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Réveil Communiste

Churchill 1946, idéologue en chef de l'impérialisme

17 Janvier 2022 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Front historique, #Royaume-Uni, #Impérialisme, #Europe de l'Est, #Russie, #États-Unis

Churchill 1946, idéologue en chef de l'impérialisme

Bulletin Comaguer n° 457

14 Janvier 2022

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Churchill 1946

Idéologue en chef de l’impérialisme

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Churchill qui a dirigé la Grande-Bretagne pendant toute la durée de la guerre a un rôle central dans la conception et la mise en œuvre de la stratégie des alliés face au Reich. Il est de tous les grands rendez – vous diplomatiques de la période : Conférence de Téhéran, conférence de Yalta et il est, en témoignent ses interventions à la Chambre des Communes, un fervent soutien de l’allié soviétique dont il sait le rôle décisif qu’il va avoir dans la défaite nazie.

Mais aux élections de 1945 le parti conservateur est battu par les travaillistes et Churchill cède la place à Clément Attlee. Il ne participera pas à la conférence de Potsdam qui organise la sortie du conflit en Europe où Attlee représente la Grande Bretagne, Truman les Etats-Unis et Staline l’URSS.

Cependant porteur des ambitions impériales de la Grande-Bretagne comme il l’a été dès 1910 où il rentre au gouvernement comme ministre de l’intérieur puis comme premier lord de l’Amirauté, c’est à dire commandant d’une flotte puissante qui défend un empire mondial sur lequel selon l’expression victorienne « le soleil ne se couche jamais, il ne va pas rester inactif.

Il sait que la Grande Bretagne le seul des belligérants à avoir combattu sans discontinuer de 1939 à 1945 est affaiblie par 5 années de guerre et il comprend que la puissance industrielle et financière des Etats-Unis leur fait sans conteste occuper désormais le premier rôle.

En 1946 il va par deux discours mettre en scène les rapports de force internationaux pour un demi-siècle

I -Discours de Fulton

Il prononce le premier discours au Westminster College à Fulton dans l’Etat du Missouri. Le choix est surprenant. Churchill n’a plus aucune responsabilité politique et il est invité à faire une conférence dans une petite université du pays. Pourtant il accepte car à l’invitation officielle du collège est joint un petit carton signé du Président Truman qui lui annonce qu’il aura plaisir à assister à cette conférence et qui de ce fait dévoile qu’il est l’inspirateur de l’invitation hors du cadre protocolaire présidentiel. Churchill comprend parfaitement le message et va prendre grand soin de transformer cette simple conférence dans cette petite université en évènement historique. Son discours est très construit.

Premier temps : La nouvelle donne géopolitique

L’URSS dans sa marche victorieuse contre le nazisme a libéré d’abord son propre territoire et ensuite celui des pays annexés par le Reich dans sa course folle et dévastatrice vers l’Est. De ce fait elle est considérée dans ces pays comme le libérateur ce qui favorise l’arrivée au pouvoir ou la participation au pouvoir des partis communistes locaux. Churchill déplore ce nouveau découpage de l’Europe et proclame la nécessite impérieuse d’arrêter la progression de ce qui est devenu le « camp soviétique ». D’où la phrase fameuse à laquelle on a souvent réduit à tort le discours de Fulton

Un rideau de fer s’est abaissé sur l’Europe de Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique. Derrière cette ligne se trouvent toutes les capitales des anciens États d'Europe centrale et orientale.... Toutes ces villes célèbres et les populations qui les entourent se trouvent dans... la sphère soviétique, et toutes sont soumises, sous une forme ou une autre, non seulement à l'influence soviétique mais à un contrôle très élevé et, dans certains cas, croissant, de la part de Moscou.

Mais le propos est malhonnête puisque Churchill mieux que quiconque sait que l’URSS a respecté le découpage qu’il a lui-même proposé à Yalta. Le rideau de fer est donc bien tombé sur l’Europe mais c’est Churchill qui le tire en faisant savoir à l’URSS qu’il lui est interdit d’étendre la zone d’influence qu’elle vient de conquérir en Europe de l’Est en en chassant les nazis et jusqu’à Berlin où elle a arraché seule la capitulation du Reich . L’expression Rideau de fer a eu à l’époque un énorme écho mais Churchill n’en avait pas la paternité. Elle avait été utilisée des 1945 dans un éditorial du New York Times.

Deuxième temps : La nouvelle alliance

Pour mettre en œuvre cette nouvelle géopolitique il faut une solide alliance entre le Commonwealth britannique et les Etats-Unis. En mettant sur le même plan Commonwealth et Etats-Unis il contourne la difficulté de l’inégalité patente entre le seul Royaume Uni et le pays qui représente à ce moment là 50% du PIB mondial. Il peut encore le faire, l’Inde, le joyau de la Couronne, ne deviendra indépendante que quelques mois plus tard. Il y affirme ainsi la prolongation de l’empire anglo-saxon avec un simple passage de relais entre l’ancien et le nouveau maitre.

L'association fraternelle exige non seulement l'amitié croissante et la compréhension mutuelle entre nos deux systèmes de société, vastes mais apparentés, mais aussi le maintien des relations intimes entre nos conseillers militaires, qui conduisent à l'étude commune des dangers potentiels, à la similitude des armes et des manuels d'instruction, et à l'échange d'officiers et de cadets dans les collèges techniques.

Troisième temps : l’unification de l’Europe

Le nouvel empire anglo-saxon doit organiser sous sa tutelle les quelques pays d’Europe qu’il a lui même libéré du nazisme ou dont il a contribué à cette libération : Ils sont peu nombreux. Belgique, Pays Bas, Luxembourg Italie et France. L’Allemagne encore découpée en 4 zones d’occupation n’en fait pas partie. Il va donc tricher et décider de l’unification sous un gouvernement unique des 3 zones d’occupation occidentale. Ainsi naitra la république fédérale allemande la si bien nommée Allemagne de l’Ouest. Il ne reste alors à l’URSS qu’= transformer sa zone occupée en une nouvelle république : la République démocratique allemande. Ainsi va naitre l’Europe des Six embryon de la future Union Européenne et nouvelle province de l’empire où vont s’installer à demeure des troupes étasuniennes nombreuses et bien équipées.

Mesdames et messieurs la sécurité du monde requiert une nouvelle unité de l’Europe de laquelle aucune nation ne devrait être exclue en permanence

Ce que propose donc Churchill est une véritable feuille de route de l’Empire. Truman va bientôt la faire sienne officiellement. Il le fera le 12 mars 1947 par une déclaration devant le Congrès qui peut être considérée comme la déclaration de la guerre « froide » Cette déclaration qui devait tout à Churchill fut nommée « doctrine Truman ». Premières applications rapides et spectaculaires : exclusion des ministres communistes du gouvernement français 5 mai 1947 et constitution le 30 mai 1947 du premier gouvernement démocrate chrétien sans ministres communistes en Italie.

2- Discours de Zurich

Pour atteindre le but de la reconquête politique de l’Europe de l’Est fixé à Fulton il faut mettre également en œuvre une politique de reconquête culturelle et idéologique. Certes Il ne manquera pas au Etats-Unis dans cette période de projets de destruction militaire de l’URSS par l’arme atomique mais ces projets seront dénoncés par des campagnes de masse (appel de Stockholm) et remisés dés l’explosion de la première bombe atomique soviétique en 1949. Par contre Les opérations de reconquête culturelle et idéologique de l’Europe n’auront jamais de cesse tant à l’Ouest qu’à l’Est et elles continueront même après la dissolution de l’URSS.

Le 19 septembre 1946 à Zurich Churchill lance le projet phare de la reconquête culturelle et idéologique de l’Europe, le projet qui fait de la lutte contre le régime socialiste de l’URSS et ceux qui se mettent an place en Europe de l’Est après 1945 un affrontement entre le camp des « droits de l’homme » et celui du « totalitarisme ». Le livre d’Annah Arendt sur « les origines du totalitarisme » publié aux Etats-Unis en 1951 peut être considéré comme un des grands outils de cette division du monde au profit de l’Empire. A Zurich Churchill va lancer le projet d’une institution européenne porteuse des « valeurs » dont le socialisme serait par définition l’ennemi. Ainsi nait le projet de Conseil de l’Europe qui s’inscrit dans le projet des Etats-Unis d’Europe auquel Churchill se réfère explicitement et qui a les faveurs de Truman

La grande république au-delà de l'Atlantique a compris avec le temps que la ruine ou l'esclavage de l'Europe mettrait en jeu son propre destin et elle a alors avancé une main secourable faute de quoi les âges sombres seraient revenus avec toutes leurs horreurs. Ces horreurs, Messieurs, peuvent encore se répéter.

Mais il y a un remède ; s'il était accepté par la grande majorité de la population de plusieurs États, comme par miracle toute la scène serait transformée, et en quelques années l'Europe, ou pour le moins la majeure partie du continent, vivrait aussi libre et heureuse que les Suisses le sont aujourd'hui. En quoi consiste ce remède souverain ? Il consiste à reconstituer la famille européenne,  ou tout au moins la plus grande partie possible de la famille européenne,  puis de dresser un cadre de telle manière qu'elle puisse se développer dans la paix, la sécurité et la liberté. Nous devons ériger quelque chose comme les États-Unis d’Europe. C'est la voie pour que des centaines de millions d'êtres humains aient la possibilité de s'accorder ces petites joies et ces espoirs qui font que la vie vaut la peine d'être vécue. On peut y arriver d'une manière fort simple. Il suffit de la résolution des centaines de millions d'hommes et de femmes de faire le bien au lieu du mal, pour récolter alors la bénédiction au lieu de la malédiction.

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Je veux maintenant conclure. Il faut que notre but permanent soit d’accroître et de renforcer la puissance de l’ONU. Il nous faut créer la famille européenne en la dotant d’une structure régionale placée sous cette organisation mondiale, et cette famille pourra alors s’appeler les Etats-Unis d’Europe. Le premier pas pratique dans cette voie est la constitution d’un Conseil européen. Si, au début, tous les Etats européens ne veulent ou ne peuvent pas adhérer à l’Union européenne, nous devrons néanmoins réunir les pays qui le désirent et qui le peuvent.

Ce projet va se concrétiser un peu plus tard mais sous une forme affaiblie par le Traité de Londres du 5 Mai 1949. Il n’a plus d’ambition fédéraliste et il est signé par dix États européens, à savoir la France, les pays du Benelux, l'Italie, la Norvège, la Suède, le Danemark, l'Irlande et le Royaume-Uni. Il constitue l'acte fondateur du Conseil de l'Europe. Il est spécifiquement un outil dans la bataille culturelle et idéologique contre le bloc de l’Est et l’entrée progressive de pays comme la Pologne, la Yougoslavie et même la Russie d’Eltsine en 1995 seront présentées comme autant de victoires du « monde libre ». Les crimes coloniaux de certains états membres du Conseil (Belgique au Congo, France en Algérie, Grande Bretagne au Kenya) ne sont pas pris en considération comme si les idéaux européens ne s’appliquaient pas ailleurs.

Article 1er
a) Le but du Conseil de l'Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun et de favoriser leur progrès économique et social
[…]

d) Les questions relatives à la défense nationale ne sont pas de la compétence du Conseil de l'Europe. (Souligné par nous)


 

Donc c’est un mois après que l’alliance militaire de l’OTAN ait été fondée le 4 avril 1949 par la signature du traité de l‘Atlantique nord que la « promotion des idéaux communs » s’organise. Y participent Belgique, Luxembourg, Pays Bas, Irlande Italie France Royaume-Uni Danemark Norvège Suède. Le projet churchillien s’est donc concrétisé non pas sous la forme des Etats-Unis d’Europe mais sous une forme originale faisant de cette institution à travers la Convention européenne des droits de l’homme et une cour de justice européenne chargée de les faire respecter devant laquelle des citoyens des états membres peuvent porter plainte contre leur propre pays. Les Etats-Unis interviennent directement dans le processus par le biais du Comité européen pour une Europe Unie fondé en 1948 et animé successivement par William J.Donovan ancien directeur de l’OSS (services secrets) et Allen Dulles premier directeur de la CIA. Ce comité financera les campagnes et les actions du Mouvement européen. Le discours de Zurich fait partie des actions du dit mouvement.

D’élargissement en élargissement le Conseil de l’Europe compte aujourd’hui 47 membres mais son existence ne put pas faire oublier que le Conseil de l’Europe n’est qu’un organe consultatif que les autres institutions européennes fondées à patrie de 1953 et élargies jusqu’à l’Union Européenne à 27 sont des instances de décision politique et que pour les questions stratégiques l’UE reste sous contrôle des Etats-Unis bien après la disparition du rideau de fer et bien après la dissolution de l’Union Soviétique. L’article 42 du Traité de Lisbonne ne laisse aucun doute sur l’alignement militaire de l’UE sur les Etats-Unis mais sa rédaction contournée permet de garder dans la famille européenne quelques petits Etats qui refusent de rentrer dans l’OTAN : Irlande, Autriche Finlande et Suède alors que l’Union n’a jamais esquissé le moindre geste d’autonomisation stratégique vis à vis des Etats-Unis, voire s’est comportée en agent très zélé des politiques otaniennes les plus agressives comme en Yougoslavie et en Libye.

42. La politique de sécurité et de défense commune inclut la définition progressive d'une politique de défense commune de l'Union. Elle conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l'unanimité, en aura décidé ainsi. Il recommande, dans ce cas, aux États membres d'adopter une décision dans ce sens conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. La politique de l'Union au sens de la présente section n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l'Atlantique nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre.

L’expansionnisme soviétique annoncé à Fulton était un leurre mais a servi de prétexte à l’OTAN pour continuer de s’agrandir vers l’Est. L’OTAN a noué des partenariats dans le monde entier et désigne comme ses ennemis les rares pays qui n’acceptent pas de bases étasuniennes sur leur sol et qui n’achètent pas leur équipement militaire aux Etats-Unis. 75 ans après le discours de Fulton La pensée churchillienne survit encore chez de nombreux dirigeants étasuniens et européens mais la place réelle des Etats-Unis dans la population dans l’industrie, dans la technologie et dans la science mondiales d’aujourd’hui prive ce pays de la capacité de réaliser son projet impérial de domination mondiale. La réaction la plus intéressante au discours Fulton émane du personnage qui connaissait de prés la politique et les ambitions de Churchill à savoir Staline

Elle a pris la forme d’une interview publiée par la Pravda et dont suit la traduction .Sa phrase clé reste d’une vivante actualité : « Reconnaissez de bon gré notre domination, et tout alors ira bien ; dans le cas contraire, la guerre est inévitable. »

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Joseph Staline, Au sujet du discours de M. Churchill à Fulton

 

QUESTION. - Comment jugez-vous le dernier discours prononcé par M. Churchill aux Etats-Unis?

RÉPONSE. - J'estime que ce discours est un acte dangereux, qui vise à semer des germes de discorde entre les Etats alliés et à rendre plus difficile leur collaboration.

 

QUESTION. - Peut-on estimer que le discours de M. Churchill compromet la paix et la sécurité mondiale?

RÉPONSE. - Sans contredit, oui. En fait, M. Churchill se trouve actuellement dans la position d'un fauteur de guerre. Et il ne s'y trouve pas seul. Il a des amis, non seulement en Angleterre, mais également aux Etats-Unis. Il est à remarquer que, sous ce rapport, M. Churchill et ses amis rappellent d'une façon étonnante Hitler et ses amis. Hitler a commencé la préparation à la guerre par sa proclamation d'une théorie raciale, où il déclarait que seules les personnes de langue allemande représentaient une nation « véritable » au sens complet du mot. M. Churchill, également, commence la préparation à la guerre par une théorie raciale, en affirmant que seules les nations de langue anglaise sont des nations - dans toute l'acception du mot – appelées à diriger les destinées du monde entier. La théorie raciale allemande amena Hitler et ses amis à conclure que les Allemands, en tant qu'unique nation « véritable », devaient commander aux autres nations. La théorie raciale anglaise amène M. Churchill et ses amis à cette conclusion que les nations de langue anglaise, en tant que seules « véritables », doivent régner sur les autres nations du monde. En fait, M. Churchill et ses amis, en Angleterre et aux Etats-Unis, présentent aux nations ne parlant pas anglais quelque chose comme un ultimatum : « Reconnaissez de bon gré notre domination, et tout alors ira bien ; dans le cas contraire, la guerre est inévitable. » Mais, si les nations ont versé leur sang au cours de cinq années d'une terrible guerre, c'est pour la liberté et l'indépendance de leur pays et non pas pour remplacer la domination des Hitler par celle des Churchill. Il est donc tout à fait probable que les nations qui ne parlent pas l'anglais, et qui représentent l'énorme majorité de la population du globe, n'accepteront pas de retourner à un nouvel esclavage. La tragédie de M. Churchill consiste dans le fait qu'il ne comprend pas, en « tory » endurci, cette vérité simple et évidente. Il n'y a aucun doute que la position prise par M. Churchill est une position qui mène à la guerre, un appel à la guerre contre l'URSS. Il est clair aussi que cette position de M. Churchill est incompatible avec le traité d'alliance qui existe actuellement entre l'Angleterre et l’URSS. Il est vrai que, pour embrouiller ses auditeurs, il déclare en passant que le traité anglo-soviétique d'aide mutuelle et de coopération pourrait être facilement prolongé pour une période de cinquante ans. Mais comment peut-on concilier une telle déclaration de M. Churchill avec sa position qui mène à la guerre contre l’URSS, avec son prêche en faveur de la guerre contre l'URSS ? Il est clair que ces faits sont absolument inconciliables. Et, si M. Churchill, invitant à la guerre contre l’URSS, estime cependant que le traité anglo-soviétique peut être prolongé et voir sa durée portée jusqu’à cinquante ans, cela montre qu'il considère ce traité comme un papier sans importance, qui ne lui sert qu'à couvrir et masquer sa position antisoviétique. C’est pourquoi l’on ne peut pas considérer sérieusement les fausses déclarations des amis de M. Churchill en Grande-Bretagne relatives à une prolongation du traité anglo-soviétique jusqu’à cinquante ans et plus. La prolongation du traité ne répond à rien si l’une des parties viole le traité et le transforme en un papier vide de sens.

 

QUESTION. - Que pensez-vous de la partie du discours dans laquelle M. Churchill attaque le régime démocratique des Etats européens voisins de l'Union soviétique, et où il critique les relations de bon voisinage établies entre ces Etats et l’URSS ?

 

RÉPONSE. - Cette partie du discours de M. Churchill présente un mélange d'éléments de calomnie avec des éléments de grossièreté et de manque de tact. M. Churchill affirme que « Varsovie, Berlin, Prague, Vienne, Budapest, Belgrade, Bucarest, Sofia, toutes ces villes célèbres, avec la population d'alentour, se trouvent dans la sphère soviétique et subissent toutes, sous une forme ou une autre, non seulement l'influence soviétique, mais encore le contrôle toujours grandissant de Moscou ». M. Churchill qualifie tout cela de «tendances expansionnistes » sans limites de l'URSS. Il n'est pas nécessaire de faire un gros effort pour démontrer que M. Churchill calomnie grossièrement et sans pudeur aussi bien Moscou que les Etats voisins de l'URSS dont il est question plus haut.

Premièrement, il est tout à fait absurde de parler de contrôle exclusif de l'URSS à Vienne et à Berlin, où se trouvent également des Conseils de contrôle alliés composés de représentants des quatre puissances, et où l'URSS n’a qu'un quart des voix. Il arrive que certaines gens ne puissent pas faire autrement que de calomnier, mais il faut cependant garder la mesure.

Deuxièmement, il ne faut pas oublier les circonstances suivantes : les Allemands ont envahi l'URSS à travers la Finlande, la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie. Ils ont pu exécuter leur agression à travers ces pays parce que, dans ces derniers, existaient alors des gouvernements hostiles à l’Union soviétique. Par suite de l'invasion allemande, l’Union soviétique a perdu sans retour, dans les combats avec les Allemands, pendant l'occupation et par l'envoi d’hommes soviétiques dans les bagnes allemands, près de dix-sept millions de personnes. Autrement dit, les pertes de l'Union soviétique dépassent de plusieurs fois celles de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis pris ensemble. Il est possible qu'en certains lieux on soit enclin à oublier ces pertes colossales du peuple soviétique, qui ont rendu possible la libération de l'Europe du joug hitlérien. Mais l'Union soviétique ne peut oublier ces pertes.

On se demande ce qu'il peut bien y avoir d'étonnant dans le fait que l'Union soviétique, voulant garantir sa sécurité dans l'avenir, s'efforce d'obtenir que ces pays aient des gouvernements qui observent une attitude loyale envers l'URSS. Comment peut-on, si l'on a tout son bon sens, qualifier ces intentions pacifiques de l'Union soviétique de tendances expansionnistes de notre Etat ? M. Churchill affirme, plus loin, que « le gouvernement polonais, se trouvant sous la domination des Russes, a été encouragé à formuler, vis-à-vis de l'Allemagne, des exigences énormes et injustifiées ». Chacun de ses mots est une calomnie grossière et insultante. La Pologne démocratique actuelle est dirigée par des hommes éminents. Ils ont montré par leurs actes qu'ils savent défendre les intérêts et la dignité de leur patrie mieux que n'ont pu le faire leurs prédécesseurs. Quelles raisons peut invoquer M. Churchill pour affirmer que les dirigeants de la Pologne contemporaine peuvent tolérer dans leur pays la « domination » de représentants de quelque Etat étranger que ce soit? Les calomnies de M. Churchill contre les « Russes » ne sont-elles pas dictées par l'intention de semer des germes de discorde dans les relations entre la Pologne et l'Union soviétique?

M. Churchill n'est pas content que la Pologne ait effectué un tournant dans sa politique en faveur de l'amitié et de l’alliance avec I’URSS. Il fut un temps où, dans les relations entre la Pologne et l'URSS, prédominaient des éléments de discorde et de contradictions. Cela donnait la possibilité, à des hommes d’Etat du genre de M. Churchill, de jouer de ces contradictions, de chercher à mettre la main sur la Pologne sous prétexte de la protéger des Russes, d’agiter le spectre de la guerre entre l’URSS et la Pologne et de conserver la position d’arbitre. Mais cette époque est révolue, car l’hostilité entre la Pologne et la Russie a fait place à l’amitié polono-soviétique. La Pologne actuelle, démocratique, ne veut plus être un « ballon de jeu » aux mains d’étrangers. Il me semble que c’est précisément cette circonstance qui irrite M. Churchill et la pousse à des sorties grossières, dépourvues de tact, contre la Pologne. Pensez donc : on ne le laisse pas jouer aux dépens d'autrui...

En ce qui concerne les attaques de M. Churchill contre l'Union soviétique, à propos de l'extension des frontières occidentales de la Pologne, grâce à la reprise de territoires anciennement pris par l'Allemagne à la Pologne, il me semble que M. Churchill pipe ouvertement les dés. Comme on le sait, la décision relative aux frontières occidentales de la Pologne a été adoptée à la conférence de Berlin des trois puissances sur la base des demandes polonaises. L'Union soviétique a déclaré à plusieurs reprises qu'elle considérait ces demandes comme justes et équitables. Il est tout à fait probable que M. Churchill n'est pas content de cette décision. Mais pourquoi M. Churchill, sans ménager, ses flèches contre la position des Russes dans cette question, cache-t-il à ses auditeurs le fait que cette décision a été prise à l'unanimité à la conférence de Berlin et qu’elle a été votée non seulement par les Russes, mais également par les Britanniques et les Américains? Pourquoi M. Churchill a-t-il eu besoin d'induire en erreur ses auditeurs ? M. Churchill affirme plus loin que « les Partis communistes étaient très faibles dans tous ces Etats d’Europe orientale, qu'ils ont acquis une force extraordinaire dépassant de beaucoup leur importance en effectifs et qu'ils s'efforcent d'instaurer partout un contrôle totalitaire », que « des gouvernements policiers dominent dans presque tous ces pays et que, à l’heure actuelle, il n'y existe aucune démocratie véritable, exception faite pour la Tchécoslovaquie ». Comme on le sait, en Angleterre, un seul parti dirige maintenant l'Etat : le Parti travailliste, alors que les partis d'opposition sont privés du droit de participer au gouvernement anglais. Chez M. Churchill, cela s'appelle le véritable esprit démocratique. En Pologne, en Roumanie, en Yougoslavie, en Bulgarie, en Hongrie, c’est un bloc de plusieurs partis qui gouverne, un bloc de quatre à six partis, et l'opposition, si elle est à peu près loyale, se voit assurer le droit de participer au gouvernement. Chez M. Churchill cela s'appelle du totalitarisme, de la tyrannie, de la dictature policière. Pourquoi? Pour quel motif? N'attendez pas de réponse de la part de M. Churchill. M. Churchill ne comprend pas dans quelle position comique il se met avec ses discours criards sur le totalitarisme, la tyrannie et la dictature policière. M. Churchill voudrait que la Pologne soit gouvernée par Sosnkowski et Anders, la Yougoslavie par Mikhaïlovitch et Pavélitch, la Roumanie par le prince Stirbey et Radescu, la Hongrie et l'Autriche par n'importe quel roi de la maison des Habsbourg, et ainsi de suite. Il voudrait nous convaincre que ces messieurs de la fourrière fasciste peuvent garantir « un ordre vraiment démocratique ». Tel est l' « esprit démocratique » de M. Churchill. M. Churchill n'est pas loin de la vérité quand il parle de l'influence accrue des Partis communistes en Europe orientale. Il convient cependant de noter qu'il n'est pas tout à fait précis. L'influence des Partis communistes a augmenté non seulement en Europe orientale, mais aussi dans tous les pays où avait auparavant dominé le fascisme (Italie, Allemagne, Hongrie, Bulgarie, Roumanie, Finlande), ou bien où avait eu lieu l'occupation allemande, italienne ou hongroise (France, Belgique, Hollande, Norvège, Danemark, Pologne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Grèce, Union soviétique, etc.). L’accroissement de l'influence des communistes ne peut pas être considéré comme un fait du hasard, mais comme un phénomène entièrement légitime. L'influence des communistes s'est accrue parce que, pendant les dures années de la domination fasciste en Europe, les communistes se sont montrés des combattants sûrs, audacieux, pleins d'abnégation, contre le régime fasciste et pour la liberté des peuples. M. Churchill rappelle quelquefois, dans ses discours, « les petites gens qui vivent dans des maisons modestes ». Il leur donne, en grand seigneur, des tapes amicales sur l’épaule et se dit leur ami. Mais ces hommes ne sont pas aussi simples qu'on pourrait le croire à première vue. Ces « petites gens » ont leur point de vue, leur politique, et ils savent se défendre. Ce sont eux, les millions de ces « petites gens » qui ont battu M. Churchill et son parti en Angleterre, donnant leurs voix aux travaillistes. Ce sont eux, les millions de ces « petites gens », qui ont isolé en Europe les réactionnaires et les partisans de la collaboration avec le fascisme, et ont donné leur préférence aux partis démocratiques de gauche. Ce sont eux, les millions de ces « petites gens », qui, après avoir éprouvé les communistes dans le feu de la lutte et de la résistance au fascisme, ont décidé que les communistes méritaient pleinement la confiance du peuple. C'est ainsi que l'influence des communistes a augmenté en Europe. Telle est la loi du développement historique. Naturellement, M. Churchill n'est pas satisfait par un tel développement des événements, et il sonne l'alarme, faisant appel à la force. Mais M. Churchill n'était pas non plus satisfait de l'apparition du régime soviétique en Russie, après la Première Guerre mondiale. A cette époque, il sonnait également l'alarme et organisa la campagne militaire «des quatorze Etats » contre la Russie, se proposant de faire tourner en arrière la roue de l'Histoire. Mais l'Histoire s'est avérée plus forte que l'intervention churchillienne et le donquichottisme de M. Churchill l’a amené à subir à l'époque une défaite complète. Je ne sais si M. Churchill et ses amis réussiront à organiser, après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle campagne militaire contre « l'Europe orientale ». Mais s'ils y réussissent, ce qui est peu probable, car des millions de « petites gens » montent la garde pour défendre la cause de la paix, on peut dire avec assurance qu'ils seront battus, de même qu’ils ont été battus autrefois, il y a de cela vingt-six ans.

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