La gauche pour atteindre ses objectifs politiques ne devrait pas donner l'impression de favoriser les migrations
La gauche manifeste contre les lois Macron sur l'immigration, d'une rare mesquinerie et qui ne changeront rien sur le fond, voilà qui est bien. Mais pour atteindre ses objectifs politiques elle devrait éviter de donner l'impression auprès de ces masses populaires avec lesquelles elle a manifestement perdu le contact, de favoriser les migrations.
La « gauche » dont il est question ici pour nous, toutes questions théoriques mises à part, c’est le parti historique qui prend fait et cause pour la classe ouvrière dont l’intérêt passe en priorité avant tout le reste, notamment devant la défense redondante des droits de l’homme de 1789, qui est le fait au moins en paroles de presque tout le monde, sauf à l’extrême droite, et encore.
On part du principe que l’on ne peut pas gagner toutes les guerres à la fois, que le temps et les ressources sont comptées et que le parti du prolétariat ne doit pas confondre sa voix qui résonne rarement authentiquement dans les médias avec les expressions de la bourgeoisie, ou d’une partie libérale et tolérante de cette bourgeoisie, même lorsqu’elles sont bien intentionnées. Il ne doit pas non plus envoyer de signaux involontaires d’embourgeoisement nombriliste (comme les déclarations rédigées en écriture inclusive, par exemple, qui montrent que la forme l’emporte sur le contenu, ou les enfoncements de portes-ouvertes, pour réclamer des surenchères sur des droits acquis depuis longtemps).
Si propager l’idéologie des droits de l’homme et de la démocratie favorisait la cause des ouvriers et empêchait les guerres, on le saurait.
Sur le droit des migrations, il faut d’ailleurs rappeler un fait : le droit universel au voyage est celui de pouvoir quitter son pays et d’y retourner. Ce n’est pas celui d’entrer dans tous les autres pays.
Alors voici sept thèses véritablement de gauche sur les migrations à l’ère du mondialisme capitaliste occidental finissant.
1 : Si on veut représenter les classes populaires et obtenir leur appui, il faut s’opposer politiquement à la dérégulation des migrations parce que les classes populaires qu’on le regrette ou non sont intransigeantes contre les migrations.
Ce constat est indubitable au vu des enquêtes sur le vote de la classe ouvrière. Immigration et insécurité sont deux des raisons principales de son passage de la gauche à l’extrême-droite ou à la désertion des urnes. Il n’y a en effet aucune raison logique à ce que des classes populaires – même si elles ont des raisons d'expérience d’êtres devenues sceptiques - refusent de voter majoritairement pour des candidats qui proposent des mesures sociales qui leur sont favorables, à moins que ce programme ne soit systématiquement parasité par des propositions impopulaires et moralisatrices concernant la société, et qui ont bien plus de chance d’être appliquées que les mesures matérielles qui améliorent la vie quotidienne (puisqu’elles le sont déjà en grande partie et qu’elles ne coûtent rien).
2 : Cette opposition aux migrations est discutable mais elle est fondée sur des observations d’allure rationnelle qu’on ne peut ignorer qu’à ses périls. Les migrations paraissent bien avoir un impact négatif sur les conditions de vie des classes populaires : concurrence sur l’emploi, sur les services publics, dans le logement social, et renforcement de la ghettoïsation des quartiers, et les argumentaires qui prétendent l’inverse font davantage penser à de la dénégation idéologique qu’à des résultats scientifiques. Si elles sont bénéfiques pour l’économie globale des pays d’arrivée (sinon, elles n’existeraient pas) elles sont par contre selon leur opinion très dominante défavorables aux classes exploitées, qu’elles soient d’origine autochtone ou immigrée, et elles risquent d’être particulièrement défavorables à la précédente vague d’immigrés avec laquelle elle entre en concurrence directe sur le marché du travail non-qualifié. Ce sont aujourd’hui les ouvriers d’origine africaine et maghrébine et leurs enfants qui en font les frais.
3 : Les migrations divisent culturellement et politiquement les classes populaires et favorisent la progression des idées d’extrême-droite. Elles contribuent à une insécurité culturelle subjective qui aggrave le tropisme vers la droite des classes populaires. Quand on n’est pas un propriétaire, ni un résident aisé d’un quartier calme de la classe moyenne, on veut pouvoir utiliser sans réticence l’espace public et gratuit sans s’y sentir étranger dans son propre pays – à tort ou à raison, et pour cela il est essentiel de ralentir l’arrivée des immigrants pour leur donner le temps de se fondre dans le paysage – et le droit à l’indifférence. Le « droit à la différence » n’étant en fin de compte pour ceux qui n'appartiennent pas à la bourgeoisie rien d’autre qu’un droit à la discrimination, qui n’est jamais « positive » au bout du compte.
4: Les migrations sont bonnes pour le capitalisme, et ne développent pas ses contradictions, elles tendent au contraire à les atténuer et à prolonger son existence. Le recours à l’armée de réserve mondiale de travailleurs est une des principales causes de sa résistance historique malgré ses crises et ses contradictions économiques et sociales. Voir ce qu’en disait Karl Marx, en se basant sur l’expérience qu’il pouvait observer de l’immigration irlandaise en Grande Bretagne : ici
C’est aussi grâce aux migrations que le gendarme mondial du capitalisme, l’Empire américain, s’est constitué en dérobant la force de travail manuelle et intellectuelle à toute la planète.
5 : Les migrations sont mauvaises pour le Tiers-Monde : ce sont des pillages de capital humain qui ne sont pas compensés par les envois de fond des émigrés vers le pays natal, et elles y provoquent l’affaiblissement de la bourgeoisie nationale devant l’importance croissante des expatriés dans les métropoles du Nord qui ont réussi, et qui deviennent en tant qu’il forment un groupe social particulier les agents politiques et culturels de l’impérialisme. Il lui devient alors difficile de jouer son rôle historique de promoteur du développement économique et de l’indépendance, contre le néocolonialisme.
6 : Ne pas confondre humanitaire et politique : les actions de solidarité pour les migrants en danger sont indispensables et louables mais relèvent de l’élan du cœur et de la générosité, et ne peuvent pas avoir de signification politique univoque – elles n’ont rien à voir avec l’antifascisme ou avec la lutte antiraciste. Ceux qui s’imaginent le contraire, qui croient que le fascisme est à nos portes, et que l’État est raciste – alors que l’antiracisme et le devoir de mémoire des crimes fascistes sont devenus des chapitres centraux de l’idéologie officielle enseignée dès l’école et dans tous les grands médias - sont comparables aux révolutionnaires de 1848 que Marx raillait parce qu’ils rejouaient les rôles de la Révolution de 1789 appris dans les livres d’histoire au lieu d’agir réellement. Ils rejouent, sans prendre aucun risque, à part celui du ridicule, les grands combats du milieu du XXème siècle.
7 : Les accusations de racisme et de fascisme sont infondées quand elles sont adressés aux adversaires de la levée des frontières à la circulation internationale de main d’œuvre: ce sont des anachronismes malveillants teintés de mépris de classe, développés dans la petite bourgeoisie dans ses moments gauchistes et repris en chœur par une bonne partie de la sphère politique libérale. Ces amalgames argumentent sur des réactions et des traitements émotionnels de l’actualité où les images prennent le pas sur la pensée, et où la référence aux idéologies racistes du XXème siècle est utilisée à tort et à travers, pour par exemple assimiler les migrants actuels aux déportés raciaux d’hier.
Le parti-pris bruyant pro-migration des militants de gauche et d’extrême gauche dans leur majorité signifie qu’ils méprisent l’opinion populaire en remplaçant la discussion par l’invective, que consciemment ou non ils ont abandonné tout espoir d’organiser la classe ouvrière en vue d’un changement économique et social majeur, qu’ils ne souhaitent d’ailleurs probablement même plus. Leur grande nervosité quand on aborde la question sur le fond et leur intolérance sans limite envers ceux qui n’épousent pas leurs conformismes moralisateurs provient de leur mauvaise conscience - ou pire, de leur corruption.
Note 1 : Un militant de gauche ne doit pas être dupes des illusions nationalistes, mais il doit encore moins s’opposer pour des raisons idéalistes et narcissiques aux sentiments populaires, à moins de se réduire à l’insignifiance politique (ce qui est d’ailleurs en bonne voie concernant la gauche considérée dans son ensemble).
Note 2 : La représentation des migrants comme réfugiés fuyant la guerre et la misère peut être exacte dans certains cas individuels mais n’est pas généralisable. La majorité des migrants font partie dans leur pays d’origine des couches sociales éduquées ou diplômées, et ils manqueront à son développement. Quant aux réfugiés provenant de pays en guerre, il faut réaffirmer avec force deux vérités : ces guerres, c’est nous autres Occidentaux, qui les avons semées, et c’est aussi nous qui avons « ouvert la mer » aux passeurs des mafias en détruisant la Libye de Khadafi, en jouant un double jeu manipulateur du terrorisme contre la Syrie, avec la complicité de la Turquie d’Erdogan, et en transformant l'Ukraine en base hostile contre la Russie. Et malheureusement les groupes gauchistes (dont le NPA est l’idéal-type, mais non exclusivement) qui se mobilisent en faveur des migrants quand il est trop tard ont été aux abonnés absents quand il s’est agi de s’opposer à ces guerres, quand ils ne les ont pas approuvées.
Note 3 : bien souvent, ces idées bien connues et qui vont presque de soi, sont écartées d’un revers de la main dans les milieux militants et/ou communistes au nom de l’internationalisme prolétarien et d’une analyse superficielle des idées « antinationalistes » de Lénine en 1917.
A cela on ne peut que répondre brièvement que les situations concrètes changent et que nous ne sommes plus du tout dans celle d’il y a un siècle, dans la foulée de la Grande Guerre impérialiste où l’on pouvait encore espérer en l’action révolutionnaire organisée mondiale, simultanée dans de nombreux pays. Le socialisme, décidément, se construira dans chaque pays, un par un.
Vouloir supprimer les frontières et condamner toute politique nationale revient à prôner le nivellement social par le bas et s’aligner sur les prétentions nationalistes de la puissance dominante. Dans l’histoire de France, cette attitude politique porte un très vilain nom.
GQ, 12 décembre 2021, relu le 18 décembre 2024
PS "Corruption" : vivre des subventions de l'UE, du gouvernement américain, d'ONG idéologiques du libéralisme, en échange de propager leur influence, c'est être corrompu.