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Réveil Communiste

Turquie : l'Europe aurait-elle choisi Erdogan? quelle surprise !

11 Juin 2013 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #l'Europe impérialiste et capitaliste

Sur Solidaire, site du PTB

Turquie : « Erdogan ne trouve plus de boucs émissaires »

Ce n’est pas la première fois qu’on manifeste contre Erdogan. Mais c’est la première fois que les protestations sont aussi largement soutenues. Les jeunes Turcs demandent notre soutien car ils ont souvent le sentiment que l’Europe a choisi le camp de l’AKP au pouvoir.

Jouwe Vanhoutteghem

 

Chaque jour, depuis deux semaines, ils sont des dizaines de milliers à descendre dans la rue en Turquie. Au départ, il s’agissait de quelques centaines de manifestants qui réclamaient que le parc Gezi reste épargné des plans de citymarketing du Premier ministre Erdogan. Mais, entre-temps, les protestations concernent bien d’autres choses.

« Ce n’est pas la première fois qu’on proteste, en Turquie, et ce n’est pas la première fois non plus que la police réagit sur-le-champ par une répression brutale, déclare Orhan Ağırdağ, un sociologue de 28 ans, lié à l’Université de Gand et à l’UCLA (Université de Los Angeles). La réaction exagérée de la police a été la goutte qui a fait déborder le vase. Des gens de bords très divers et de plusieurs mouvements de protestation se sont mis à unir leurs forces. »

 

Quelles sont les raisons sous-jacentes de ces protestations ?

Orhan Ağırdağ. Il y a d’énormes problèmes sociaux, en Turquie. Le chômage des jeunes ne cesse d’augmenter. Erdogan a beau répéter à l’envi que l’économie va bien, mais, en rue, on sent qu’il en est tout autrement. La politique de privatisation d’Erdogan n’est pas du tout appréciée non plus. Il a également vendu des entreprises très rentables (comme le producteur d’alcool et de tabac TEKEL, NdlR).

Ces derniers temps, il y a aussi l’attitude envers la Syrie. Bien des Turcs rejettent le langage belliciste de l’AKP (le parti d’Erdogan, NdlR) et ne veulent absolument pas entendre parler de conflit. L’important, c’est que cette opposition existe aussi dans les rangs de l’AKP. Toutes ces raisons prises séparément n’étaient sans doute pas suffisantes pour que l’on descende massivement dans la rue, mais l’affaire du parc Gezi a servi de détonateur.

 

S’agit-il ici d’une variante turque d’Occupy Wall Street ?

Orhan Ağırdağ. À la place Taksim à Istanbul, à Ankara et dans les autres grandes villes, ce sont surtout les jeunes qui prennent le mouvement en main. Il semble aussi à première vue qu’il s’agisse plutôt de jeunes d’un certain niveau d’éducation. 90 % des manifestaient auraient entre 19 et 30 ans. Très souvent, il s’agit d’étudiants qui sont opposés à la politique de ces dernières années.

Fait très intéressant aussi : d’importants groupes ne sont pas organisés politiquement. 70 % de ces gens ne sont pas liés à un parti politique et plus de la moitié participent pour la première fois à une manifestation. On le voit aussi aux formes d’action : ce ne sont pas des formes d’action « traditionnelles », on se sert beaucoup des médias sociaux pour répondre à Erdogan. L’humour aussi est une arme. Un bon exemple : le surnom de « Çapulcu » que les manifestants se sont appropriés. C’était effectivement ce qu’Erdogan reprochait au mouvement à son début, à savoir de n’être qu’une bande de « va-nu-pieds ». Le mouvement a repris le nom avec beaucoup de ferté et le lui a renvoyé en pleine face.

 

Nous savons aujourd’hui quelle a été la cause directe qui a attiré tout ce monde dans les rues, mais qu’est-ce qui les unit, dans leurs protestations ?

Orhan Ağırdağ. Il y a beaucoup de problèmes, en Turquie, mais, en rue, on entend surtout deux choses. D’une part, tout ce qui a trait aux libertés civiques. Les gens veulent pouvoir descendre dans la rue sans courir le danger de se retrouver dans les gaz lacrymogènes ou de se faire rouer de coups au sol.

D’autre part, il y a « l’Erdoganisation » de la société. Erdogan veut avoir son mot à dire dans tout. Il intervient dans la législation sur l’avortement, il limite la consommation d’alcool, il impose des réformes aux universités… Ce n’est pas la première fois qu’on manifeste contre lui – et plus largement contre le gouvernement. C’est la première fois, cependant, que les protestations sont soutenues aussi largement. Et cela a tout à voir avec la position d’Erdogan. Pendant dix ans, Erdogan a été un personnage à la Calimero qui rendrait pas mal de points à un Bart De Wever. Aujourd’hui, toutefois, voilà dix ans qu’il détient tout le pouvoir et on n’entend plus de tels propos. Erdogan ne trouve plus de boucs émissaires et c’est donc contre lui que la colère se tourne.

 

Les gens en ont assez, mais qu’exigent-ils de concret ?

Orhan Ağırdağ. Grosso modo, cinq choses. Primo, la suppression du seuil électoral, actuellement à 10 %. Et ainsi, ils veulent des opinions plus variées au Parlement. Deuxio, il doit y avoir des consultations populaires, par exemple sur l’adaptation des plans d’urbanisme. Tertio, les gens veulent que la politique à l’égard de la Syrie change. Les gens ne veulent pas d’une guerre en Syrie. Quarto, ils veulent que le gouvernement cesse de s’immiscer dans leur mode de vie propre. Et, quinto, les commissaires de police d’Istanbul et d’Ankara doivent démissionner.

 

Les protestations ne tournent-elles pas aussi contre l’islamisation rampante de la société turque ?

Orhan Ağırdağ. Les gens s’opposent surtout à l’autoritarisme, qu’il soit laïc ou religieux. Naturellement, il y a des forces au sein du mouvement qui sont plus prononcées à ce sujet. Mais, en général, c’est surtout Erdogan lui-même qui relance le débat sur l’islam dans les protestations. Il veut utiliser cela comme un rideau de fumée. Les conseillers d’Erdogan font tout pour dresser les musulmans contre le mouvement : le centre commercial qui serait installé au parc Gezi serait en fait une mosquée ; on trafique des photos pour montrer que les manifestants s’en prennent à des mosquées… En rue, toutefois, croyants et non-croyants défilent ensemble, scandent les mêmes slogans, réclament les mêmes choses. Aussi un nouveau slogan a-t-il fait son apparition : « Notre tête est peut-être couverte, mais pas notre bon sens. »

 

Quel est précisément le rôle que la gauche et la classe ouvrière jouent dans le mouvement ?

Orhan Ağırdağ. Toute la gauche soutien le mouvement, verbalement et très activement aussi. Les militants de différentes organisations sont chaque fois en première ligne, sans pour autant revendiquer la tête du mouvement. Du côté des syndicats, le KESK, le syndicat du secteur public et le plus petit des quatre grands syndicats turcs, a déjà appelé à une grève de 48 heures ; le syndicat des médecins a lui aussi appelé à soutenir les protestations et à arrêter le travail afin de pouvoir aller soigner les blessés. Mais, tant que la plus importante confédération syndicale (Türk-İş, NdlR) se tiendra hors du coup, il sera toutefois malaisé d’impliquer massivement les syndicats.

 

Pour conclure, y a-t-il quelque chose que nous pouvons faire ?

Orhan Ağırdağ. Oui. Soutenez tous les protestations. Descendez dans la rue, agissez via Twitter, saturez Facebook. Montrez aux manifestants en Turquie qu’ils ne sont pas seuls. Ils ont souvent le sentiment que l’Europe a choisi le camp de l’AKP. Nous devons prouver le contraire.

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