Rappel de mai 2017 : analyse à chaud de la défaite de Mélenchon : trop de bobos, pas assez de prolos?
Ceci, c'était avant les Gilets Jaunes. Ces observations tendent à expliquer qu'ils ne se sentent guère représentés par la FI, malgré tous ses efforts de communication, et ses récentes évolutions qui ont vu le départ des représentants de l'aile dite "populiste", notamment ceux de Djordje Kuzmanovic et François Cocq, n'ont pas aidé.
Certains lecteurs "insoumis" s'indignèrent de l'usage du terme "bobo" qu'ils comprirent comme une stigmatisation à leur égard ... tout en protestant qu'ils n'étaient absolument pas des bobos ! Je reconnais que le terme n'est pas du tout précis, et qu'il n'a été choisi que pour la rime avec "prolo". Mais si j'avais titré : "trop de représentants des classes moyennes et trop peu de représentants des classes populaires", mon petit doigt me dit que l'article aurait eu bien moins d'impact !
D'autres qui réagissaient sans lire continuaient à croire que "Réveil Communiste" exprimait la ligne du PCF. Que neni, que neni ... GQ, 1er juillet 2019
Cette analyse publiée le lendemain des présidentielles est toujours d'actualité, à relire à la suite du commentaire suivant ajouté le 4 mars 2018.
Pratiquement rien n'a bougé depuis le soir des élections présidentielles, ce qui était à craindre considérant qu'une organisation consistant entièrement en réseaux telle que celle de la France Insoumise ne sert littéralement à rien d'autre qu'à préparer des élections. Si ce n'est le fait aggravant que la FI semble malheureusement cantonner ses ambitions à endosser le rôle de la force majeure (à 11 ou 12%, niveau des élections législatives) d'une gauche politique très diminuée (tombée à un étiage d'environ 20% !), ou plus exactement renvoyée à sa vraie influence, une fois faite la clarification du ralliement à la droite macroniste des gros bataillons du PS.
Mélenchon avait enfin réussi à casser le confinement des forces de progrès dans la "gauche de la gauche"; actuellement des forces convergent pour tenter de reconstruire cet espace ravagé, comme en témoigne la tentative infructueuse de mettre sur pied un "Média" comportant des individus aussi compromis avec la gauche de gouvernement que Noël Mamère ou Aurélie Filipetti (c'est aussi le sens des interventions de Clémentine Autain). Ce retour en arrière à la logique du "Front de gauche" qui avait fait pschitt en 2012 est préoccupant. Qu'un tel front soit dirigé en sous-main par le PCF ou par l'État-major de la FI ne change rien au fait que cette petite musique n'intéresse pas du tout les classes populaires !
Rompre avec l'étiquette discréditée et vide de sens de "gauche" est nécessaire pour retrouver leur confiance. Avec le maintien d'une attitude anti-impérialiste (quitter l'OTAN), radicalement euro-critique, et aussi une promesse beaucoup plus ferme de démanteler les contre-réformes qui se sont succédées depuis Balladur en 1993, au moins. Ainsi qu'une position moins angéliste sur les questions d'immigration et de sécurité, à moins d'ouvrir à nouveau un boulevard à l'extrême droite. L'agitation contre le nucléaire civil avec une "votation citoyenne" sans perspective concrète, en pleine mobilisation pour la SNCF, dans ces conditions, ne paraît guère autre chose qu'une tentative malvenue d'occuper une base militante encore fortement marquées par une culture politique de groupuscules, et qui fondamentalement se satisfait de son rôle actuel et ne veut du vrai pouvoir politique à aucun prix.
GQ, 4 mars 2018
Mis en ligne le 23 avril 2017 à minuit; lire les mises à jour en PS.
Jean-Luc Mélenchon n'aura donc pas réussi à atteindre le second tour. C'est dommage. Je n'ai jamais été un inconditionnel de son programme, loin de là, mais j'ai de la sympathie pour le personnage. Il a l'étoffe d'un grand dirigeant.
Il a eu le courage d'être le candidat de la paix , et de proposer un véritable changement social dans l'intérêt des classes populaires.
Il a contribué aussi à la ruine du PS, cette formation qui trahit le peuple depuis sa création, en 1920.
Je n'ai pas mis en avant les limites de sa campagne, pendant sa campagne, pour des raisons évidentes. Maintenant, il est temps d'analyser ce qui est un succès pour la formation politique qu'il a créée pour la porter, mais qui reste une défaite pour notre peuple, pour parler concrètement : la France ne quittera pas l'OTAN, la loi El Khomri restera et sera aggravée. Et la cantine scolaire ne sera pas rendue gratuite. Ce qui n'est pas le moins important.
Il obtient environ 19% des voix, ce qui parait un score honorable. Cependant ce qu'il est encore convenu d'appeler "la gauche" est un espace politique en peau de chagrin qui ne réunit pas plus de 27%, en y comptant tous les Poutou ! Il semble donc que si le but était d'atteindre le second tour, JLM se soit trompé de stratégie en tentant de phagocyter la candidature Hamon, qui avait été lancée pour lui faire concurrence sur un discours de pseudo-radicalité. Alors qu'il avait dit lui-même, à ceux qui lui demandaient de se retirer face aux sondages truqués qui le mettaient derrière Hamon, que leurs électorats n'étaient pas compatibles. Et il était pendant ce temps là trop aimable avec l'ennemi principal. Il a ménagé les préjugés géopolitiques de l'électorat socialiste, il a tiré sur l'ambulance Fillon, et il a laissé passer tranquillement le petit banquier. Fatale erreur.
Ayant assisté au débat télévisé dont il s'est pourtant bien sorti, je n'ai jamais cru que ces simples apparitions justifiaient sa remontée dans les sondages d'opinion. Une fois entérinée l'échec du coup de pouce à Benoît Hamon, les sondeurs l'ont simplement remonté au niveau réel où il se trouvait depuis le milieu de l'automne, à un niveau réaliste, leur crédibilité future étant en cause. Je ne crois pas que sa fin de campagne holographique et quelque peu euphorique l'ait autant servi qu'on pense.
Significativement, il a choisi de consacrer à l'Est parisien sa dernière semaine, et ce district embourgeoisé depuis longtemps n'en valait pas la peine. Il s'est affiché symboliquement dans la péniche du Canal Saint Martin aussi loin que possible de la France périphérique des perdants de la mondialisation. Lors de son multi-meeting de l'ultime semaine, il a aussi effectué un rétropédalage sur la question européenne («ne les croyez pas, ceux qui disent que je veux quitter l'Union européenne") qui lui a peut être couté la seconde place.
Il aurait bien mieux valu aller à Belfort, auprès des ouvriers d'Alstom, dénoncer Macron qui les a bradés aux Américains ! Et pourquoi a-t-il négligé de se rendre à Amiens, cœur des luttes sociales de 2010 et de 2016? Pourquoi n'est-il pas retourné à Hénin-Beaumont où il avait failli gagner en 2012? bien davantage d'ouvriers ont voté pour lui qu'en 2012, mais pas encore assez pour gagner.
Il aurait mieux valu se tourner encore plus résolument vers le prolétariat. Pour celui ci, il fallait parler clair : sortie de l'Europe, limitation de l'immigration. Le prolétariat est divers et métissé, mais il est opposé comme il l'a toujours été et comme il sera toujours à l'importation par les capitalistes de nouvelle main d'œuvre à exploiter.
Il aurait fallu que dans le programme de la "France insoumise" le chapitre social soit mis en avant. Il y paraissait secondaire par rapport à l'écologie, et à la constituante. Et même à "l'économie de la mer".
Il aurait fallu se rapprocher ostensiblement de la CGT et de la FSU (même si la vieille dame du mouvement ouvrier faisait la coquette).
Et pour se donner les moyens de réaliser le programme, la nationalisation des banques, et des grands moyens de production. Car Mélenchon n'a jamais répondu à l'objection de bon sens de l'animatrice de télévision Karine Le Marchand : "ceux qui sont assis sur leur tas d'or vous croyez qu'ils vont se laisser faire?".
La complaisance des médias à partir des débats télévisés était de mauvais augure. Leur retournement soudain avec l'affaire bolivarienne n'aurait pas dû le prendre au dépourvu. Au lieu de se défendre de toute affinité avec des "dictateurs" (ce qui laissait supposer que Maduro en était un) il aurait mieux fait de dire : "le Venezuela n'est pas une dictature, les élections sont libres, Maduro est démocratiquement élu, l'assemblée nationale d'opposition l'est aussi, les manifestations de rues pacifiques sont autorisées, les manifestations violentes sont réprimées, comme ici, ni plus ni moins". Qu'est-ce que ça lui coûtait?
Je pense qu'il n'appellera pas à voter Macron, et c'est à son honneur. Mais il y a trop de monde, en particulier au PCF et chez les gauchistes qui s'est déjà joint au soi-disant Front républicain. Marine le Pen est sans doute une ennemie de la République. Macron est un ami du capital, et comme tel un ennemi de l'humanité. Il représente un danger mortel : la suppression pure et simple du droit social, la confiscation de la démocratie politique, et le gouvernement direct des banquiers et de l'oligarchie mondialisée.
Alors pour nous, qu'il soit clair, pas une voix pour Macron. Plutôt crever !
Marine Le Pen n'est pas une alternative et comme les fascistes l'ont toujours fait, elle utilise un langage de gauche pour tromper le peuple. Donald Trump n'a pas attendu longtemps pour jeter son programme aux orties, et parvenue au pouvoir elle ferait de même. Le vote FN n'est rien d'autre chose que le vote conseillé par les médias et l'oligarchie à ceux qui n'aiment pas les médias et l'oligarchie !
Quant à "La France Insoumise", c'est peut être une bonne chose qu'elle ait raté de peu la fenêtre de tir qui lui aurait permis de s'emparer du pouvoir en France, par chance et par surprise. Sa base sociale est pour le moment trop étroite pour lancer ce qui était potentiellement une révolution. Partie remise? Certainement !
GQ, 23 avril 2017
PS : cette analyse sera complétée et si nécessaire rectifiée dans les prochains jours, au vu des résultats détaillés.
PS première rectification :
Le vote pour Mélenchon a été très massif dans les quartiers prolétaires des grandes agglomérations, et dans les communes urbaines les plus pauvres de la périphérie lointaine de Paris (77, 78, 91, 95) comme Grigny, Mantes, Meaux, Argenteuil, et même à Dreux (28) où le FN avait fait sa première percée en 1983 ... Il semble aussi qu'il ait rattrapé un certain retard dans des villes ouvrières de tradition communiste un peu partout dans le pays (à Romilly sur Seine par exemple). Certains signes indiquent que le bulletin de vote Mélenchon exprime un rejet par le prolétariat des divisions ethniques qu'on veut lui imposer, toute origine confondue, mais surtout par le prolétariat d'origine immigrée qui est relégué dans les quartiers stigmatisés comme des ghettos. 24 % des ouvriers auraient votés pour lui, et 30% des jeunes. Son bon résultat dans les centres-villes serait plutôt un vote "étudiant" qu'un vote "bobo". Ce dernier terme ne prétend pas à la précision, il ne désigne pas tant de riches "bourgeois - bohèmes " à la Renaud qu'un secteur des classes moyennes qui continue à voter à gauche et qui relève d'une idéologie particulière qu'il serait fastidieux de déconstruire ici. 24 avril, 15h
Mélenchon est passé de 11,1% en 2012 à 19.6% en 2017, effectuant au passage une croissance spectaculaire de 75%. Or il est frappant que Mélenchon progresse moins vite qu'ailleurs dans certains territoires ouvriers où il était relativement fort en 2012, notamment, dans le Valenciennois (59), où il y a encore deux députés communistes, et ou l'étiage moyen est à 25%, avec environ 50% de croissance, et un vote à 40% pour Le Pen. Là où l'influence communiste se conjugue avec la campagne interne au PCF, animée (entre autre) par la cellule éco, pour saboter sa candidature, il y a incontestablement un effet de freinage; on constate ainsi un succès moins grand dans le Val de Marne (+60%) qu'en Seine Saint Denis (+100%) qui reflète les choix des appareils locaux du PCF.
Cependant, à Vénissieux, place forte de l'opposition interne au PCF et à la stratégie du Front de Gauche, Mélenchon fait un raz de marée. La section locale qui ne l'a pas soutenu doit se rendre à l'évidence : l'électorat de Mélenchon est largement le même que celui de Michèle Picard.
Mélenchon progresse d'environ 75% dans le Pas de Calais, mieux donc que dans la partie du Nord de tradition communiste, ce qui est dû sans doute à sa campagne législative de 2012, et à l'influence locale du PRCF. Il faut noter aussi l'excellent résultat dans l'agglo de Lille, où travaillent les camarades du RCC, notamment à Tourcoing. 26 avril, 10 h