Refuser la falsification historique, refuser absolument l'amalgame entre Hitler et Staline !
Lorsque l’on refuse l’amalgame Hitler Staline on se voit parfois traité de « révisionniste » ou de « négationniste » des fameux « crimes de Staline ».
Sur ce point il faut d’abord affirmer clairement et nettement que les accusations de crimes proférées contre Staline, l’URSS, le socialisme réel et le mouvement communiste, décontextualisées, exagérées, ou carrément inventées, ne sont pas historiquement valides : quelques soient leurs redondances scolaires et médiatiques, il s’agit d’accusations polémiques et de témoignages littéraires avancés sans preuves et qui dans la plupart des cas n’ont pas été corroborés par une recherche indépendante, ni par le recours direct aux archives depuis la chute du socialisme est-européen. Or on ne peut parler de "révisionnisme" que pour qualifier la démarche de remise en cause d'une interprétation historique scientifique pour la remplacer par une autre qu'on estimerait meilleure (ce qu'au demeurant les historiens font tout le temps, sinon leur métier serait sans objet), et de négationnisme que quand il s'agit de nier des faits objectifs bien établis. En l’occurrence il n'y a ni interprétation scientifique objective, ni faits bien établis, mais les grands récits et les argumentaires du fascisme et de la Guerre froide.
Le cas de l’historiographie occidentale sur l’URSS est lourd de partialité et de mensonges : truffée de chercheurs ad hoc qui ont fait leurs classes dans les services secrets, elle émane principalement de fondations et d’universités privées richement dotées par le grand capital américain et européen dans le but d’instruire un procès à charge, et qui ont petit à petit investi les lieux de pouvoir intellectuels, à commencer par de prestigieuses universités américaines. Ses informateurs sont exclusivement des adversaires virulents du socialisme, ou des transfuges qu’ils contrôlent complètement. La méthode de ce type d’historiographie partisane est magnifiquement résumée par Hannah Arendt, pour qui l’absence de preuve des crimes staliniens est un crime de plus : elle prouve qu’elles ont été supprimées.
L’interprétation historique des expériences socialistes est en effet un axe stratégique du combat d’idées de la guerre froide, bien davantage encore que durant les deux guerres mondiales. Alors qu’il s’agissait auparavant simplement de conforter le moral des combattants en diabolisant l’adversaire et en donnant la confiance en la victoire, pendant la guerre froide la lutte de propagande est devenue essentielle, parce que l’enjeu de la guerre n’est ni plus moins que l’extension du système socialiste au monde entier, et parce que l’opinion publique est devenue le terrain même de la décision, considérant l’impossibilité d’arracher une décision militaire par la bataille finale à cause de l'existence de l'arme nucléaire.
Un autre fond de la littérature pseudo historique dont le but est de calomnier le socialisme provient des luttes de faction internes au groupe dirigeant soviétique, et de la propagande et des plaidoyers en justification de Trotsky et de ses nombreux partisans de droite et de gauche avant guerre, puis des efforts de déstalinisateurs aux intentions suspectes après-guerre, dont le chef-d’œuvre est le « rapport secret » cynique et affabulateur de Nikita Khrouchtchev (1955). Il fut aussi l’inspirateur et protecteur des intellectuels officiels puis dissidents qui ont été lancés par cette tendance dans la période dite fort inadéquatement du « dégel », dénomination dérobée au grand roman d’Ilya Ehrembourg.
La diabolisation de Staline est alors destinée à justifier un repli de la théorie soviétique vers un humanisme vague, qui légitimera à son tour la transition régressive au capitalisme, sous le camouflage de l’idéologie des droits de l’homme (version 1789 et non 1948). Ils n’ont pas déstalinisé parce que Staline aurait été inhumain, mais ils l’ont fait passer pour inhumain pour pouvoir « déstaliniser », c’est à dire interrompre définitivement un processus révolutionnaire déjà largement enrayé par les effets effroyables de la guerre de 1941-45 sur la société soviétique.
D’autre part il n’y a aucune équivalence même superficielle entre les répressions nazie-fasciste-colonialiste qui sont revendiquées par leurs auteurs comme une composante centrale de leur projet de société inégalitaire (même s’il peut leur être tactiquement utile de nier certains crimes au moment où ils sont commis) et la terreur révolutionnaire (qu’elle soit exercée par des communistes « staliniens » ou par d’autres) qui était toujours vue par ses auteurs comme une mesure nécessaire à la survie de la révolution prolétarienne mais regrettable et temporaire. En 1936, les ouvriers anarchistes espagnols placés devant la nécessité du « eux ou nous » n’ont pas été plus modérés que les bolcheviks, loin de là.
On accuse Staline et à travers lui les communistes et les révolutionnaires de tous les temps de paranoïa, à contresens : les paranoïaques sont les nazis qui exterminent les juifs parce qu’ils croient simultanément qu’ils sont des sous-hommes, qu’ils dominent le monde, qu’ils propagent le communisme, et qu’ils gouvernent les États-Unis. Et non les staliniens qui pourchassent et qui répriment des groupes factieux effectivement agissants, parce qu’ils démoralisent les masses, qu’ils minent la cause du socialisme et la trahissent effectivement par corruption ou par faiblesse au moment du plus grand danger. L’historiographie contre-révolutionnaire fait l’innocente mais elle ne peut pas faire passer l’année 1937, l’année « des grandes purges » comme elle dit, pour une année aussi ordinaire pour le destin de l'humanité que, par exemple, l’année 1968 !
La plupart des victimes de la terreur révolutionnaire en URSS aurait été classée par un observateur objectif à l’extrême droite par ses idées et ses actions. A commencer par Soljenitsyne dont il suffit de lire les écrits pour se rendre compte des positions. Une des fonctions essentielle des camps d'internements soviétique après 1945, quand leurs effectifs se sont accrus jusqu'à atteindre environ 2 millions a été de réprimer les collaborateurs de l’hitlérisme. Il a bien fallu mettre quelque part les assassins de base d’Auschwitz et de Baby Yar puisqu’il n’était pas question de les tuer tous.
Les témoignages littéraires trop nombreux invoqués à l'appui de la diabolisation de l'URSS, qui suppléent le manque de sources historiques, ne montrent que d’innocentes victimes de mesures arbitraires qui ne comprennent absolument pas la raison de ce qui leur arrive. C’est de bonne guerre. S'il est exact qu'il y eut dans la panique de 1937 de nombreux abus et erreurs, et qu'environ 25% des condamnations politiques de 1937-1938 furent annulées ou allégées par les autorités soviétiques elles-même dès 1939 (dont celle de Rokossovski, général de l'Armée Rouge et futur dirigeant de la Pologne socialiste après la guerre), il n'en reste pas moins que la majorité des condamnés à mort ou à la déportation était bel et bien composée d'opposants actifs dans la situation historique préparatoire à la guerre mondiale où il n’y avait pas d’espace pour l’opposition. Bon nombre aussi des agents douteux de cette répression a été condamné pour ces abus de pouvoir tyranniques ou pour dénonciation calomnieuses (y compris Yagoda et Yejov, deux chefs successifs du Ministère de l'Intérieur - NKVD).
Quant aux propagandistes occidentaux à commencer par le pamphlétaire surestimé George Orwell, ils tentent de mettre en avant une gigantesque théorie du complot, selon laquelle le pouvoir soviétique aurait organisé lui-même la subversion à son encontre. En 1937 ! Comme s’il n’avait pas assez de problèmes à résoudre pour avoir à s’en inventer ! Il est caractéristique que les arguments utilisés par les accusateurs du socialisme seraient tournés en ridicule par les gens de bon sens s’ils étaient employés au bénéfice de n’importe quelle autre cause.
Le grand récit anticommuniste procède par invention pure et simple, dénaturation des faits, affirmations sans preuves, procès d’intention, décontextualisation, exagération (notamment des bilans). On dirait un pur exercice de style pour apprentis propagandistes d'une école de communication.
Il n’y a qu’à le comparer avec le récit implacablement documenté des crimes nazis pour voir la différence. Elle s’explique fort bien : les accusateurs du nazisme, comme Primo Levi, n’ont pas d’agenda caché, ils ne lui reprochent ni plus ni moins que ce qu’il a fait, négligeant à tort ou à raison d'examiner les causes politiques de son action criminelle. Le dossier est établi scrupuleusement, après la défaite sans appel du mouvement hitlérien, quand il ne représente plus aucun danger politique, mais au moment où les deux camps restés en présence qui se disputent l’hégémonie en Allemagne auraient tout intérêt à en ménager les survivants (et c’est d'ailleurs celui qui l’a fait qui a gagné la guerre froide, et il a gagné la guerre froide parce qu'il l'a fait); d’où la lenteur de la prise de conscience de leur gravité, en Occident, en dehors du champ des consciences politisées.
Les accusateurs du socialisme, de leur coté, se moquent bien de ces "crimes" qu'ils lui imputent, ils ne lui reprochent en réalité qu’une seule chose : d'exister. Et donc de proposer une alternative, même insuffisante, au capitalisme. Les communistes "staliniens" (et eux seuls) représentaient un danger permanent pour la société de classes qui est la seule société humaine et civilisée aux yeux de ses bénéficiaires et des intellectuels qui sont rémunérés pour la défendre. On ne doit donc pas se laisser impressionner par leurs arguments, ni par leur ton hystérique. La nécessaire critique du socialisme ne peut pas reproduire les méthodes et arguments de ses ennemis ni prendre pour argent comptant les faits tels qu'ils sont établis par ses ennemis.
Nous ne sommes ni des "négationnistes", ni des "révisionnistes". Pour cela il faudrait que nous ayons affaire à des hypothèses d'histoire scientifique, et non à une légende noire incohérente qui dénature complètement les faits.
GQ, 6 décembre 2016, relu le 5 mai 2021