Sur la Biélorussie, la CGT a tout faux : examen critique du communiqué
Belarus, la CGT entre contre-vérités et approximations.
La CGT vient de faire connaître son analyse des évènements au Belarus.
Ce qui se veut une « note de référence » du département international est en fait une interprétation partisane qui, dans le fond et la forme, met en question la crédibilité de la CGT elle-même. 30 ans après la disparition de l’URSS, le document suinte l’antisoviétisme. Il est dans la continuité d’autres déclarations à l’inspiration identique et fort logiquement en phase avec l’aide financière apportée le 10 juillet 2016 par la CGT à « Memorial ». Cette ONG russe liée au réseau mondial de l’escroc milliardaire Georges Soros, l’un des instigateurs des révolutions de couleurs.
Sans surprises, la direction de la CGT fait une nouvelle fois le choix de renoncer au contenu de classe de ce qui étaient ses positions de principes. Ce choix met en cause son indépendance de jugement, la sincérité de sa critique, son identité et son histoire.
Depuis son affiliation à la Confédération européenne des Syndicats (CES) et à la Confédération syndicale internationale (CSI), la CGT a décidé de s’aligner systématiquement sur les objectifs de ces deux organisations. Il faut bien admettre qu’elle le fait sans état d’âme, en accompagnant la CFDT, les forces syndicales et politiques qui en France, en Europe ou dans le monde font du modèle libéral au plan social, économique et géopolitique un horizon indépassable. Dorénavant et dans le domaine international, rien ne distingue les analyses de la CGT de ceux qui ont fait le choix de l’idéologie dominante et de l’air du temps. Toujours à partir d’un postulat de départ et selon les besoins, le Département international de la CGT arrange la réalité des faits comme ça lui convient. Cela se caractérise par des contre-vérités, des oublis délibérés, l’ignorance, l’approximation et les complicités! Par ailleurs, la CGT se livre avec ce texte à une mise en cause caricaturale de la principale et de loin, la plus puissante organisation syndicale, « la Fédération des Syndicats du Belarus », ainsi qu’à l’égard de la Fédération syndicale mondiale (FSM) à laquelle ce syndicat est affilié.
Trop de militants de la CGT sont ignorants ou sous-estiment cette évolution qui depuis plus de 20 ans tourne le dos à la solidarité internationaliste, à l’unité et la cohésion du mouvement syndical dans le monde. Dans le contexte d’un aiguisement mondial des luttes de classes, d’enjeux planétaires, de risques de guerres et d’une crise sanitaire sans précédents, qui peut prétendre que, seul, il sera en mesure de trouver les moyens d’une alternative. Le syndicalisme international ne doit-il pas trouver le chemin de l’action, de la convergence et du rassemblement ? A travers l’appréciation qu’elle donne sur les évènements du Belarus, l’attitude de la CGT va à l’encontre de telles exigences.
Comme nous sommes tous et toutes comptables de ce qu’est la CGT, cela nécessitait une clarification en forme de mise au point ou de mise à jour. Cette démarche est à partager avec les syndicats et militants de la CGT. C’est à dire ceux qui entendent continuer à défendre le caractère anticapitaliste et anti-impérialiste de leur syndicat et assumer ainsi leurs responsabilités, sans ingérence de qui que ce soit. Nous reprenons ici les faits tels qu’ils sont présentés dans cette « note » en y apportant les éclaircissements rendus nécessaires. Il ne s’agit pas d’opinions « pro Loukachenko » mais d’opinions « pro vérité ».
*Jean-Pierre Page, ancien membre de la Commission exécutive confédérale et responsable du Département international de la CGT.
*Bruno Drweski, Maître de conférences, chercheur à l’INALCO (Institut national des Langues et Civilisations orientales), militant CGT FERC-Sup.
Pour une meilleure compréhension, le texte du Département international de la CGT est en caractère romain, notre opinion est en italique.
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E space international-Europe-Europe de l’Est
Situation sociale et syndicale au Belarus
Le Belarus est un pays de 9,5 millions d’habitants qui accède à l’indépendance en 1990 et se retrouve immédiatement en proie à une grave crise économique provoquée par les causes mêmes de sa naissance, la désintégration de l’espace économique soviétique autrefois fortement unifié. A cette époque déjà, les grèves sont nombreuses et font souvent plier les autorités. C’est dans ce contexte qu’Alexandre Loukachenko accède au poste de président en 1994 en remportant haut la main les élections sur fond de mécontentement social. Il y donne immédiatement le ton en réprimant, en 1995, la grève des travailleurs du métro de Minsk. Cadrer étroitement les travailleurs et faire la guerre sans merci au syndicalisme indépendant sont les traits constants de sa politique.
Commentaire : Loukachenko a en fait mené dès son élection une politique qui visait à défendre la propriété publique, réinstaurer un Etat social intervenant sur le terrain économique, tout en multipliant les contacts avec les pays non alignés sur la mondialisation néolibérale, en particulier Cuba, le Venezuela, la Chine, le Viêt-nam, ce qui lui a valu très vite une série de sanctions de la part des puissances occidentales.
Il a remporté successivement toutes les élections et référendum et, pour les premiers d’entre eux, aucune n’a été remise en cause par qui que ce soit. Malgré la présence d’observateurs de l’OSCE, les USA, leurs alliés européens et les grands médias ont en revanche affirmé que les résultats des récentes élections ont été gonflés en faveur du pouvoir. Par contre, aucun chercheur et sociologue sérieux, y compris pour les dernières élections d’août 2020, n’a contesté le fait que Loukachenko avait remporté la majorité des suffrages, certains ont estimé ils qu’ils avaient été en partie gonflés. Ce qui d’ailleurs explique pourquoi les pays occidentaux continuent à entretenir des relations diplomatiques avec Minsk. Même si l’UE déclare ne pas reconnaître Loukachenko comme président. On se demande alors pourquoi les pays européens gardent leurs ambassades à Minsk et les ambassades du Belarus dans leurs capitales. En politique, les effets d’annonce à la manière de Macron ne suffisent pas, il faut un minimum de cohérence entre le dire et le faire.
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1. Eléments pour comprendre la situation avant le mouvement de grèves
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1.1 Loukachenko ou la géopolitique du yo-yo
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Le pouvoir incarné par Loukachenko fait preuve d’une grande duplicité en matière géopolitique. Ses attitudes burlesques et liberticides ont finalement conduit très tardivement l’UE à mettre en place des sanctions en 2007 (via la suspension du SPG2). Mais le pays est tout de même parvenu à devenir membre du Partenariat oriental de l’UE en 2009 et s’est même considérablement rapproché des autorités européennes en 2014 à la faveur de la crise ukrainienne, en soutenant le gouvernement de Porochenko. Depuis cette date Loukachenko joue au yoyo, servant alternativement la soupe à l’UE et à la Russie (le Belarus est membre de l’Union Eurasienne depuis 2015), ce qui a pour effet d’énerver l’une et l’autre. 60% du commerce extérieur du Belarus se fait avec la Communauté des états indépendants, 23% avec l’UE. La Chine est son premier partenaire commercial en dehors de l’ex-URSS. La Russie est le premier investisseur dans le pays (38%). Le Belarus arrive également à attirer les investissements chinois, saoudiens ou serbes.
Chainon stratégique depuis la crise ukrainienne, le pays sert de plaque tournante aux échanges commerciaux entre l’UE et la Fédération de Russie qui peuvent faire semblant de rester fâcher l’une et l’autre tout en continuant d’échanger via son territoire.
Commentaire : La CGT trouve l’UE trop timorée et soutient donc implicitement les politiques de sanctions que condamne le droit international et les Nations Unies. En fait, mener une politique non alignée ne peut être qualifiée de « duplicité », affirmer cela est faire preuve d’ignorance sur ce que sont les relations internationales, toutes sont guidées et sans exception par l’intérêt national !
La réalité qu’il faut rappeler, c’est que la Biélorussie possède des usines de pointe qui intéressent autant les oligarques capitalistes occidentaux que russes. Dans ce contexte, trouver sa propre voie entre les puissances capitalistes occidentales d’un côté et la Russie de l’autre, à une époque de quasi nouvelle guerre froide, tout en faisant adhérer le Belarus au mouvement des non alignés est une orientation politique qui entend être indépendante. Par ailleurs, le développement de liens particulièrement étroits avec des pays menant des politiques indépendantes et souveraines tout en se heurtant aux sanctions comme Cuba, Venezuela, Iran, Chine, Pakistan, Viet-nam, Kazakhstan permet également de préserver un système économique et social viable et autonome. Enfin, il faut rappeler le contexte du développement des nouvelles routes de la soie initiées par la Chine. La Biélorussie en s’y impliquant a trouvé à travers cette opportunité un nouveau souffle, ce qui fait évidemment enrager Washington. C’est cette politique qu’il ne faut pas surestimer ni sous-estimer qui a permis au Belarus d’obtenir des résultats indiscutables au plan économique, social, et d’avoir un des meilleurs niveaux de santé et d’emploi en Europe.
La CGT devrait savoir que plupart des pays n’ont pas les marges de manœuvre de puissances comme la France et d’autres. Bien que ces dernières soient la plupart du temps systématiquement alignées, gouvernements de droite comme de gauche, aux injonctions de la haute finance supranationale comme à l’empire étatsunien. Dans ce contexte, se poser en donneur de leçon envers des pays de la taille de la Biélorussie apparaît singulièrement mesquin et déplacé.
Précisons que celle-ci a aussi joué un rôle d’intermédiaire après le coup de force du Maidan en Ukraine en 2014, en accueillant les négociations qui ont abouti à la signature des accords de Minsk, dont Kiev s’est ensuite sentie « dégagée » sans que cela ne soulève de réticences de la part des puissances occidentales signataires.
Enfin, la CGT serait bien inspirée de développer son combat pour la paix. Dans ce cas précis, comment ignorer les objectifs géostratégiques de l’impérialisme et de son bras armé, l’OTAN, pour lesquels il s’agit de poursuivre l’encerclement militaire de la Russie en faisant planer bien des risques de conflits sur la sécurité en Europe. Minsk n’est qu’à 675 kilomètres de Moscou à vol d’oiseau ! Une dimension géographique que semble ignorer le Département international de la CGT.
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1.2 Le Belarus est-il un paradis communiste ?
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Contrairement aux pays voisins, les autorités du Belarus n’ont pas procédé à des privatisations de masse. Entre 60 et 70% de la population active est employée par le secteur public, même si les statistiques officielles avancent des données inverses pour mieux appuyer les négociations avec le FMI. Toutefois, toutes les entreprises du pays ont été transformées en sociétés par action et selon Loukachenko « toutes sont à vendre » moyennant une négociation supervisée par le président en personne. Dans la plupart des cas l’Etat ne met cependant en vente que des paquets minoritaires d’actions avoisinant 10%. L’Etat conserve ainsi la maîtrise ultra-majoritaire de l’appareil productif. Il s’en sert pour assurer le contrôle politique de la population. Dans le service « relations humaines* de toutes les entreprises du pays, il y a un directeur « en charge de l’idéologie », sans que l’on sache précisément laquelle.
L’économie biélorusse est de fait entre les mains des membres du clan qui contrôlent les entreprises et l’allocation des bénéfices comme une oligarchie capitaliste d’Etat.
Le système d’enseignement et de santé n’échappe pas à la marchandisation rampante. La moitié des étudiants du supérieur paye ses études. La liste des prestations payantes des services de santé s’allonge.
La réforme des retraites lancée en 2017 a retardé l’âge de départ à la retraite à 58 ans pour les femmes et 63 ans pour les hommes. Le montant de la retraite minimum est de 76€ en 2020. Le salaire moyen avoisine 200€. Rappelons enfin que le Belarus est le dernier pays du continent européen à appliquer effectivement la peine de mort (20 personnes exécutées entre 2008 et aujourd’hui).
Commentaire : L’ironie anticommuniste de la question posée est révélatrice d’un état d’esprit ! Le Département international en est donc là ! Il n’y aucun pays au monde qui ne s’est jamais déclaré communiste, a fortiori, « paradis communiste », l’écrire témoigne du degré d’inculture des auteurs de ce document. Dans le cas de la Biélorussie, on n’a d’ailleurs même pas affaire à un pays se revendiquant du socialisme, mais tout simplement à un Etat qui tente de maintenir pragmatiquement une économie plurisectorielle avec la prise en compte prioritaire des intérêts sociaux sur ceux des entrepreneurs privés, des investisseurs étrangers et des lois du marché dérégulé avec concurrence « libre et non faussée ». On peut certes critiquer les incohérences éventuelles de ce pragmatisme et son caractère par trop paternaliste et parfois autoritaire mais il faut savoir raison garder et avoir une analyse de classe de ce système par rapport aux revendications des travailleurs comme aux stratégies « d’accompagnement » des syndicats les plus soumis au capital comme le revendique la CFDT et la CES ! Est-ce que la structure de propriété existante en Biélorussie est plus ou moins proche des objectifs du monde syndical par rapport aux politiques menées dans les autres Etats anciennement socialistes comme par celles menées par les principales puissances de la mondialisation capitaliste ? On ne peut analyser un système « en l’air », on doit l’analyser par rapport aux autres systèmes existants. En clair, est-ce que la situation du salarié en Biélorussie en terme de garantie sociale est plus ou moins un fait par rapport aux revendications des travailleurs ? Constat qui n’implique pas de s’en accommoder!
L’analyse émanant de la direction de la CGT pêche par son caractère tendancieux, unilatéral et partisan. Les méthodes de gestion en vigueur en Biélorussie peuvent apparaître paternalistes et être contestées, mais la critique qui en est faite dans cette note néglige trop souvent le rôle de l’État dans les prestations sociales et les subventions aux produits de première nécessité. Comment ignorer cet aspect de première importance pour les travailleurs ?
Donner des chiffres de salaire comme le fait ce document n’a aucun sens car c’est refuser de tenir compter du fait que beaucoup de prestations en Biélorussie (loyers, transports, soins, éducation, colonies de vacances, etc.) sont subventionnées, et parfois quasi-gratuites. Comme c’est par exemple le cas à Cuba. Evoquer des revenus de 76 euros par mois n’a aucun sens car cela suggère que le retraité biélorussien reçoit moins qu’une retraite de famine et a donc un niveau et une qualité de vie comparable à celle du Bangladesh. C’est même se moquer du monde quand l’âge de la mortalité, le niveau sanitaire et la qualité de vie en Biélorussie dépassent bien souvent celui des couches les plus défavorisées en France.
En fait, la vérité commande de reconnaître que le mécontentement n’a pas réussi à toucher de façon massive ni les grandes usines publiques ni les exploitants agricoles ni même les universités. Cela explique pourquoi les manifestations ont touché surtout les jeunes diplômés, techniciens, jeunes cadres et informaticiens des secteurs privés fascinés par la Silicon Valley et les rêves de start-up ou d’entreprises indépendantes dans le style UBER.
Par ailleurs, le Département international de la CGT évoque de façon méprisante le fonctionnaires « chargés à l’idéologie » mais il semble ignorer le fait que l’école des cadres de l’Etat à Minsk concentre une partie de leur formation sur la manière d’appliquer le code du travail en faveur des salariés lorsque ceux-ci entrent en conflit avec leur employeur. Ceci figure au programme de l’enseignement, ce qui rend cette école très éloignée du modèle pédagogique en cours par exemple à l’ENA, pour lequel on aimerait entendre une analyse approfondie de la part de la CGT. L’objectif en Biélorussie consiste à introduire une dose de marché et de privé dans les entreprises publiques en l’équilibrant par une capacité plus grande d’intervention des salariés dans la défense de leurs droits. Loukachenko déclare viser deux objectifs. D’une part éviter la formation de clans bureaucratiques tendant à s’émanciper pour devenir une nouvelle bourgeoisie exploiteuse et propriétaire. D’autre part, avoir un contrepoids de la part des travailleurs jugé nécessaire pour éviter également toutes formes de déresponsabilisation au travail. On peut et on doit, critiquer cette politique paternaliste d’entre deux, mais on ne peut pour autant faire l’impasse sur les revendications de l’opposition libérale qui vise à faire pencher la balance dans une direction bien plus réactionnaire et nuisible aux acquis sociaux que celle menée par Loukachenko.
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1.3 Un droit du travail en voie d’extinction depuis 1999
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Le droit du travail au Belarus a été profondément bouleversé par les décrets présidentiels, édictés tout au long du long règne de Loukachenko, et récemment réunis dans le Code du travail révisé (2019).
Dès 1999, l’employeur obtient le droit de conclure des CDD avec les travailleurs, quel que soit le secteur d’activité. Les autorités en ont fait une promotion active, si bien qu’aujourd’hui 90% des travailleurs sont employés sous ces contrats d’une durée maximale d’un an. En 2014 ce dispositif est complété par le droit de l’employeur de licencier avant la fin officielle du contrat. Le travailleur de son côté n’est pas libre de partir. Il doit apporter une justification valable (déménagement dans une autre ville) et se retrouvera sanctionné financièrement (remboursement des primes) par sa décision. Dans la pratique, les employeurs procèdent à la modification unilatérale et instantanée du temps de travail et de la rémunération en multipliant le chantage au licenciement. Par ailleurs, tout manquement à la discipline collective ou faute sont sanctionné par des retenues sur les salaires. Le travailleur peut perdre jusqu’à la moitié de son salaire avec la mise en œuvre de ces sanctions.
Commentaire : On peut et on doit critiquer les évolutions du droit du travail en Biélorussie en fonction des revendications des travailleurs, mais en constatant simultanément que la politique appliquée par le gouvernement biélorussien n’est pas étrangère à un taux de chômage particulièrement faible à la différence des pays baltes, de la Pologne sans parler de l’Ukraine. La proportion de Biélorussiens émigrés à cause du chômage et du niveau des salaires, est infime. Peut-on suggérer de la part du Département international de la CGT, un rapport aussi critique sur la situation sociale en terme de droit du travail, de droits civiques, de droits syndicaux et de droits politiques en Pologne, en Hongrie, dans les pays baltes ou en Ukraine depuis le Maïdan de 2014.
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1.4 Quand le pouvoir qualifie les chômeurs de « parasites sociaux »
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Le taux de chômage officiel au Belarus est d’environ 6,5%, mais seuls 0,5% des chômeurs sont officiellement enregistrés auprès des services d’emploi. Peu de gens le font, car l’allocation de chômage est couplée avec l’obligation d’exécuter des travaux d’utilité publique.
Les autorités biélorusses partent du principe que l’économie nationale crée suffisamment d’emplois et que les chômeurs ont choisi de l’être. Fort de cette conviction, Loukachenko édicte en 2015 un décret « sur la prévention du parasitisme social » et lance sa guerre aux chômeurs. Suite à ce décret, toute personne qui n’a pas travaillé au moins 183 jours au cours de l’année écoulée doit s’acquitter d’un impôt spécial d’un montant de 158 € par an, soit environ 13€ par mois. Par comparaison, l’allocation chômage de base est de 16€ par mois. Cet impôt sur les pauvres a provoqué des manifestations massives au printemps 2017. Le mécontentement social a conduit les autorités à aménager ce dispositif mais sans abroger le fameux décret. A partir du 1er janvier 2019, les personnes «aptes au travail », mais comptabilisées comme économiquement inactives, doivent payer au plein tarif les services collectifs communaux subventionnés par l’Etat (eau, logement, chauffage).
La mise en pratique de ces deux dispositifs (décrets sur la généralisation des CDD et décret sur le parasitisme social) a de fait bouleversé l’ordre public social au Belarus, même si la primauté du contrat sur les conventions collectives n’est pas ouvertement affirmée. Les relations de travail sont devenues coercitives ce qui vaudra au pays d’être examiné par le comité d’application des normes de l’OIT en 2016, 2018 et 2019 pour violation de la convention n°29 sur le travail forcé.
Commentaire : Loukachenko, refusant l’idée même d’avoir créé un « modèle » et donc un « paradis », il affirme lui-même avoir « navigué à vue » dans une situation de contraintes économiques internationales extrêmes imposées par les institutions financières internationales et les entreprises transnationales. En fait, le Belarus a tenté d’améliorer l’efficacité des entreprises publiques où la productivité du travail était trop faible depuis l’époque soviétique, tout en garantissant un minimum social à la population.
Il faut être cohérent, on ne peut pas à la fois défendre les droits des travailleurs issus du système soviétique, dénoncer le système soviétique et se taire sur l’inefficacité de fonctionnement économique qui toutefois garantissait un minimum vital et empêchait tout licenciement. En Biélorussie, la réforme du secteur public ou parapublic n’avait pas été affrontée de façon suffisante à l’époque soviétique, ce qui a poussé certains à considérer le néolibéralisme comme la réponse. Loukachenko a résisté à ces deux tendances. Il a voulu favoriser la recherche à « tâtons » de solutions intermédiaires qui ont effectivement abouti à ce que plusieurs grandes entreprises publiques biélorussiennes se taillent des parts de marchés importantes sur la scène mondiale (informatique, cosmos, défense, engrais potassique, agriculture, tracteurs, engins miniers, etc.). La Biélorussie est devenue ainsi un des centres mondiaux de la « Hi Tech » et des jeux vidéos. Le succès d’un outil conçu et fabriqué en Biélorussie comme la messagerie « Vyber » en témoigne. Faire ce constat, ce n’est pas approuver ou désapprouver, c’est dire les choses telles qu’elles sont.
Cette évolution et les résultats obtenus ont excité l’appétit des grands groupes transnationaux. On a vu ainsi que l’efficacité pouvait être au rendez-vous dans des entreprises gardant un contrôle public et une politique de plein emploi. La façon dont Loukachenko s’est pris pour « discipliner » la main-d’oeuvre sans pour autant la surexploiter peut être critiquée, mais il faut néanmoins lui reconnaître le fait d’avoir soulevé et cherché à régler une question réelle que ni la plupart des régimes du socialisme réel ni les régimes capitalistes libéraux n’avaient cherché à affronter, c’est à dire : comment promouvoir des politiques de défense des acquis sociaux tout en garantissant le quasi plein emploi et en maximisant les rendements des entreprises dans le but stratégique de conquérir une place sur un marché mondial monopolisé par les entreprises transnationales ? Ne pas tenir compte de cette réalité conduit aux commentaires du Département international de la CGT. En fait, ceux-ci apparaissent comme une n-ième tentative hypocrite de faire passer en douce la marchandise frelatée de l’accompagnement syndical au néolibéralisme sous couvert de droits syndicaux.
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1.5 La négation des droits syndicaux
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Si Loukachenko se fait le champion de la répression antisyndicale dès son arrivée au pouvoir, il passe à la vitesse supérieure en 1999 en instaurant des entraves légales à la création des syndicats.(7) En 2003, l’OIT a désigné une commission d’enquête, le plus haut niveau d’investigation de cette institution onusienne, pour examiner l’application par le gouvernement de la Convention 87 sur la liberté syndicale, le droit de grève et la protection du droit syndical et de la Convention 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective. Ses recommandations continuent à être largement ignorées et le pays est régulièrement cité dans les rapports du comité des experts et de la commission d’application des normes de l’OIT.
Commentaire : Parler de Loukachenko comme d’un « champion de la répression syndicale » laisse entendre que la situation est sur ce plan pire que dans les pays postsocialistes voisins, sans parler des pays capitalistes, ce qui est une grossière exagération. Pour se faire une opinion, on aurait souhaité qu’au lieu de se focaliser sur la seule Biélorussie, on ai au moins entre les mains un document comparant les politiques menées en Biélorussie et dans tous les autres Etats postsocialistes d’Europe et d’ex-URSS qui eux ont la faveur de la CGT et de la CES.
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1.6 Le droit de grève bafoué
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Si le droit de grève est inscrit dans la constitution du pays, le code du travail adopté en 1999 et révisé en 2019 le rend de fait caduque. Toute grève doit obligatoirement être précédée de 2 mois de concertation. La grève ne peut être décidée qu’en réunion du collectif du travail à la majorité simple après un vote. La grève peut être suspendue, décalée ou annulée par décret présidentiel. L’employeur, quant à lui, a la possibilité de saisir le tribunal. Si la grève est déclarée illégale, ses participant.e.s risquent une amende, un licenciement, voire une condamnation pénale. Ce cadre extrêmement rigide rend impossible l’organisation d’une grève légale.
Commentaire. On aimerait que la CGT soit aussi exigeante pour dénoncer les entorses aux droits du travail et au droit de grève dans des pays sur lesquels elle reste silencieuse. Qu’elle soit également plus présente sur ce sujet en France, pays régulièrement condamné par les institutions internationales comme vient encore de la faire la Commission des Droits de l’homme de l’ONU. Ainsi qu’en est-il des mobilisations syndicales pour dénoncer les violences du gouvernement Macron vis-à-vis des gilets jaunes et comment expliquer à ce sujet les silences coupables du mouvement syndical en France ?
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1.7 Le paysage syndical
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Le pays compte deux centrales syndicales. La FPB (Fédération des syndicats du Belarus), héritière des syndicats soviétiques, adopte au début des années 90 une ligne d’accompagnement des réformes et de négociations avec le pouvoir, avant et après l’accession de Loukachenko au pouvoir. Mais cette ligne réformiste ne résistera pas à l’autoritarisme du président élu en 1994. Dans la deuxième moitié des années 90, la FPB se rapproche de la BKDP et commence à s’associer aux plaintes de cette dernière auprès de l’OIT. En 2001, le président de la FPB, Vladimir Gontcharik, militant historique de la gauche biélorusse, est le candidat unique de l’opposition aux élections présidentielles. La réélection de Loukachenko le contraint à démissionner de la direction du syndicat. Le pouvoir poursuit ses pressions allant jusqu’à couper l’électricité dans les locaux de la FPB et parvient en 2003 à imposer à sa tête un haut fonctionnaire issu de l’administration présidentielle de Loukachenko. Depuis cette date la FPB, qui revendique quatre millions de membres, est sous le contrôle direct du pouvoir. Alexandre Loukachenko en est membre en sa qualité de « travailleur d’Etat » et participe comme délégué aux congrès de l’organisation mais avec un droit à la parole qui surclasse tout autre adhérent. L’actuel président de la FPB, Mikaïl Orda, a été le directeur de campagne de Loukachenko aux élections de 2020. Son prédécesseur était directeur de l’administration présidentielle (équivalent de SG de l’Elysée). La FPB est adhérente à la FSM.
Commentaire : Concernant la Fédération des Syndicats du Belarus affiliée à la FSM, la note ne s’embarrasse pas de contradictions. D’un part elle stigmatise ce syndicats comme « héritière des syndicats soviétiques » et pratiquant un accompagnement des politiques gouvernementales tout en soulignant que cette organisation s’est « associée » aux plaintes auprès de l’OIT. Pourquoi « associée » ? Est-ce que quand la CGT signe un communiqué avec d’autres syndicats en France ou ailleurs elle ne fait que « s’associer » ? Qu’en est-il de Gontarchik « militant historique de la gauche » dont parle la CGT. Il a en effet été candidat aux élections présidentielles contre Loukachenko ! Quand les USA, les ONG US, la fondation Soros ou le National Endowment for democracy (NED) sont arrivés à la conclusion que l’opposition politique libérale ou nationaliste n’aurait jamais la possibilité de dépasser 10 % à 15 % des suffrages, il ont conclu qu’il fallait faire autrement. Les « interventionnistes libéraux » ont alors cherché à débaucher des militants ouvriers, en misant sur le dirigeant d’une formation syndicale. Selon le modèle « Solidarnosc », il s’agissait et il s’agit toujours de trouver des dirigeants de gauche « radicale » ou syndicaliste acquis aux puissances occidentales mais qui resteraient présentables comme d’authentiques leaders ouvriers, syndicalistes ou même communistes, à une opinion publique majoritairement opposée aux idées pro-capitalistes. Gontcharik fut contraint de démissionner de la direction de sa fédération syndicale tout simplement parce que son échec électoral était patent. Il ne réussit pas à convaincre ses compatriotes de son indépendance face aux cercles occidentaux, ce qui l’avait déconsidéré aux yeux des militants de son syndicat. Qu’à cela ne tienne, les Américains renouvelèrent l’opération lors des élections suivantes avec un leader « communiste » dont ils épongèrent les dettes de jeu et qui se présenta aux élections contre Loukachenko. Ce candidat fut reçu à la Maison Blanche par Condoleeza Rice et Georges Bush et ne réussit pas mieux. Maintenant nous sommes visiblement passés à la troisième étape d’ingérence « démocratique ».
Le syndicat largement majoritaire en Biélorussie estime aujourd’hui que le régime Loukachenko représente sur beaucoup de points l’optimum de ce qu’on peut obtenir dans ce pays menacé par les appétits capitalistes en provenance de l’Ouest et de Russie. Toutefois, lors des récents événements d’août 2020, la Fédération des Syndicats du Belarus a dénoncé la violence utilisée par les forces de répression, a exigé la libération des manifestants emprisonnés sans raisons et le lancement de négociations entre toutes les parties.
Enfin, si Loukachenko participe aux congrès syndicaux ce qui peut être discutable en soi, il est bon de rappeler à la CGT qu’elle est affiliée à la CES, une organisation dont les Congrès sont devenus régulièrement des tribunes pour les dirigeants politiques européens les plus réactionnaires. Ce fut en particulier le cas en 2019 lorsqu’un vibrant hommage de la CES fut rendu à Jean-Claude Juncker, Président de la Commission de Bruxelles. présenté à cette occasion comme « le sauveur de l’Europe sociale ». Il ne semble pas que cela ai alors dérangé la délégation représentant la direction confédérale de la CGT.
Le BKDP (Congrès des syndicats démocratiques du Belarus) a vu officiellement le jour en 1993. Sa création résulte du rapprochement des nouveaux syndicats indépendants qui ont éclos dans le pays dès la fin des années 1980 et de quelques fédérations professionnelles qui quittent la FPB. La naissance du mouvement syndical indépendant est très étroitement liée à l’exercice effectif du droit de grève et à sa contestation par Loukachenko. Une autre ligne de fracture essentielle avec le syndicalisme officiel passe par le refus d’accepter dans ses rangs la direction des entreprises. Avec l’arrivée de Loukachenko au pouvoir, la mise sous pression du syndicalisme indépendant devient une constante. Le BKDP fait face au refus des autorités d’enregistrer légalement ses syndicats de base, leurs membres étant sommés de rejoindre les syndicats officiels sous la menace de licenciements. Le BKDP est systématiquement écarté de la négociation collective au niveau local comme national. Ses effectifs sont aujourd’hui de l’ordre de 10 000 membres déployant leur activité syndicale dans une constante adversité. Les militants du BKDP prennent une part active à l’explosion sociale qui a suivi l’élection présidentielle, animent un grand nombre de comités de grèves et plusieurs de ses dirigeants, dont le président Alexandre Yaroshuk, pilotent le comité national de coordination des grèves, et sont membres du Conseil de coordination qui réunit l’opposition depuis le 18 août. Le BKDP est adhérent à la CSI.
Commentaire : Ce syndicat qui se targue d’être indépendant fait preuve certes d’une réelle énergie, mais on doit néanmoins poser la question de ses liaisons internationales et de l’origine des fonds qui lui arrivent et qui pourraient contribuer à limiter son indépendance réelle selon le vieil adage « qui paie les musiciens choisit la partition ». L’expérience lamentable de ce qu’est devenu le syndicat polonais Solidarnosc et tous les autres syndicats des pays de l’Est qui ont suivi cette voie devrait amener les auteurs de ce document à faire preuve d’un peu plus de prudence, et à prendre du recul. Il faut en effet aujourd’hui faire le bilan des aides syndicales qui proviennent réellement de la solidarité internationale des travailleurs et de celles qui ne sont que des subventions provenant des sommets des pays impérialistes pour pervertir les mouvements syndicaux et les luttes des travailleurs. Cela est démontré par l’exemple patent de la CES dont 75% du budget est assuré par les institutions européennes. Or on a jamais vu cette confédération soutenir les combats des travailleurs les plus engagés et les plus réprimés au sein de l’Union européenne.
L’existence de ce syndicat biélorussien BKDP très minoritaire mais décrété indépendant et encensé dans ce document ne remet de toute façon pas en question la représentativité de la Fédération des Syndicats resté largement majoritaire dans un pays où rien ne force un salarié à adhérer à un syndicat et où par ailleurs le pluralisme sndical est reconnu.
Sur un autre plan, notons par ailleurs qu’il n’y a toujours pas en Biélorussie de parti présidentiel même s’il y a des partis, comme le Parti communiste de Biélorussie et quelques autres, qui apportent un soutien critique au pouvoir. C’est d’ailleurs une des causes des faiblesses actuelles des partisans de Loukachenko qui se sont retrouvés face aux manifestations de l’opposition sans pouvoir réagir dans un premier temps. Il a fallu que des députés ou des élus locaux aillent dans leur circonscription ou que le Congrès des femmes de Biélorussie se réunisse pour que des manifestations massives soient organisées face à l’opposition libérale, sans que les médias occidentaux ne les remarquent d’ailleurs et sans que le Département international de la CGT ne cherchent à en savoir plus.
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2. L’explosion sociale d’août 2020
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2.1 Climat social explosif en amont de l’élection présidentielle du 9 août 2020
Les pleins pouvoirs donnés à l’employeur au Belarus favorisent la répercussion rapide de la conjoncture économique sur les conditions de travail et de rémunération. Ainsi, dès le printemps de cette année, le ralentissement de l’économie mondiale s’est-il traduit par des coupes brutales dans les fiches de paie des travailleurs. Avec la crise du coronavirus, le mécontentement social est donc à son comble quand la victoire de Loukachenko est annoncée le dimanche même du vote. Cette annonce, en dissonance complète avec le ressenti des gens, provoque le plus vaste et puissant mouvement de protestation qu’ait connu le pays depuis son indépendance. Le pouvoir répond par la répression. La police fait usage de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc et arrête massivement les manifestants, mais aussi de simples passants. Les manifestant.e.s arrêté.es sont sauvagement battu.e.s, torturé.es, violé.e.s. Début septembre le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) fait état de 6700 personnes interpellées, de 450 cas de tortures et de traitements dégradants documentés, de la disparition de 6 personnes et de la mort de 4 autres.
La cruauté des forces de l’ordre choque profondément tout le pays qui la rejette avec une telle unanimité que le 13 août le Ministère de l’intérieur présente ses excuses « aux personnes injustement arrêtés ». Le chef de la police de Hrodno se rend dans l’usine chimique de la ville pour demander pardon aux ouvriers grévistes passés à tabac la veille.
Commentaire : On peut certes considérer que les résultats électoraux ont été gonflés en faveur du président de la République du Belarus, et plusieurs éléments pertinents vont dans ce sens, sans que nous n’ayons les moyens de trancher de façon définitive. L’opposition n’a de son côté rien présenté de crédible sur ce sujet puisqu’elle n’a pas eu la capacité d’avoir suffisamment de militants présents pour observer le déroulement du vote. On a pu constater depuis, qu’elle avait les moyens de mobiliser des foules importantes, mais presqu’uniquement dans la capitale.
Les enquêtes sociologiques sérieuses menées avant les élections comme depuis montre qu’il y a environ 2/3 des Biélorussiens qui soutiennent plutôt leur président. Les liens des organisateurs des protestations avec des centres étrangers ont été prouvés et les manifestations « contre la falsification » des résultats électoraux ont commencé avant même que les résultats officiels ne soient communiqués. Cette erreur à l’allumage a commencé trop tôt et démontre qu’il était acquis par les organisateurs que les élections ne pouvaient pas et ne devaient pas être fiables. Le fait que la première vague de manifestants était accompagnée par des individus violents qui n’ont pas hésité à lancer des automobiles sur les cordons de police ou en essayant entre autre de faire partir des bureaux de vote le personnel scrutateur des élections, n’a pas été répertoriée par les médias occidentaux ou russes.
Les violences incontestables qui ont visé les manifestants et les personnes arrêtées immédiatement après le début des protestations ont en revanche immédiatement été diffusées dans le monde entier. Depuis, une commission d’enquête auprès de la justice a été nommée à cet effet. Les ministres, députés et Loukachenko en personne se sont d’ailleurs rendus, sans escortes policières notables, dans les jours qui ont suivi dans les usines pour discuter avec les ouvriers, dans un climat au départ tendu qui a eu tendance à se résorber ensuite. Enfin, les forces de répression en Biélorussie n’ont pas employé de LBD ou de grenades de « désencerclement ». On doit poser la question pourquoi les réactions de certains syndicats ou de partis politiques en France et surtout de la CES et de la CSI sont si radicales envers le pouvoir à Minsk comparées à leur grande modération, voir leur silence, sur des dossiers concernant des pays proches comme la France ou les Etats-Unis.
2.2 Mouvement de grève sans précédent dans l’espace post-soviétique
La contestation politique se double d’un mouvement de grève, entamé dès le lundi 10 août dans l’usine métallurgique MTZ et rapidement étendu à d’autres bastions industriels du pays. Des comités de grève s’organisent. Les ouvriers forment des cortèges dans de nombreuses villes. Le personnel médical qui a eu à traiter les personnes blessées et mutilées descend à son tour dans la rue. Des journalistes des médias officiels démissionnent. Selon les chiffres officiels relayés par la presse du Belarus, la grève touche des entreprises produisant 27% du PIB du pays, mais les capacités de production seraient réduites de moitié, selon les estimations du BKDP. Le 15 août Loukachenko déclare que les usines emploient des ouvriers en surnombre et qu’elles devraient licencier les grévistes. Le 16 août il décide de se frotter à la classe ouvrière et se rend dans une entreprise de poids lourds, MZKT. Les ouvriers autorisés à participer à cette rencontre sont triés sur le volet. Ils se mettent pourtant à scander « Pars, pars ! » en dépit de la présence de 200 gardes de corps présidentiels, à la surprise de Loukachenko lui-même qui pensait le déplacement sécurisé. Les grèves s’intensifient et le 22 août Loukachenko demande aux directeurs de recourir au lock-out à partir du lundi 24 août. Il annonce vouloir faire venir des ouvriers russes et ukrainiens pour remplacer les grévistes, provoquant la réaction d’indignation immédiate de la KVPU (Ukraine), de la FNPR et de la KTR (Russie).Surpris et effrayés par le mouvement de grève, les autorités et les employeurs se sont empressés de l’étouffer. Le Ministère du travail, en guise d’adresse au pays, diffuse un poème en appelant à la paix civile, condition indispensable au paiement des retraites. Dans le même temps, les leaders syndicaux, les membres de comités de grèves sont arrêtés, passés à tabac, kidnappés et relâchés à des dizaines de kilomètres de chez eux. A la date du 18 septembre 2020 le BKDP a recensé 40 cas de persécutions envers des syndicalistes dont 6 sont toujours détenus. Il est à noter que depuis 2013, la détention administrative en Belarus est facturée au condamné (20€ par jour de détention). Par ailleurs, les agents des services de sécurité de l’Etat, qui se dénomme toujours le KGB comme du temps soviétique, se sont introduits dans les usines et surveillent les ouvriers. Le pouvoir redoute beaucoup la capacité de mobilisation chez les mineurs de l’usine Belaruskali, située à Salihorsk. Cette mine de potassium, qui représente 20% de la production mondiale, est stratégique pour les rentrées de devises du pays. C’est aussi un des bastions du BKDP. La répression antisyndicale se déploie ici avec beaucoup de zèle. Nikolaï Zimine, un des leaders historiques du syndicat, est arrêté dès les premiers jours de contestation, battu en prison et laissé sans aide médicale. Il sera libéré suite à l’intervention de la CSI et de l’OIT, puis emprisonné de nouveau. Par décision du tribunal du 12 septembre, la grève de Salihorsk est considérée comme illégale. Cette décision entraine des condamnations de grévistes en cascade sans arriver à casser la dynamique du mouvement.
Enfin, notons que depuis le 1er septembre, date de la rentrée universitaire, les étudiant.e.s participent activement au mouvement de protestation.
Commentaire : Force est de remarquer qu’après des réactions de colère justifiée, la situation s’est stabilisée dans les usines de Biélorussie même si des jeunes manifestants et manifestantes n’ayant rien à voir avec les usines concernées ont pendant plusieurs jours, sans succès, tenté d’haranguer les ouvriers voulant entrer dans leurs usines pour les pousser à faire grève. Ce scénario ayant échoué, on a tenté de le reprendre dans les universités avec la réouverture des facultés à la fin des vacances, sans plus de succès. On doit signaler à cet égard que beaucoup d’ouvriers, de fonctionnaires de l’État, d’enseignants, de militaires ou de policiers comme de manifestants pro-Loukachenko ont reçu à ce moment par sms des menaces s’ils ne rejoignaient pas le camp de l’opposition pro-libérale.
Il est clair, ce que la note du Département international reconnaît, qu’il existe dans les entreprises biélorussiennes ce qu’on pourrait appeler un « suremploi » si l’on se réfère aux critères du « marché libre et non faussé ». C’est le rappel de cette dimension qui a poussé la masse des salariés biélorussiens à finalement ne pas suivre les injonctions provenant de l’opposition pro-libérale. Mais, comme l’a souligné Loukachenko mentionnant la promotion d’entreprises privées informatiques de haute technologie « nous avons aussi donné naissance à un milieu social qui veut se transformer en bourgeoisie et prendre le pouvoir ». Est-ce le rôle d’un syndicat d’abonder en ce sens ? Ce que Loukachenko a déclaré sur ce point sonne comme une forme d’autocritique de sa propre politique, chose qui mériterait d’être au moins notée comme une évolution.
Dire qu’il y a un vaste mouvement de grèves des usines puis des universités en Biélorussie correspond à ce que l’on a pu entendre lors des deux premières semaines de manifestations mais, aujourd’hui, les auteurs de la note confédérale semblent courir après l’échec. Chez les manifestants il y a eu successivement deux espoirs qui se sont révélés être des déconvenues. En fait, les opposants n’ont jamais réussi à mobiliser plus d’une centaine de milliers de manifestants, nombre depuis en constante décroissance chaque dimanche, ce que même les dépêches de l’AFP reconnaissant puisqu’on est passé de « 300 000 manifestants » à « 100 000 manifestants » puis à « quelques dizaines de milliers » pour arriver la semaine dernière à « 50 000 ». Nous savons tous que lors des manifestations, les décomptes de la police, des médias proches du pouvoir, des agences de presse et ceux de la CGT sont différentes. On se demande pourquoi dans ce document, la CGT, prend pour argent comptant les informations provenant des sources qui sont habituellement contestées par la CGT en France. Enfin, comment ne pas s’étonner que la CGT n’évoque à aucun moment les rassemblements massifs en faveur de Loukachenko à Minsk, et plus encore en province, dans des villes où l’opposition n’est arrivée à regrouper que quelques centaines de personnes.
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2.3 Paysage syndical bouleversé
L’unanimité du rejet de Loukachenko par la population ébranle la FPB, affiliée à la FSM. Au début du mouvement de protestation, ce syndicat officiel multiplie les appels à faire cesser les grèves qui « portent atteinte à l’économie et vont faire perdre au pays ses marchés ». Pourtant, le 14 août la centrale publie un communiqué ambigu demandant prudemment la libération des personnes arrêtées par hasard. Le même jour, 8 de ses 15 fédérations de branche publient leurs propres communiqués. Si la fédération de santé et la fédération de l’éducation produisent des déclarations au ton vague pour la paix civile, les 6 autres dénoncent la violence d’Etat (culture, chimie, énergie, transport (9), métallurgie, commerce). Il n’est pas certain que ce geste suffise pour contredire la solide réputation de courroie de transmission de la volonté présidentielle qu’à cette centrale auprès des travailleurs et d’enrayer sa perte des adhérents qui s’amplifie malgré l’adhésion obligatoire.
Quant au BKDP, il soutient et impulse les comités de grève sur les lieux de travail et organise leur coordination à travers le comité national de grève créé le 18 août. Le BKDP appelle à des grèves du zèle dans les secteurs où la grève franche est entravée et a lancé une campagne pour inciter les travailleurs à quitter les syndicats officiels. 15% des travailleurs auraient déjà quitté le syndicat d’Etat. Plusieurs dirigeants du BKDP participent au Comité de coordination qui, sous leur pression, a été contraint d’adopter comme mesure phare la suppression du régime généralisé des CDD d’un an. Dans une interview donnée à Ensemble et à l’Espace International de la CGT le 21 septembre Alexandre Yaroshuk, le président du BKPD considère que le mouvement de protestation a déjà gagné et doit maintenant défendre sa victoire. « Nous sommes un peuple de résistants » déclare-t-il en référence au grand nombre de partisans qui ont lutté contre l’occupant nazi lors de la seconde guerre mondiale sur le territoire de l’actuel Belarus.
Commentaire : Soutenir qu’il y a une unanimité du rejet de Loukachenko en Biélorussie est la preuve d’une totale déconnexion d’avec la réalité. Le nombre de manifestants ou de meetings pro-Loukachenko et l’enthousiasme visible de ses participants et participantes, en particulier celui du Congrès des femmes de Biélorussie qui a réuni plus de 13 000 militantes, démontre que le pouvoir actuel jouit toujours d’une base sociale consistante. Les enquêtes menées par les sociologues biélorussiens soulignent que la brutalité de la répression dans les tous premiers jours des manifestations a choqué effectivement profondément la population qui a ensuite découvert en revanche avec retard les formes de violences pratiquées dès avant la fermeture du scrutin par certains organisateurs de l’opposition. Ceux-ci sont généralement formés depuis plusieurs années aux techniques de Gene Sharp propagées par des fondations comme l’ « Open Society » de Georges Soros, des organisations comme CANVAS, Otpor, Freedom House, la NED, des ONG financées par l’UE, le Département d’état US, etc.
Dès que le pouvoir a mis sur la table la question de la propriété des entreprises et leur éventuelle privatisation totale en cas de changement de régime, l’opposition s’est trouvée déstabilisée dans la mesure où elle avait cherché à camoufler son propre programme de privatisations tout azimuts et d’ouverture du pays aux règles de la mondialisation capitaliste.
Les études sérieuses estiment aujourd’hui en Biélorussie que 2/3 de la population opte pour le pouvoir en place même si cela est souvent un soutien critique marqué par la crainte que celui-ci ne cède aux sirènes des oligarques internationaux. 1/3 de la population penche plutôt pour l’opposition libérale même si souvent, là aussi, on commence à lui poser la question de son programme économique et social.
Par ailleurs, se réclamer de la résistance antinazie, comme cela est évoqué ici ou là, tout en agitant dans les manifestations le drapeau blanc rouge et blanc de ceux qui ont adhéré à la collaboration avec les nazis est incroyable. Rappelons que le peuple biélorussien a voté en 1995, dans un référendum dont personne n’a jamais contesté la valeur, pour les symboles d’État hérités de la Biélorussie soviétique, ce qui témoigne du fait que les auteurs de la note du Département international de la CGT ignorent l’histoire et ne font que reprendre sans aucun recul critique les slogans qui leur sont soumis par des opposants qui se gardent bien de replacer les choses dans leur contexte.
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2.4 Quelle est la couleur politique du soulèvement au Belarus ?
Le mouvement de protestation au Belarus est totalement inédit dans l’espace post-soviétique pour une série de raisons :
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Il est doublé de grèves et d’une puissante contestation sociale nourrie par des décennies de réformes antisociales que ne compensent ni le décorum pseudo-soviétique adopté par le régime, ni l’absence de privatisations qui permet en fait le fonctionnement d’un capitalisme clanique d’état
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Le chant de ralliement des contestataires est l’Estaca de Luis Llach, poète et chanteur antifranquiste catalan traduit en russe par le groupe de gauche radicale Arkady Kotz, soutien de longue date de la Confédération du Travail de Russie (KTR).
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De nombreux dirigeants syndicaux indépendants sont issus des rangs du syndicalisme officiel qu’ils ont quitté au tournant des années 2000 lorsque le pouvoir a démultiplié ses réformes antisociales, pour défaut de lutte et de mobilisation de la FPB. Parmi eux, plusieurs ont pour référence la CGT qu’ils identifient comme un pilier du syndicalisme de lutte dans le
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Les idées fascistes ne séduisent pas dans ce pays où le souvenir de l’occupation nazie est particulièrement vif et douloureux. Le prix payé par les populations civiles est colossal : extermination des juifs et massacres de masses en représailles des nombreuses actions des partisans. Pour imager la situation on peut dire que le Belarus est un Oradour-sur-Glane à l’échelle d’un
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Toutefois, les programmes économiques des candidats à la présidentielle sont soit inconnus, soit tristement libéraux. Il est problématique, et le mouvement syndical indépendant en est bien conscient, que la seule opposition politique, d’ailleurs faiblement structurée, soit uniquement d’orientation démocratique et libérale. En retour, les représentants de cette opposition ne savent d’ailleurs pas comment appréhender ce mouvement social massif qui porte d’abord des revendications sociales. Certains en ont peur. D’autres tentent d’intégrer une dimension sociale dans leurs programmes. Face à ce vide ou à ces risques de récupération, certains animateurs
des grèves et du mouvement social sont tentés de transformer en force politique le syndicalisme de lutte. On perçoit bien que cette situation comporte de nombreux risques, mais il revient bien évidemment aux seuls travailleurs du pays de déterminer, sans ingérence d’aucune sorte mais avec la solidarité du syndicalisme de lutte au plan mondial, le chemin qui sera le plus favorable à la satisfaction de leurs revendications.
Si on peut affirmer que Loukachenko a déjà perdu à plus ou moins brève échéance, il ne faut pas que le peuple soit spolié de sa victoire. C’est tout l’enjeu du soutien que doit apporter au mouvement social du Belarus le syndicalisme international de lutte et plus globalement la gauche politique.
Commentaire : Dire que Loukachenko a déjà perdu, c’est jouer au devin, et on serait en droit d’exiger un peu plus de prudence de la part de responsables syndicaux « chevronnés ». On a déjà entendu dans le passé ces incantations magiques à propos d’autres chefs d’État. qui ne plaisaient pas aux puissances impérialistes et qui continuent à rester au pouvoir, d’autant qu’ils bénéficient d’une base sociale et électorale consistante.
Croire que les petites organisations qui se disent de gauche ou syndicales indépendantes en Biélorussie pourraient faire pencher le mouvement de protestation dans leur direction, c’est répéter les erreurs magistrales qui ont été faites dans le cas de Solidarnosc en Pologne, du « printemps arabe » en Libye, en Syrie, lors des « révolutions colorées » en Serbie, en Géorgie, en Ukraine ou ailleurs. Il est temps de faire le bilan de ces contre-exemples et manipulations impérialistes qui se sont toutes révélées désastreuses pour les peuples. D’autant plus que, dans le cas de Solidarnosc, l’histoire a donné raison aux prudences manifestées à l’époque par la CGT par rapport aux envolées dithyrambiques de la CFDT sur les promesses d’autogestion et de démocratie sociale.
Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas faire aussi une analyse lucide et critique des causes qui amènent des groupes minoritaires et réactionnaires à être capable de chevaucher un mouvement de mécontentement réel, même quand il reste minoritaire comme c’est évidemment le cas en Biélorussie, et parfois à prendre le pouvoir contre la majorité de la société comme cela s’est confirmé après le mouvement ukrainien du Maïdan.
N’en déplaise à ceux qui se limitent à enquêter sur la base des dépêches d’agences et des contacts choisis qu’ils ont en Biélorussie sans aller enquêter sur place et sans s’adresser au syndicalistes majoritaires, la réalité est plus complexe. Il existe une lutte de classes en Biélorussie et les opposants actuels ne sont pas l’avant-garde des travailleurs mais plutôt celle du secteur privé de pointe et de la fraction des classes moyennes qui a l’ambition de voir leur situation progresser au sein d’un système franchement capitaliste. La masse des travailleurs de Biélorussie n’a pas suivi ce mouvement, ce qui ne veut pas dire qu’elle considère que le régime actuel constituerait la « fin de l’histoire » et la réalisation de son idéal de bien être. Il suffit d’écouter ce que « la rue » dit en Biélorussie pour s’en convaincre. Il ne faut donc pas tomber dans cette logique binaire qui ne peut conduire qu’à une impasse ! Surtout quand cela est affirmé par des syndicats qui se reconnaissent dans la CES et la CSI, organisations qui ne se sont pas a priori faites remarquer par leur audace revendicative et leur soutien aux luttes les plus courageuses.
2.5 Réactions internationales
Dès le 11 août la Confédération Syndicale Internationale (CSI) exige « la cessation des violences policières, le respect des droits fondamentaux tels que la liberté d’expression et la liberté de manifester pacifiquement », relayée le lendemain par son Conseil Régional Pan-Européen et par la Confédération Européenne des Syndicats (CES).
Dans un communiqué en date du 17 août, la CGT appelle « à l’arrêt des violences et à la libération immédiate de tous les syndicalistes détenus ».
Le 24 août, une campagne de solidarité conjointe est lancée par la CSI, la CES, IndustriAll et l’IUF.
Le 28 Août, la Fédération Syndicale Mondiale (FSM) dénonce dans une déclaration sur le Belarus « l’attitude des dirigeants syndicaux jaunes au niveau mondial et européen, comme hypocrite et dangereuse. Ils appellent les travailleurs à protester avec des revendications prétendument démocratiques et indépendantistes, afin de servir les intérêts des monopoles américains et européens ». Elle assène que « les dirigeants syndicaux jaunes réaffirment une fois de plus qu’ils aboient pour les intérêts des capitalistes ». Dans la foulée, un certain nombre de sites en France relaient une même vision de la situation dénonçant par exemple la déclaration de la CGT du 17 août comme émanant « d’agents provocateurs pro-atlantistes », « empruntant les grilles d’analyse des propagandes impérialistes » et « masquant mal une volonté permanente d’ingérence pour imposer l’ordre libéral et capitaliste ».
Dans une lettre à Alexandre Loukachenko datée du 9 septembre, Guy Rider, directeur général du Bureau International du Travail, l’enjoint à « assurer le plein respect des droits des travailleurs » (…) ; « personne ne devrait être privé de liberté ou faire l’objet de sanctions pour le simple fait d’organiser ou de participer à une grève ou à une manifestation pacifique ». Michelle Bachelet devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU le 18 septembre demande l’ouverture d’une enquête internationale sur les allégations de torture par les forces de sécurité.
Malgré les annonces, l’Union européenne se montre quant à elle très frileuse pour introduire des sanctions tant le Belarus compte comme un pays de transit dans son commerce avec la Russie, pour contourner des sanctions qu’elle a elle-même décidé.
Quant à Emmanuel Macron, il déclare le 27 septembre à la veille d’un déplacement dans les pays Baltes : « Je suis impressionné par le courage des manifestants. Ils savent les risques qu’ils prennent en défilant tous les weekends et pourtant, ils poursuivent le mouvement pour faire vivre la démocratie dans un pays qui en est privé depuis si longtemps ».
Comme le rappelle un communiqué de presse de la CGT le 29 septembre : « La France se distingue tristement en Europe par le nombre de personnes mutilées ou gravement blessées dans le cadre de manifestations malgré les enquêtes et alertes du Défenseur des droits, du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux Droits de l’Homme, de journalistes, du Conseil de l’Europe. Plutôt que de délivrer avec beaucoup de cynisme des leçons internationales de démocratie, il serait heureux et décent que le Président Macron double son appréciation de la situation politique et sociale au Belarus de réels engagements en faveur de la liberté de manifester en France ».
Commentaire : Citer Macron l’éborgneur, l’occupant du Mali et de la Syrie, le donneur d’ordre aux Libanais, et soutien aux régimes les plus absolutistes, les plus répressifs et les plus réactionnaires dans le monde, résume sans doute assez bien les intentions de ceux qui véhiculent les idées et les sous-entendus repris dans ce très long document. A partir d’une dénonciation des violations réelles des libertés ou des droits civiques en Biélorussie, il s’agit en fait de s’attaquer frontalement à toute forme de non alignement sur la scène internationale, auquel demeure attaché la Biélorussie, malgré toutes les critiques qu’on peut lui faire. Il s’agit aussi de s’attaquer aux acquis sociaux de ce pays et de faire simultanément oublier le rôle d’éteignoir des luttes, y compris en France, d’organisations comme la CES et la CSI qui n’ouvrent leur bouche que lorsqu’il s’agit de critiquer des Etats menant des politiques éloignées des critères de la mondialisation capitaliste. Ce sont les mêmes qui restent la plupart du temps silencieux lorsqu’on assiste à des violations souvent bien plus graves des droits des peuples, des droits syndicaux et des droits civiques dans des pays soumis à l’impérialisme, à commencer par la France.
Contrairement aux sous entendus que la note du Département international laisse entendre, la FSM a appelé très clairement les travailleurs du Belarus à agir pour la défense de leurs revendications et de leurs droits démocratiques tout en appelant à mettre en échec et fort logiquement les manœuvres de ceux qui cherchent à imposer leur programme libéral. Ce n’est pas le cas de la CES et de la CSI qui ne semblent pas se préoccuper outre mesure de voir le néolibéralisme gagner du terrain. Cela exige donc, comme le souligne le communiqué de la FSM, de faire la clarté sur les objectifs véritables de certaines organisations syndicales dont le soutien aux luttes est décidément très très sélectif.
On ne peut que regretter la sélection partisane des sources auxquelles se sont abreuvés les auteurs de cette note qui sont censés être spécialisés dans les questions syndicales en Europe orientale mais qui semblent incapables d’avoir la capacité de faire l’effort d’écouter et de recouper leurs sources avant de prononcer un jugement qui engage la CGT. A fortiori à un moment où les ravages des politiques de privatisations, des licenciements de masse se développent partout ailleurs dans le monde et singulièrement en France où l’on aimerait voir les résistances syndicales prendre plus d’ampleur.
L’indépendance syndicale, c’est la capacité à avoir son propre jugement sur quelque sujet que ce soit et se refuser d’être à la remorque d’aucun gouvernement, qu’il s’agisse de celui de Loukachenko ou de Macron, des instances européennes et bien sûr du patronat. Enfin, tenant compte de la longue expérience du mouvement ouvrier, la promotion d’organisations pour lesquelles on ne pose pas la question de qui les financent, quelles institutions nationales ou internationales, quelle classe sociale, mériterait plus de retenue et de réflexions dans les jugements.
On ne saurait réduire l’activité internationale d’une organisation syndicale à des jugements de valeur, à des caricatures et à refuser de prendre connaissance de toutes les opinions et analyses. Ces évènements en Belarus, comme dans d’autres régions du monde mériteraient de la part de la CGT de faire l’effort d’entendre d’autres points de vue et d’en discuter avec tous les intéressés. C’est le cas de tous les syndicats en Belarus comme c’est également le cas de la FSM dont les délégués du 52e Congrès confédéral ont voté pour que la CGT établisse avec elle des relations sans exclusive et comme avec d’autres confédérations syndicales internationales. Il est regrettable que la direction de la CGT s’obstine à ne pas tenir compte de cette décision !