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Réveil Communiste

De la dictature à l’hégémonie (Dépasser la démocratie bourgeoise, 11/12)

8 Novembre 2023 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #GQ, #Qu'est-ce que la "gauche", #Théorie immédiate, #Front historique, #Venezuela

Hugo Chavez

Hugo Chavez

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11 : de la dictature à l'hégémonie

La dynamique du socialisme doit dépasser les situations où la répression des contre-révolutionnaires potentiels jouait un rôle crucial et entrer dans le domaine de la stabilité dialectique : il faut que le socialisme se mette à l’école de ses ennemis, et qu’il publie à son tour son hégémonie, qui implique l’apparition de l’adversaire sur un terrain défavorable, où il est d’avance battu. Pas tout à fait d’avance, sinon le négatif ne joue pas son rôle. Il faut que l’opposition bourgeoise croie à sa chance, même quand elle n’en a que peu, comme au Venezuela !

Chavez fut un des premiers dirigeants révolutionnaire qui sut utiliser la force de l'adversaire pour consolider le pouvoir révolutionnaire et à le réduire à se plaindre de la déloyauté du mode de scrutin. Suivant son exemple, il faut que le prolétariat à travers les partis et les hommes politiques qui le représentent se saisissent des moyens  de façonner l’opinion publique que sont les grands médias et les confie à des commissions associant les travailleurs et les usagers, comme au Portugal en 1974.

La défense "pro domo" des droits de la presse par la presse est devenue maintenant la défense des droits des propriétaires de médias et des intérêts corporatistes des journalistes de la jet-set. La presse est un moyen de production et une arme dans la bataille idéologique, en quoi peut-elle s’arroger un statut dérogatoire ? Des médias pour qui la guerre en Colombie se résumait aux lamentations sur le sort d’Ingrid Betancour ont tellement failli envers les critères d’une information honnête qu’il vaut mieux, malgré les réactions horrifiées de la gauche morale les exproprier et en confier la responsabilité aux travailleurs. Il faut que le prolétariat ni plus ni moins que la bourgeoisie et les institutions financières actuelles contrôle à son tour la communication, sans proscrire l’expression du négatif, mais en triant pour séparer le faux négatif annexionniste du vrai qui reflète les contradictions internes de la société socialiste en construction. Dans un conflit emblématique des années 1970, la révolution portugaise s’est jouée et perdue dans le contrôle autogestionnaire de la presse. Les révolutions berlinoise de 1919 et madrilène de 1936 se sont emparées d'abord des journaux. Et les soixante-huitards français les plus naïfs ont été mis au pas par la confiscation de leur presse, « Libération », par July et sa direction de repentis du maoïsme.

Il n’est pas toujours facile de distinguer à l’origine la nature du négatif à l’œuvre dans une situation donnée. Certains dissidents soviétiques avaient plus ou moins consciemment des intentions progressistes, ils ne voulaient pas le retour en arrière mais le dépassement des contradictions du socialisme (comme Alexandre Zinoviev, qui avec le recul regrettait amèrement les résultats de son activité, après la transition qui avait ruiné son pays).

Gramsci avait théorisé cette dictature douce dans le concept d’hégémonie. Une lecture droitière du dirigeant communiste italien emprisonné par Mussolini a pu faire croire qu’il s’agissait d’un euphémisme pour prôner le ralliement à la démocratie libérale à la manière du parcours du PCI vers le reniement, de 1960 à 1990. En réalité il s’agit d’une précieuse réflexion sur la nature de la domination de classe, sur le rôle des intellectuels dans la consolidation et le maintien de cette domination, et des moyens à employer pour le prolétariat pour conserver le pouvoir, sachant que les anciennes classes dirigeantes ne disparaissent pas du jour au lendemain. Loin d’aménager une misérable alternance avec les forces politiques stipendiées par le capital, il voyait le parti communiste comme équivalent moderne du mythique « Prince » de Machiavel.

On a pu imaginer que les syndicats auraient pu devenir en URSS une sorte de contre-pouvoir socialiste. Certainement auraient-ils dû mieux représenter leurs mandants. Mais le syndicat s’il est une garantie contre la sclérose bureaucratique (à condition qu’il n’en soit pas affecté lui-même) au niveau de l’entreprise, dans le socialisme se voit attribuer un rôle de contributeur positif à la planification, et non de force dialectique d’opposition. Ce n’est donc pas là qu’on va loger le négatif. On peut aussi noter que la notion de « contre-pouvoir » est bourgeoise, elle masque le fait que ces contre-pouvoirs sont basés sur la complicité implicite des classes dirigeantes qui en fournissent le personnel. Lénine qui voyait loin avait tenté de mettre sur pied un contre-pouvoir spécifiquement prolétarien en créant un service d’inspection aux tâches contradictoires : elle devait stimuler l’efficacité technique de la bureaucratie, mais aussi lutter contre ses abus politiques. Il semble qu’elle ne donna pas pleine satisfaction. Il faut accepter la réalité, qu’il n’y a pas en définitive d’autre contre-pouvoir au sens institutionnel, dans tous les régimes, que le choc des ambitions dans la lutte pour le pouvoir, et c’est là qu’il mobilise les passions.

Et le socialisme doit inventer des formes de renouvellement des équipes dirigeantes où les rivalités pour le leadership peuvent se déclarer. La cooptation collégiale qui reproduit l’appareil des partis institutionnalisés empêche la manifestation du négatif. Il faut renforcer la culture socialiste du débat politique, et même de l’affrontement. Lorsqu’on entendait dans un parti qui se prétendait encore communiste des phrases du genre « le candidat n’a pas d’importance, c’est le contenu qui compte », où leurs auteurs se croient parvenus au summum de la démocratie, on est précisément dans l’opposé : le plus beau programme n’est que mensonge et poussière de signes morts sans indication de ceux qui vont l’appliquer.

C’est ce jeu-là qui doit se jouer en public, au risque du public, au risque de la manipulation hostile. Il fait partie de la réalité effective de la pratique de tous les pouvoirs depuis l’aube des temps historiques. Régler le jeu des ambitions personnelles et le faire servir au bien commun est l’affaire de la technique politique.

Il y a une "droite" et une "gauche" réelles dans le socialisme réel. La droite des experts économiques et qui représente l'intelligentsia-bureaucratie planificatrice, et la gauche des prolétaires autogestionnaires, qui allège la charge du travail. C'est elles qui doivent jouer le jeu politique. Leur contradiction n'est pas antagonique, sauf lorsque l'ennemi extérieur s'en mêle.

Le monde a beaucoup changé depuis l’époque où des dictatures bourgeoises (les fascismes) et la dictature prolétarienne se sont affrontées, avec un projet radicalement opposé, dans la première moitié du XXème siècle. D’une certaine manière la mise au pas autoritaire de peuples entiers par des moyens policiers a cessé d’être une option crédible, malgré le perfectionnement des moyens techniques de contrôle. La dictature sans limite s’épuise elle-même, s‘étouffe dans ses contradictions, en dehors du réel, tandis que le consentement des masses est obtenu par les médias démocratiques dont la puissance est infiniment plus grande que toutes les polices. Ni les prolétaires ni les bourgeois, qui continuent à s’affronter dans un combat confus mais sans merci ne peuvent songer à s’imposer définitivement par la force. Ce n’est pas par humanité que le capitalisme s’est converti, mais par la conscience de la faiblesse politique de la dictature violente comme système durable. Il lui faut simplement faire croire que la violence est du côté de son ennemi qu’il combat avec la fermeté et la modération nécessaire. Les vrais ou faux terroristes qu’il suscite servent à corroborer ce discours de preuves apparentes.

 Contre lui et ses suppôts il nous faudra rappeler que dans cette période maintenant close le recours à la violence pour défendre la révolution était justifié en dernière analyse, même si tous les actes qui ont été accompli au nom de cette cause ne le furent pas. L’histoire du mouvement communiste de la IIIème internationale et de toutes ses ramifications doit se juger à l’échelle des changements de civilisation, à l’échelle millénaire, et avec la conscience des changements majeurs qui s’annoncent au XXIème siècle, où il va falloir s’atteler à la tâche effective de rendre à 8 ou 9 milliards d’humains la pleine jouissance de leurs droits réels, prévus dans une Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 promulguée, et ce n’est pas un hasard mais l’indication d’un rapport de force, quand Staline gouvernait encore l’URSS, cinq ans après Stalingrad.

La seule faute majeure des communistes et des gouvernements qu’ils ont dirigé fut d’échouer, de peu, à sortir l’humanité de sa préhistoire. Tout le reste ne sont que les jugements provisoires des vainqueurs provisoires, de moins en moins sûr d’eux d’ailleurs.
 

GQ, 18 juin 2023

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