Racismes asymétriques, par Marc Harpon
19 Janvier 2014 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Positions
Dans un article récent, mon camarade Gilles Questiaux a écrit que les juifs et les musulmans n’étaient plus opprimés en tant que tels, c’est-à-dire en tant que juifs et musulmans. Il veut dire par là, me semble-t-il, que c’est désormais pour autant qu’il est un travailleur que l’ouvrier musulman est opprimé et non plus parce qu’il est musulman. Si par oppression on entend la seule oppression institutionnelle, alors mon camarade a tout à fait raison. Si maintenant on ne réduit pas l’oppression à ses formes les plus « cristallisées », il me semble qu’il n’y à qu’à ouvrir les journaux pour réaliser que les uns et les autres font encore l’objet de mépris et de haines débouchant sur des faits concrets de discrimination, d’humiliation ou de violence.
Car le judaïsme et l’islam ne sont pas seulement des religions. En témoigne par exemple le fait que les chrétiens des colonies françaises d’Afrique du Nord ont été, durant une partie de l’histoire coloniale, classés statutairement comme « musulmans ». En témoigne encore le fait que, si vous parlez à n’importe qui d’un « musulman », il se représentera celui dont vous parlez sous les traits d’un maghrébin. La même chose vaut encore pour les juifs qui ont, il n’y a pas si longtemps de cela, fait l’objet de tentative sophistiquées de description et de définition de leur « race ». De la même façon que l’antisionisme peut servir de cache-sexe à l’antisémitisme, le rejet de l’islam a parfois pour rôle de cacher le racisme le plus primaire.
Mais il me semble que Gilles fait en même temps l’erreur de croire symétriques des situations qui ne le sont absolument pas. Le simple fait d’en faire le sujet commun d’un article sur l’oppression semble suggérer qu’il s’agit dans les deux cas d’une même espèce d’oppression. Par ailleurs, compte tenu des inimitiés manifestes entre les deux communautés, il est facile de supposer que le racisme de l’une vise l’autre et vice et versa. Ce n’est pas faux, bien entendu. Mais la symétrie est seulement apparente, me semble-t-il.
A relire le texte essentiel de Staline sur « Les trois contradictions de l’époque impérialiste », dans Les Questions du léninisme, on se rend compte que trois oppositions fondamentales structurent notre contemporanéité. Il y a, évidemment, la contradiction entre les travailleurs et les exploiteurs, entre la bourgeoisie et le prolétariat. Il y a ensuite la contradiction entre les capitalistes eux-mêmes, entre les différents groupements capitalistes nationaux et supra-nationaux, en concurrence les uns avec les autres pour l’accès à la main d’œuvre et aux matières premières. Il y a, enfin, la contradiction entre les puissances impérialistes et les pays dominés.
Une interprétation du réel relativement pertinente consisterait à chercher dans l’idéologie du moment ou, si l’on préfère, dans l’air du temps, ce qui se rattache à chaque contradiction. Il me semble que le racisme anti-arabe (qui ne recouvre pas la prétendue islamophobie) a d’abord à voir avec la contradiction entre puissances impérialistes et nations dominées. On pourrait penser la même chose de l’antisémitisme. En effet, Israël fonctionne comme relais des l’impérialisme étasunien précisément dans la région du monde où la troisième contradiction de Staline touche les peuples arabes. Cette explication n’est cependant pas suffisante. En pleine crise du capitalisme, l’antisémitisme me semble également lié à la contradiction fondamentale, c’est-à-dire à celle qui oppose les travailleurs aux capitalistes.
Les antisémites, en effet, se prennent pour des « anti-systèmes », la où les « philosémites », comme ce crétin de Nicolas Debos, semblent défendre l’ordre établi. Des deux côtés de la barrière raciste, on semble d’accord sur une chose : il est question du maintien ou de l’abandon de l’ordre établi. Mais cet ordre établi n’est pas celui, réel et palpable, qui oppose les travailleurs aux exploiteurs. C’est un ordre imaginaire dans lequel le goy remplace l’opprimé et le juif joue le rôle de l’oppresseur. Là donc où le racisme anti-arabe reflète un état de fait, l’impérialisme occidental dans le monde arabe, ou, dans les termes de Staline, la contradiction entre les puissances impérialistes et les puissances dominées, l’antisémitisme occulte la contradiction la plus fondamentale de toutes, celle qui oppose le capital et le travail. Les deux racismes sont fonctionnellement asymétriques.
Cela ne laisse présager d’aucune issue satisfaisante à la montée radicale des racismes dans notre pays. La contradiction géopolitique entre les puissances impérialistes et les autres dépend, en dernière instance, comme dirait Engels, de la contradiction fondamentale entre le capital et le travail. Cela indique qu’en agissant sur celle-ci on agit sur celle-là : faites sauter le capitalisme et vous aurez fait sauter l’impérialisme, et avec lui, son idéologie raciste. Le problème, c’est que l’antisémitisme interdit d’agir sur la contradiction fondamentale, qu’il sert à cacher. De là il suit que tant qu’il continuera de progresser, on ne s’attaquera pas au capitalisme et donc l’impérialisme continuera, avec son idéologie raciste, d’infecter les consciences. Heureusement, la France n’est pas le monde. La solution nous viendra peut-être d’ailleurs.
url de l’article : http://socio13.wordpress.com/2013/12/10/acclimater-la-lecon-venezuelienne-les-prix-mais-aussi-les-salaires-par-marc-harpon/
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Réveil Communiste :
Réveil Communiste est animé depuis 2010 par Gilles Questiaux (GQ), né en 1958 à Neuilly sur Seine, professeur d'histoire de l'enseignement secondaire en Seine Saint-Denis de 1990 à 2020, membre du PCF et du SNES. Les opinions exprimées dans le blog n'engagent pas ces deux organisations.
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