à la toxicomanie et à la pauvreté et à la multiplication des sans-abris. Ces pratiques irresponsables ont fait des milliards de dollars supplémentaires de bénéfices pour l'élite des compagnies d'assurance, qui peuvent réduire leurs retraites et leurs obligations en matière de soins de santé lorsque les travailleurs blessés, handicapés ou dépendants abandonnent le système ou meurent.
L'espérance de vie raccourcie pour les travailleurs et les membres de leur famille est célébrée à Wall Street et dans la presse financière. Plus de 560 000 travailleurs ont été tués par les opioïdes entre 1999 et 2015, ce qui a contribué à la baisse de l'espérance de vie des travailleurs en âge de travailler et à la réduction des engagements de retraite de Wall Street et de l'Administration de la sécurité sociale.
Les inégalités sont cumulatives, intergénérationnelles et multisectorielles.
Les familles de milliardaires, leurs enfants et petits-enfants, héritent et investissent des milliards. Ils ont un accès privilégié aux écoles et aux établissements médicaux les plus prestigieux et tombent amoureux de compagnons privilégiés et bien connectés pour rejoindre leur fortune et former des empires financiers encore plus importants. Leur richesse achète une couverture médiatique favorable, voire fainéante, et les services des avocats et des comptables les plus influents pour couvrir leurs escroqueries et l'évasion fiscale.
Les milliardaires embauchent des innovateurs et des directeurs titulaires de MBA pour développer des « ateliers de la sueur », pour trouver d'autres moyens de réduire les salaires, pour augmenter la productivité et pour veiller à ce que les inégalités s'élargissent encore davantage. Les milliardaires ne doivent pas être les personnes les plus brillantes ou les plus innovantes: ces personnes (les innovateurs et les titulaires de MBA) peuvent simplement être achetées ou importées sur le «marché libre» et jetées à volonté.
Les Milliardaires ont racheté ou formé des coentreprises les uns avec les autres, créant des directions entrelacées. Les banques, les services informatiques, les usines, les entrepôts, la nourriture et les appareils électroménagers, les produits pharmaceutiques et les hôpitaux sont directement liés aux élites politiques qui vont et viennent par des nominations rotatives du FMI, à la Banque mondiale, au Trésor, aux banques de Wall Street et aux prestigieux cabinets d'avocats.
Conséquences des inégalités
D'abord et avant tout, les milliardaires et leurs associés politiques, judiciaires et patronaux dominent les partis politiques. Ils désignent les dirigeants et les personnes clés, assurant ainsi que les budgets et les politiques augmentent leurs profits, érodent les avantages sociaux des masses et affaiblissent le pouvoir politique des organisations populaires.
Deuxièmement, le fardeau de la crise économique est transféré aux travailleurs licenciés, puis réembauchés en tant que travailleurs occasionnels à temps partiel. Les sauvetages publics, fournis par le contribuable, sont distribués aux milliardaires en vertu de la doctrine selon laquelle les banques de Wall Street sont trop grandes pour faire faillite et les travailleurs sont trop faibles pour défendre leurs salaires, leurs emplois et leur niveau de vie.
Les milliardaires achètent les élites politiques qui désignent les responsables de la Banque mondiale et du FMI chargés d'instaurer des politiques de gel ou de réduction des salaires et de réduire les bénéfices en privatisant les entreprises publiques et en facilitant la délocalisation des entreprises vers les pays à bas salaires.
En conséquence, les travailleurs salariés sont moins organisés et moins influents; ils travaillent plus longtemps et pour moins de salaire, souffrent d'une plus grande insécurité sur le lieu de travail et de blessures - physiques et mentales - tombent dans la dépression et l'invalidité, sortent du système, meurent plus tôt et plus pauvres et procurent des bénéfices inimaginables à la classe des milliardaires. Même leurs addictions et leurs décès offrent des possibilités de profits énormes, comme l'atteste la famille Sackler, les fabricants d'Oxycontin. (2)
Les milliardaires et leurs acolytes politiques prétendent que des impôts encore plus régressifs augmenteraient les investissements et les emplois. Les données parlent autrement. La majeure partie des bénéfices rapatriés sont utilisés pour racheter des actions afin d'augmenter les dividendes pour les investisseurs; ils ne sont pas investis dans l'économie productive. La baisse des impôts et la hausse des bénéfices des conglomérats se traduisent par davantage de rachats et de sorties plus importantes vers les pays à bas salaires. En termes réels, les impôts représentent déjà moins de la moitié du taux officiel affiché et sont un facteur majeur qui accentue la concentration du revenu et de la puissance - à la fois cause et effet.
Les élites patronales, c’est-à-dire les milliardaires du complexe mondial Silicon Valley-Wall Street sont relativement satisfaites du fait que leurs inégalités chéries soient garanties et se développent sous les présidents démo-républicains - alors que les «périodes fastes » continuent.
Loin de l '«élite milliardaire», les «outsiders» - les capitalistes nationaux - réclament des investissements publics accrus dans les infrastructures pour développer l'économie nationale, abaisser les impôts pour augmenter les profits et les subventions de l'État pour augmenter la formation de la main-d'œuvre tout en réduisant les fonds pour les soins de santé et l'éducation publique. Ils sont inconscients de la contradiction.
En d'autres termes, la classe capitaliste dans son ensemble, globaliste et domestique, poursuit les mêmes politiques régressives, favorisant les inégalités tout en luttant sur les parts des profits.
Cent cinquante millions de contribuables salariés sont exclus des décisions politiques et sociales qui affectent directement leur revenu, leur emploi, leurs taux d'imposition et leur représentation politique.
Ils comprennent, ou du moins ils ressentent, comment fonctionne le système de classe. La plupart des travailleurs connaissent l'injustice des faux accords de libre échange et du régime fiscal régressif, qui pèsent lourd sur la majorité des salariés.
Cependant, l'hostilité et le désespoir des travailleurs sont dirigés contre les «immigrés» et contre les «libéraux» qui ont soutenu l'importation de main d'œuvre peu qualifiée et semi-qualifiée sous le couvert de la «liberté». Cette image «politiquement correcte» de la main-d'œuvre importée couvre une politique qui a permis de réduire les salaires, les avantages sociaux et le niveau de vie des travailleurs américains, qu'ils soient dans l’industrie ou dans les services. Par contre, les riches conservateurs s'opposent à l'immigration sous le couvert de la «loi et de l'ordre» et réduisent les dépenses sociales - malgré le fait qu'ils utilisent tous au service de leurs familles des nounous, des précepteurs, des infirmières, des médecins et des jardiniers importés. Leurs serviteurs peuvent toujours être expulsés quand cela leur convient.
La question pro et anti-immigrés passe à côté de la cause première de l'exploitation économique et de la dégradation sociale de la classe ouvrière - les propriétaires milliardaires opérant en alliance avec l'élite politique.
Afin d'inverser les pratiques fiscales régressives et l'évasion fiscale, le cycle des salaires faibles et les taux de mortalité en forte hausse résultant des stupéfiants et d'autres causes évitables qui profitent aux compagnies d'assurance et aux milliardaires de l’industrie pharmaceutique, des alliances de classe doivent être établies entre travailleurs, étudiants, handicapés, propriétaires saisis, locataires expulsés, endettés , sous-employés et immigrants en tant que force politique unifiée.
Plus souvent dit que fait, mais jamais essayé ! Tout le monde et tout est en jeu: la vie, la santé et le bonheur.
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(1)Note : L’impôt régressif est un impôt dont le taux diminue lorsque le revenu imposable augmente à opposer à l’impôt progressif dont le taux augmente lorsque le revenu imposable augmente. La fiscalité française repose encore, mais pour combien de temps, sur le principe de la progressivité de l’impôt mais l’augmentation de la CSG à taux uniforme est une première grave atteinte à ce principe et la diminution de l’impôt sur la fortune s’inscrit dans une démarche de fiscalité régressive. La France en marche a choisi la régression fiscale.
En France il existe comme aux Etats-Unis nombre de mesures destinées à favoriser le grand capital : les prêts massifs à taux nul d’euros fabriqués par la BCE et les aides aux entreprises sans contreparties sociales. Sans oublier les « niches » fiscales : il y en aurait plus de 400 dans le code général des impôts. A ce propos avez-vous entendu une campagne de masse contre le Code général des impôts qui serait « trop gros » « trop lourd » ; « trop compliqué » ? Non cette campagne n’a visé que le Code du Travail. Le Code général des impôts retouché chaque année par la Loi de Finances est puissamment phagocyté par le grand capital pour aboutir au pâté d’alouette de saison : un cheval pur le Capital, une alouette pour le Travail.
Aux Etats-Unis la réponse à la crise de 2008 a consisté principalement en octroi massif aux banques par la Réserve fédérale de prêts à taux nul ou très faible (dispositif dit de Quantitative Easing renouvelé constamment depuis). La Reserve fédérale a donc fabriqué de la monnaie que les banques ont ensuite prêtée à des taux plus élevés. Une banque qui prête à 4% de l’argent qu’elle a emprunté à 0% gagne presque 4% à ne rien faire. Il ne reste à sa charge que les très modestes frais de gestion pour l’établissement du contrat de prêt, le clic de versement du prêt sur le compte de l’emprunteur et les frais de justice pour poursuivre l’emprunteur défaillant. La fonction de la banque se réduit à rançonner sa clientèle.
(2) Oxycontin : Antalgique opioïde largement diffusé aux Etats-Unis et autorisé en France voir rapport de la Haute autorité pour la santé
https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2012-10/oxycontin_oxynorm_oxynormoro_19092012_avis_ct11678_ct11677_ct8862.pdf