Vers le grand krach de l'Occident
La deuxième élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis est un moment décisif de ce processus de décomposition de l'Empire, au moment où les élites transatlantiques déterminées au maintien ad libitum de la suprématie de l'Occident sont désemparées par la révélation de sa faiblesse militaire en Ukraine et se sont moralement discréditées dans le monde entier par leur soutien au massacre à grande échelle des Gazaoui.
Nous allons inéluctablement et de plus en plus vite vers le grand krach du capital, et de l’Empire occidental, auto-financé, auto-informé, encore riche et puissant, autant qu’il est sourd et aveugle, miné par ses contradictions et sa perte d'influence mondiale.
Le capital a perdu le contact avec le monde réel de l’économie par le recours à l’émission monétaire incontrôlée sans frein et sans limite, essentiellement pour fabriquer des armes et gonfler les cours des actions des milliardaires ! On a pu constater ainsi pendant la pandémie de 2020-2021 que les cours de la bourse montaient quand elle s’aggravait, et s’affaissaient aux bonnes nouvelles qui auraient pu ralentir la planche à billets !
Le capital a perdu le contact avec le monde social en croyant pouvoir jeter des régions et des pays entiers dans la violence, la misère et la précarité, tout en accumulant des fortunes indécentes chez les super-riches sans craindre aucune réaction des masses !
Le capital a perdu le contact avec le monde réel de la politique par l’émission de post-vérités qui reviennent en boucle dans ses capteurs et qui l’empêchent d’analyser froidement les situations, ses représentants croient dans une large mesure eux-mêmes en son grand récit libertaire et démocratique, et il s’est affaibli militairement par la volonté démesurée d’assurer la police et le contrôle politique partout dans le monde, effort dément qui a aminci jusqu’à la trame et déstructuré ses forces armées.
Il est entrain de perdre sa puissance relative dans le domaine militaire et son hégémonie diplomatique. L'appui verbal qu’il recevait de ses clients outremer subventionnés et corrompus disparaît comme par enchantement, et qu’importe que le budget militaire occidental soit dix fois celui de la Chine, si chaque soldat occidental coûte dix fois plus qu’un soldat chinois - ou russe- en parité de pouvoir d’achat, et que la moitié de cet argent disparaît en dessous de tables?
Le krach en cours est aussi idéologique. Depuis la fin du XIXème siècle des courants réactionnaires variés contestaient le progrès et la science, du cœur des universités de l’Occident qui les avaient inventées, en prenant diverses formes, parfois réactionnaires, chez Heidegger, ou prétendument révolutionnaires chez Foucault. Le résultat, c’est que le monde occidental s’est auto-intoxiqué de ses propres discours relativistes et métaphoriques, incohérents et éclectiques, sans prise avec le réel, car ils avaient pour fin de nier qu’il y ait même un réel ou une nature, et la science et le progrès faute d'avoir un objet en Occident ont migré vers d’autres rives.
Alors nous sommes entrés nous autres occidentaux dans l’ère de la post-vérité ! La post vérité aujourd’hui s’étale partout et tourne en boucle, toujours indiscutable : « l'Ukraine est une démocratie, Poutine est un dictateur, Maduro est un dictateur, Poutine a empoisonné Navalny, il y a un génocide au Xinjiang, Assad a gazé son peuple, Assange est un violeur, les Russes manipulent les élections américaines, les Chinois volent la technologie et cachent la vérité sur le Covid, Cuba est un État failli, les Cubains, les Russes et les Chinois bombardent nos diplomates avec des ultrasons (qu’ils ont sans doute volés au professeur Tournesol!) ». Et la guerre en Ukraine a permis de faire preuve d'une créativité inouïe : les Russes se bombardent eux-mêmes dans la centrale de Zaporojie, et ils font sauter leur propre gazoduc.
La post-vérité, c’est aussi les vérités connues qui ne font aucun scandale en Occident, celles des blocus de Cuba, du Venezuela, de Syrie, du Yémen, du retour de l'esclavage en Libye, des nazis en Ukraine, des massacres d’Ayotzinapa ou d’Odessa, du Congo Colombie ou du Cachemire, et encore et toujours à Gaza.
Au passage, le capital et ses ayant-droits par incompétence structurelle ont ruiné les fondements juridiques de leur domination et ébranlé les États qui assuraient leur sécurité : extension délirante des droits de propriété intellectuelle, lawfare et instrumentalisation politique de la justice, extraterritorialité de la justice américaine et européenne, disparition des délais de prescription, droit international bafoué, arbitraire total des sanctions internationales, droit humanitaire à géométrie variable, indépendance de la justice qui n'est même plus respectée en parole, confusion des trois pouvoirs, le désordre et l'insécurité juridique sont maintenant partout, et parviennent à leur comble maintenant qu'un histrion incontrôlable a hérité de la présidence américaine.
Pourquoi a-t-elle été permise et encouragée, cette involution culturelle si périlleuse à long terme pour la domination post-colombienne de toute la planète par les européens et leurs descendants, qui marchait si bien depuis si longtemps ? parce que le développement rationnel des forces productives engage de manière de plus en plus massive notre monde sur la route qui mène du capitalisme au socialisme, et les clercs qui produisent la culture et la politique refusent absolument de prendre ce chemin et produisent depuis un siècle des monstres pour conjurer ce cauchemar : fascisme, impérialisme, racisme, guerres mondiales, guerre nucléaire, individualisme de masse, terrorisme, culture post-moderne, génocides, décroissance, transhumanisme, transformation du monde en déchet, etc.
On ne peut prévoir avec précision le moment de l’effondrement de notre monde, qu’on nous a appris à considérer comme le seul possible, et le meilleur possible, qui s’approche à grand pas, mais on peut prévoir l’effondrement lui-même, et on peut prévoir aussi que dès qu’il s’enclenchera, il va se propager très vite comme des dominos qui tombent en cascade. Comme ce sont tout d’un coup effondrés le Sud Viet-Nam en 1975, et l’Afghanistan en août 2021. On se réveillera un matin, et ce ne sera déjà plus du tout le même paysage!
Il en est des prévisions dans ce domaine comme de celles des séismes. On sait qu’ils auront lieu, on sait même où exactement ils se produiront et quels seront leurs effets dramatiques, mais on ne sait pas quand. Mais déjà la guerre en Ukraine, affrontement soigneusement préparé pourtant précisément pour enrayer ce processus, contre la Russie, indirectement contre la Chine, évolue en un antagonisme entre l'Occident et le reste du monde, où le premier est de plus en plus isolé.
Par ruse dialectique ce sont précisément les efforts intempestifs et les conduites agressives pour empêcher l’effondrement occidental qui vont le déclencher. Ces efforts qui ont déjà enrayé la mondialisation, aiguisé les contradictions internes à l’intérieur du bloc euro-atlantique - au point de voir les États-unis menacer directement le Danemark et au Canada ! Ils ont tissé l’alliance défensive Russie - Chine - Iran et ils ont fait refleurir le socialisme en Chine.
Et il semble à certains indices que le maillon faible du capitalisme aujourd’hui soit sa métropole même, les États-Unis, qui sont en proie à une hystérie politique qui peut les conduire à la guerre civile.
Là, on a cultivé en serre chaude des foules d’individus narcissiques, insatisfaits et paranoïaques, les derniers hommes qui sont les produits de quatre générations qui ont été élevées et éduquées par le marketing et la publicité. Leur révolte aveugle a conduit au pouvoir Donald Trump, qui semble faire tout ce qu'il peut pour les conduire à la ruine et pour détruire l'Amérique, en commençant par ses alliances.
GQ, 25 août 2021, relu le 1er février 2025