"Les paysans parcellaires constituent une masse énorme dont les membres vivent tous dans la même situation, mais sans être unis les uns aux autres par des rapports variés. Leur mode de production les isole les uns des autres, au lieu de les amener à des relations réciproques. Cet isolement est encore aggravé par le mauvais état des moyens de communication en France et par la pauvreté des paysans. Leur terrain de production, la parcelle, ne permet, dans la culture, aucune division du travail, aucune utilisation des méthodes scientifiques, par conséquent, aucune diversité du développement, aucune diversité de talents, aucune richesse de rapports sociaux. Chacune des familles paysannes se suffit presque complètement à elle-même, produit directement elle-même la plus grande partie de ce qu’elle consomme et se procure ainsi ses moyens de subsistance bien plus par un échange avec la nature que par un commerce avec la société. La parcelle, le paysan et sa famille ; à côté, une autre parcelle, un autre paysan et une autre famille. Quelques dizaines de ces familles forment un village et quelques dizaines de villages un département.

"Ainsi, la grande masse de la nation française est constituée par une simple addition de grandeurs de même nom, à peu près de la même façon q’un sac rempli de pommes de terre forme un sac de pommes de terre. Dans la mesure où des millions de familles paysannes vivent dans des conditions économiques d’existence qui séparent leur mode de vie, leurs intérêts et leur formation de ceux des autres classes et les font se confronter à ces dernières en ennemies, elles constituent une classe. Mais elles ne constituent pas une classe dans la mesure où il n’existe entre les paysans parcellaires qu’un lien local et où la similitude de leurs intérêts ne crée entre eux aucune communauté, aucune liaison nationale ni aucune organisation politique. C’est pourquoi ils sont incapables de défendre leurs intérêts de classe en leur propre nom, soit par l’intermédiaire d’un Parlement, soit par l’intermédiaire d’une Convention. Ils ne peuvent se représenter eux-mêmes, ils doivent se faire représenter. Leurs représentants doivent en même temps leur apparaître comme leurs maîtres, comme une autorité supérieure, comme une puissance gouvernementale absolue, qui les protège contre les autres classes et leur envoie d’en haut la pluie et le beau temps. L’influence politique des paysans parcellaires trouve, par conséquent, son ultime expression dans la subordination de la société au pouvoir exécutif."

(Karl Marx, Le Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte, traduction revue par Gérard Cornillet, Messidor/Éditions sociales, 1984, extrait du chapitre VII, pages 188 et 189.)

La France d'aujourd'hui est-elle la France des paysans parcellaires ?

Il ne reste preque plus de paysans et sans doute plus du tout de paysans parcellaires tels que Marx les décrit. La nature des activités économiques a changé, avec le développement de l'industrie et des services.

Mais les paysans parcellaires d'aujourd'hui ne sont-ils pas les travailleurs isolés d'une manière ou d'une autre, qui tous pensent que leur situation professionnelle est singulière et qui tous ont peur que cette situation s'aggrave ?

Le deuxième paragraphe du passage que je cite ici me semble ainsi proposer des pistes de réflexion intéressantes pour répondre à tous ceux qui se demandent pourquoi Nicolas Sarkozy a été élu par ceux qui n'avaient pas intérêt à son élection. Il me semble aussi répondre aux "gens de gauches" (et même à certains communistes) qui disent qu'il ne serait plus possible de raisonner en terme de classes, en raison de la trop grande division des travailleurs.

La division des travailleurs n'est pas une chose nouvelle. À nous donc, communistes, de travailler à la construction d'une conscience de classe.

Pommes de terre de tous le pays, unissons-nous !