Sur les accusations d'islamophobie ou d'antisémitisme
Judaïsme et Islam sont des religions. Leurs fidèles forment des communautés concrètes et organisées dont les actes ne sont pas au-dessus de la critique.
Des militants progressistes bien intentionnés participent à la tentative de diabolisation de ce qu’ils appellent improprement « islamophobie », et d’autres dans le camp d'en face lancent des accusations d'antisémitisme et des campagnes de dénigrement dignes du Juge Lynch ou de Mac Carthy.
Or il serait étonnant que les seules personnes affranchies de la critique soient les adeptes d'idées religieuses qui datent respectivement de 1400 et 3200 ans.
A ce propos je ne vois pas pourquoi un non-juif verrait avec sympathie l’idée qu’il existe un peuple élu et qu’il n’en fait pas partie, ou pourquoi un non-musulman devrait renoncer à la liberté d’expression sur l’Islam, le Coran, Mahomet, quand il accepte la critique de ses propres croyances.
Juifs et musulmans peuvent accepter ce que la plupart des chrétiens de diverses obédiences ont fini par accepter bon gré mal gré, depuis l’époque des Lumières : que leurs croyances, leurs rituels, leurs interdits et leurs règles vestimentaires et alimentaires que les autres considèrent comme fausses ou inutiles n’ont droit à aucun respect particulier. Il n'est pas souhaitable de les tourner en ridicule pour des raisons d'ordre public - et de savoir vivre élémentaire - mais il n'est pas non plus immoral de le faire.
Le respect dû aux personnes ne s’étend pas au contenu de leur cerveau.
La montée d’une méfiance populaire contre l’Islam provient non seulement de l’image déplorable que les terroristes qui s’en réclament donnent à cette religion, mais aussi de l’impression, fortement étayée par l’actualité depuis plus de trente ans (affaires Rushdie, ou des caricatures de Mahomet) que la plupart de ses fidèles n’acceptent pas facilement la critique, ni externe ni interne. L'oppression colonialiste subie par les pays musulmans explique peut-être ces dérives mais ne les justifie pas.
Le retour de la pratique religieuse, et la restructuration conservatrice des communautés juives ont produit un phénomène similaire. Les juifs sont massivement enrôlés par le biais d’associations communautaristes dans la défense inconditionnelle d’Israël. Les milieux sionistes et fondamentalistes tentent de faire passer pour antisémite toute critique d’Israël, et invoquent de manière déplacée la mémoire de la Shoah pour sanctuariser la politique israélienne. Les persécutions et les atrocités subies par les juifs dans le passé ne peuvent pas être invoquées, elles non plus, pour expliquer et justifier l'occupation la politique d'oppression et de massacre des Palestiniens.
L’amalgame est systématique : ceux qui refusent l'introduction du voile islamique à l’école passent pour racistes, et que ceux qui défendent les Palestiniens passent pour antisémites. Le fait que des racistes anti-arabes et des antisémites endossent aussi respectivement ces positions pour avancer masqués ne change rien à l'affaire, leur expression reste parfaitement légitime, et qu'on les approuve ou non, les assimiler au racisme est un amalgame malhonnête.
Les Occidentaux chrétiens ou athées et les Français parmi eux ne sont certainement pas au-dessus des critiques, mais la plupart de celles qui circulent portent à faux, et sont loin de s’en prendre aux responsables actuels de crimes actuels, par exemple aux politiciens français "socialistes", "républicains" , ou macronistes qui ont soutenu politiquement et armé le terrorisme en Syrie et en Libye.
Elles consistent à imputer à tous les contemporains une sorte de péché originel en tant que descendants supposés des esclavagistes, des colonisateurs, des nazis et autres collabos, alors qu’ils n'en peuvent mais. La transmission de la culpabilité de génération en génération, mais aussi par association des individus aux groupes dont ils sont issus, à tous les cousins et à tous les voisins, est devenue une forme contemporaine de racisme bien tranquille, conservée bien au chaud dans le narcissisme moral gauchiste, ou, à l'autre bord, sioniste. Et à ce titre le « racisme anti-blanc » n’est pas une invention du RN, et il n'est pas pratiqué seulement par des voyous mais aussi par des blancs riches qui se pensent « de gauche » contre des blancs pauvres dépolitisés qui se trouvent ainsi repoussés vers l'extrême droite.
Les amalgames stupides et politiquement suicidaires de la gauche politique signifient que leurs auteurs se complaisent dans la contestation inefficace où ils jouent un rôle qui leur permet d'exister, de passer à la télévision, et parfois de se rémunérer sans trop se fatiguer.
Les juifs et les musulmans ne sont plus des opprimés, et ce sont les soldats de l’Armée Rouge et des guerres d’indépendance qui ont obtenu ce grand résultat historique.
Les révolutionnaires d'aujourd'hui n’ont littéralement rien à gagner à flatter les tendances islamiques obscurantistes qui croissent sur le terrain de la crise du capitalisme. Il n’y a rien à gagner à ménager ici en France des mouvements qui sont organiquement liés aux groupes qui ont été armés par la CIA pour détruire la Syrie, l'Afghanistan, la Libye, l'Irak, l'Iran.
Il n’y a rien à gagner non plus à relayer les accusations d’antisémitisme instrumentalisées contre la gauche radicale, qui cherchent à délégitimer la critique d’Israël, et du sionisme en les faisant passer pour antisémites, et toute critique sociale par dessus le marché. Le terme "sioniste" ne signifie aujourd'hui rien d'autre que "pro-israélien". Et je ne vois pourquoi on ne pourrait pas être contre la politique israélienne et contre les pro-israéliens, juifs ou non. On se demanderait même qui peut encore les soutenir après le massacre impitoyable de 20 000 habitants à Gaza en octobre et novembre 2023 !
Il est significatif que le mouvement sioniste a cherché à faire interdire la campagne internationale de boycott d'Israël pour empêcher toute forme de lutte non-violente contre l'occupation en Palestine. Il estime - calcul risqué - qu'il luttera plus facilement contre un terrorisme désespéré égaré dans l'antisémitisme que contre un mouvement de masse pacifique.
Quant à la France, le capitalisme moderne travaille à y communautariser et racialiser la lutte des classes - les juifs se sont embourgeoisés, et les musulmans sont surreprésentés dans le prolétariat des travailleurs manuels. et rien ne lui est plus agréable que de voir ses protagonistes apparaître dans l'espace public costumés en religieux.
Cela dit, il serait vain de s'engager dans un combat anti-religieux anachronique. La marchandise s'en chargera toute seule. Le véritable "opium du peuple" d'aujourd'hui n'est pas le discours religieux, mais le spectacle marchand. La pensée religieuse politisée et hystérique n'est pas vraiment religieuse, c'est un complément de l’esprit de la publicité, du marketing et de la névrose individualiste de masse qu'ils implantent dans les cerveaux. Le Dieu de nos contemporains, c'est Ikéa. Au titre de la critique de l'aliénation à la marchandise, les communistes peuvent souvent se trouver en accord avec des représentants progressistes des trois religions monothéistes.
Enfin, sur les « théories du complot », il est clair la théorie de la théorie du complot est, elle aussi, une théorie du complot : cette théorie qu'un complot antisémite universel emprunte le masque de la critique du capitalisme.
GQ, août 2013 - novembre 2019, relu le 30 novembre 2023
PS : Ancien titre : "Juifs et musulmans ne sont plus des opprimés ! ". Les passages destinés à justifier cette thèse ont été supprimés pour alléger le texte. Tout le monde le sait ! inutile d'enfoncer des portes ouvertes.