Sur la campagne de Fabien Roussel : pourquoi ça patine? (à jour 1er décembre)
La campagne de Fabien Roussel semble patiner, au moins au vu des sondages qui sont ce qu'ils sont mais qui sont une indication dont tout le monde tient compte en pratique. Je crois que ce sur-place est dû à trop de pas en avant, suivis de deux pas en arrière.
Il ne sert à rien d'affronter la meute en déclarant courageusement que les déboutés du droit d'asile doivent être reconduits dans leur pays, si pour se faire pardonner on produit et l'on diffuse ensuite à chaque crise migratoire de longs communiqués dont la leçon finale semble être qu'il faut laisser entrer tout le monde. Il ne faut pas assumer la ligne Marchais à moitié. Et on ne peut pas briser la glace dans les médias avec des déclarations-parapluies consensuelles qui pourraient être contresignées par n'importe qui à gauche de Marine Le Pen.
En fait, beaucoup de militants n'ont pas l'air de comprendre que l'ennemi principal c'est Macron, et non pas Marine Le Pen ou Zemmour.
D'ailleurs, si j'étais partisan d'ouvrir grand les frontières et d’accueillir systématiquement tous les réfugiés, sachant que cette position est extrêmement impopulaire dans les classes populaires, je me garderais bien de le claironner et j'attendrais d'être arrivé au pouvoir pour mettre en pratique mes bonnes intentions. Et c'est pas comme ça qu'on va y arriver, au pouvoir
Il est contreproductif sur tous les plans de croire qu'on peut combattre Zemmour en proposant sa mise hors la loi pour racisme, ce qui n'aura pas lieu de toute manière ! Cela donne l'impression qu'on n'a pas d'argument solide à lui opposer. Il fallait débattre contre lui pour récupérer une partie de sa notoriété, puisque soi-disant Roussel en manque. Ce n'est pas au bouffon du moment qu'il faut couper la chique parce qu'il y en aura toujours un autre, c'est aux milliardaires qui contrôlent les médias. Mais on est obligé pour le moment de passer dans les mêmes médias.
Lorsqu'on s'est attiré la haine ouverte de tous les gauchistes, y compris ceux qui se trouvent à l'intérieur du PCF, en soutenant la police, il faut enfoncer le clou, au lieu de donner l'impression de vouloir se faire oublier sur cette question. Si je me souviens bien, la cote sondagière de Fabien Roussel s'est soudain réveillée quand il a eu le courage de se rendre au rassemblement en hommage aux policiers tués par des dealers ! A méditer !
En rajouter sur le climat, même pour défendre le nucléaire, ça fait peut être plaisir aux militants qui se font dicter leur agenda par les médias, mais ça prend la place des questions sociales. Ce n'est pas le thème du climat qui va faire revenir les abstentionnistes aux urnes.
Je suis bien d'accord qu'il est inutile d'attendre de lui un "Frexit" qui de toute manière ne correspond pas à sa position ni à celle du PCF, mais il ne peut pas continuer à rester complètement muet sur l'Europe, et il faut expliquer comment on peut et on va s'opposer à l'application des directives économiques et sociales de l'UE, qui forcent à reculer l'âge de la retraite ou à privatiser la SNCF. Une telle explication aurait l'avantage de provoquer des réactions et des polémiques avec les adeptes de la pensée unique européiste et ainsi d'attirer l'attention des médias et du public sur le contenu économique et social.
Des argumentaires chiffrés plus affutés et accessibles à tous doivent rendre concrètes et crédibles les mesures sociales, pour ne pas donner l'impression de proposer une liste pour le Père Noël. Par exemple, sur la baisse des prix de l'énergie : il faut produire et diffuser massivement un document simple et exact du style "combien ça coûte, et où on trouve l'argent". Les niveaux proposés d'augmentation des salaires sont élevés, et tendent du coup à ne pas être crus, mieux vaut moins, mais mieux, disait Lénine.
Enfin, au lieu d'éviter soigneusement le sujet, ou de donner des coups de pieds de l'âne à l'URSS il faudrait revendiquer les aspects positifs du socialisme, qui est tant regretté là-bas, et faire passer à l'occasion l'idée que la classe ouvrière en France et la paix dans le monde ne se portent pas mieux, loin de là, avec sa disparition.
Ces pudeurs et ces zigzags sont bien évidemment dus à la volonté de ménager dans le parti les défaitistes, les post-communistes et tous ceux qui trainent les pieds. Mauvais calcul, il vaudrait mieux qu'ils courent chez Mélenchon pour y semer encore davantage la pagaille.
Au lieu de cela, il ne faudrait pas avoir peur de paraître un peu méchant. Les électeurs respectent et votent pour ceux qui se font respecter.
GQ, 15 novembre 2021
Nous écrivions en juin dernier :
Fabien Roussel a mis les pieds dans le plat sur la sécurité sur le nucléaire et sur l’immigration, c’est bien, c’est ce qu’il fallait faire. Il communique par la polémique contrôlée, qui est une méthode efficace de propagande. L’indignation feinte ou réelle des adversaires et des concurrents sert de caisse de résonance, la seule possible dans les médias tels qu'ils sont.
Et s'il reprenait maintenant à son compte la revendication phare des Gilets Jaunes, à savoir une baisse conséquente des prix du carburant [ça, il l'a fait], à laquelle il pourrait ajouter la gratuité des autoroutes, et l'opposition aux mesures visant à exclure les véhicules anciens des centres-villes?
Interpellé sur C News sur l'expulsion des demandeurs d'asile déboutés, il répond fort justement "quand on n'est pas bénéficiaire du droit d'asile, on a vocation à retourner chez soi", ce qui est qualifié par les trotskystes de Révolution Permanente et par les troglodytes de la section dissidente du Quinzième arrondissement de "sortie xénophobe".
Qu'est ce qu'ils auraient voulu qu'il dise, ces belles âmes? que les déboutés et autres irréguliers ont droit de rester en France, même quand le droit, justement, dit le contraire? On voudrait qu'il prononce des propos irresponsables qui le disqualifierait directement auprès de l'électorat populaire? On peut se poser des questions sur les motivations profondes de ce genre de critiques.
J’aimerais aussi maintenant entendre davantage ce qu’il a à dire sur l’international, à part sur Cuba et sur la Palestine, où il est très bien aussi. J'avais soutenu à fond la candidature Mélenchon en 2017 principalement à cause de ses bonnes positions de l'époque dans ce domaine, considérant qu'il pouvait atteindre le second tour et même gagner, ce qui faisait de son bulletin de vote une arme réelle contre l'impérialisme (cette éventualité me paraissant exclue en 2022). [Fabien Roussel a bien réagi sur l'OTAN après la querelle des sous-marins]
Second tour et victoire? Il y a très peu de chance que Fabien Roussel y parvienne mais qui sait? l'opinion publique à l'ère des réseaux sociaux étant de plus en plus volatile et imprévisible ! Ce qui caractérise les bonnes surprises, c'est que presque personne ne s'y attend. Quelle chance de victoire accordait-on à Pedro Castillo, au Pérou, il y a encore trois mois? Le PCF pourrait-il renaître de ses cendres et briguer le pouvoir comme le fait aussi le Parti communiste chilien [qui a cané devant l'obstacle, finalement] ?
D'ailleurs ce scepticisme condescendant est aussi une chance, car il accorde au candidat une fenêtre de neutralité dans les médias, qui vont même lui donner la parole en croyant diviser la gauche, ce qui pourraient bien aboutir à l'inverse de leurs intentions. Le candidat rassembleur pourrait bien être Roussel, justement.
En attendant ce que j’aimerais entendre, par exemple, c’est ce qui suit :
Sur l’OTAN : réclamer publiquement la sortie de L’OTAN au nom de la paix [il l'a fait aussi] et non sa dissolution, comme le fait en Allemagne Die Linke, ce qui est impossible et permet d'esquiver la question. L'OTAN menace gravement la paix du monde et rien que cette revendication clairement mise en avant pourrait motiver le vote.
Sur l’UE : il est sans doute illusoire de lui demander le Frexit, ou même un referendum sur le Frexit, vu les rapports de force politiques (y compris et surtout à l'intérieur du PCF). Mais il peut déclarer sa volonté d’empêcher ou de cesser la mise en application des directives européennes les plus attentatoires à la souveraineté et aux droit sociaux ( les « suspendre » par exemple) comme celles sur la mise en concurrence et sur la privatisation des transports et de l’énergie et celle sur les travailleurs détachés. Ainsi que de l’encadrement du budget par Bruxelles. Et j'en oublie.
Sur l’ONU : s’engager à défendre le siège permanent et le droit de veto de la France au conseil de sécurité.
Sur les sanctions contre divers pays (et non pas seulement contre les blocus unilatéraux) : demander la levée de toutes les sanctions internationales auxquelles la France participe au titre qu'elles frappent aveuglément les peuples, et qu'elle sont utilisées contre les personnalités comme une arme d'intimidation pour obliger les gouvernants à s'aligner sur les exigences de l'Occident [ici, on ne se mouille pas].
En matière économique la petite musique protectionniste, j’aimerais l’entendre de manière plus insistante [ça, il le fait]. Proposer un plan économique de rapatriement de la production industrielle en France, par exemple. L’écologisme et le « bio » à cet égard peut être un prétexte avouable notamment dans le secteur agricole, Mélenchon proposait en 2017 de créer 400 000 emplois agricoles sous ce titre, et sur ce point, il avait raison.
GQ, 19 juin 2021