Ce weekend, c’est la conférence de ma section préalable au congrès du PCF, autrement dit le congrès de la section. Ce matin, c’était le débat général. Rien de surprenant, ça a été n’importe quoi. Je ne parle pas de l’organisation des débats, toujours bien huilée, mais du contenu des interventions qui, car je ne veux pas jeter la pierre à mes camarades, ne fait que refléter ce que la direction du parti leur donne à "penser". Et, au-delà de l’agacement que cela me procure, cela éclaire sur l’incapacité du PCF à comprendre le réel et, par conséquent, à le transformer. Un comble, quand même, pour un parti qui idolâtre Marx comme s’il s’agissait d’un prophète, manifestement sans en comprendre le message...
J’ai souhaité intervenir dans les premiers, histoire d’une part de ne pas m’en aller avant d’avoir dit leurs vérités à mes camarades, d’autre part pour poser d’emblée les termes du débat sur mes bases.
D’abord, j’ai parlé du Mali, puisque le rapporteur l’avait abordé en "dénonçant" l’intervention française (ce que, rendons à César ce qui est à César, ne fait même pas la direction du Parti). J’ai rappelé quelques vérités, qui choquent évidemment ceux qui prennent des positions sans réfléchir "parce qu’on est pacifistes", à savoir que :
c’est bien l’Etat malien qui a appelé à l’aide la France, pas elle qui est entrée en guerre pour renverser un gouvernement légitime comme en Libye et en Irak ;
l’intervention française est approuvée par le peuple malien, par l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, par le Conseil de sécurité de l’ONU, et que même la Russie et la Chine soutiennent la France ;
depuis un an, les discussions entre les pays frontaliers pour mettre en place une force africaine n’avaient pas abouti, et que les pourparlers avec les islamistes avaient achoppé ;
que, compte-tenu de l’urgence indispensable pour bloquer les islamistes dans leur course vers le sud, il était difficile de différer l’intervention pour saisir le parlement ou l’ONU, car une fois Sévaré prise, c’était à Bamako qu’on verrait la charia s’installer ;
enfin, que ceux qui s’opposaient à l’intervention pouvaient toujours nous informer des solutions qu’ils imaginaient pour bloquer l’offensive des djihadistes (à mes yeux il n’y en avait pas).
J’ai aussi rappelé que l’intervention française ne se substituait pas à un règlement politique et que, malgré les arrières-pensées évidentes de la France, il n’y avait pas d’autres solution.
Ensuite j’ai parlé du Front de gauche, pour dire que la question à se poser n’était pas "Comment le continuer ?" mais "Faut-il le continuer" ; et de rappeler ces faits :
la perte de la moitié des conseillers régionaux et des députés ;
au sein du PCF : la perte de 5.000 cotisants par rapports au vote de 2011 sur le candidat à la présidentielle, et de 14.000 votants ; la perte de 14.000 cotisants par rapport au 34e congrès de 2008, et de 5.300 votants ; la perte de plus de 36.000 cotisants par rapport au 33e congrès de 2006 et de 11.000 votants ; donc, qu’au regard des 130.000 adhérents revendiqués (depuis huit ans que je suis au PCF, on en revendique toujours autant, en soulignant tout le temps qu’on fait des milliers d’adhésion... comprenne qui pourra), on avait eu une participation de 27% et que, donc, les 73% du texte du Conseil national ne représentaient que 20% des adhérents.
Face à ces éléments chiffrés, j’ai donc appelé à un changement d’orientation, à cesser notamment l’hystérie envers les électeurs du FN qui nous a été si préjudiciables et en faisant observer que les critiques de Marc Dolez envers Mélenchon à Hénin-Beaumont étaient exactement les mêmes que les miennes...
J’ai conclu en réclamant une rupture avec la démarche consistant à prendre ses rêves pour des réalités, et dénoncé qu’après 5 années de crise économique, le PCF fasse une place toujours aussi grande aux questions sociétales.
J’aurais pu ajouter, sur le Mali, que Mélenchon, qui dénonce aujourd’hui l’intervention française, avait voté la guerre en Libye au parlement européen, et que Marie-George Buffet, à l’époque, avait préconisé d’armer directement les rebelles libyens plutôt que d’entrer en guerre. J’aurais aussi pu rappeler qu’après le coup d’Etat du mois de mars 2012 au Mali, le collectif "Afrique" du PCF avait publié un communiqué de soutien au parti SADI, qui était le seul à soutenir les putschistes ! J’ai publié en juillet 2012 un texte sur un blog ami sur le sujet.
Sur le Mali, j’ai eu pas mal de réactions, mais toutes sur le ton de la pétition de principe. Un camarade a fait le parallèle, très juste, avec l’intervention soviétique en Afghanistan. Mais surtout, un consensus s’est dégagé pour le réflexe pavlovien de la paix, quoi que ce terme puisse recouvrir... L’intervention la plus éloquente vint d’une fille que je ne connais pas, et qui, précisément, fait partie du collectif "Afrique" du parti... Ah ah, j’allais voir ce que j’allais voir ! Évidemment, en bon don-quichottiste, elle a dénoncé l’ingérence française en Afrique (incroyable cette capacité à dénoncer la chimiothérapie quand quelqu’un a le cancer, non ?), au motif qu’autre chose était possible même si, précisa-t-elle, les forces progressistes maliennes soutiennent l’intervention française (question : qui donc est l’anticolonialiste conséquent ? Celui qui, contre l’avis des peuples concernés, refuse de les aider ou celui qui, écoutant leur demande, consent à les aider ?)... D’abord, dit-elle, cela fait un an que les djihadistes sont installés au Mali, et rien n’a été fait jusqu’ici ; objection : des discussions sont en cours depuis un an, qui n’ont rien donné. Mais prenons-la au mot : et si quelqu’un s’était aventuré à agir immédiatement, il y a un an, n’aurait-elle pas crié aussi à l’ingérence ? N’aurait-elle pas réclamé du temps pour la négociation ? La phrase suivante, elle nous dit que cette intervention était préparée depuis plusieurs semaines, et que l’on a vu les troupes françaises dans la région s’animer ; mais en disant ça, elle contredit son regret que rien n’ait été fait depuis un an. Ensuite, elle a regretté que l’on n’ait pas laissé des forces africaines intervenir : il faut dire que, depuis un an, elles discutent sans se mettre d’accord sur le sujet ; prenant l’exemple que les pays voisins du Mali s’apprêtent (mais l’offensive djihadiste date de 10 jours maintenant, hein...) à fournir des hommes, elles argua donc qu’il était possible de les faire intervenir, eux. Incroyable qu’on puisse s’imaginer, avec autant d’aplomb, croire que ses rêves sont la réalité et que, en l’occurrence, les djihadistes allaient peut-être avoir la politesse d’attendre que le monde entier soit enfin prêt à les combattre pour entrer en guerre...
Il y eut aussi les interventions sur le Front de gauche. Le pire était à venir... en effet, il ne fallait pas s’attacher à trop d’arithmétique, parce que l’important, c’était de travailler au rassemblement, de mener le combat idéologique, que le Front de gauche était le seul vecteur d’espoir à gauche, que, difficile, cela pouvait conduire dans un premier temps à perdre quelques élus et que la pertinence d’une construction politique ne réside pas dans son nombre d’élus. Je tairai les noms des ces braves âmes pleines de bonnes volontés, qui ont osé déclaré que "Notre parti est en bonne santé", ou que "Nous sommes sur une bonne dynamique", que "Notre influence se renforce"... Il faut dire que Mélenchon donne le ton ; à l’occasion de ses vœux au mois de janvier, il a osé déclarer : "C’est nous qui avons gagné les élections, c’est à nous de faire la loi"... Bordel, il fume quoi, nom de dieu ?
Dans le cadre d’une stratégie politique, bien sûr, on peut perdre des élus, c’est normal. Mais là, je ne parle pas de la perte de quelques élus, de façon sporadique : la moitié ! Déjà qu’on n’en avait plus beaucoup... Sans parler de la petite couronne, où les mairies communistes ont fondu comme neige au Soleil, et où il ne reste que trois députés plus ou moins communistes : François Asensi, Marie-George Buffet et Jacqueline Fraysse. Mais, a-t-on observé, "on progresse en voix"... le problème, c’est que les élections, ça se gagne, et on ne peut pas se contenter de faire seulement un bon résultat. Je n’ai pas eu le temps de développer sur la distribution sociologique et géographique du vote du Front de gauche, qui ressemble de plus en plus à celui du PS, sans ancrage particulier ni "bastion", que ce soit sociologique ou géographique. Et plus de 30% de cotisants perdus en six ans ! A croire que, tellement habitués à se prendre des raclées, les communistes n’en sont même plus à se révolter contre ça.
Mais, par ailleurs, chez mes camarades, que de langue de bois, que d’esquive du réel, que d’omission de tout ce qui pourrait apparaître comme contradictoire... remarquez, comme ça, on est sûr d’avoir toujours raison. A partir de là, il ne reste que la dissertation abstraite, la pétition de principe, en un mot l’idéalisme philosophique, le matérialisme étant banni, et évidemment sans la moindre nuance, pour ne pas prononcer le mot de dialectique. C’est la traduction visible de l’incapacité des adhérents, du parti lui-même, à avoir pied sur le réel. Un seul camarade releva que les chiffres que j’ai évoqués sont effectivement inquiétants ; élément important : c’est un nouvel adhérent... j’en conclus qu’une fois qu’on a adhéré, la machine à laver l’esprit critique et la rationalité se met en marche... avec moi, ça n’a pas marché : je crois que c’est pour ça que je gêne à ce point.
Je fais de plus le constat que, sur le constat chiffré de la dégringolade, je n’ai même pas eu besoin d’entrer dans le combat ni de formuler une position politique : il s’agissait seulement de faire un état des lieux du bilan du Front de gauche... mais personne ne s’y risque, et pour cause !
Pour ne pas être malhonnête, je dois dire qu’on m’a proposé de réintégrer le comité exécutif de la section. Désemparé par l’incapacité de mes camarades à penser rationnellement, à agir politiquement avec une méthode, je ne dirais pas scientifique, mais au moins rationnelle, critique et réactive, j’ai refusé. Je n’ai pas envie de me continuer à essayer de convaincre les pires sourds qui soient : ceux qui ne veulent pas entendre...
Le samedi 19 janvier 2013
Lu sur son blog Au printemps de quoi rêvais-tu ?