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Réveil Communiste

Pourquoi lire Gramsci maintenant ?

12 Avril 2024 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #GQ, #Théorie immédiate, #Front historique, #Communistes en Italie, #Antonio Gramsci, #Russie, #Chine, #Europe de l'Est, #Cuba, #Viet-Nam, #Mille raisons de regretter l'URSS, #Pérou

 

1) Extraits choisis de la philosophie de Gramsci :

 

Cahier de Prison 11, § 12

"Créer une nouvelle culture ne signifie pas seulement faire individuelle­ment des découvertes « originales », cela signifie aussi et surtout diffuser critique­ment des vérités déjà découvertes, les « socialiser » pour ainsi dire et faire par con­sé­quent qu'elles deviennent des bases d'actions vitales, éléments de coordination et d'ordre intellectuel et moral. Qu'une masse d'hommes soit amenée à penser d'une ma­nière cohérente et unitaire la réalité présente, est un fait « philosophique » bien plus important et original que la découverte faite par un « génie » philosophique d'une nouvelle vérité qui reste le patrimoine de petits groupes intellectuels."

"(...) un mouvement philosophique est-il à considérer comme tel seulement lorsqu'il s'applique à développer une culture spécialisée, destinée à des groupes restreints d'intellectuels ou au contraire n'est-il tel que dans la mesure où, dans le travail d'élaboration d'une pensée supérieure au sens commun et scientifiquement cohérente, il n'oublie jamais de rester en contact avec les « simples » et, bien plus, trouve dans ce contact la source des problèmes à étudier et à résoudre?" .

"(...) il existe réellement des gouvernés et des gouvernants, des dirigeants et des dirigés. Toute la science et l'art politiques se fondent sur ce fait primordial, irréductible (...). Ce fait étant acquis, il faudra voir comment on peut diriger de la manière la plus efficace (une fois définis certains buts) et comment, en conséquence, assurer la meilleure préparation aux dirigeants (c'est plus précisément l'objet de la première section de la science et de l'art politiques) et comment d'autre part, on ap­prend à connaître les lignes de moindre résistance ou lignes rationnelles conduisant à l'obéissance des dirigés et des gouvernés. Dans la formation des dirigeants, ce qui est fondamental, c'est le point de départ : veut-on qu'il y ait toujours des gouvernés et des gouvernants, ou bien veut-on créer les conditions qui permettront que disparaisse la nécessité de cette division ? C'est-à-dire part-on du principe de la division perpétuelle du genre humain ou bien ne voit-on dans cette division qu'un fait historique, répon­dant à certaines conditions ?"

Remarque  : les "certains buts" en question sont le socialisme et le communisme, qu'il lui était interdit de désigner ouvertement dans un document soumis au contrôle carcéral.

 

2) Pourquoi publier des textes de Gramsci sur Réveil Communiste ?

Gramsci fut un ennemi déclaré du jargon philosophique et des obstacles de langage que les autres philosophes dressent volontairement ou non pour soustraire leurs œuvres à la critique des « simples ». On peut le lire directement.

Mais il ne put empêcher que sa pensée souffrît de distorsions, qui quoi qu’on en eût dit, ne sont pas venues du coté de Togliatti et de la direction du Parti communiste italien du vivant de celui-ci, mais plutôt des courants universitaires petits-bourgeois qui crurent pouvoir s’en inspirer en se lançant dans les « études culturelles » des groupes sociaux subalternes, des marginaux de l'histoire, de la culture populaire, tout en abandonnant la perspective révolutionnaire qui en fait l'intérêt.

Autre exemple de malentendu : si Gramsci étudia avec finesse et intelligence, loin de tous les clichés anticléricaux, l’organisation et la politique de l’Église catholique romaine, ce ne fut pas par sympathie tendancielle pour cette institution, ce fut pour lui reprendre ses armes, détourner son expérience d'influence sur les masses, et en déterminer les points faibles pour travailler à la ruine complète de son influence politique en Italie (et dans le monde).

Les textes de Gramsci s’ils sont publiés ne sont pas très accessibles pour autant : l’œuvre de Gramsci est essentiellement composée d’articles de presse, de rapports politiques, de lettres privées ou politiques, de courtes brochures souvent à l’état de brouillons fragmentaires, et enfin des célèbres notes des 33 « Cahiers de Prison » qui contiennent en 2400 pages des milliers de paragraphes brefs (de deux lignes à 20 pages) non classés, sur des sujets divers souvent étroitement liés à la conjoncture politique et culturelle italienne du début du XXème siècle, fort peu connue des lecteurs d'aujourd’hui. La volonté de la part des éditeurs bourgeois de fournir un texte pour les besoins de l’érudition et de l’Université a aggravé ce désordre, puisque les regroupements thématiques de la première édition des Cahiers, sous les auspices du Parti communiste italien, qui étaient pour l’essentiel justifiés et prévus par Gramsci lui-même ont été abandonnés. Publier des extraits choisis sur des blogs permet de rentrer à nouveau directement dans l’œuvre du grand penseur communiste italien.

Ensuite il se trouve que Gramsci traine encore après lui une fausse réputation de gauchiste modéré postmoderne qu’il s’agit de réfuter par l'appel au texte en le dégageant de la gangue des commentaires inspirés par les intellectuels du PCI louvoyant dans la période du "compromis historique" et les gauchistes culturalistes anglo-saxons.  

Loin de mettre de l’eau dans son vin, il représente une tentative de penser la révolution socialiste sur le terrain même des métropoles capitalistes, là où la victoire finale se décidera, une fois constaté que les sociaux-démocrates ont pris l’avantage le plus souvent au sein du mouvement ouvrier des pays industrialisés, et que la révolution n’a triomphé dans une « guerre de mouvement » que dans des pays opprimés, au tout début de leur industrialisation (Russie, Chine, Cuba) ou dans le contexte de la décolonisation et de la libération nationale (Viet-Nam, Yougoslavie, Corée).

Il mène une lutte philosophique en praticien du matérialisme dialectique, qu'il nomme "philosophie de la praxis" pour éviter la censure carcérale, et pour éviter la tentation dogmatique inhérente aux étiquettes, et il lutte contre les déviations de cette théorie vers le matérialisme grossier (tendance manifestée par le manuel pédagogique de Boukharine publié en URSS) ou vers la dialectique idéaliste (tendance manifestée par Benedetto Croce, le pape de la philosophie italienne pendant plus d'un demi siècle, un ex-marxiste devenu mandarin universitaire et intellectuel organique de la bourgeoisie).

Gramsci n’est donc pas le penseur de l’eurocommunisme et du postcommunisme qui en est issu, mais au contraire le penseur machiavélien du Prince moderne, personnifié à son époque ni plus ni moins par Staline. Il nous indique la voie d’une réhabilitation moderne (et non nostalgique) du passé de la révolution dans toutes ses dimensions, qui est indispensable à la bataille culturelle.

C’est aussi le principal théoricien marxiste qui ait réfléchi au fascisme, comme phase la plus crue du capitalisme en crise politique et non comme le phénomène inouï et incompréhensible qui défie la théorie, bien loin des impasses moralisatrices de l’école de Francfort, pour laquelle on ne saurait penser depuis Auschwitz.

Ce n’est pas enlever au mérite des deux fondateurs du marxisme que de constater que leur pensée politique, malgré de fulgurants aperçus, n’est pas à la hauteur de leur pensée économique et même de leurs concepts philosophiques. Gramsci, inspiré par Lénine, et au-delà de lui, est le grand explorateur politique de la culture, de la superstructure, comme champ de bataille de la lutte des classes. Et il pose la nécessité d’utiliser véritablement le marxisme comme science et comme philosophie rationnelle, et non de s'y référer comme fétiche idéologique ou repère électoral-identitaire tribal.

Enfin Gramsci nous apprend à être patients, sans être attentistes ni passifs, dans la longue et déjà séculaire guerre position que nous menons contre le capital.

Pour prolonger la lecture de la sélection en ligne sur Réveil Communiste, on pourra se reporter à une de ses sources (l’anthologie dirigée par André Tosel qui vient d’être rééditée aux Temps des Cerises), mais aussi à la récente et stimulante anthologie commentée publiée par Razmig Keucheyan, aux Édition la Fabrique, intitulée « Guerre de mouvement et guerre de  position ».

Si on veut se reporter directement aux Cahiers de Prison, lire en priorité les cahiers numéro  3, 7, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 19 et 22, numérotation de l'édition complète Einaudi.

GQ, 27 décembre 2014

PS : Des textes choisis par GQ, extraits de l'œuvre de Gramsci sont accessibles dans la rubrique "Antonio Gramsci" dans la barre de menu sur la page d'accueil de Réveil Communiste.

 

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R
"On ne saurait penser depuis Auschwitz" : bel exemple d' européocentrisme béat. Avant Auschwitz on pouvait penser sereinement, à condition bien sûr d' oublier quelques détails de l' histoire, notamment les riches apports occidentaux à l' épanouissement des populations des autres continents.
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L
J'adore la philosophie et franchement je n'avais pas encore entendu parlé de Gramsci.
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G
On va voir si Tsipras est un disciple ... on va le voir très vite !
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G
<br /> Toute présentation de Gramsci comme "antistalinien" relève de la haute fantaisie.<br />
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G
<br /> L'anthologie de Tosel d'où sont extraits les textes de Gramsci publié sur RC est de nouveau en vente, au Temps des Cerises.<br />
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