La contradiction de la mobilité sociale sous le capitalisme
12 Mai 2024 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Théorie immédiate, #classe ouvrière, #Front historique, #Economie, #GQ
Les contradictions de l'idéologie bourgeoise de la mobilité sociale
Une classe sociale est une catégorie consciente de soi dont les éléments sont des familles, et non des individus, qui regroupent plusieurs générations et dont l'objectif inconscient ou non est de se reproduire sur un nombre indéfini de générations. Une bonne partie des dépenses de consommation des individus sert en fait uniquement à affirmer leur appartenance de classe, et à assurer que leurs enfants parviennent à leur tour à s’insérer dans leur classe d’origine, ou à monter dans l’échelle sociale quand elle n’a pas de statut honorable dans la société. Et même ceux qui font profession de critiquer cette échelle sociale et cette honorabilité ne peuvent guère se soustraire à cette obligation.
Pourtant le capitalisme en travaillant à la réduction de la société en individus au moins au niveau des apparences idéologiques travaille à dissoudre les classes sociales, et la mobilité sociale est justement l’un de ses idéaux les plus fièrement proclamé, dans la forme française de l'égalité des chances, ou celle, américaine, de rêve américain : l’opportunité d’enrichissement proposée à tous – les britanniques y préférant encore conformément aux survivances d’ancien régime dans leur culture une sorte de cooptation des talents dans une aristocratie galvaudée.
La classe sociale dans sa persistance malgré le développement marchand capitaliste et de son fond théorique théoriquement démocratique est donc une des contradictions centrales la société bourgeoise, comme parallèlement la tendance au monopole socialiste qui se développe spontanément dans la sphère de la concurrence est une contradiction interne du mode de production capitaliste.
Un des aspect les plus frappants de cette contradiction est le développement général dans le monde actuel d’une idéologie néo-malthusienne sous prétexte d’écologie et de féminisme, qui fait suite tout naturellement au règne d’un demi-siècle de l’idéologie néolibérale ultra-individualiste de Margaret Thatcher, comme Malthus a fait suite à Adam Smith et a tenté de renier son libéralisme démocratique fondé sur la valeur-travail, et a contesté leur développement chez Ricardo qui conduisait à la critique marxiste révolutionnaire de l’économie politique.
La mobilité sociale est une contradiction en elle-même : le but du parvenu n’est pas de nier les classes mais de s’affirmer comme un membre à part entière de la classe à laquelle il est parvenu, à rebours de ses principes initiaux, et donc il n’aura de cesse de retirer l’échelle par laquelle il est monté.
L’idéologie de la mobilité sociale au lieu d’aboutir à une société sans classe contribue à durcir et à pérenniser la stratification sociale. Il faut aussi faire attention au fait que si la mobilité sociale est un thème idéologique de la bourgeoisie, la classe qui nie sa propre existence, rien ne dit qu’elle soit plus forte que sous l’Ancien Régime, qui ne manquait ni de noblesse de robe, ni de paysans parvenus ou de bourgeois gentilshommes.
Cette idéologie fait de l'appartenance à la classe dominante en elle-même un objet de désir. La classe, c’est classe.
Ensuite, comme elle part de l’hypothèse que l’ascension sociale résulte de vertus morales ou intellectuelles, ruse, intelligence, initiative, énergie, elle enferme dans une malédiction ceux qui restent coincés, par leur supposés démérites personnels dans une classe inférieure – alors que dans la société antérieure, sous l’Ancien régime, la stabilité sociale – apparente- était une norme favorisée et un mérite.
Elle tend ainsi à exacerber les frustrations, le mal-être ou le ressentiment de tout ceux qui n’ont pas bénéficié d’une place dans l’ascenseur social, et de couvrir d’opprobre tous ceux notamment les travailleurs manuels qui ne peuvent pas par leur spécialisation pourtant nécessaire plus que toute autre à la prospérité commune participer à la course des rats vers le pouvoir et le loisir.
Le but du travail du bourgeois n'est pas d’accumuler du capital - ça il le fait sans le vouloir - mais de consommer sans limite en parvenant à l’oisiveté du rentier et surtout d’assurer l’oisiveté de ses enfants. lesquels les mépriseront d’ailleurs parce qu’ils ont trop travaillé pour ça.
Cela dit des différences sociales existent aussi dans les sociétés socialistes entre les cadres, les membres de l'intelligentsia d’un coté, et les travailleurs du rang de l'autre - l'organisation du parti communiste avait vocation à y remédier mais n'a pas suffit. Ces différences tendent aussi là-bas à persister sur plusieurs générations et il semble que cette spécialisation professionnelle à tendance héréditaire soit une donnée de base de la plupart des sociétés humaines. Et c’est précisément le maintien d’une distinction de classe dans les têtes, malgré l’écrasement des différences de revenu et de patrimoine qui a été l’instrument de la ruine de l’URSS, la première expérience socialiste en vraie grandeur – sans doute si elle avait passé le cap de la troisième génération après 1945 aurait-elle surmonté cette contradiction.
Bourdieu a beaucoup travaillé sur ces questions, Ayant lui-même bénéficié d’une réussite sociale exceptionnelle qui l'avait confronté au mépris de classe des héritiers, il semble avoir été obsédé par le besoin de révéler le secret de polichinelle que l’éducation pour tous ne permettait pas de remettre en cause les classes sociales, qu’il voyait fondamentalement en libéral comme une espèce de scandale moral et d’abus de bien social, sans vouloir s’attaquer à leur lien avec le mode de production., qui est essentiellement destiné à produire de la plus value consommable, c’est à dire au bout du bout de l’oisiveté. Et c’est bien pour cette raison que la conquête du loisir par la classe ouvrière est un axe central du Capital.
L'égalité des chances dont se gargarisent les politiciens de la gauche libérale n'est donc ni une égalité ni une chance. Il y avait certes une mobilité ascensionnelle nécessaire au bon fonctionnement du capitalisme, qui s'expliquait par la croissance démographique, l'immigration, l'exploitation du Tiers Monde, et l'expansion économique en général qui ouvraient des places d'encadrement sans obliger les héritiers de la bourgeoisie plus ancienne à déroger. Mais dans une perspective malthusienne de décroissance, cette logique va s'inverser, d'autant plus que l'Intelligence artificielle va procéder à des coupes sombres dans les rangs des spécialisations intellectuelles et technologiques qui étaient ouvertes aux hommes nouveaux entreprenants ou méritants.
Le but de l’humanité n’est pas d’encombrer une sorte de classe dirigeante universelle de « maîtres sans esclave » faisant fonctionner des robots comme le croyait ingénument Raoul Vaneigem, mais de parvenir à un équilibre hygiénique optimal entre le loisir et le travail, et à un vrai respect des vraies différences, qui sont les différences de spécialisation professionnelles et techniques et non les identités spectaculaires de plus en plus débiles et de plus en plus vides qui sont étalées avec narcissisme, et d’accéder, comme aurait dit par exemple Lao Tseu, à la longévité.
GQ, 1er mai 2024
Réveil Communiste :
Réveil Communiste est animé depuis 2010 par Gilles Questiaux (GQ), né en 1958 à Neuilly sur Seine, professeur d'histoire de l'enseignement secondaire en Seine Saint-Denis de 1990 à 2020, membre du PCF et du SNES. Les opinions exprimées dans le blog n'engagent pas ces deux organisations.
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