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Réveil Communiste

Comment l'Empire perçoit-il son tribut? (2/2)

28 Avril 2024 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Théorie immédiate, #Economie, #États-Unis, #L'Europe impérialiste et capitaliste, #GQ

Comment l'Empire perçoit-il son tribut? (2/2)

Lien à l'article précédent 1/2 : Comment l'Empire perçoit--il le tribut qu'il exige du reste du monde?

Nous vivons dans un empire, mais un empire sans empereur, comme l’était l’empire de la République romaine avant Jules César, qui est le modèle politique - inadéquat- qui fut choisi et détourné par les révolutions bourgeoises française et américaine à la fin du XVIIIème siècle.

Alors qui commande ? Où gît la « gouvernance » ? Les groupes dirigeants coalisés, disparates ou même antagoniques qui mènent la danse forment une longue liste qu’il est inutile d’énumérer, tout le monde les connaît ! Mais les idées conscientes, les arguments formulés dans les débats contradictoires de la politique-spectacle et les objectifs assumés dans cette couche dirigeante mondiale sont seconds, et secondaires, par rapport aux effets de l’infrastructure économique.

L’Empire fonctionne en effet principalement par l’inertie du mode de production, sans que ses "élites" n’aient véritablement besoin de se faire une idée cohérente et cynique de leurs besoins – à l’exception dans une certaine mesure du courant néo-conservateur et belliciste, qui est composé de « marxistes inversés » - des intellectuels conservateurs influencés par le trotskysme, dont ils retournent les concepts dans le sens de l’intérêt du capital. Le monde capitaliste peut donc être gouverné par des gens qui ne le comprennent pas, et qui ne comprennent pas ce qu’ils font véritablement. Ils peuvent continuer à se promener nus, sans que personne ne s'étonne, en parlant du « droit d’Israël à se défendre », de la guerre en Ukraine comme « une invasion russe non-provoquée », et à présenter toutes leurs interventions dans le Sud (à Haïti, pour prendre l’exemple le plus cynique) comme une aide désintéressée et une responsabilité de protéger des populations mal gouvernées ou tyrannisées par des barbares locaux.

Il s’agit d’un effet massif de la structure économique du monde globalisé qui peut continuer sur sa lancée un certain temps sans être délibérément dirigé dans ce but, et qui sera remis sur les rails de temps en temps si besoin est par les interventions violentes des groupes dirigeants de l’Empire, toujours au nom des grands principes de la civilisation : démocratie, tolérance, droits de l’homme, droits des femmes, LGTB, etc. Mais en pratique les économies des pays métropolitains sont spécialisées dans les biens immatériels et il peut se passer pas mal de temps avant qu’on réalise ou qu’on ose exprimer que de ces biens, on peut très bien se passer !

Les procédés légaux des ayant-droits de l’Empire pour extraire de la rente du reste du monde, en toute légalité, sont bien connus : il s’agit essentiellement de la perception de revenus intellectuels, par les droits sur les brevets , les droits industriels et les droits artistiques liés eux-mêmes à la diffusion planétaire du modèle de civilisation, et de commissions opaques pour les multiples services artificiellement créés dans la gestion de ces droits – et ces procédés sont renforcés par le racket juridique et les mesures de protection dont jouissent les monopoles anglo-saxons. Faut-il rappeler que droits intellectuels , artistiques, brevets, etc sont des inventions de la bourgeoisie de 1789. Caractéristiques du mode de production capitaliste, ils sont encore acceptés partout bien qu’ils soient en contradiction évidente avec le développement des nouvelles forces productives qui tendent à la mise en commun illimitée et maximale de toutes les informations. Déjà, ils n’étaient pas honorés en URSS, pas plus que les traités secrets et la dette contractées sous l’ancien régime des Romanov, et ils seront abolis à la prochaine révolution digne de ce nom qui aura lieu dans un ou plusieurs grand pays !

On mesure l’importance de cet échange imaginaire en vraie grandeur, par l’effet des sanctions décrétées contre la Russie après la récupération de la Crimée en 2014 et l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022. D’après Alexander Mercouris et Robert Hudson (voir leur débat sur cette question dans cette video en anglais) il n’a pas été du tout celui qui était attendu par ceux qui les ont décidées, à savoir de paralyser ou au moins d’asphyxier peu à peu l’économie de la Russie : en effet, en gelant les avoirs russes, on a provoqué en retour le gel de toutes les rentes dues dans ce pays, par ses entreprises et ses particuliers, sous forme de droits intellectuels ou artistiques, ou de services financiers, ce qui a créé comme par magie – à la grande surprise des responsables de l’économie russe, biberonnés au libéralisme depuis l’époque de la Pérestroïka - un nouveau capital national immédiatement disponible pour l’investissement local, alors que le capital saisi à l'étranger avait de toute manière vocation à y rester et était déjà perdu pour cet emploi, un capital tombant à pic pour lancer les productions de substitution nécessaires pour annuler les effets matériels de ces sanctions. L’Occident, par manque de lucidité sur son propre fonctionnement a donc saisi en quelque sorte son propre tribut, comme il a sanctionné ses propres agents en spoliant les oligarques russes.

Parmi ces services dont l’utilité réelle est difficile à estimer mais qui sont certainement surévalués il y a ceux qui sont fournis par la spécialisation financière, les assurances, la thésaurisation et l’accumulation des richesses du monde dans les sièges métropolitains, et de ses trésors matériels (métaux et pierres précieuses, œuvres d'art, collections, etc) et par la bulle immobilière métropolitaine et touristique. La spéculation boursière alimentée par la planche à billets aspire le capital vers le secteur financier. Et ses centres mondiaux (New York et Londres principalement, et leurs extensions offshore). Cette spécialisation permet de procéder comme si de rien n’était et sans même en avoir claire conscience à l’émission continue du papier de la dette indéfiniment croissante de l'Empire.

La structure du territoire mondial tel qu’il a été modelé par cinq siècles d’impérialisme joue aussi son rôle dans l’inertie économique favorable à la perpétuation de l’ordre inégal tel qu’il est encore . Il est consolidé par le stockage des chefs-d'œuvres universels dans les musées de l'Occident devant lesquels viennent se recueillir en procession les touristes du monde entier, et par le contrôle du récit historique global, qui produisent une forme d’allégeance automatique, et un complexe d’infériorité plus ou moins apparent ou paradoxal – s’exprimant par un ressentiment improductif - chez les descendants des colonisés. Et aussi par le contrôle d’espaces de villégiature situés parfois dans le Sud mais voués à la recréation des résidents du Nord, qui se développent en paradis fiscaux et financiers. Et enfin par la structure spatiale des réseaux de communication et de transport qui font des territoires de l’Occident des passages et des escales obligées (ainsi parmi les quelques opérateurs du commerce maritime ont trouvera un danois et un français, malgré le peu d'importance du trafic de ces deux pays, et ses assureurs sont anglais).

Le tissage de liaisons matérielles et logicielles Sud-Sud ou Est-Sud travaille mécaniquement au déclassement de l’Empire, ainsi que le rattrapage de l’éducation, de la formation technique et de la recherche. La situation de l’Empire qui commence à perdre son élan est désespérée, il commence à le comprendre, et la dernière solution qui est maintenant envisagée pour maintenir le clivage Nord-Sud qui remonte à Christophe Colomb est la guerre directe et la production organisée du chaos en Russie et en Chine, comme cela a été fait au Moyen-Orient et en Afrique, malgré le risque d’annihilation nucléaire de toutes les parties.

L’époque que nous vivons, qui peut s’étendre sur une ou deux décennies, est intéressante, mais dangereuse. Dangereuse, mais pleine de promesses pour peu que le prolétariat mondial se réveille et se mette lui aussi à comprendre son enjeu fatidique. Car le capitalisme se développe inévitablement en impérialisme : le capitalisme, fondé en théorie sur la libre initiative de tous les individus dans la poursuite du bonheur, est en pratique réglé par la concurrence de tous les capitalistes pour obtenir le taux de profit maximum, ce qui le conduit inexorablement à développer les stratégies de constitution de rente monopolistique, sous la protection des États qui sont passés peu à peu, tout aussi nécessairement, sous le contrôle de l'oligarchie et de la finance. L'État "veilleur de nuit" des libéraux se transforme au grand dam de l'utopie du vieil Adam Smith en État impérial militariste et mondial, et le socialisme qui en sera la négation mais aussi l'accomplissement et le dépassement, qu'il s'agisse du socialisme d'économie planifiée, ou du socialisme de marché, peu importe, ne pourra pas triompher de cette tendance lourde sans intervention des masses.

Le socialisme à l'échelle mondiale sera atteint à l’issue d’une longue marche, décrite dans un long volume, de l’histoire de longue durée. Le but s’approche de nouveau, mais s'il est manqué il est à craindre que les contradictions du capitalisme impérialiste conduisent l'humanité à sa destruction.

 

GQ, 13 avril 2024

 

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L
A propos de la question de la dette, il y a donc là une "pirouette" qui escamote le fond du problème, tel qu'abordé avec l'épisode 1 de cette brève étude:<br /> <br /> Exporter la dette, c’est encore et toujours de l’impérialisme ??? Oui, en un sens, mais lequel ? Dans son célèbre petit bouquin, Lénine prend précisément le soin de distinguer « l’impérialisme, stade suprême du capitalisme » de l’impérialisme au sens « romain » du terme, qui concerne essentiellement la conquête territoriale. Et la différence, c’est précisément le capitalisme, en tant que mode de production, basé sur l’investissement et l’élargissement des capitaux productif, et non sur la seule extension territoriale, et encore moins, sur la dette !<br /> <br /> Dominer des pays par la dette, c’est effectivement un moyen de prendre le contrôle de leur économie et de leurs ressources, mais dans la mesure où cela participe à l’élargissement de la dette mondiale, publique et privée, et non pas à l’élargissement du capital total « investi », en fait, déjà de la dette, cela ne peut donc plus être appelé « capitalisme » !!!<br /> <br /> Mais il n’est pas complètement faux, donc, de parler d’une forme d’impérialisme banco-centraliste : simplement, il faut absolument éviter la confusion, et en l’état actuel, il est donc plus approprié de parler de « mondialisme banco-centraliste » et/ou « d’hégémonie banco-centraliste », tout en expliquant bien que l’on est encore dans une phase de transition, durant laquelle diverses formes de capitalisme survivent, dont, et fort heureusement, vu le rapport de forces sociales actuel, le capitalisme « national » russe, même si avec ses tares bureaucratiques « héréditaires », en quelque sorte.<br /> <br /> L’hégémonie banco-centraliste ne sera vraiment accomplie qu’avec la généralisation des Monnaies Numériques de Banque Centrales, actuellement en cours d’expérimentation, déjà bien avancée…<br /> <br /> Pour aborder la compréhension de cette « transition » :<br /> <br /> Fini 2023, baptême de 2024 : deux gouttes d’eau ou deux gouttes de sang ?<br /> <br /> http://cieldefrance.eklablog.com/fini-2023-bapteme-de-2024-deux-gouttes-d-eau-ou-deux-gouttes-de-sang-a215224737<br /> <br /> Luniterre
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