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Réveil Communiste

Le rôle des classes sociales dans le mode de production capitaliste

17 Avril 2024 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #GQ, #Economie, #Front historique, #Théorie immédiate, #Qu'est-ce que la "gauche"

Le rôle des classes sociales dans le mode de production capitaliste

Question ouverte : quel est le rôle des classes sociales dans le mode de production capitaliste ?

Ce que Marx développe directement sur les classes dans le Capital, dans un chapitre posthume placé par Engels juste à la fin du livre III est fort court … Engels indique par cette position du texte à la toute fin du Capital tel qu’il l’a édité après la mort de l’auteur, et par la mention finale "le manuscrit se termine ici" la nécessité d’une théorie complémentaire sur le sujet.

Pour Marx dans le Capital les classes sociales ne sont pas des notions culturelles ou sociologiques, mais fondamentalement des entités économiques, qui se disputent le grisbi de la plus-value.

Mais bourgeois de la sociologie et capitalistes de l’économie sont-ils exactement les mêmes?

Oui sans doute, mais il y a beaucoup plus de bourgeois que de capitalistes. Les capitalistes hyperactifs, insolents, vertueux et aventureux – oxymore – qui se dévouent à l’accumulation de la plus-value sans jouir de la richesse gagnée et encore moins de leur temps libre ne sont pas légion, voire même relèvent du mythe, mais de toute manière leur destin individuel, et leur but final est d’acquérir la respectabilité des castes oisives, celles qui sont décrites par Marcel Proust à la recherche du temps perdu, dans le paradis blanc des gens qui ne travaillent pas, des artistes, des esthètes, des princes et des princesses. Si ce n’est pour eux, au moins pour leurs enfants, au moins jusqu’à la septième génération.

Or l’économie politique classique d’Adam Smith, des physiocrates français, de Ricardo, définit son objet comme la recherche des lois qui expliquent la distribution des richesses produites parmi les trois classes fondamentales : travailleurs, fermiers-entrepreneurs et rentiers. Mais la seconde classe qu’il s’agissait de promouvoir à l’époque de l’âge d’or de cette science (1750 à 1850) a vite fait défection pour se rallier à la troisième - contrairement à l’idée communément admise, et les rentiers se portent très bien après un moment d’angoisse au milieu du XXème siècle quand Keynes évoquait sardoniquement le moment venu du "génocide des rentiers" provoqué par l'inflation.

Marx contribuait à cette école de pensée par la théorie de l’exploitation du travail salarié pour expliquer la génération de la plus-value, en prenant comme cadre théorique l’hypothèse du libre jeu des forces du marché du travail, pour expliquer sur le terrain de l’adversaire pourquoi le travailleur qui produit toute la valeur en revient comme il dit, "la peau tannée". Mais si les travailleurs produisent gratuitement les biens nécessaires à la vie de luxe des oisifs, ils sont contraint de le faire en dernière analyse non par le marché, mais par la répression. Non par la bourgeoisie, mais par les rentiers dont l'exercice de la répression est une des fonctions sociales, avec la diplomatie, la guerre et la justice.

L’analyse économique du circuit du capital et de la production de plus-value semble cependant chez lui indépendante de la sociologie de la classe capitaliste. Les capitalistes sont des individus, et la nature des liens qu’ils entretiennent entre eux et de leur esprit de corps qui constitue l’essence même d’une classe sociale ne s’en déduit pas. Il semble que leur concurrence mutuelle acharnée – guerre de tous contre tous - ne peut que donner naissance au Léviathan nécessaire pour les mettre au pas dans leur propre intérêt, l’État de la monarchie absolue imaginé par Hobbes, puis l’État bourgeois de moins en moins minimal et de plus en plus militarisé des siècles suivants. Ce monstre redoutable est animé par les classes politiques, constituées d’aristocrates héritiers de noms prestigieux, et de rentiers retirés des affaires qui disposent de tout leur temps pour le service et pour l’intrigue.

Il faut remarquer que quand Marx théorise les classes sociales, dans le Manifeste du parti communiste ou dans le Dix-Huit Brumaire de Louis Bonaparte, il décrypte leur rôle politique plutôt que leur rôle économique.

La bourgeoisie revêt une forte identité révolutionnaire – porteuse qu’elle est de l’idéologie des droits de l’homme - lorsqu’elle est une force montante contre les classes aristocratiques mais elle la perd assez rapidement dès qu’elle s’assure une participation au pouvoir suffisante pour l’expansion continue de ses affaires, à l’issue d’un compromis avec ces groupes sociaux qui lui fournissent ses alliances matrimoniales, ses généraux, ses amiraux, ses diplomates, une bonne part de ses ministres, et il ne subsiste une frange radicale de la bourgeoisie – sa gauche - que dans les pays catholiques et latins où la structure de l’État ne leur laisse pas assez d’espace de promotion. Gramsci dans les Cahiers de Prison observe avec beaucoup de précision cet avortement de la révolution bourgeoise en Italie, à travers la récupération du Risorgimento – le mouvement national d’unification de l’Italie - par la monarchie savoyarde, au cours du XIXème siècle, qui rejette la petite bourgeoisie dans le radicalisme politique de tendance anarchiste.

Paradoxalement c’est l’écrasement de la classe ouvrière à l’issue de la Commune de Paris de 1871 qui rend un espace politique en France au radicalisme bourgeois et anticlérical, ce qui explique qu'on ait pris au sérieux si longtemps « la gauche » dans ce pays.

Mais quel est effectivement le rôle des classes sociales dans le fonctionnement du système économique capitaliste, comment leur pérennité et leur renforcement qui contredisent à l’individualisme économique, postulat central de l’idéologie dominante jusqu’à nos jours, consolident-elles et préservent-elles le capitalisme ? En quoi leur maintien paradoxal, à l'encontre de l’idéologie bourgeoise démocratique de l’égalité des chances est-elle nécessaire au fonctionnement économique du capitalisme ?

Une fois que les capitalistes ont bien bataillé entre eux pour obtenir la plus grande « part de marché », des mécanismes discrets d’égalisation de la plus value se mettent en place à l’intérieur même de la bourgeoisie, et de partage avec les rentiers. Ces mécanismes claniques et non-marchands rendent d’ailleurs superflus une bonne partie des questionnements économistes complexes sur l’égalisation des taux de profit entre branches économiques. Les capitalistes au fond sont de braves gens et ils rechignent à laisser tomber dans la mouise les confrères qui sont souvent leurs beaux-frères.

La deuxième moitié du XIXème siècle montre partout en Europe – sauf en France - l’évaporation politique de la bourgeoisie, concomitante avec son triomphe économique. Tandis qu’aux États-Unis initialement dépourvus de rentiers de la terre se mettait en place une néo-aristocratie, l’establishment politique qui continue à gouverner ce pays. Là-bas, c’est la droite libertarienne et isolationniste et non la gauche qui représente la frustration politique de la bourgeoisie moyenne en mal d’ascension, bloquée par cette nouvelle caste politique et intellectuelle juchée sur l’épais matelas financier assuré par l’émission apparemment sans limite de titres pourris et de monnaie de singe, qui est issue de la fusion des barons voleurs de la Belle Époque tels Vanderbilt, Rockefeller ou Carnegie, les monopolistes voyous, de Wall Street, et de l’Ivy League, les universités prestigieuses de la Côte Est, au début du XXème siècle.

Il faut aussi remarquer que les individus capitalistes figurés par la théorie, motivés par l’ambition de la réussite individuelle et en compétition acharnée entre eux, sont en réalité organisés dans des réseaux solidaires onéreux qui sont très souvent des réseaux religieux (ici, juifs, protestants, catholiques), ou qui imitent ces réseaux, comme les francs-maçons, ou à l’occasion les trotskystes, qui leur assurent relations, information, sécurité, crédit, et respectabilité. Si l’homme est un loup pour l’homme, il chasse en meute.

Adam Smith note dans la Richesse des Nations en 1776 que les capitalistes se coalisent pour empêcher la hausse des salaires bien plus souvent et plus résolument que les ouvriers le font pour les pousser à la hausse, mais que cela passe bien injustement inaperçu. Un pas de plus le vieil Adam en venait à la critique des médias ! Ricardo en vient quant à lui vers 1820 à soutenir que le travail est le seul facteur de la création de valeur et on peut dire que toute l’histoire de la science économique depuis – et notamment l’économie néo-classique marginaliste qui se développe après 1870 est une réaction résolue contre cette thèse qui fait la part belle aux revendications des ouvriers.

Chez Marx mais aussi chez Adam Smith et Ricardo il y a donc trois classes fondamentales définies par l’origine du revenu dont elles tirent leur subsistance : l’aristocratie qui vit de la rente de la terre – et par extension d’autres rentes qui sont en dernière analyse des rentes garanties par l'État, imposées par la loi et par la puissance publique, la bourgeoisie de l’industrie ou de la boutique qui vit du profit, et les ouvriers des villes et des champs, des manufactures, des mines et des voiliers, qui vivent de leurs salaires.

Il existe aussi à leur époque comme à la nôtre d’autres classes qui sont en fait majoritaires dans la population : les paysans maitres de leur exploitation qui vivaient en partie en autosuffisance au niveau du village ou du canton autour d’un marché local, qui servaient de réserve démographique pour la guerre, le travail, et l’émigration, et qui se faisaient rançonner sur place par les hobereaux, et les domestiques - qui sont plus nombreux en Grande Bretagne que les ouvriers à l'époque de la rédaction du Capital et qui sont encore les seuls porte-paroles du peuple dans la comédie classique, et auxquels il faut assimiler la foule des petits métiers de la plèbe urbaine. Y ajouter les clercs, c’est à dire intellectuels (profs, artistes, savants, médecins, juristes, journalistes, curés, courtisanes, etc.) au sens large, qu'ils soient fonctionnaires ou à leur compte.

Mais la lutte réelle se déroule toujours entre les trois classes fondamentales de l’économie politique, pour l’extorsion puis le partage de la plus-value, et les autres groupes sociaux penchent tantôt d’un coté, tantôt de l’autre. Assez rarement du coté des travailleurs en fait, mais de manière spectaculaire lorsque la pression soviétique sur le monde capitaliste a fait pencher la balance de leur coté entre 1945 et 1975.

Les classes sociales et l’appartenance aux classes sociales étaient une évidence du vécu quotidien jusqu’au milieu du XXème siècle, qui a été depuis lors brouillée par la consommation de masse, la mode, et dont la perception s’est même inversée, l’esthétique du jean troué - et l’idéologie gauchiste - ou écologiste - devenant un marqueur bourgeois.

Le rôle de l’idéologie française depuis un siècle est de brouiller la conscience de classe. L’éducation au rabais pour tous et les spectacles de divertissement de masse l'ont considérablement dégradée – sans augmenter ni culture ni intelligence, ni même adaptabilité au marché du travail. Et occupent les esprits jusqu’à saturation. Mais les plus aliénés sont encore ceux qui ont étudié le plus longtemps dans ce palais de nuées et d’illusion. La bonne nouvelle du jour, c'est que les classes dirigeantes se sont auto-crétinisées.

Le collectivisme interne des classes dominantes offre un démenti pratique quotidien de la philosophie de l’individualisme de masse, mais il reste dissimulé : entraide, échanges immatériels, placements, opportunités, endogamie, et contrôle strict des « hommes nouveaux » lesquels réapparaissent tout au long de l’histoire, dans tous les types de société. La mobilité sociale tant vantée a toujours existé et dans tous les modes de production pour apporter le sang neuf aux groupes dirigeants. Loin d’atténuer la structuration des classes la mobilité entre les classes les transforme en objet de désir, idéal fantasmatique, référence immuable et éternelle de la culture.

Le maintien et le renforcement des classes est la principale contradiction du capitalisme, son irrationalité fondamentale, qui l’éloigne tous des jours davantage de l’intelligence du réel.

On peut parier sans risque de se tromper que cette faille majeure va jouer à nouveau, et bientôt, mais comme pour les séismes géologiques sans non plus qu'on puisse prévoir précisément quand et où se produira la secousse et la rupture.

GQ, 8 octobre 2023, relu le 26 mars 2024

 

 

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L
Bonjour.<br /> <br /> Article intéressant. <br /> <br /> Le rôle des institutions, des réseaux est très important pour la Bourgeoisie. C’est l’endroit où l’on se lèche le cul mutuellement pour être au courant des affaires à venir. Essentiel pour poursuivre l’accumulation du capital.<br /> C’est dans ces réseaux que sont accueillis, ou rejetés si ils ne sont pas dociles, les nouveaux venus.<br /> La solidarité des affaires fait la solidarité de classe.<br /> <br /> Pour ce qui concerne les luttes des nations et celle des classes, elles vont être confondues à mon avis dans la période courante. Aucune organisation de classes autre que celle de la Bourgeoisie n’étant réellement significative. <br /> Il y aura probablement des situations locales, nationales, en écart par rapport à cette tendance. Au cœur de l’hégémon sans doute comme l’illustre les luttes en Grande Bretagne et les tensions aux USA.<br /> Le succès de cette vidéo est certainement significatif https://www.youtube.com/watch?v=ZiZeA45heag<br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> Luc Laforets<br /> www.1P6R.org
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