Afrique : le vent nouveau
VENT SOUVERAINISTE QUI SOUFFLE SUR L’AFRIQUE !
Diagne Fodé Roland
Qui a encore en mémoire qu’en 1989/91 ce que la propagande impérialiste avait appelé « le vent d’est de la démocratie » déferlant sur l’Afrique après la conférence françafricaine de la Baule en 1989, année de la « chute du mur de Berlin » ? Pas grand monde assurément pour faire le lien, mais on se souvient des effets socialement dévastateurs de la dévaluation du francs CFA consécutive à plus d’une décennie de plans d’ajustement structurel libéraux (PAS) au nom de la « dette » avec la formule magique du FMI, de la Banque Mondiale et du GATT baptisé OMC « moins d’État, mieux d’État ».
Face aux luttes d’alors des peuples d’Afrique, ce prétendu « vent d’est démocratique » a été en réalité un remodelage du néocolonialisme passant des dictatures civiles et surtout militaires françafricaines au multipartisme généralisé et à des alternances entre libéraux (droite) et sociaux libéraux (socialistes).
Aujourd’hui souffle sur l’Afrique ce que nous appelons le vent souverainiste de la seconde phase de libération indépendantiste africaine.
La jeunesse patriotique qui a soupé du « vent d’est démocratique » dit stop au modèle démocratique néocolonial qui, sous couvert d’un « multipartisme » affamant, engendre la poursuite effrénée du pillage des richesses nationales par les Multinationales impérialistes, des vols systémiques des deniers publics par la bourgeoisie bureaucratique néocoloniale et des exodes meurtriers du désert et des mers.
Par sa révolte, la jeunesse patriotique veut vivre de son travail au pays et non plus mourir dans le désert et les océans ou devenir esclave sans papiers dans les pays impérialistes.
Voyons comment le « vent d’est démocratique » a engendré le nouveau vent souverainiste.
Ce que cachait le « vent d’est démocratique »
Dans les années 80, les économies des puissances impérialistes – USA et UE – sont de plus en plus secouées sur fond de crise générale systémique par les crises conjoncturelles comme celle provoquée par les vagues de nationalisations à la fois de l’extraction et du raffinage du pétrole et la naissance de l’OPEP entre les années 68 et au milieu des années 70.
La sur-accumulation du capital financier ayant besoin de débouchés à l’échelle mondiale a fomentée « la crise de la dette » pour imposer les plans libéraux d’ajustement structurel dépossédant les États du Sud dominés de leur appropriation des richesses minières nationales et par les privatisations des entreprises nationales et parapubliques. L’Afrique de la zone monétaire françafricaine CFA allait subir la dévaluation de 50 % pour que les Multinationales françaises en particulier s’emparent à moindre coût des richesses minières, du foncier (terre) et des entreprises publiques et parapubliques ainsi bradées.
La pensée unique libérale, le « there is no alternative » au libéralisme va réduire le secteur formel étatique et privé à la portion congrue et généraliser le secteur de l’économie informelle de survie dont une des conséquences visibles est l’émigration forcée piroguière et la traversée du désert mortifère vers des prétendues eldorados pour y devenir travailleurs sans papiers alimentant ainsi l’économie souterraine informelle toujours en extension qui s’ajoute à l’armée de réserve du chômage toujours en croissance.
La défaite du camp socialiste d’Europe et la restauration du capitalisme en URSS et son implosion vont être utilisées par les impérialistes pour s’emparer de pans entiers des économies nationales tant des pays de l’ex-camp socialiste d’Europe que des pays du Sud, notamment en Amérique du Sud et en Afrique.
Les stratégies de délocalisations vers les pays à faibles coûts salariaux des entreprises à faibles composition organique du capital détenues par les Firmes transnationales impérialistes vont s’accélérer parallèlement à l’externalisation avec la sous traitance d’activités jugées subalternes avec des donneurs d’ordre et/ou maison-mère ré-organisant les Grands monopoles capitalistes-impérialistes dans les pays impérialistes en séparant activités à forte et faible composition organique du capital et travailleurs intellectuels et manuels.
Comme on le voit, contenu durant 70 ans par l’URSS et le camp socialiste d’Europe et du Tiers Monde, la mondialisation inhérente au capitalisme sur fond de crise systémique de surproduction et de sur-accumulation du capital est à la base d’une restructuration de la globalisation expansive du capital dorénavant limitée que par le développement souverain des vrais « pays émergents » capitalistes et socialistes dont les BRICS, notamment les pays rescapés de l’ex-camp socialiste que sont la Chine, le Vietnam, la Corée du nord, Cuba.
Voilà ce que cachait le fameux « vent d’est de la démocratie » propagé par le monopole dictatorial hégémonique des médias de l’impérialisme (USA/OTAN/UE).
L’échec des expériences démocratiques révolutionnaires d’alors
Cette face cachée du « vent d’est démocratique » a été dans un premier temps en Afrique voilée par la conquête démocratique du multipartisme et des alternances électorales changeant les hommes et partis au pouvoir sans changer le programme unique libéral dicté par les institutions financières internationales, les institutions de Bretton woods.
Les luttes populaires et révolutions inachevées dans nos pays d’Afrique ont renversé incomplètement les dictatures militaires ou civiles françafricaines, eurafricaines et usafricaines sans balayer de fond en comble le système néocolonial. L’architecture néocoloniale s’est adaptée en aiguillant les insurrections populaires de nos peuples vers le cul de sac du « multipartisme » présenté comme le fin du fin « démocratique, condition sine qua non du développement » par « la coopération » et non la rupture avec l’impérialisme.
Ainsi se sont succédé au pouvoir par la voie électorale dans nos pays africains les libéraux et sociaux libéraux et parfois des ex-gauches totalement intégrés aux gouvernements néocoloniaux. L’idéologie du « there is no alternativ » au libéralisme a été ainsi transférée des libéraux et sociaux libéraux au sein même des partis et dans la tête des leaders de la gauche historique marxiste-léniniste et maoïste. On est littéralement passé de « l’impérialisme tigre de papier » asséné subjectivement en dehors de toute lecture scientifique de la réalité idéologique et politique du rapport des forces entre capital et travail, entre camps impérialiste et socialiste, entre impérialisme et peuples opprimés à la soi-disant « invincibilité » de l’impérialisme.
Mais comme nous l'écrivons contre ce vent capitulard au sein de la gauche petite bourgeoise dans l’article intitulé « SORTIE PROGRESSIVE DES ANNÉES CONTRE–REVOLUTIONNAIRES 80/90 : Les peuples et les travailleurs reprennent l’initiative, l’Afrique ne peut rester hors du mouvement historique ! » : « Dans le contexte international actuel de contre-révolution bourgeoise impérialiste, les résistances nationales, démocratiques, anti-impérialistes, malgré le rapport des forces encore favorable aux impérialistes et leurs alliés bourgeois nationaux compradores, se manifestent dans certaines victoires électorales, notamment en Amérique du Sud.
Les luttes sociales, nationales et démocratiques débouchent, par-ci par-là, sur des victoires électorales mettant au pouvoir, à l’instar de Salvador Allende au Chili dans les années 70, des révolutionnaires, des patriotes démocrates anti-impérialistes.
Cette évolution correspond à une nouvelle étape, succédant à la période de défaite, marquée par la montée en puissance progressive des résistances sociales, populaires et nationales. C’est ainsi qu’il faut comprendre les victoires électorales des peuples français et néerlandais lors des référendums sur la Constitution Européenne et la récente percée électorale du camp du NON au Pays-Bas pour les législatives récentes.
C’est aussi cela qu’expriment les victoires électorales de Lula au Brésil, de Chavez au Venezuela, d’Evo Morales en Bolivie, d’Ortéga au Nicaragua, de Corréa en Equateur, etc., et la contestation électorale de millions d’électeurs Mexicains en faveur d’Obrador au Mexique contre la fraude du candidat pro-US.
En Amérique du Sud, la lutte anti-impérialiste prend l’allure de victoires électorales des forces politiques révolutionnaires qui ont rompu avec la social-démocratie, voire même s’opposent à celle ci sur le plan idéologique et politique. Les représentants officiels de l’Internationale Socialiste révèlent ainsi clairement en pratique leur nature d’agents de l’impérialisme, en particulier de la domination US sur « son arrière cour ».
Mais cette résistance va au delà et se propage peu à peu sur tous les continents. C’est ainsi que les fraudes électorales, les conséquences du Tsunami et la contestation qui s’en est suivie a débouché au Népal et au Sri Lanka sur la lutte armée actuelle contre les monarchies pro-impérialistes.
En Afrique, cela s’est traduit par les victoires électorales de Mugabe au Zimbabwe, par l’alternance au Sénégal, la résistance de Gbagbo en Côte d’Ivoire, etc. Tous ces exemples non exhaustifs manifestent à des degrés différents les résistances des peuples à la re-mondialisation, à la re-colonisation capitaliste-impérialiste.
Ces victoires électorales sont le contre-pied de l’utilisation par l’UE et les USA des élections pour prendre le contrôle de pays entiers et poursuivre le démantèlement des États nations ou multinationaux. C’est le cas des prétendues « révolutions de couleurs, à fleurs » en Ukraine, en Georgie, en ex-Yougoslavie, etc.
Même s’il est clair que quand les impérialistes et les bourgeois nationaux compradores sont électoralement mis en échec par la volonté populaire au profit des forces objectivement anti-impérialistes, alors l’impérialisme n’hésite pas à revenir à sa vieille tradition des coups d’état comme celui qui a échoué au Venezuela contre Chavez ou celui réalisé au Togo par Eyadéma fils.
La leçon à retenir de tout cela est que les élections sont et peuvent être un moyen pour les révolutionnaires tout comme pour les impérialistes et leurs alliés bourgeois compradores pour atteindre chacun leurs objectifs contradictoires opposés. Les enjeux électoraux actuels dans lesquels les révolutionnaires, les patriotes démocrates sont parties prenantes mettent en exergue les deux processus contradictoires qu’engendre la reprise de la mondialisation capitaliste : unification au centre et soumission/implosion à la périphérie du système impérialiste.
D’où l’importance majeure que prend la question nationale, non seulement sous la forme de la lutte pour l’indépendance nationale, mais aussi sous la forme de la défense en tant que telle de l’État nation ou multinational dans le respect des principes du droit des nations, des peuples à disposer d’eux-mêmes et de l’union libre des peuples libres. (...)
Les résistances actuellement victorieuses sont parfois dirigées par les représentants politiques des classes féodales, aux contenus idéologiques moyenâgeux. Ce fait objectif est souvent instrumentalisé par l’impérialisme pour empêcher toute solidarité avec ces résistances nationales dans les pays faibles et dépendants. Les révolutionnaires prolétariens doivent toujours garder en vue que ces luttes, au delà de la nature idéologique et de classe de ceux qui les dirigent, participent objectivement à l’affaiblissement de l’impérialisme, du capitalisme et donc facilitent jusqu’à un certain point le changement du rapport des forces au bénéfice des forces révolutionnaires, patriotiques et de progrès. En ce sens, les résistances nationales mêmes dirigées par des bourgeoisies et/ou des féodalités nationalistes sont éminemment plus progressistes que les sociaux libéraux, les révisionnistes et autres renégats « modernes » qui capitulent devant l’impérialisme.
Ajoutons à tout cela, l’important sommet de la Havane des pays non alignés et le rôle décisif d’avant-garde qu’y jouent Cuba avec Fidel Castro, le PC cubain et Hugo Chavez » (2006).
La faillite des expériences libérales flanquées des ex-gauches consécutive à leurs luttes des places dans les gouvernements sociaux libéraux et libéraux à la place de la lutte des classes est à la base de l’émergence d’une jeunesse patriotique sur la scène politique sans et contre les renégats de l’ex-gauche.
Cette trahison tragique, qui n’est pas nouvelle dans l’histoire de la lutte des classes et des peuples, a toujours été contrebalancée par l’existence de résistants de gauche communistes qui poursuivent la lutte et fusionnent peu à peu avec la rébellion de la jeunesse contre l’apatridie et l’égoïsme prédateur bourgeois de la « mal-gouvernance ».
La résistance souverainiste actuelle des peuples met en alliance toutes les classes sociales de la société qui contestent la domination néocoloniale et le pouvoir de la bourgeoisie bureaucratique compradore d’État, c’est-à-dire les ouvriers, les paysans, les pêcheurs, les éleveurs, les artisans, les travailleurs de l’informel, la petite bourgeoise intellectuelle, des fractions de la bourgeoisie nationale victime d’ostracisme de la part de l’impérialisme et de la bourgeoisie bureaucratique d’État.
Cette alliance objective souverainiste est subjectivement dominée par la petite bourgeoisie intellectuelle civile et militaire. Son programme combine généralement ré-appropriation et protection souverainiste de l’économie nationale, souveraineté monétaire, renégociation des contrats léonins, priorité aux capitalistes nationaux pour l’attribution des marchés publics et investissements sociaux dans l’école et la santé.
La nécessité de l’unité tactique du camp patriotique doit être assumée par les communistes révolutionnaires pour contribuer au développement et à la consolidation de l’hégémonie culturelle du patriotisme tout en œuvrant à la re-conscientisation de classe du prolétariat et de l’ensemble des classes laborieuses. Telle est la double besogne du moment.
L’actuel vent souverainiste de la seconde phase de libération africaine prépare la phase de l’émancipation sociale
En effet, l’histoire seule à le secret de conférer une certaine actualité à l’analyse du communiste marxiste-léniniste Amilcar Cabral à la Troisième Conférence des peuples africains au Caire, tenue du 25 au 31 mars 1961 :
« Dans plusieurs pays la lutte de libération n’a pas pu atteindre un caractère révolutionnaire. Le bilan positif de l’année 1960 ne peut pas faire oublier la réalité d’une crise de la révolution africaine. C’est l’existence de cette crise et la certitude qu’il est possible de la résoudre qui donnent une importance extraordinaire à cette Conférence.
Quelle est la nature de cette crise ? Il nous semble que loin d’être une crise de croissance, elle est principalement une crise de connaissance. Dans plusieurs cas, la pratique de la lutte de libération et les perspectives de l’avenir sont non seulement dépourvues d’une base théorique mais aussi plus ou moins coupées de la réalité concrète du milieu. Les expériences locales ainsi que celles d’autres milieux, concernant la conquête de l’indépendance nationale, l’unité nationale et les bases pour la construction du progrès, ont été ou sont oubliées.
Cependant les conditions historiques de nos jours sont très favorables à la marche victorieuse de la révolution africaine. Pour agir en accord avec ces conditions favorables, que nous aussi nous avons créées, il nous semble que parmi les nécessités à satisfaire, les trois suivantes sont très importantes : a) connaissance concrète de la réalité de chaque pays et de l’Afrique ainsi que des expériences concernant d’autres peuples ; b) élaboration, sur des bases scientifiques, des principes qui doivent orienter la marche de nos peuples vers le progrès (lutte de libération et reconstruction économique) ; c) définition des mesures pratiques à adopter dans chaque cas particulier. Tout le monde peut facilement voir en quoi ces nécessités répondent à la nature et à l’origine des principaux problèmes que nous affrontons... » .
La « crise de connaissance » dont parlait Amilcar Cabral liant passé et présent pour préparer le futur des luttes révolutionnaires africaines est à compléter par l’enseignement de Karl Marx disant que parfois dans la lutte « tout pas en avant vaut mieux que 12 programmes ». Les renégats opportunistes de l’ex-gauche africaine ont jeté aux oubliettes ces deux enseignements pour justifier leurs luttes des places dans les gouvernements néocoloniaux.
Les dégâts de ces reniements et capitulations sont tels qu’en août 1994, en pleine défaite du camp socialiste d’Europe et des diktats mondialisés de la pensée unique libérale, de la vague des privatisations bradages née de la dévaluation du CFA, nous écrivons dans Ferñent ».
Toutes les théories libérales du « village monde », de la « globalisation » libérale, de la « libre circulation de la finance, des marchandises, des services », de la soi-disant « citoyenneté mondialisée », de la « mondialisation de la démocratie multipartite, condition du développement », de « la liberté individuelle contre le corset collectif moutonnier » s’écroulent comme des chimères sous les coups de boutoirs de la réalité naturelle du capitalisme impérialiste « cause de la destruction de la nature et de l’humain » selon la juste formule de Karl Marx.
Après des décennies, cet état objectif de reflux de la lutte de classe et de la lutte de nos peuples opprimés commence à prendre fin avec le formidable réveil de la jeunesse souverainiste qui oppose le patriotisme au néocolonialisme.
L’hégémonie culturelle du souverainisme pour paraphraser Gramsci contre la servilité apatride néocoloniale est la première étape qui a triomphé au Mali, au Burkina Faso, au Niger et est peu à peu en voie de l’être dans les autres pays africains et le nôtre au Sénégal.
Telle est la direction prise par la roue de l’histoire qui oppose la « mondialisation » libérale hégémonique unilatérale de l’impérialisme US/OTAN/UE au multilatéralisme souverainiste.
1er mars 2024