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Réveil Communiste

Terrorisme de la misère, misère du terrorisme !

2 Septembre 2015 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Ce que dit la presse, #Impérialisme, #A gerber !

Lu sur PCF Bassin, origine : Comité Valmy

Al-Qaïda : terroriste en France, alliée en Syrie

Le terrorisme, l’un des plus vieux métiers du monde, a toujours été source d’innombrables malentendus. Echappant à toute définition universelle stable, ce phénomène demeure une manifestation foncièrement politique, dans ses émergences et ses passages à l’acte comme dans les anticipations et les ripostes qui lui sont opposées. Et, comme toutes les grandes questions historiques, le terrorisme donne systématiquement lieu à des interprétations contradictoires.

Exemple : le rôle de Robespierre dans la Terreur a été amplifié à cause du discours, resté célèbre, qu’il prononça à la Convention le 25 décembre 1793 : « le but du gouvernement constitutionnel est de conserver la République ; celui du gouvernement révolutionnaire est de la fonder (…) Le gouvernement révolutionnaire doit au bon citoyen toute la protection nationale ; il ne doit aux ennemis du Peuple que la mort. Ces notions suffisent pour expliquer l’origine et la nature des lois que nous appelons révolutionnaires (…). Si le gouvernement révolutionnaire doit être plus actif dans sa marche et plus libre dans ses mouvements que le gouvernement ordinaire, en est-il moins juste et moins légitime ? Non ; il est appuyé sur la plus sainte de toutes les lois : le salut du Peuple ». Robespierre, qui fût le premier à dénoncer les excès hébertistes, n’évoque ici que les moyens contraints, voire légitimes, de défense des acquis de la Révolution, loin des égarements sanguinaires que bien des idéologues, tels que François Furet (pour n’en nommer qu’un), ont voulu lui prêter afin de réduire à néant la portée politique de son action.

Des Populistes russes à la bande à Bonnot, d’autres exemples abondent, trop souvent jugés à l’aune de la morale du moment, beaucoup plus rarement en fonction de l’état économique et social réel des contextes dans lesquels peut sévir le terrorisme. Comme disait le regretté Jacques Vergès, « les poseurs de bombe sont aussi des poseurs de questions » – cet effort de compréhension étant, lui aussi, trop souvent interprété comme une forme de légitimation.

Jean Moulin, les résistants de L’Affiche rouge et tous les autres furent considérés par les forces d’occupation allemande comme des « terroristes ». En 1972, l’attentat lors des Jeux olympiques de Munich ouvre la séquence de l’internationalisation de la résistance armée des Palestiniens. Ceux qui résistent sont souvent catégorisés comme terroristes par les pouvoirs auxquels ils s’affrontent, les exemples les plus récents renvoyant au président turc obstiné à massacrer les Kurdes ou à la soldatesque israélienne occupée à exécuter des enfants palestiniens au nom de la « lutte contre le terrorisme ».

Jusqu’à présent, les obstacles épistémologiques, idéologiques et politiques contrariant l’effort de compréhension du phénomène s’inscrivaient dans la logique relative de trois grandes séquences :

1) celui du terrorisme soutenu par un Etat entretenant ainsi des conflits de basse intensité et évitant des opérations militaires classiques, dans le cadre de la Guerre froide ;

2) celui de la Qaïda et des nébuleuses Ben Laden, initialement orientées contre l’URSS avant qu’elles ne se retournent contre leurs créateurs des pays du Golfe et des puissances occidentales ;

3) celui de l’organisation « Etat islamique » (Dae’ch), destiné à neutraliser la Qaïda devenue un obstacle aux intérêts des pays du Golfe et des puissances occidentales et à parachever le démantèlement des Etats nations moyen-orientaux, communautarisant et retribalisant un monde arabe désormais marginalisé par rapport aux nouveaux grands enjeux de la mondialisation néo-libérale.

Avec Mohammed Merah, Mehdi Nemmouche, les frères Kouachi, Amedy Coulibaly, Sid Ahmed Ghlam, Yassin Salh et, dernièrement Ayoub el-Khazzani – l’électron libre du Thalys Amsterdam/Paris -, nous sommes clairement entrés dans une quatrième séquence : celle d’un terrorisme de la misère. Celui-ci se caractérise par le passage à l’acte d’ex-délinquants, d’étudiants déclassés ou de simples psychopathes, souvent auto-radicalisés par Internet, la lecture du petit chimiste illustré ou quelques séjours de tourisme jihadistes ici ou là. Dans tous ces cas, le modus operandi est le plus souvent très primitif : AK-47, armes de poing, cutter, etc. On est loin des avions de ligne du World Trade Center ou des bombes du métro parisien de 1995. La misère est double : logistique et idéologique, les protagonistes de ce terrorisme de la misère ne disposant, dans la majorité des cas, que de deux cents mots de vocabulaire et d’une vague connaissance de la sourate du matelassier.

Qualifiant ces terroristes d’un nouveau type, Bernard Squarcini, l’ancien patron de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur), a inventé le concept de « loup solitaire »1, souvent mal compris et mésinterprété : les loups chassent plutôt en meute, en effet. Mais ce concept était destiné à qualifier une nouvelle forme de menace qui n’a cessé de se multiplier : celle d’activistes, relativement isolés, sans formation poussée (militaire et idéologique) hors toute chaîne de commandement, en déficit identitaire, basculant brusquement dans une fuite en avant sans retour, à la Bonnie and Clyde. Ces manifestations d’un lumpen-terrorisme, qui relèvent plutôt de la délinquance ordinaire, voire d’un petit ou moyen banditisme, se revendiquent peu ou prou de la symbolique d’Al-Qaïda ou de Dae’ch, tout comme le Norvégien Anders Behring Breivik2 revendiquait un improbable « nationalisme blanc ». Symptômes de la misère intellectuelle, identitaire, opérationnelle, ces « loups solitaires » cherchent à s’attribuer des signes d’appartenance, comme les gamins en partance pour « faire le jihad » en Irak, en Syrie ou ailleurs.

Symétriquement, les nouveaux référents identitaires – Dae’ch, Jabhat al-Nosra, AQMI, Boko-Haram ou Shebab somaliens -, affichent, chacun dans sa catégorie respective, la misère affligeante d’un terrorisme qui atteint le degré zéro du politique, rompant ainsi avec ses devanciers palestiniens, irlandais, arméniens, basques ou kurdes, et même avec la Qaïda qui prétendait rassembler tous les croyants de la Oumma… Les terroristes de la bande sahélo-saharienne sont clairement en affaires avec les cartels latinos de la cocaïne et les trafiquants d’êtres humains, d’armes et d’ivoire. Ils expriment à leur manière la misère de populations d’ « Etats faillis », livrés aux mafias et aux logiques tribales, encouragées par la mondialisation néo-libérale.

C’est ainsi que les terroristes des Proche et Moyen-Orient s’inscrivent dans des logiques communautaires, voire tribales, qui visent à démanteler l’Irak, la Syrie, ou encore le Liban et la Jordanie. Et la proclamation d’un « Etat islamique », puis, le 29 juin 2014, d’un Califat, ne suffit pas à masquer la misère institutionnelle d’une organisation capable seulement d’imposer la justice et la police islamiques, et reposant essentiellement sur un système de racket, de contrebande de pétrole brut et de dons en provenance d’Arabie saoudite, du Qatar, des Emirats ou du Koweït. N’en déplaise au spécialiste de l’Irak Pierre-Jean Luizard3, Dae’ch n’est pas en capacité de remettre durablement en cause les frontières des accords Sykes-Picot, ni d’instaurer un Etat-nation viable qui signerait le « retour de l’Histoire ». Pour reprendre le concept de Hegel, un grand penseur de l’Histoire, la vraie nature de Dae’ch correspondrait plutôt à la notion d’ « essence disparaissante », c’est-à-dire à la forme éphémère d’une contradiction non complètement déployée, qui finira par s’abolir dans un dépassement régénérateur.

Quant à la misère culturelle, avec l’assassinat de Khaled al-Assaad, l’ancien directeur des antiquités de Palmyre, la destruction des temples du site, celle des églises chrétiennes et des musées d’Irak et de Syrie, elle évoque irrésistiblement la destruction des Bouddhas de Bâmiyân par les Taliban en 2001. En aucun cas, cette négation pure et simple du patrimoine culturel, c’est-à-dire de l’Histoire, ne saurait signer un quelconque retour de l’Histoire ! En dernière analyse, cet attelage du terrorisme de la misère et de la misère du terrorisme est un symptôme du stade suprême d’un capitalisme mondialisé dont les puissances occidentales sont les principaux maîtres d’œuvre.

La rédaction
31 août 2015

1 Bernard Squarcini et Etienne Pellot : Renseignement français : nouveaux enjeux. Editions Ellipses, novembre 2013.


2 Anders Behring Breivik, né le 13 février 1979 à Oslo, est un terroriste norvégien d’extrême droite qui a perpétré et revendiqué les attentats du 22 juillet 2011 en Norvège, qui ont fait 77 morts et 151 blessés.


3 Pierre-Jean Luizard : Le piège Dae’ch – L’Etat islamique ou le retour de l’Histoire. Editions La Découverte, juillet 2015.

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