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Réveil Communiste

Peut-on dire : "l'exploitation des travailleurs est un vol" ? (petit essai de vulgarisation)

14 Février 2025 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Théorie immédiate, #Economie, #GQ, #Mille raisons de regretter l'URSS, #classe ouvrière

Proudhon ne le dit pas mais le pense

Proudhon ne le dit pas mais le pense

L’extraction de la plus-value peut-elle être assimilée à un vol ? Et le travail peut-il être payé à sa valeur ?

Il y a une distinction fondamentale dans la théorie marxiste entre travail et force de travail : c’est cette dernière qui est la marchandise vendue sur le marché par le travailleur salarié, et non le travail lui-même : c’est logique, ce qui fixe la valeur des marchandises ne peut pas en être soi-même une.

Ce point de vue théorique, qui a été conçu avant l’époque impérialiste capitaliste et avant l’expérience réelle de sociétés socialistes, fait abstraction pour les besoins du raisonnement, et pour pouvoir critiquer les économistes bourgeois sur leur propre terrain, des situations particulières très nombreuses où effectivement, la force de travail n’est pas payée à sa valeur, mais en dessous. Et si le capitalisme n’est plus capable aujourd'hui d’assurer le renouvellement de la population travailleuse des pays (dés-)industrialisés, c’est sans doute, effectivement, qu’il a pris l’habitude de ne pas la payer suffisamment pour cela. On va définir le mode de calcul de la valeur de la force de travail ci-dessous un peu plus loin.

Mais pour des raisons politiques les États du socialisme réel  (URSS, RDA, etc.) ont effectivement dérivé dans le cours de leur gestion vers l’amalgame entre travail et force de travail, ce qui a abouti entre autres complications à rémunérer les travailleurs pour leur présence et non pour leur travail effectif. Marx ne pense pas que la relation salariale implique de ne payer le travail qu’à une fraction de sa valeur réelle, il ne pense pas qu'on paye le travail, mais la force de travail qui est la seule marchandise qui existe qui peut créer de la valeur : elle crée sa valeur de remplacement, la valeur des aliments du travailleurs et des autres marchandises qui couvrent ses besoins de base, qui lui sont payées, et la plus-value, qui est appropriée par le détenteur du capital. La force de travail est payée à sa valeur d'échange, qui est  précisément la valeur des subsistances nécessaires pour le travailleur pour la renouveler. Et si le capitaliste devait payer au travailleur toute la valeur du produit de son travail, c'est à dire sa valeur d'usage pour son acheteur, il ne gagnerait rien et il n’y aurait pas de capitalisme du tout : pourquoi le capitaliste se donnerait-il la peine de se priver de la jouissance immédiate de sa richesse pour verser des salaires? Ce serait le cas de chanter "merci patron", pour le coup !

La lutte des classes et la hausse des salaires qu’elle peut procurer pousse le capital à remplacer le travail par des machines, à recourir à des innovations, et de ce fait accélère la dialectique des forces productives et des modes de production qui conduira à remplacer le capitalisme par le socialisme. Marx, dans le Capital (volume 1) , consacre des développements très étendus à la question de la lutte ouvrière pour la limitation de la journée de travail, et à ses liens avec l’introduction de nouvelles machines.

Marx considérait la distinction entre travail et force de travail comme sa principale contribution dans le domaine de l’économie politique classique, pour résoudre le mystère de la plus-value qui irritait tant les économistes de la génération précédente (lui seul a réussi à expliquer logiquement d’où vient la création de la richesse s’il n’existe sur le marché que des échanges de marchandises de valeurs équivalentes).

Si on ne fait pas cette distinction, et qu'on reste dans le cadre théorique admis par Smith, Ricardo, et Marx, qui est la théorie de la valeur-travail, le profit du patron devient un vol pur et simple aux dépens de l'ouvrier et la critique de l’exploitation se transforme en une enquête policière pour confondre le voleur. L’exploitation n’est plus une nécessité historique pour le développement des forces productives, qu’il faut traverser pour pouvoir la surmonter, mais un peu comme chez Jean-Jacques Rousseau, un scandale originel comme le péché du même genre. Le communisme aurait pu et dû être instauré dès le Néolithique et le long développement historique en spirale ascendante du communisme primitif au communisme conscient de soi n’aurait été littéralement qu’une perte de temps. Aucun besoin de la théorie de Karl Marx, Gracchus Babeuf suffit.

Dans le socialisme, le surplus physique, ou la plus value, calculée en monnaie, ou en temps de travail, servent à financer la production de biens de production, et aucune partie n’est détournée pour entretenir des classes oisives. Mais il y a en effet un surplus de production par rapport à la aeleur des subsistances des ouvriers, et donc une « exploitation » du travail, non au profit de rentiers, mais des générations futures. Si on considère que dans le mode de production socialiste le travail ne doit pas produire de plus-value, on le condamne à la stagnation.

Paul Cockshott dans son Histoire du travail de la préhistoire au XXIème siècle (2017) (note de lecture) considère que les États socialistes auraient dû rémunérer les travailleurs à hauteur de la valeur produite, puis leur prélever par l’impôt direct sur le revenu une sorte de surplus global pour l’investissement net. Il reconnaît cependant qu’une véritable révolution culturelle serait nécessaire pour parvenir à faire accepter une telle contribution. Cette solution aurait de plus l’inconvénient de prêter le flanc à la critique anarchiste de l’État qui sera présenté dans ce cas comme un nouvel exploiteur pire que les précédents par les proudhoniens de toujours, les porte-paroles de la petite-bourgeoisie d’extrême-gauche : c’était bien l’essentiel de la critique anti-bolchevique prétendument de gauche, celle dont George Orwell est le prophète, dès que l’Union soviétique eût réussi à s’extraire de la guerre civile : l'idée que les gestionnaires de l'État socialiste s'approprient la plus-value sous prétexte de planifier le progrès et "l'avenir radieux".

Si on est marxiste, on ne peut donc pas assimiler l’exploitation au vol, et si elle est sans doute condamnable moralement (mais ça dépend de la morale qu'on professe!), elle est parfaitement légale, et sanctuarisée par le droit. Par contre le transfert de la majeure partie de la plus-value vers le secteur improductif, ou dans le cadre de l’organisation impérialiste du monde, de la périphérie néo-coloniale vers le centre métropolitain occidental ressemble beaucoup à du racket ou à du pillage, comme dans les temps précapitalistes. Les bourgeois exploitent les travailleurs, se volent entre eux, ravagent la périphérie de leurs métropoles,et l’extorsion que subissent les producteurs capitalistes de la part des improductifs les porte à aggraver en retour l’exploitation du prolétariat dans le monde - et à le payer en dessous de la valeur de sa force de travail.

Si on voulait vraiment créer un jour un revenu universel, il faudrait bien entendu obtenir l'accord de la bourgeoisie métropolitaine pour partager un peu de la plus-value extorquée dans les pays périphériques, et considérant l'évolution accélérée vers un monde multipolaire, ça risque d'être difficile : elle ne produit plus que de la monnaie et de l'idéologie et elle n'en aura bientôt plus à partager.

GQ, 16 avril 2023, relu le 13 février 2025

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R
Je n' ai pas vos connaissances marxistes mais je pense que le travail c' est du vol puisqu' aucun travailleur perçoit un salaire correspondant à sa production y compris en prenant en compte la partie des bénéfices à consacrer à l'innovation et l' investissement
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R
La différence c que l'exploitation c'est un fonctionnement normal - ce qui n'est pas normal c que ce soit une classe qui récupère la plus-value et non la société entière. C pour ça que les anticommunistes disent ricanant que le capitalisme c l'exploitation de l'homme par l'homme et le communisme le contraire.
R
Oui on peut expliquer cela comme ça, mais si l' exploitation selon toi n'est pas du vol car les travailleurs ne travaillent pas gratuitement, c' est quand même du vol partiel puisqu'une partie de leur travail n'est pas paye'... mais d' un point de vue des spécialistes du marxisme je me trompe certainement même si pour moi cela ne fait aucune difference de savoir si j' ai été volé ou exploité pendant 43 ans
R
Exploiter quelqu’un ça veut dire payer son travail en partie pour avoir l'autre partie gratis. Voler quelqu’un c'est ne pas le payer du tout.
L
Bonjour.<br /> En débutant cet article j’ai cru que comme la vulgate vous diriez que l’exploitation de la force de travail est simplement du vol. Mais non, raisonnablement vous arrivez à la même conclusion (que Marx d’ailleurs) que le surtravail et sa redistribution (avec un accaparement par le capitaliste dans nos sociétés) sont indispensables à la vie des sociétés.<br /> C’est sans doute une des raisons des difficultés de nombreux "socialistes" : De croire qu’il suffit d’abolir le capitalisme pour que la loi valeur-travail cesse de s’appliquer.<br /> Cordialement.<br /> Luc Laforets<br /> www.1P6R.org
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R
Pas l'opinion de S en tout cas