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Réveil Communiste

Aymeric Monville critique Alain Badiou

9 Juin 2008 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Théorie immédiate

Ce texte nous est parvenu par Antoine Lubrina, merci à lui:

Le philosophe et les liquidateurs

Sur De quoi Sarkozy est-il le nom ? d'Alain Badiou

On parle beaucoup, dans les médias, y compris L'Humanité, et jusque dans certaines sections du parti, du dernier livre d'Alain Badiou.

 

C'est un pamphlet qui répond aux lois du genre mais qui ne saurait pallier le manque d'analyse politique. Qualifier Sarkozy d' « homme au rat » en référence à Freud et aux hiérarques du PS qui ont quitté le navire, est tout à fait cocasse. Montrer les points communs de l'idéologie dominante avec celle de Vichy n'est pas sans pertinence. Mais tout cela ne saurait constituer une étude des forces en présence. L'idée d'un front commun contre le Président actuel s'est imposée dans la gauche comme un lieu commun, d'où le succès du livre. Mais l'on devrait se méfier des évidences et des incantations. D'autant qu'une simple comparaison avec un pays proche, nous montre que l'anti-berlusconisme conçu comme alpha et omega du discours oppositionnel a eu pour conséquence de donner un blanc-seing au social-libéralisme italien. A ce compte, la stratégie d'union à tout prix contre la droite s'est soldée par la dilution des partis communistes et un virage à droite de toute la société italienne.

 

L' « hypothèse » communiste

 

        Mais la raison du succès du livre en milieu communiste tient aussi au fait qu'un penseur de l'envergure médiatique de Badiou - intellectuel français le plus lu à l'étranger - revendique le terme de communisme. L'on ne saurait pourtant louer un auteur pour le simple emploi d'un signifiant.

 

D'autant que le communisme selon Badiou se réduit à une « hypothèse », l'« idée pure de l'égalité ». Et notre auteur tient « absolument [à] distinguer cet usage du mot, du sens entièrement usé aujourd'hui, de l'adjectif ‘communiste' dans les expressions comme ‘partis communistes', ‘monde communiste', pour ne rien dire de ‘Etat communiste', qui est un oxymore auquel on a prudemment et logiquement préféré l'obscur syntagme ‘Etat socialiste'[sic]».

 

Et ce constat péremptoire n'est que le prélude à un long réquisitoire digne d'un inventaire à la Prévert : « Le marxisme, le mouvement ouvrier, la démocratie de masse, le léninisme, le Parti du prolétariat, l'Etat socialiste, toutes ces inventions remarquables du XXe siècle [sic], ne nous sont plus réellement utiles. Dans l'ordre de la théorie, elles doivent certes être connues et méditées. Mais dans l'ordre de la politique, elles sont devenues impraticables. »

 

Passons sur la figure imposée, par le ballet médiatique, de l'abjuration du marxisme. Il est savoureux de noter que le « communisme » de Badiou consiste ici à se poser gravement la question de l'utilité du mouvement ouvrier ou du parti du prolétariat pour « nous » (qui est ce « nous » ?) et non pour les ouvriers eux-mêmes. Il est vrai qu'il est en cela parfaitement cohérent avec le gauchisme bourgeois de 68. Ce rapport utilitariste avec le mouvement ouvrier ou la « masse » l'ayant manifestement déçu, Badiou, le héraut de « l'idée pure de l'égalité », peut désormais les jeter comme un kleenex, c'est-à-dire, selon ses propres termes, les cantonner à « l'ordre de la théorie » pour mieux leur retirer désormais le droit à l'expression politique. Ainsi se précise ce « nous » dont parle Badiou : le petit clerc qui joue au philosophe-roi dans la République platonicienne... des lettres.

 

En plus de faire table rase du communisme dans les formes qu'il a pu prendre jusqu'alors, Badiou prétend le réinventer da capo dans la solitude démiurgique du cinquième arrondissement, sous peine de tomber dans le stalinisme ou l'étatisme. Etatisme qu'il traque jusque dans le « crétinisme parlementaire » et les élections « piège à cons » puisque, en bon gauchiste, il conçoit la démocratie formelle non comme le produit imparfait d'un rapport de forces à un stade déterminé de l'évolution historique, mais comme une mascarade pure et simple. On l'aura compris : affranchie du mouvement ouvrier, la révolution doit rester un combat d'idées pures entre universitaires. Il ne reste plus qu'à prendre le maquis, dans la cour intérieure de la rue d'Ulm sans doute. Badiou n'a pas froid aux yeux ; il déclare crânement dans une interview[1] qu'à l'instar de Wittgenstein, le despotisme « ne le gêne pas ». Ajoutons que le ridicule non plus.

 

Jacquerie contre Sarkozy ?

 

Si l'on devait définir Badiou, au sens léniniste et historique, on emploierait le terme de « gauchiste », ce dont il ne se cache pas. Comme Onfray, Negri et tant d'autres, il est l'un des pondus de Deleuze, du nomadisme organisationnel et du spontanéisme antiparti. A quoi il ajoute de solides réflexes de garde rouge montant à l'assaut des cadres - tous pourris évidemment - de la longue marche. Sans oublier sa fascination, typique du petit clerc, pour la violence anti-intellectuelle (cf. son éloge passé des khmers rouges).

 

Mais de quoi Badiou est-il le nom ? D'un monde d'universitaires et de rentiers gradés de la République qui s'achètent une posture révolutionnaire sans se mouiller avec une organisation ouvrière. Histoire connue. Et c'est précisément le sarkozysme ambiant et sa répression sociale qui donne un surcroît de légitimité - et de confort ! - à cette posture qui permet de rester révolutionnaire dans l'idée pure en gardant les mains pures parce qu'on n'a pas de mains.

 

La sarkozysation force les professionnels du discours « oppositionnel » à se radicaliser. Ce discours étant déjà chez Badiou, à l'origine, une « idée pure », une « pure » abstraction, cette radicalisation fait ressortir de façon comique l'écart béant entre le discours et l'action pratique. D'où les rodomontades antiparlementaires sur fond de revival mao.

 

Mais ce qui aujourd'hui est particulièrement déplorable, c'est qu'on fasse un pont d'or à ces « théories » dans le parti et dans L'Humanité. « A la mesure avec laquelle l'esprit se satisfait, on peut mesurer l'étendue de sa perte », disait Hegel. Il ne s'agit pourtant pas là que de paresse intellectuelle, tant il est évident que les thèses de Badiou servent le clan des liquidateurs de notre parti, ceux qui, installés désormais - et c'est un comble - jusqu'au sommet de l'appareil, mijotent un congrès de Tours à l'envers. Il ne s'agit pas simplement de liquider l'organisation léniniste et les principes du Que faire ? dont l'efficacité n'était plus à démontrer. Il s'agit d'en revenir en deçà de Marx. Marx a passé sa vie à penser et à créer l'organisation. Il était membre lui-même de la Ligue des Communistes. Il ne proposait pas de pamphlets dans l'air du temps parés du terme de philosophie, mais l'étude scientifique des réalités concrètes. Or que nous propose-t-on ? Les coopératives de Proudhon ? Les phalanstères de Fourier ? La jacquerie contre Sarkozy ? Pour l'instant, tout ce que l'on constate, c'est que ces théoriciens du communisme du XXIe siècle n'ont d'autres projets que de faire marcher le mouvement ouvrier à quatre pattes.

 

Cette idée du communisme anti-parti n'est pas une théorie de plus dans la grande famille de  la gauche. Ce n'est pas une option possible. C'est la négation même de notre parti, maintenant instillé au sein même de sa direction. Lénine disait à juste titre que le prolétariat n'avait qu'une seule force, son organisation. Après les défaites récentes, il s'agit donc désormais de prendre au prolétariat tout ce qui lui reste. Ce n'est plus le temps des assassins, comme disait Rimbaud, c'est celui des liquidateurs de tranchées.

 

Aymeric Monville

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J
Badiou était l'invité de "Là-bas si j'y suis" sur France Inter cet après-midi. L'analyse d'Aymeric Monville me paraît encore tout à fait pertinente sur le personnage, qui s'est empressé de justifier de n'être pas venu à la Fête de l'Humanité après avoir accepté l'invitation, pour ne pas être assimilé à ce journal, ni à cette forme de communisme du XXe siècle. J'aime bien Daniel Mermet quand il traite des questions sociales, quand il va remuer la merde alors qu'on ne lui a rien demandé ; mais quand il s'occupe de politique, il sombre à chaque fois dans un gauchisme qui ne peut que trouver Badiou, ou d'autres philosophes idéalistes et spéculatifs, sur son chemin.
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G
Aymeric est l'auteur d'un bouquin très intéressant, et polémique, "critique du nietzscheisme de gauche".
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G
Je souscris à une large part de cette critique, mais avec quelques réserves : d'abord, le gauchisme, 68, Deleuze, le maoisme universitaire ne sont pas entièrement réductibles aux critiques qu'en fait Michel Clouscard (critique de "l'idéologie du désir"). Badiou n'est pas très sérieux, mais Sartre non plus ne l'était pas.Ensuite le signifiant, et particulièrement le signifiant "communiste" a de l'importance.Enfin, il faut faire attention à ne pas tomber dans l'illusion qu'une théorie puise être parfaitement cohérente (ou totalement fausse).En somme si des "badioustes" veulent contribuer à la relance du PCF ils sont les bienvenus, et je sais que son livre a reçu un écho favorable de ce coté là aussi.Cela dit , Aymeric a parfaitement raison sur le point fondamental: vouloir séparer le communisme idéal de son application réelle est ridicule, et s'avère au mieux un repli tactique pas très efficace.
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