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Réveil Communiste

Le libéralisme, et la petite maison dans la prairie

11 Février 2025 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #GQ, #Economie, #Théorie immédiate, #États-Unis, #Royaume-Uni, #Front historique

Le libéralisme, et la petite maison dans la prairie

« Envoie tous ces communistes à la ferme et tu verras qu’en moins de quatre mois ils cesseront d’être communistes (substance d’un message libertarien américain qui circule sur les RS). Une cause d’optimisme sur l’avenir du socialisme est l’hostilité active qu’il continue de susciter dans certains milieux.

J’ai demandé à l’auteur qui en cas de pénurie de travail forcé devrait travailler à la ferme, et il m’a été répondu  « quiconque qui veut conserver son produit pour soi ».

Manifestement le libertarien américain conçoit le « communiste » sur le modèle de l’étudiant gauchiste sans rien sur la lèvre supérieure, comme une sorte de partageux, envieux de la richesse des autres, paresseux et incompétent qui ne sait pas de quoi il parle parce qu’il n’a jamais travaillé . On pourrait objecter que c’est la cas de n’importe qui au début de sa vie d’adulte, quand des études supérieures sans substance sont inutilement prolongées, quelque-soit l’idéologie qu’on endosse – même la libertarienne.

Il est d’ailleurs douteux qu’un entrepreneur capitaliste dynamique et compétent conforme à cet idéal (je ne parle pas du politicien global Elon Musk bien évidemment) perde beaucoup de son temps précieux à faire la théorie du libéralisme intégral ni à l’observer scrupuleusement dans la pratique – il laissera ce rôle à d’autres étudiants immatures, ou à ses communicants et à ses DRH s’il peut s’en payer.

Mais il est significatif que pour les idéologues libéraux classiques, néoclassiques ou contemporains, travailler vraiment dur développerait non la solidarité avec les autres travailleurs mais la vantardise, la roublardise, l’individualisme et le goût pour la propriété privée des moyens de production.

Cette manière de voir reflète leur monde imaginaire tel qu’on peut se le représenter dès les postulats d’Adam Smith, comme une collection de petits producteurs indépendants fiers et virils qui se traitent les uns avec les autres en égaux et qui n’ont de compte à rendre à personne.

Travailler en dépensant sans compter son temps disponible et sa force physique pour gagner le plus d’argent possible développerait le goût pour l’entreprise privée et la volonté de conserver le produit de son travail pour soi, et donc l’hostilité envers l’État régulateur et redistributeur et ses impôts. État sans lequel, on leur concédera, il n’y a pas de socialisme.

Mais le fermier indépendant idéalisé par le récit américain ne peut pas « conserver son produit » en l’état où il le produit, il doit l’aliéner contre de l’argent, et les Robinson aidés de leurs Vendredi parcimonieusement rémunérés se rencontrent à cette fin sur un marché imaginaire qui est très concrètement le décalque du marché agricole hebdomadaire des bourgs ruraux de la fin du XVIIIème siècle en Europe du Nord.

L’argent qui a cours dans la théorie smithienne, et la théorie marxiste qui conserve ce cadre de pensée pour la critiquer sur son propre terrain, est le métal précieux, mais il est en réalité thésaurisé et retiré de la circulation et des signes le remplacent par commodité. Ainsi la valeur de cette monnaie et de ces titres est garanties par des banques qui s’appuient sur des concessions de l’État, qui est aussi le juge en dernier recours en cas de litiges dès qu’un échangiste apparaît sur le marché.

Mais cette extrapolation ne suffira pas pour décrire et pour comprendre la division du travail extrêmement poussée d’une économie industrielle, le progrès technique, le développement des infrastructures, etc. Cette idéologie populaire outre Atlantique et qui pénètre activement dans le monde par divers vecteurs (fondations, ONG et Églises notamment) est caractérisée à tous ses niveaux de sophistication par l’extrapolation du vécu psychologique subjectif des acteurs individuels de l’économie préindustrielle, dotés d’un acquis scolaire élémentaire et d’un bon sens développé dans l’expérience quotidienne du village au rythme des chevaux – un marché qui n'est même pas assez réaliste pour décrire les échanges actuel dans la communauté Amish. Pour eux, ce n’est pas simplement l’État qui ne devrait pas exister, mais également le capital, et même la société (comme disait Margaret Thatcher). Il n’existe pour eux que des individus – à la rigueur organisés dans des Églises.

Il doit aliéner ce produit et se fournir dans toutes ses nécessités en recourant à des intermédiaires sur un marché immatériel qui ne peut pas fonctionner sans l’organisation et la planification de l’État, et qui dans une situation de concurrence libre développe nécessairement si elle n’est pas régulée la concentration des entreprises, la prise de contrôle par les financiers, la formation d'oligopoles et produit la généralisation du salariat ou d’autres formes de travail dépendant. Sans cette « marche vers la servitude » des citoyens libres, et autonomes chacun sur leur domaine, vers la sujétion à l’État, ce monstre si froid, la simple concentration du capital poussera à la faillite tous ces entrepreneurs indépendants en moins de deux.- ce qui a été le sort historique de la paysannerie libre anglo-saxonne – au profit des fermiers capitalistes, puis des rentiers de la chambre des Lords toujours prospères outre-Manche après deux siècle d’oisiveté bien cultivée.

Le libertarianisme est donc l’idéologie de l’économie paysanne en voie de dépassement et d’un mode de production paysan séculaire réel mais idéalisé (voir Paul Cockshott ici même  pour la définition précise de cette économie paysanne) qui est effectivement la base économique la plus efficace, la plus étendue et qui a duré le plus longtemps sur la très grande majorité des territoires, et sur la plus grande partie de la population humaine et qui a servi de substrat et de fournisseur de main d’œuvre aux modes de production esclavagistes et féodaux, et aussi à garnir les rangs des armées, des flottes royales et marchandes et des cohortes d’immigrants vers le Nouveau Monde.

Les fermiers protestants britanniques et Américains des Temps Modernes pensaient qu’en se débarrassant - en idée - de l’État et des classes de rentiers qui l’utilisent pour effectuer un prélèvement de richesse massif sur le reste de la société tout allait se mettre en place tout seul dans le meilleur des mondes possibles. Ce qui aboutit tout naturellement vers 1870 en économie néo-classique au postulat indémontrable de l’équilibre général .

C ‘est le socialisme qui est la théorie correcte du monde économique nouveau qui est apparu avec la Révolution industrielle, où règne un mode de production en grandes unités, avec une grande spécialisation du travail, une main-d’œuvre éduquée et qualifiée, des compétences pointues, et une forte organisation collective sur des territoires étendus, voire sur le monde. C’est la vérité du capitalisme qui a détruit la petite maison dans la prairie, le monde idyllique des fermiers et des artisans et commerçants indépendants – expropriés par leurs banquiers et jetés sans pitié sur les routes américaines pendant la grande dépression, ceux qui recrutés dans l’armée de 1941 à 1945 ne sont jamais rentrés vivre à la campagne, donnant le coup de grâce à l’Amérique des paysans et des petites villes. Et cette petite entreprise à taille humaine qui sert de référent implicite à toute théorie économique libérale populaire à partir d’Adam Smith, n’est en rien une expression réalisée de la libre individualité et de la liberté politique de citoyens indépendants, autonomes et égaux. Tous les hommes nouveaux et les individus qui réussissent suivants les critères de la société libérale s’appuient sur des réseaux non-économiques : clans familiaux, protecteurs, mécènes, maquereaux, églises, mafias, etc.

Lorsque les individus, isolés et illusionnés par leurs idéologies individualistes narcissiques accepteront de remettre les pieds sur terre, ils pourrons agir sur la société dans son ensemble, au-delà de simplement ourdir des stratagèmes médiocres pour acquérir un ascendant illégitime ou s’enrichir aux dépens d’autrui et dans le seul but de le narguer, de lui imposer leurs idées fixes et leurs idiosyncrasies, et de perdre leur vie à vouloir escalader les marches de la fortune pour s’ajouter aux lords incompétents, aux milliardaires tarés et à leurs pareils qui se prélassent au sommet de l’échelle sociale et qui regardent leurs efforts avec commisération.

GQ, 9 août 2024, relu le 8 janvier 2025

PS :

Pour les économistes chinois du PCC, Adam Smith est un penseur de gauche : selon leur lecture il montre que l'on peut utiliser pour le bien collectif la volonté égoïste d'enrichissement des individus, à condition de l'encadrer, et de la détourner de son but. Au lieu que la constatation de l'efficacité sociale du capitalisme serve à le réhabiliter moralement et politiquement, il faut exploiter les pulsions des entrepreneurs pour accélérer le développement, notamment quand le pays est encore pauvre tout en leur serrant la vis. Qu'un chat soit noir ou blanc, ce qu'il faut c'est qu'il attrape les souris. Cette théorie est évidemment discutable, de notre point de vue. Mais notre néo-libéralisme occidental n'est qu'un discours politique pour justifier l'inégalité sociale et la ploutocratie des monopoles du Net qui n'attrape même pas de souris.

PPS : l'idéologie libertarienne fait grand cas de la liberté d'expression parce la liberté d'expression des riches est beaucoup plus efficace que celle des autres, qui ne sert au bout du compte qu'à la cautionner. Le succès d'une idée et sa  diffusion en masse est proportionnelle à sa répétition médiatique, et celle-ci est une fonction des investissements de capital dans la communication. Il est faux de croire que la qualité (la vérité) peut compenser la quantité dans ce domaine. Une vérité qui voudrait s'imposer par le nombre de "likes" sans être soutenue sur une bonne agence de relations publiques ne fera que susciter d'autres likes en sens contraire. Il n'y a pas de dialectique immanente aux idées, et encore moins aux opinions.

 

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