Peut-on dire : "l'exploitation des travailleurs est un vol" ? (petit essai de vulgarisation)
25 Août 2024 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Théorie immédiate, #Economie, #GQ, #Mille raisons de regretter l'URSS, #classe ouvrière
L’extraction de la plus-value peut-elle être assimilée à un vol ? Ou encore : le travail peut-il être payé à sa valeur ?
Il y a une distinction marxiste fondamentale à faire entre travail et force de travail : c’est cette dernière qui est la marchandise vendue sur le marché par le travailleur salarié, et non le travail lui-même : c’est logique, ce qui fixe la valeur des marchandises ne peut pas en être soi-même une.
Ce point de vue théorique, qui a été conçu avant l’époque impérialiste capitaliste et avant l’expérience réelle de sociétés socialistes, fait abstraction pour les besoins du raisonnement, et pour pouvoir critiquer les économistes bourgeois sur leur propre terrain, des situations particulières très nombreuses où effectivement, le travail n’est pas payé à sa valeur. Et si le capitalisme n’est plus capable aujourd'hui d’assurer le renouvellement de la population travailleuse des pays (dés-)industrialisés, c’est sans doute, effectivement, qu’il a pris l’habitude de la payer en dessous de sa valeur.
Mais pour des raisons politiques les États du socialisme réel (URSS, RDA, etc.) ont effectivement dérivé dans le cours de leur gestion vers l’amalgame entre travail et force de travail, ce qui a abouti à rémunérer les travailleurs pour leur présence et non pour leur travail effectif. Marx ne pense pas que la relation salariale implique de ne payer le travail qu’à une fraction de sa valeur réelle, ce qu'il pense, c'est que la force de travail est la seule marchandise qui peut créer de la valeur : elle crée sa valeur de remplacement, qui lui est payée , et la plus value, qui est appropriée par le détenteur du capital. La force de travail est payée à sa valeur d'échange, qui est précisément la valeur d’échange des subsistances nécessaires pour la renouveler. Et si le capitaliste devait payer au travailleur toute la valeur du produit de son travail, c'est à dire sa valeur d'usage pour son acheteur, il n’y aurait pas de capitalisme du tout : pourquoi le capitaliste se donnerait-il la peine de se priver de la jouissance immédiate de sa richesse pour verser des salaires? Ce serait le cas de chanter "merci patron", pour le coup !
La lutte des classes et la hausse des salaires qu’elle peut procurer pousse le capital à remplacer le travail par des machines, à recourir à des innovations, et de ce fait accélère la dialectique des forces productives et des modes de production qui conduira à remplacer le capitalisme par le socialisme. Marx, dans le Capital (volume 1) , consacre des développements très étendus à la question de la lutte ouvrière pour la limitation de la journée de travail, et à ses liens avec l’introduction de nouvelles machines.
Marx considérait la distinction entre travail et force de travail comme sa principale contribution dans le domaine de l’économie politique classique, pour résoudre le mystère de la plus-value qui irritait tant les économistes de la génération précédente (lui seul peut expliquer d’où vient la création de richesse s’il n’existe sur le marché comme que des échanges de marchandises de valeurs équivalentes).
Si on ne fait pas cette distinction, le profit devient un simple vol et la critique de l’exploitation se transforme en une enquête policière pour confondre le voleur. L’exploitation n’est plus une nécessité historique pour le développement des forces productives, qu’il faut traverser pour pouvoir la surmonter, mais un peu comme chez Jean-Jacques Rousseau, un scandale originel. Le communisme aurait pu et dû être instauré dès le Néolithique et le long développement historique en spirale ascendante du communisme primitif au communisme conscient de soi n’aurait été littéralement qu’une perte de temps. Aucun besoin de la théorie de Karl Marx, Gracchus Babeuf suffit.
Dans le socialisme, le surplus physique, ou la plus value, calculée en monnaie, ou en temps de travail, servent à financer la production de biens de production, et aucune partie n’est détournée pour entretenir des classes oisives. Mais il y a en effet un surplus et donc une « exploitation » du travail, non au profit de rentiers, mais des générations futures. Si on considère que dans le mode de production socialiste le travail ne doit pas produire de plus-value, on le condamne à la stagnation.
Paul Cockshott dans son Histoire du travail de la préhistoire au XXIème siècle (2017) (note de lecture) considère que les États socialistes auraient dû rémunérer les travailleurs à hauteur de la valeur produite, puis leur prélever par l’impôt direct sur le revenu une sorte de surplus global pour l’investissement net. Il reconnaît cependant qu’une véritable révolution culturelle serait nécessaire pour parvenir à faire accepter une telle contribution. Cette solution aurait de plus l’inconvénient de prêter le flanc à la critique anarchiste de l’État qui sera présenté comme un nouvel exploiteur pire que les précédents par les proudhoniens de toujours, les porte-paroles de la petite-bourgeoisie d’extrême-gauche : c’était bien l’essentiel de la critique anti-bolchevique prétendument de gauche, celle dont George Orwell est le prophète, dès que l’Union soviétique eût réussi à s’extraire de la guerre civile.
On ne peut donc pas assimiler l’exploitation au vol, et si elle est condamnable moralement, elle est parfaitement légale, et sanctuarisée par le droit. Par contre le transfert de la majeure partie de la plus-value vers le secteur improductif, ou dans le cadre de l’organisation impérialiste du monde, de la périphérie néo-coloniale vers le centre métropolitain occidental ressemble beaucoup à du racket ou à du pillage. Les bourgeois exploitent les travailleurs, et se volent entre eux, et l’extorsion que subissent les producteurs capitalistes de la part des improductifs les porte à aggraver en retour l’exploitation du prolétariat dans le monde - et à le payer en dessous de la valeur de sa force de travail.
Si on voulait vraiment créer un jour un revenu universel, il faudrait bien entendu obtenir l'accord de la bourgeoisie métropolitaine pour partager un peu de la plus-value extorquée dans les pays périphériques, et considérant l'évolution accélérée vers un monde multipolaire, ça risque d'être difficile : elle ne produit plus que de la monnaie et de l'idéologie et elle n'en aura bientôt plus à partager.
GQ, 16 avril 2023, relu le 31 juillet 2024
Réveil Communiste :
Réveil Communiste est animé depuis 2010 par Gilles Questiaux (GQ), né en 1958 à Neuilly sur Seine, professeur d'histoire de l'enseignement secondaire en Seine Saint-Denis de 1990 à 2020, membre du PCF et du SNES. Les opinions exprimées dans le blog n'engagent pas ces deux organisations.
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