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Réveil Communiste

Matérialisme historique, article de vulgarisation de Gilles Questiaux, partie 2

3 Mars 2008 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Théorie immédiate

Partie 1 (plan) :reveilcommuniste.over-blog.fr/article-17214322.html

1        Qu’est ce que le matérialisme historique? Tentons d’expliquer clairement ce concept de la philosophie marxiste.



a) l'objet et le sujet du matérialisme historique

        Le matérialisme historique est pour aller vite et pour commencer la théorie marxiste de l’histoire. Mais cette théorie n’est pas développée de manière systématique par Marx lui-même, elle est seulement reconstituable à partir de quelques textes brefs, complétés par des passages d’Engels et de Lénine, et codifiée sous une forme apparemment scientifique par Staline. Les commentateurs de l’école d’Althusser (dans Lire le Capital, 1967) considèrent pour leur part Le Capital  dans son entier comme un exercice pratique de cette science de l’histoire, comme un modèle d’analyse scientifique appliqué. Appliqué à quel objet? A une formation sociale précise qui a existé dans l’espace et le temps, l’Angleterre du milieu du XIXème siècle et ses antécédents du XVIème au XVIII ème siècle; c’est en même temps une analyse historique, sociologique, économique, et aussi la base d’une critique de l’histoire, de la sociologie et de l’économie bourgeoise.
        Une formation sociale, objet de science historique, est une unité historique, géographique, économique et sociologique, une totalité sociale concrète. C'est en quelque sorte pour nous un "pays" où progresse dans ses contradictions une nation dans l'unité d'une époque.

        Elle comporte en grosse approximation trois instances superposées:

        Une base économique, ou un mode de production, par laquelle l’homme se crée lui même dans la lutte contre la nature, c’est en ce sens qu’il faut entendre le «matérialisme». L'homme est une réalité matérielle, historiquement produite.
        Les rapports de production qui lient et opposent les hommes entre eux.
            Et une superstructure qui comprend les idées fausses et/ou déformées que les hommes se font de leur activité: droit, religion, politique, idéologie, art, etc., marquée du sceau de la non-vérité mais qui est nécessaire au fonctionnement de l’ensemble, et qui reflète la vérité des rapports sociaux de manière en quelque sorte indirecte.
        Ces instances sont travaillées par des contradictions dont l’origine est à chercher dans la lutte des classes, même si les conflits humains prennent apparemment le plus souvent d’autres formes qui en sont la traduction dans la superstructure (luttes religieuses, nationales, aujourd’hui « sociétales » etc).
        L’analyse marxiste des sociétés humaines revendique son caractère engagé, qui est lié à la participation des théoriciens marxistes à la lutte des classes: elle représente le point de vue du prolétariat qui est le seul point de vue conscient sur l’histoire, c’est à dire non inversé par l’idéologie, parce que le point de vue du prolétariat révolutionnaire coïncide objectivement avec le point de vue de la science. Ils coïncident parce que l'intérêt de la classe productive exploitée n'est pas de dériver le fruit de l'exploitation, la plus-value, de son coté, mais de supprimer l'exploitation et la nécessaire mystification idéologique qui a pour but de la cacher, d'en faire la dénégation, pour parler comme Freud. Ce qui explique pourquoi le matérialisme historique est en polémique permanente et créatrice avec l’ensemble des sciences humaines.
Il s’oppose aux disciplines bourgeoises de l’histoire, de l’économie, de la sociologie, qui relèvent de l’idéologie, c’est à dire d’une vision inversée de la réalité, vision nécessairement trompeuse mais aussi trompée de la bourgeoisie. Bien entendu, cette critique ayant été formulée par Marx et Engels dès la rédaction de L’Idéologie allemande (1846), et pratiquée largement dans Le Capital, livre 1 (en particulier dans les notes), les sciences humaines bourgeoises ont tenu compte de la leçon, se sont sophistiquées pour récupérer et neutraliser cette critique, tandis qu’inversement le matérialisme historique a pu utiliser leurs contradictions pour s’institutionnaliser. Il existe donc un marxisme universitaire, philosophique, historique, économique, sociologique, etc., ce qui est paradoxal en soi, et dont la réalité et la qualité dépend entièrement du rapport de force mondial dans la lutte de classes. Il s'est en grande partie effondré sur lui-même après la chute de l'URSS.
        Marx a une théorie de l'erreur.
L’idéologie, comme théorie illusoire de la réalité, telle qu'elle est définie dans l’Idéologie allemande, trouve son origine dans la séparation entre travail productif et travail intellectuel : les intellectuels construisent une histoire et une économie qui sont aveugles à leurs propres conditions d’existence, aux conditions matérielles et historiques qui ont permis de les produire (de les former et de les rémunérer) en tant qu’intellectuels séparés du reste de la production sociale, et profiteurs de la plus-value.

         Il y a donc, à grands traits, une fausse histoire (et fausse économie et fausse sociologie) abusée par les intérêts de classe de ses auteurs, et une vraie, le matérialisme historique qui exprime le point de vue du prolétariat. Cette certitude d’être dans la vérité soutient l’action, le courage dans la lutte des communistes, au moins jusqu’à la mort de Staline en 1953. A ce titre il n’y pas à faire le tri entre un “bon” communiste, un résistant ou un anticolonialiste par exemple, et un mauvais communiste, un de ces “staliniens” auteur, et souvent victime lui-même des purges dans les pays européens de l’Est avant 1953, puis gestionnaire inadéquat du “socialisme réel” après cette date.

         La théorie de l’erreur est liée à l'autoritarisme, elle est à double tranchant. Si elle est difficilement réfutable par les idéalistes qu’elle remet à leur place malheureuse de serviteurs intéressés au non-vrai, elle comporte le risque de disqualification trop facile et trop rapide de critiques pertinentes, en fonction du lieu d’où elles proviennent; et dans le contexte de la glaciation stalinienne, c’était devenu un procédé de dénégation : les communistes assimilaient toute critique des réalités soviétiques au point de vue bourgeois qui est structurellement aveuglé même s’il est de bonne foi. Rétrospectivement d’ailleurs, une bonne partie de ces critiques ont été accceptées par l'appareil soviétique  au temps de Gorbatchev (1985/1991) et elles ont montré alors ce qu’elles valaient : absolument rien. Mais les marxistes triomphalistes du milieu du XXème siècle avaient perdus de vue  les leçons réelles de la dialectique hégélienne qui avait inspiré Marx, puis Lénine, le savoir que le faux peut être un moment du vrai. Le matérialisme historique devient donc dans le cadre des États socialistes héritiers de la Révolution d’Octobre une théorie classique, il est mis en forme pédagogique avec beaucoup d’efficacité par Staline, qui rédige Matérialisme historique et matérialisme dialectique en 1937 (date significative des Procès de Moscou et de la Grande Purge qui détruit la vieille garde du parti de Lénine), où il est définit comme “la théorie générale du Parti marxiste léniniste”. C’est pour le dirigeant tout puissant de l’Union Soviétique une science de l’histoire qui se développe sur le modèle des sciences exactes, et surtout celui de la biologie. Le prestige immense de Staline et de l’URSS pour les communistes mais aussi au-delà de leurs rangs pour le vainqueur de Stalingrad assure à cette interprétation une autorité longtemps hors de discussion. J’ajoute que ce prestige n’est pas immérité sur le plan purement théorique. S’il faut certainement dénoncer les abus du système, auquel son nom associé, on n’y parvient pas en transformant Staline en bouc émissaire, par la théorie trop commode et finalement tout à fait « stalinienne » du culte de la personnalité, invoqué par Khrouchtchev après le XXème congrès du PC de l'URSS (1955). Staline définit le matérialisme historique, tel qu’il sera développé de manière orthodoxe dans tous les partis de la Troisième Internationale, donc dans les Partis communistes officiels, dont le PCF et le PCI. Il faut rappeler que les statuts de L’Internationale Communiste obligent les communistes qui soutiennent la révolution Russe de 1917 à s’unifier dans un seul parti, pour des raisons stratégiques. La discussion du matérialisme historique se transforme donc en querelle d’orthodoxie et d’hérésie.
        (Si l’on peut permettre ici une digression à nous qui sommes si facilement traités d'othodoxes, avec l'intolérance dont sont plutôt victimes d'habitude les hérétiques! Ces termes renvoient à la religion, et le marxisme n’est pas une religion. Mais comme il s’agit d’unifier le prolétariat qui en tant que tel ne dispose pas des moyens culturels de la critique (c’est la thèse de Lénine, dans Que faire?, 1902, approfondie par Gramsci dans ses Cahiers de Prison, écrits entre 1936 et 1936), la théorie marxiste mise en pratique repose, comme les religions, sur la confiance des masses envers les intellectuels qui ont produit la théorie. En ce sens, comme il s’agit de théories mises en pratiques, les formes d’organisation religieuse développées par le catholicisme et l’orthodoxie d'Europe orientale anticipent en partie sur les formes d’organisation du parti du prolétariat. Cette homologie partielle explique aussi sans doute le succès comparativement plus élevé des partis communistes dans les masses de tradition catholique, plutôt que protestante)
        Ici nous utilisons surtout des penseurs “orthodoxes”, mais aussi l’éclairage oblique qui provient des “gauchistes” de l’Internationale Communiste des années 1920, ceux qui sont critiqués par Lénine dans “la Maladie infantile du communisme”, et qui sont à la racine d’une tradition marxiste dissidente qui réapparait dans la décennie précédent mai 68 de façon tonitruante dans l’Internationale situationniste.


        b) Les hypothèses de base du matérialisme historique en tant que théorie de l’histoire

 

         L’idée de base du matérialisme historique est sans doute ce qui est de plus universellement connu concernant le marxisme. Il suffit de se rappeler la sentence liminaire du Manifeste du Parti Communiste:
       

Premier principe:

 

« Toute l’histoire jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes »

 

         On doit garder à l’esprit pour interpréter cette phrase que le Manifeste est un texte de combat, publié juste avant le déclenchement de révolutions en cascades dans toute l’Europe, au début de 1848. Il s’agit de revendiquer pour le prolétariat le rôle décisif dans ces révolutions qui s’annoncent, et qui sont pour la plupart encore des mouvements démocratiques, républicains, représentants l'aile radicale de la bourgeoisie européenne. Il y a un aspect performatif dans cette sentence. En décrétant d’entrée de jeu l’universalité de l’action du prolétariat en histoire sans s’attarder à la démontrer, Marx veut dévoiler une vérité mais plus fondamentalement renverser toute l’histoire du monde par une prise de parti, et sauter par dessus la tête du radicalisme bourgeois, dans une éré révolutionnaire nouvelle.

         Y parvient-il? On y reviendra. Mais il faut retenir l’idée que le matérialisme historique n’est pas simplement une idée dont on peut discuter académiquement, mais que c’est surtout une arme dans la lutte sociale.
        Il faut aussi étudier de manière sérieuse de quoi est constituée la culture historique d’un intellectuel libéral des années 1840. Marx n’a pas inventé la Lutte des classes, elle se trouve chez Tocqueville, chez Guizot. C’est un concept développé par la bourgeoisie pour synthétiser son rôle historique, culminant avec la révolution de 1789, dans la lutte contre les groupes privilégiées nobles, clergé, et les restes encore solides du féodalisme sous la monarchie absolue.

 

         Mais le matérialisme historique à aussi d’autres maximes de base, d’autres germes, il faut souvent se contenter de simples allusions infiniment développées par les commentateurs, tel Lucien Sève (Introduction à la philosophie marxiste, 1976), puisqu’il n’existe pas de "philosophie" de Marx où ses principes seraient développés systématiquement.

Deuxième principe:

    A la base du mouvement historique, du progrès historique, il y a aussi la dialectique des modes de production et des forces productives. Pour reprendre l’exemple de la révolution bourgeoise, en France en 1789, le féodalisme finissant et la monarchie absolue qui en est la superstructure politico-juridique s’opposent au progrès du mode de production capitaliste, après l’avoir favorisé en un premier temps.

         C’est la contradiction entre le développement des forces productives (terre, hommes, techniques, ce que les économistes bourgeois appelent en y adjoignant le capital comme s'il était naturel les facteurs de production) et celle des rapports de production (organisation sociale et rapports de classe). L’histoire est donc la succession, entrecoupée de crises provoquées par le développement de leurs contradictions internes, de modes de production qui sont chacun supérieur au précédent.

         Dans cette conception, l’histoire est un progrès, un processus de civilisation cumulatif. Mais qui reste sous l’emprise de la barbarie originelle. En un sens, l’exploitation dans la forme du salairiat est le reliquat concentré de toutes les barbaries du passé (servage, esclavage, etc.). On a souvent pour le discréditer tenté de comparer le marxisme à une sorte de laïcisation de l’espoir religieux où les espérances millénaristes du paradis sur Terre se retrouveraient avec un habillage scientifique. Mais le paradis de Marx, c’est plutôt la civilisation, telle qu’en rêvent les hommes de la Renaissance et des Lumières. Enfin, il faut remarquer que les marxistes (dont Engels) avant le choix anticolonialiste décisif de Lénine, sont divisés sur ce que l’on appelle ingénument le “rôle positif” de la colonisation.
         Dans la Préface de 1859 à la Critique de l’économie politique, Marx décrit ainsi sa conception de l’histoire. Ce texte joue un rôle majeur dans la formation de la tradition “économiste” du marxisme, celle qui veut attendre du murissement des conditions économiques et sociales le renversement du capitalisme. Cette tendance développée unilatéralement dans la social-démocratie allemande d'avant 1914, aboutit au socialisme légaliste de la IIème internationale, celui qui se dégonfle comme une baudruche au moment de la guerre de 1914, et qui donne en bout de course, d’un coté, nos socialistes, et de l’autre coté la dictature du prolétariat en URSS administrée par les méthodes brutales de Staline. Mais la fin d'une théorie n'en indique pas forcément le sens.

 

         Il y a donc deux principes moteurs qui expliquent le récit historique, la lutte des classes, et la dialectique des modes de production et des rapports de production. Staline synthétise avec habilité les deux principes, mais donne quand même la primauté au deuxième. Pour lui, contrairement à Mao, les contradictions de classe de la société sont résolues par l’instauration d’un État socialiste. Ces idées de base sur le « moteur de l’histoire » sont complétées par la théorie de l’idéologie: et la théorie de l’idéologie indique que les hommes font l’histoire mais pas comme ils croient la faire. Ils croient que leurs idées influent sur la réalité historique et sociale alors que c’est l’inverse: leurs idées s’expliquent par leur existence sociale et historique, et agissent en tant que telles..
         L’analyse matérialiste historique d’un moment de l’histoire des idées consistera à débusquer les classes ou les fractions de classe qui se cachent derrière les idéologies laïques ou religieuses, et aussi les “grands hommes “ qui les endossent et les personnifient, par exemple les mandataires réels (et souvent inconscients) du Duc d’Orléans et Napoléon III dans la Lutte des classes en France (1848/1850)  de Marx. Un exemple réussi en son temps de cet usage historien direct du matérialisme historique est “L’histoire populaire de l’Angleterre” de Morton, historien marxiste anglais, publiée en 1938. Mais le recours trop systématique à cette méthode a rebuté bien des historiens. Elle ne doit pas dispenser en effet de recherches concrètes, ne serait ce que pour identifier correctement les groupes sociaux en question.

 

Bientôt sur Réveil Communiste nous essaierons d’approfondir ces quelques éléments de matérialisme historique. GQ

reveilcommuniste.over-blog.fr/article-17510058.html

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