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Réveil Communiste

Une totale liberté d'expression dans une société capitaliste se renverserait en son contraire

21 Septembre 2024 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #GQ, #Théorie immédiate, #Répression, #Ce que dit la presse, #Art et culture révolutionnaires, #Economie

Une totale liberté d'expression dans une société capitaliste se renverserait en son contraire

Dialectique de la liberté d’expression : une totale liberté d’expression dans une société libérale parfaite se renverserait en son contraire.

Dans une société bourgeoise et capitaliste où régnerait un État minimum suivant le mot d’ordre « laissez-faire, laissez passer » qui laisserait une totale liberté d’expression à tous ses citoyens supposés libres et égaux en droits, dans l’esprit qui est paraît-il celui du premier amendement à la constitution des États-Unis, et de ce que Elon Musk prétend être son intention dans la gestion du réseau X, ex Twitter, on aboutirait très rapidement à une non-liberté parfaite.

En effet dans une telle situation utopique, les expressions d'opinion individuelles seraient libres formellement mais leur communication, leur impact et leur réception seraient complètement déterminées par le volume du capital qui y serait consacré. Ils ne seraient en fait que des marchandises. Or on fait circuler les marchandises en manipulant les émotions, et non en s’adressant à l’intelligence et à la raison.

Dans les domaine des idées, des informations, de l’art ou de la culture peut-on croire réellement que le libre jeu des intérêts privés contribuerait à l’optimum du bien public ? Encore bien moins que dans celui des marchandises matérielles ! Adam Smith qui affectait de le croire dans le dernier cas n’avait d’ailleurs jamais eu l’idée saugrenue d’étendre si loin le champ de ses hypothèses théoriques.

Dans notre conjoncture idéologique caractérisée par le relativisme post-moderne, qu’on définit parfois comme le règne de la « post-vérité » ou de la « réalité augmentée », penser que la vérité finira toujours par sortir du puits est une simple naïveté. Il n’existe tout simplement plus de référence incontestable au réel, qui donnerait à ceux qui défendent la vérité contre la falsification un quelconque avantage qualitatif.

Une telle dialectique de renversement est perceptible dès la fameuse règle de bon voisinage qui figure dans la déclaration des droits de l’homme de 1789 : la liberté s’étend jusqu’aux bornes de la liberté d’autrui : mais comment sont placées ces bornes ? Et bien, précisément au bout du domaine où s’étend le pouvoir d’achat, d’embauche, de corruption, du libre et égal en droit individu du capitalisme – et cela même en concédant l'abstraction pour les besoins de l’utopie libérale du réseau familial, clanique, idéologique, confraternel, religieux, etc. auquel il appartient forcément par surcroît.

Cela signifie que la liberté d’expression de ceux qui ne détiennent pas de capital – et celui-ci est essentiellement moyen de production – est extrêmement faible, voire complètement inexistante.

Bref, c’est la liberté de pousser le caddie.

Dans ces conditions utopiques il apparaîtrait inévitablement un ressentiment populaire tout à fait justifié à l’encontre de ceux qui paraîtraient bénéficier d’un privilège de l’expression de leurs idées, de leurs croyances, de leurs créations. Alors les autorités seraient obligées de légiférer pour préserver l’ordre public, à la fois pour museler ce ressentiment, mais aussi pour encadrer la capacité d’expression des riches par une sorte de loi somptuaire : la liberté de ton réelle ou apparente devenant une sorte de signe extérieur de richesse.

Dans une utopie libérale réalisée, comme elle l’était d’ailleurs sur la toile internet à ses débuts, la liberté de répéter les messages serait par contre presque totale, la production spontanée du bruit, du vice et de la bêtise suffisant à rendre inutile tout contrôle idéologique en noyant dans le flot tous les messages pertinents, et dire ce qu'on pense « librement » ou « spontanément » n’y serait plus qu’une manifestation de psittacisme aléatoire. Il importerait peu que X ou Y prennent position pour A ou pour B, puisque le rapport de force entre A et B serait fixé par l’investissement quantitatif respectif de capital. Mais on constate qu’une telle utopie est condamnée à en rester une , car la production intellectuelle dans n’importe qu’elle société doit rester au contact du réel, et il est bien évident que dans de telles conditions, quand l’astrologie fait jeu égal avec l’astronomie, ce n’est pas possible.

Les limitations à la liberté d’expression dans les sociétés capitalistes réelles sont destinées dans une certaine mesure à empêcher qu’un capital en écrase un autre et en pratique reflètent l’influence des différents clans de la bourgeoisie qui ont chacun leur idéologie propre – en général fortement biaisée - sur la prise de décision dans les institutions d’État et sur le récit idéologique qu’il est nécessaire de diffuser dans les masses pour que la société bourgeoise continue indéfiniment...

La liberté n’est pas le droit de dire – ni de faire - n’importe quoi – droit qui n’est jamais effectif, toutes les civilisations ayant leurs tabous, qui sont presque toujours liés en dernière analyse à des prescriptions concernant la sexualité et la mort et plus ou moins consciemment assumées et qui évoluent au cours de l’histoire selon un rythme difficilement explicable.

La liberté c’est la conscience de penser et le courage de faire de ce qui est nécessaire au moment historique précis où l’on vit – en ce moment, c’est de s’opposer aux guerres impérialistes de l’Occident post-moderne en Ukraine et de Gaza et à la guerre mondiale contre la Chine qu’il nous prépare.

On se doit de combattre pour la liberté d’expression des exploités et des opprimés qui est toujours contestée dans la pratique, mais la liberté d’expression absolue en soi et pour soi est une idole, parce qu’elle n’existe pas ailleurs que dans la rhétorique des tribunaux, et que les transgressions de la morale dominante se renversent aux générations suivantes en conventions, et on passe nécessairement de la Factory d’Andy Warhol à New York en 1968 à l’Eurovision à Malmö en 2024.

Ce n’est pas le principe de la liberté inscrit dans le marbre qui défend celle des opprimés, c’est la lutte des opprimés qui donne un peu de substance réelle à ce principe idéologique.

GQ, 13 mai 2024, relu le 21 août

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