PSA : Pour amorcer une discussion sur le socialisme (première partie) par Jean-Claude Delaunay
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PSA fut toujours un lieu de luttes salariales malgré les prétentions de ses dirigeants à en faire un îlot pacifié de capitalisme à visage humain. Toutefois, depuis déjà quelques décennies, ce vernis humaniste s’est écaillé et il est en train d’en prendre un rude coup dans les circonstances actuelles. Toutes celles et tous ceux pour lesquels la lutte des classes a un sens soutiennent le combat des salariés de cette entreprise pour la sauvegarde de leurs emplois et de leurs droits ainsi que pour le maintien en France d’une tradition industrielle de qualité. Mais au-delà, on peut se demander : « En quoi les luttes menées dans ce groupe peuvent-elles renforcer la conviction de la nécessité du socialisme en France ? ». De façon complémentaire : « En quoi la thématique explicite du socialisme serait-elle dès aujourd’hui un appui pour le déroulement de ces luttes ? ».
Il n’y a dans mon esprit aucune ambiguïté. Je ne cherche pas à dire quoi que ce soit aux salariés et aux syndicalistes de cette entreprise sur leur façon de mener leur combat et sur les objectifs qu’ils (ou elles) lui donnent. J’ai d’autant moins cette intention que « le socialisme » devrait avoir les caractéristiques d’une solution générale et non d’une solution aux problèmes rencontrés par une seule entreprise.
Mais comme je fais partie des personnes pour lesquelles le socialisme est à l’ordre du jour, notamment en France, je m’interroge de la manière suivante : « Le socialisme est-il seulement un mot que le vent emporte, une sorte de généralité abstraite ? Est-il, au contraire une exigence, inscrite dans le mouvement réel, et, dans ce cas, que nous dit l’exemple de PSA ? ». J’aurais pu choisir un autre exemple que PSA. D’autres entreprises sont mises en avant par l’actualité (Fralib, Doux, Sanofi Aventis, Florange,…). Il y en a peut-être une vingtaine, peut-être davantage. Ces exemples pourraient être l’objet d’interrogations identiques. Il m’a semblé utile de lier une réflexion générale sur le socialisme à un cas concret.
Pour amorcer une réponse aux questions que je me pose, je vais évoquer quelques points. S’interroger aujourd’hui sur le socialisme en France revient à soulever des problèmes et non, dans le moment présent, à apporter des solutions sous le label du « socialisme ». Est-ce une raison suffisante pour ne pas y penser ? J’espère que ce papier suscitera d’autres réflexions. Je sais qu’il est long et certainement confus sur bien des aspects. Mais comment faire autrement ?
Pour celles et ceux pour lesquels la lecture serait un acte difficile, j’indique qu’il est possible, lors d’une première lecture, pour se faire une idée, de ne lire que les intitulés des points (en très gras) et leur conclusion (en très gras italique) tirée du raisonnement propre à chacun des points traités.
Voici le plan de mon texte.
Point 1. La contradiction essentielle du capitalisme industriel développé est celle existant entre le caractère de plus en plus social de la production et celui, toujours privé, des rapports sociaux de production.
Point 2. Comment cette contradiction essentielle entre « privé/social » fonctionne-t-elle concrètement aujourd’hui ? L’évolution du rapport Capital-Travail et la tendance à la surexploitation du travail salarié (quelques éléments).
Point 3. Quelques propositions émises en opposition à la stratégie de PSA. Y fait-on allusion au socialisme ? Est-ce que l’exemple de PSA suggère « l’idée » du socialisme ou « des aspects » s’y rapportant ?
Point 4. En réalité, le terrain idéologique sur lequel, en France, pourrait pousser et se développer « l’idée » du socialisme est un terrain qui lui est fortement défavorable. Le fait selon moi remarquable est que le caractère défavorable de ce terrain à l’idée du socialisme prend sa source dans l’idéologie politique des communistes français. Cette idéologie présente trois obstacles. Par conséquent, si l’on estime, en tant que communiste, que les exemples de PSA et d’autres entreprises justifieraient que l’on parlât aujourd’hui du socialisme à leur propos, il convient, pour clarifier cette exigence, de critiquer les raisons pour lesquelles « cette parole » n’est pas prononcée.
Point 5. L’obstacle « Dépassement du capitalisme ».
Point 6. L’obstacle « PCF » et son dépassement frontiste.
Point 7. L’obstacle provenant de la théorie de la révolution informationnelle et de son prolongement, la sécurité emploi formation.
Ce point 7 sera développé en trois points (8, 9 et 10) dans un article ultérieur concernant la révolution informationnelle et la sécurité emploi formation.
Une dernière partie (point 11) reviendra en conclusion sur PSA et la question du socialisme
Cette contradiction essentielle fonctionne dans l’enveloppe de la contradiction entre Capital et Travail, plus concrète.
Peugeot SA est une illustration du degré actuel de maturité de cette contradiction, en même temps que de la façon dont elle fonctionne. Tout d’abord, quelques illustrations du phénomène « socialisation ».
Socialisation de la production : la taille de l’entreprise et le nombre de salariés qu’elle emploie. PSA est présente dans 6 pays dont la France, sur 32 sites de production. Elle dispose de 18 000 points de vente et salarie environ 210 000 personnes, intérim compris.
Socialisation de l’usage des produits : l’automobile évolue avec les préoccupations écologiques, les sources d’énergie, la recherche de la sécurité.
Socialisation des marchés : 60% de la production est vendue en Europe, le reste est vendu hors d’Europe. La demande à laquelle s’adressent ces groupes n’est plus la demande nationale mais la demande mondiale.
Socialisation des sources de financement : Comme le dit J-P Mercier, délégué CGT (entretien du 13 juillet 2012 (Politis), texte disponible sur RC ou Faire Vivre le PCF), « Ces patrons sont des assistés professionnels ».
Socialisation des actionnaires : la « famille Peugeot » (ne) possède (que) 30% du capital de PSA (une fortune qui n’en est pas moins estimée à 1,4 milliard d’euros). Quelques autres actionnaires : Natixis (2,7% du capital de PSA), BNP Paribas (1,1%), Barclays (5,0%), Templeton Global advisors (3,3%), entrée prévue de General Motors en 2012, etc.
Socialisation, par effets induits, des décisions prises par la direction de cette entreprise : « Comment peut-on autoriser un groupe multimillionnaire comme PSA à fermer une usine et à licencier 3000 salariés à Aulnay-sous-Bois et 1400 salariés à Rennes ? Comment peut-on autoriser, en pleine crise économique, ce genre de politique ? » [1] (J-P Mercier, op.cit.). L’usine d’Aulnay-sous-Bois est située dans un département particulièrement touché par le chômage. Sa fermeture serait une catastrophe locale. Mais il en serait de même pour les autres sites et les autres départements. D’après la presse, les suppressions d’emplois envisagées seraient de 8 000 à 10 000 [2]. Autres effets induits potentiels : la baisse de l’activité de certains équipementiers, ou encore l’intensification de l’exploitation salariale « Dans les usines de Poissy, Mulhouse et Sochaux… Il s’agit de les faire tourner à 130-140% de leurs capacités » (J-P Mercier, op.cit.).
Socialisation en raison des effets immédiats, sur la vie de cette entreprise, de décisions de politique étrangère. La décision du gouvernement français de contribuer à l’embargo des produits livrés à l’Iran a pénalisé l’activité de PSA. Les pertes induites par ces décisions de l’Etat français ne sont pas la cause première du plan de suppression d’emplois actuellement programmé par la direction de PSA. Elles montrent cependant le degré élevé de socialisation de cette entreprise puisque la vie de ses salariés est directement liée à des décisions de politique étrangère.
Socialisation par effet de la valeur créée par les salariés. Cet argument est un peu difficile, mais il vaut la peine de s’y arrêter, même si les arguments précédents sont suffisants pour illustrer l’idée principale de ce premier point.
En général, les capitalistes justifient la propriété privée par « l’effort » que matérialiserait l’argent investi dans leur entreprise. Cet argument vient de loin. On le trouve par exemple chez Hume, et il tend à montrer que la propriété privée est bien une propriété privée justifiée.
Ainsi, la famille Peugeot peut-elle penser que « Oui, le grand-père du grand-père a investi beaucoup d’argent et d’énergie pour construire les premières fondations de "notre" entreprise. Maintenant, nous continuons, c’est à nous et c’est à tous ceux qui prennent des risques avec nous ». C’est l’argument de base de la propriété privée capitaliste. Ce que montre Marx dans le Capital (c’est l’une des raisons pour lesquelles le marxisme n’est pas remplaçable en tant que théorie révolutionnaire) est que, 1) le travail est à l’origine de la valeur (des marchandises), qui nourrit la propriété privée, et que 2) en retour, le fonctionnement de la valeur repose sur des processus de socialisation du travail tels que la propriété privée perd rapidement sa signification première.
L’idée de la propriété privée industrielle est une interprétation de très petite entreprise et de très petits patrons. Car dans les sociétés modernes développées, trois phénomènes se produisent.
Le premier est l’amortissement du capital. Ce qui veut dire que le total de l’argent investi dans une affaire est rapidement récupéré sur le dos des travailleurs et renouvelé grâce à leurs efforts (à leur travail). Si, chaque année, 20% d’un capital est amorti, cela veut dire que, en 5 ans, les salariés de l’entreprise ont renouvelé la valeur investie au départ. Sans ce renouvellement permanent, il n’y aurait pas d’exploitation du travail salarié, donc pas de profit, et ainsi de suite. La valeur investie dans une entreprise est socialisée en permanence par le travail.
Le deuxième est le fait que la valeur totale produite sur un espace productif donné est (en théorie) répartie proportionnellement au capital avancé dans l’entreprise et non en fonction de la valeur produite dans l’entreprise. C’est un facteur de socialisation. La rentabilité de Peugeot est en partie le résultat du travail produit dans telles ou telles entreprises moins capitalistiques. Le fait qu’aujourd’hui, Peugeot, plus généralement l’ensemble des grandes entreprises mondialisées, s’adressent à « la demande mondiale » et non plus seulement à « la demande nationale » élargit encore le champ de leur socialisation par la valeur créée.
Le troisième tient à ce que, aujourd’hui, des capitaux extérieurs, étrangers, s’investissent dans les entreprises. Or ces capitaux proviennent de l’exploitation du travail dans d’autres lieux, dans d’autres pays. C’est, dit-on, de l’épargne. En fait, ces sommes n’ont rien à voir avec l’épargne populaire, économisée sur le salaire.
En bref, il y a bien longtemps que l’argent mis de côté par le grand-père du grand-père Peugeot, et qu’il « avait mis de côté », a été transformé des milliers de fois en nouvelle valeur grâce à l’exploitation du travail, renouvelée en permanence.
Je crois ce point intéressant, non seulement parce qu’il permet de discuter de manière approfondie l’idéologie de la propriété privée dans une grande entreprise mais aussi parce qu’il montre le rôle joué par « la théorie de la valeur des marchandises capitalistes » dans la compréhension en profondeur du système capitaliste développé et dans sa critique.
S’il y a socialisation de la valeur investie, les rapports capitalistes, d’essence privée, se maintiennent de plus en plus par des voies socialisées. D’où le besoin de ne pas relâcher l’effort théorique sur des domaines aussi essentiels que la loi de la valeur, cible favorite de celles et ceux pour lesquels le marxisme est une abominable horreur théorique, un défi au bon sens.
Pour conclure le point 1.
Peugeot SA est une entreprise très socialisée mais ce n’est pas "la société" qui la gouverne et en tire avantage. Ce sont des intérêts privés de grosse taille, des capitalistes, eux-mêmes mondialisés pour la plupart.
La société française est au service de Peugeot et non l’inverse.
Il en est de même dans les autres pays où elle opère et peut le faire sans contrainte. Il s’en suit un degré élevé de contradiction entre l’entreprise et les individus ainsi que les groupes dont elle affecte la vie, directement ou indirectement.
Résoudre cette contradiction fondamentale implique d’inverser complétement la relation entre l’entreprise considérée et la société au nom de laquelle et pour le service de laquelle elle est censée fonctionner.
Les illustrations que je viens de rappeler du phénomène « socialisation » contiennent déjà des aspects concrets, par exemple la « mondialisation » capitaliste et, par exemple, la vente, par PSA de 400 à 500.000 voitures/an sur le marché iranien. Les modalités actuelles de la socialisation capitaliste se déroulent dans le cadre de la mondialisation capitaliste. L’idée importante paraît alors la suivante.
Dans le contexte concret de la mondialisation, la contradiction essentielle fonctionne concrètement, dans les rapports capitalistes développés, comme surexploitation permanente du Travail et comme utilisation gratuite des fonds publics.
La mondialisation capitaliste (et la socialisation financière globalisée qui en est le complément) est la façon la plus efficace que les capitalistes aient trouvée non seulement pour lutter contre les phénomènes de sur-accumulation des années 1970 mais aussi pour éviter les dangers politiques potentiellement induits par le processus de socialisation que contenait, en germe, le capitalisme monopoliste d’Etat.
On se rappelle l’analyse de Lénine sur « l’antichambre du socialisme ». Il montre que les grandes banques ont, en quelque sorte, socialisé l’industrie et qu’il suffit de les pousser de l’épaule pour prendre leur place. Les maîtres actuels du monde refusent à tout prix qu’on leur fasse « le coup de l’antichambre », dont ils ont horreur, plus encore que les vampires ont horreur de l’ail.
C’est dans ce contexte que prennent place les mécanismes concrets de la contradiction que je viens d’exposer en premier, mon deuxième point étant consacré à la compréhension des grandes lignes de ces mécanismes.
Ces mécanismes sont, dans le moule de la financiarisation et de la mondialisation,
a) ceux de l’exploitation capitaliste. Ces mécanismes sont connus, quoique transformés.
b) ceux, également transformés, des rapports entre les grandes entreprises et l’Etat. Les missions de l’Etat sont modifiées en profondeur.
D’abord la financiarisation, comment la comprendre ? La financiarisation est le processus en même temps que la forme par l’intermédiaire desquels le capitalisme industriel développé s’est, au cours des quatre dernières décennies, mondialisé dans sa masse, et s’est calqué sur le capitalisme développé américain.
Après les années 1970, la crise du capitalisme a été surmontée grâce à des modalités accentuées de concentration du capital, de surexploitation de la main-d’œuvre, de transformation du rôle de l’Etat, de transformation complète de la finance, de ses institutions et de ses règles. Ces modifications sont intervenues dans le contexte d’un mouvement d’expansion généralisée du Capital dans le monde rentable (certains pays du monde), et d’homogénéisation de ses formes. Ce que Boccara a appelé « la crise du capitalisme monopoliste d’Etat » fut simultanément le prélude à la mise en place d’une autre étape du capitalisme développé. Je l’ai appelée « capitalisme monopoliste financier mondialisé ». Je renvoie sur ce point à la petite note que j’avais rédigée pour les assises de Marseille, mais surtout à deux autres notes publiées par la Fondation Gabriel Péri en 2012, ainsi qu’à d’autres travaux.
Cette forme unifiée de socialisation capitaliste qu’est la mondialisation et la financiarisation capitaliste fut bien une façon, pour les capitalistes, de lutter, simultanément, contre la baisse du taux moyen de profit et contre les effets, pour eux potentiellement pervers, du degré élevé de socialisation ayant résulté de la maturation du Capital, dans le cadre principalement national des formations sociales structurées par le capitalisme monopoliste d’Etat.
Pour me faire comprendre sur ce point, je dirai que, par exemple, si une entreprise, comme c’est le cas de Peugeot, est possédée non seulement par des capitalistes d’origine française mais aussi par des capitalistes américains, allemands, polonais, etc., la nationalisation de l’entreprise est politiquement plus difficile à réaliser que si elle n’était possédée que par des intérêts explicitement français. La socialisation financière, qui accompagna nécessairement la mondialisation capitaliste, fut donc, tout à la fois, une façon de s’opposer à la baisse tendancielle et générale de la rentabilité et une façon de prévenir les effets « désastreux » du degré de socialisation réelle déjà atteint dans le cadre national, tout en portant le degré général de socialisation du Capital à un niveau plus élevé que dans la phase du capitalisme monopoliste d’Etat.
En effet, même s’il n’existe pas de liaison automatique entre socialisation (processus principalement économique) et socialisme (phénomène politique), mieux vaut, pensent certainement les capitalistes, prévenir que guérir.
Dans ce contexte s’est produit le renouvellement des formes concrètes de la contradiction principale entre Capital et Travail. L’exploitation capitaliste a été suractivée (« surdéterminée ») par la mondialisation et la financiarisation capitalistes. Ces aspects sont connus des lecteurs de ce texte. Je souhaite seulement indiquer, à travers cet examen, et en précisant certaines liaisons, qu’ils concordent avec l’exemple de PSA.
*) Dire qu’une entreprise est financiarisée et mondialisée signifie qu’elle a un double mondial. Elle est d’une part, constituée d’actifs réels (les bâtiments, les équipements, localisés dans divers pays). Elle est d’autre part représentée et unifiée par des actifs financiers (la valeur marchande de ces actifs réels).
Ces actifs financiers sont négociables sur des marchés financiers adéquats. Il en existe une trentaine environ dans le monde. Les multinationales financiarisées peuvent donc, grâce à des marchés particuliers (les marchés financiers) qui mobilisent « l’épargne mondiale », s’engager sur de nouveaux lieux de production, ou accroître leurs engagements antérieurs, ou se désengager. Leur financiarisation favorise l’unité de leur management pour la recherche mondiale du taux de profit le plus élevé.
**) Toutes les grandes entreprises ne sont pas cotées en bourse. C’est l’une des remarques critiques émises par Pascal Brula à propos du projet de loi sur « les licenciements boursiers » (lepcf.fr, 21 juillet 2012). Cela étant dit, je vais, par commodité, supposer que toutes les grandes entreprises sont cotées en bourse et que les actifs financiers échangés sur les marchés financiers ne sont que des parts du capital des entreprises mondialisées. Je ne crois pas que ces simplifications nuisent à mon raisonnement et l’on trouvera en note la raison théorique pour laquelle on peut, selon moi, raisonner ainsi. Je vais également faire abstraction de la dette publique.
***) Maintenant, comment expliquer, avec ces hypothèses, que les directions d’entreprises licencient du personnel même quand « ça va bien » et en licencient, évidemment, « quand ça va mal ».
Autrefois, les salariés pouvaient, par exemple, se battre pour de meilleurs salaires dans la phase ascendante du cycle économique. Il semble que cette période soit révolue.
Le mécanisme contemporain est le suivant. Pour l’expliquer, il faut prendre en compte deux catégories de marchandises : les marchandises « réelles » et les marchandises « financières », tout en sachant que les marchandises fonctionnent concrètement (sont achetées et vendues) par l’intermédiaire de leur prix.
Il existe, d’une part, les prix des biens et services produits. Ces prix sont mondialisés. Ils tendent à relever de ce qu’on appelle, en jargon économique, « la loi du prix unique » (existence d’un marché mondial) et ne peuvent pas être haussés facilement, en raison de la concurrence très forte qui règne sur ce marché. Certes, il se produit des mouvements de prix, au niveau notamment des matières premières. Mais en raison de la concurrence mondiale pesant sur ce marché unique, les prix des biens et des services produits sont plafonnés au plus bas.
Il existe, d’autre part, les prix des actifs financiers. Ces derniers dépendent eux aussi de l’offre et de la demande. Mais ces actifs sont faciles à produire et leur commerce (achat/vente) peut procurer un profit beaucoup plus rapidement que le marché des biens et des services.
Il en résulte cette caractéristique particulière des marchés financiers, à savoir que plus les prix des actifs financiers augmentent et plus ils sont demandés. Les entreprises elles-mêmes ont intérêt à ce que le prix des actifs financiers portant leur nom augmente. C’est leur image de marque qui est en jeu. Ce peut être aussi une protection supplémentaire contre leur rachat « hostile » par des concurrents.
En général, avec les biens (et les services), plus le prix augmente et moins la demande est forte. Plus le prix des voitures augmente et moins la demande de voitures est élevée.
Avec les actifs financiers, cela se passe autrement. L’augmentation de leur prix apparaît comme un gage de profits futurs. Et puisque cette augmentation est un gage de futurs profits, il faut acheter les titres en question. Mais si beaucoup de gens raisonnent ainsi, le prix des actifs financiers continue de monter chaque fois que ce prix augmente. L’augmentation du prix des actifs financiers entraîne l’augmentation du prix de ces actifs. C’est un effet « boule de neige », que les banques soutiennent en accordant des crédits.
La masse du capital financier, évaluée en prix, est donc croissante. Mais la quantité des profits nécessaires à la rentabilisation de ce capital augmente elle aussi. Il faut rémunérer ces marchandises particulières. En 2011, PSA aurait versé 457 millions d’euros pour rachat d’actions et versement de dividendes. Or comme le capital financier n’est pas en mesure de produire lui-même du profit (l’argent est stérile sans le travail qui le met en valeur), cette exigence toujours renouvelée de profits supplémentaires et croissants de la part du capital financier se répercute sur le capital réel et finalement sur les salariés de la production de biens et de services. Car c’est là seulement que le travail peut être dépensé et approprié sous forme valeur par le Capital.
Ce que je viens de dire éclaire peut-être que « quand ça va bien dans le monde financier, ça va mal pour les salariés, dans le monde réel ». Le fait que cela « aille bien » pour le capital financier se traduit principalement par le versement de dividendes importants aux actionnaires, c’est-à-dire aux propriétaires de titres financiers. Mais simultanément, en raison de « la loi du prix unique » dans l’espace et dans le temps, et de l’hyper-concurrence qui prévaut sur le marché mondial, le prix des biens et des services (réels) est limité à la hausse.
La conséquence de cette dualité particulière est qu’il n’y a aucun répit pour les salariés. Ils doivent être surexploités pour satisfaire le besoin de profits supplémentaires engendré par la hausse du prix des actifs financiers.
L’inflation du prix des actifs financiers est une explosion qui se répercute comme implosion sur le prix des actifs réels. Comme le prix des actifs réels est stable, plafonné à la hausse, la répercussion de la hausse du prix des actifs financiers est principalement interne à la structure du prix des actifs réels. Dans cette structure, et au sein du capitalisme, le maillon vulnérable est le travail, évidemment.
Quand l’augmentation du prix des actifs financiers cesse et se prolonge en baisse du prix de ces actifs, le prix des actifs réels diminue et engendre des licenciements et restructurations pour retrouver la rentabilité.
Ce mécanisme double aboutit, finalement, à la surexploitation permanente du travail.
La permanence et l’étendue mondiale de la compétitivité transforment le mouvement cyclique antérieur, ascendant et descendant, de la rentabilité.
Quand ça va bien (quand l’économie tourne, est en phase d’expansion), pour les salariés ça va mal et quand ça va mal (l’économie ne tourne plus, elle est en phase de récession), pour eux, ça va encore plus mal.
La compétitivité, déployée à l’échelle mondiale, amplifie (surdétermine) les formes concrètes de l’exploitation capitaliste [3]. Je laisse ici de côté (mais il est facile de l’intégrer dans le raisonnement) tous les aspects juridiques et institutionnels de la surexploitation.
En théorie, mon raisonnement suggère que les lois (qui ne sont pas encore votées) sur les licenciements boursiers devraient s’appliquer à tous les licenciements, puisque, avec la financiarisation mondialisée, licenciements et surexploitation deviennent des constantes du fonctionnement économique. Il n’y a pas de répit. On peut dire « Oui, mais ça serait quand même pas mal s’il était possible de ralentir ou de freiner la puissance du Capital ».
Soit. Mais, sans tomber dans une phrase de portée générale et vide de sens pratique immédiat, consistant à dire que la fin du capitalisme serait la fin des maux subis par les travailleurs, il faut, selon moi, se convaincre que le remède le plus immédiat contre « les licenciements boursiers », c’est la mise à mort de la mondialisation capitaliste et de la financiarisation qui en est le complément nécessaire.
Cela ne signifie pas la fin du capitalisme mais la fin de cette période particulière dans laquelle nous sommes englués jusqu’au cou depuis une quarantaine d’années. [4]
C’est ainsi, me semble-t-il, que l’on peut comprendre le phénomène général dont Peugeot SA apporte l’illustration. Aujourd’hui, il est question de licencier 8 à 10.000 salariés, sous le prétexte que ça va mal. Mais le fait que ça aille mal est un point que, précisément, contestent les syndicalistes. Ils disent « Cela ne va pas si mal, mais on nous licencie quand même » Et ils rappellent que, « en l’espace de 5-6 ans, PSA a supprimé 20.000 emplois tout en vendant le même nombre de véhicules. Cela veut dire que les marges ont explosé » (J-P Mercier, op.cit.).
Toutes choses égales par ailleurs, on peut être malheureusement certain que ce n’est pas terminé.
Je viens d’évoquer l’aspect le plus important de la forme concrète de la contradiction entre Capital et Travail aujourd’hui. Il en existe un autre. La contradiction interne à la socialisation, dans le cas de PSA (mais c’est pareil pour les autres entreprises), s’exprime non seulement par la surexploitation du travail au sein des sites de l’entreprise. Elle se traduit également par le fait que, par exemple, l’entreprise tend à ne plus payer d’impôts.
En revanche, non seulement elle verse des dividendes mais elle reçoit de l’argent public, c’est-à-dire des recettes fiscales provenant en partie des prélèvements effectués sur les revenus des salariés et des retraités. « Depuis peu, PSA ne paye plus d’impôts…la taxe professionnelle a été supprimée par Sarkozy et elle ne paie pas d’impôts locaux…Aujourd’hui, la revendication de Philippe Varin est de ne plus payer de cotisations sociales. Demain, ce sera de ne plus verser de salaires…PSA n’investit pas dans la recherche car c’est le crédit d’impôts recherche, et donc l’Etat qui finance par exemple la recherche sur le moteur hybride...Ces patrons sont des assistés professionnels » (J-P Mercier, op.cit.).
Pour conclure le point 2.
Je crois que notre époque est celle de la forme ultime du degré de socialisation pouvant être atteint par le capitalisme industriel développé puisqu’il est désormais devenu mondial et que, toutes choses égales par ailleurs, les marchés martiens ne sont pas encore accessibles. L’antidote capitaliste à la maturation « socialisante » que fut le capitalisme monopoliste d’Etat a été la mondialisation capitaliste et la financiarisation capitaliste.
Le système capitaliste a été homogénéisé sous la direction du grand capital américain. Il a été mondialisé, avec son complément nécessaire, la financiarisation globalisée des économies.
Mondialisation capitaliste du Capital et renforcement du rôle des Etats-Unis comme dirigeants de l’impérialisme mondial sont des phénomènes (économique et politique) évidemment liés
En développant la financiarisation, le système capitaliste mondialisé a amplifié l’exploitation directe et indirecte des travailleurs. L’exploitation capitaliste est aujourd’hui surdéterminée par la compétitivité mondiale des entreprises, cette surdétermination s’opérant par le biais et sur l’impulsion des marchés financiers ainsi que des Etats.
La surdétermination que j’évoque ne fait pas disparaître l’exigence de rentabilité des entreprises. La compétitivité ne s’oppose pas à la rentabilité. Elle lui donne simplement une forme et une intensité particulières. L’exploitation capitaliste, et donc la rentabilité capitaliste, sont portées en permanence à leurs plus hauts niveaux par suite de la compétitivité mondiale dans le contexte de la financiarisation. A cette contradiction concrète, majeure, s’ajoutent celles existant entre l’entreprise et la Société, se manifestant notamment par le refus du paiement des impôts et des cotisations. La contradiction écologique peut être aisément intégrée dans ce raisonnement.
J’ajoute un point, qui est peut-être de détail. Ce qui est en cause, avec le phénomène de surexploitation de la force de travail, ce n’est pas la financiarisation capitaliste, point à la ligne. C’est la financiarisation capitaliste comme complément nécessaire de la mondialisation capitaliste. L’un est l’envers de l’autre. Ce qui signifie qu’on ne peut pas combattre la financiarisation du capital sans combattre simultanément, la mondialisation capitaliste. Et réciproquement. Mais ces deux « aspects » du rapport Capital sont à la fois liés et distincts.
La stratégie annoncée par PSA (pressentie depuis près d’un an par les syndicats, notamment la CGT) relativement à la suppression d’emplois et à la fermeture d’usines, n’est pas restée sans réponse. Dans ce contexte, la CGT est particulièrement active. Les communistes, élus ou dirigeants divers, sont aussi une partie prenante de ce combat (cf. les articles de l’Humanité). Je vais reprendre ci-après quelques énoncés pour tenter d’en tirer une première conclusion par rapport à la question posée initialement : le socialisme n’est-il qu’un mot ?
a) Un délégué syndical (J-P. Mercier, CGT)
Voici les principales propositions faites par ce délégué syndical dans l’entretien que j’ai lu de lui (cf. site RC). Outre l’arrêt du plan PSA de licenciements et de fermeture de sites, il indique qu’« il faut imposer un rééquilibrage des productions entre les différentes usines pour que tout le monde travaille ». « Il y a, dit-il, une stratégie industrielle payante qui a été écartée : embaucher des jeunes, faire partir les anciens dès 55 ans et augmenter les salaires ». Rejetant l’idée que l’Etat doive entrer dans le Capital de PSA (Entrer dans le Capital n’est pas une bonne méthode, cela veut dire de la dépense publique pour un groupe privé), il rappelle le montant du salaire annuel que reçoit Philippe Varin (environ 3.3 millions d’euros). L’importance des versements faits aux actionnaires est critiquée. L’intervention de l’Etat est sollicitée avec vigueur. « Si l’Etat est capable d’imposer à PSA de sacrifier son premier marché international, il doit pouvoir aussi interdire les licenciements ».
b) Deux élus du 93 : H. Bramy et M-G. Buffet, ainsi qu’un responsable communiste de la région Rhône-Alpes, A. Gerin.
On retrouve des thèmes identiques dans les interventions de ces élus communistes du 93, avec en plus l’idée de « l’interdiction des licenciements boursiers », une forte insistance (MG Buffet) sur la nécessité de hausser les salaires, la nécessité d’une politique industrielle novatrice (Gerin, Bramy).
Pour M-G. Buffet, « …il faut légiférer pour que les licenciements soient interdits dans les entreprises qui ont distribué, l’année précédente, des dividendes à leurs actionnaires…En cas de difficultés passagères, …(PSA) doit puiser dans les dividendes pour maintenir l’emploi…Enfin, une politique de relance par la consommation est nécessaire avec une véritable augmentation du SMIC permettant une revalorisation généralisée des salaires ». (L’Humanité, M-G. Buffet, « PSA doit puiser dans ses dividendes »).
A propos du plan relatif à l’industrie automobile très récemment présenté par le gouvernement, M-G. Buffet critique le système d’aides envisagé par l’Etat et revient sur son propos précédent « On relèvera l’industrie si on a de la relance, si on a de la croissance, et cela passe par les salaires…Je doute de l’efficacité d’un tel plan si ce ne sont que des aides…Pendant les 5 ans qui viennent, on doit entendre le mot salaire à l’Assemblée nationale…Il faut prendre à bras le corps la question du pouvoir d’achat…Il faut interdire les licenciements boursiers » (L’Humanité, 24/07/2012).
H. Bramy développe les mêmes thèmes, tout en précisant : « …Il faut maintenir l’usine jusqu’en 2016 (arrêt de la C3)… Nous montrerons que la construction d’un autre véhicule est possible » (L’Humanité, 12/07/2012)).
A. Gerin, à l’occasion du sauvetage de l’emploi d’une usine de production de toile cirée (Véninov) située à Vénissieux, s’est exprimé sur des problèmes généraux identiques à ceux que soulève « l’affaire PSA ». Il est donc utile de mentionner son propos. Il s’est ensuite exprimé sur la liquidation programmée de l’usine d’Aulnay elle-même.
Concernant le premier point, il écrit, dans une invitation adressée à J-M. Ayrault pour suggérer que A. Montebourg se rende sur place (5 juin 2012) : « La mobilisation citoyenne de tous les acteurs, dans un Etat qui doit redevenir développeur de l’économie, le tout à l’échelle européenne, nationale et régionale, toutes ces énergies positives doivent être réunies pour la reconquête de notre industrie ».
Concernant PSA, je cite une lettre adressée à P. Laurent (« PSA, le gouvernement doit revoir sa copie, 28 juillet 2012 »). D’une part il y critique l’inaction de l’actuel gouvernement à l’égard du plan PSA de licenciements : « Le gouvernement se contente de multiplier les expertises en acceptant de fait la décision de Peugeot et prolonge le raisonnement politique en matière d’accompagnement et de reconversion… ». D’autre part, il y lance un appel personnel à P. Laurent pour que les dirigeants communistes prennent, sans attendre, l’initiative d’une vaste campagne de soutien et d’agitation politique en faveur des salariés de Peugeot. « Le Parti communiste doit apparaître comme la grande force critique et constructive pour que la gauche réussisse enfin, pour empêcher à tout prix la fermeture de l’usine d’Aulnay, pour s’opposer bec et ongles aux suppressions d’emplois en menant une bataille idéologique féroce et casser le dogme du coût du travail et de la compétitivité capitaliste ». Il faut développer, dit-il, « un mouvement populaire sans précédent avec tous ceux qui veulent défendre l’industrie nationale ». Deux éléments de la bataille idéologique sont soulignés « Non, le coût du travail n’est pas trop élevé en France, c’est un mensonge…Oui, PSA est déjà trop mondialisé ».
c) Voici enfin deux commentaires relevés sur le site RC. Le premier est une réaction aux propos de J-P. Mercier faisant l’historique des « mensonges » de la direction de Peugeot relativement au programme de licenciements qu’elle cherche à faire appliquer. L’intervenant dit à peu près (je cite de mémoire car je n’ai pas retrouvé ce commentaire) « Tout cela montre qu’il faut étendre les droits des travailleurs au sein de l’entreprise ».
La deuxième intervention est un entretien réalisé sur Europe 1 et reproduit sur le site RC sous le titre « Xavier Matthieu s’adresse aux Peugeot avec ses tripes », interview initialement diffusée par Europe 1, le 14/07/2012.
X. Matthieu déclare notamment : « Moi, j’aimerais bien qu’on nationalise cette entreprise et qu’on leur confisque leurs biens… parce que, de toute façon, cette famille, ils sont tous barrés je ne sais où dans les paradis fiscaux, ils ne payent pas d’impôts en France ».
Voici donc des fragments de quelques réactions. Nul ne sera surpris par le fait que « le socialisme » n’apparaisse dans aucun des propos ici reproduits. Le combat qui se mène à PSA, et notamment à Aulnay, est un combat de nature certes politique, mais c’est d’abord un combat syndical et de survie, extrêmement concret, d’issue rapide, menée dans les conditions plus difficiles de l’été, où il s’agit de rassembler les salariés concernés, et au-delà, « sans faire de récupération politique ». C’est ainsi du moins que l’on peut interpréter cette discrétion.
Mais il y a peut-être d’autres raisons pour expliquer l’absence de ce type de solution dans les discours et les études, au moins à la périphérie des élus communistes. Même si « le socialisme » ne peut être évoqué comme solution aux problèmes rencontrés par les travailleurs d’une seule entreprise, on observe que plusieurs entreprises sont aujourd’hui, en France, dans une situation comparable. Pourquoi, dans ce contexte, l’idée du socialisme ne fait-elle pas plus explicitement son chemin ?
Aussi ne me paraît-il aucunement superflu de s’interroger à propos de cette absence, avec les précautions que j’ai dites (je n’ai aucune prétention à dicter sa conduite à qui que ce soit). Cela me paraît d’autant plus nécessaire que « la solution du socialisme » pourrait être évoquée de la même manière, il faut insister sur ce point, pour d’autres entreprises localisées en France, aujourd’hui mises en difficultés et menacées de liquidation par les directions capitalistes.
Ce que, pour l’instant, je retiens des propos rassemblés, ce sont des interrogations que je rattacherai par la suite, dans l’examen des autres points, à mes propres questions.
Il ressort des propos rassemblés ci-dessus que les solutions proposées ne parlent pas de socialisme. Pourquoi ? Est-ce seulement pour répondre aux exigences d’une lutte sociale de masse, menée avec des personnes le plus souvent éloignées des préoccupations théoriques, luttant pour leur survie ?
Cela dit, ces solutions peuvent très bien avoir « le contenu » du socialisme sans en avoir le nom. C’est pourquoi je vais d’abord rassembler toutes « les idées » que je trouve dans ces propos. Leur lecture me suggère 6 idées pouvant concerner « le socialisme ». On peut les rattacher toutes à l’Entreprise, ce qui se comprend puisqu’on est parti de l’exemple de PSA.
I) L’entreprise capitaliste mondialisée devient « un fragment de société » (socialisation) mais elle entretient avec la société un rapport de domination unilatérale et non un rapport de réciprocité. Tous les propos que j’ai rappelés se demandent plus ou moins : « Comment réconcilier l’entreprise et la société, mais en inversant le rapport existant aujourd’hui entre les deux ».
II) La mondialisation capitaliste et la financiarisation globale du Capital contribuent à l’intensification de l’exploitation capitaliste (il n’y a jamais de répit pour les licenciements et la baisse des salaires, les entreprises deviennent à leur tour des marchandises ordinaires…). Le socialisme suppose-t-il de mettre fin à la mondialisation capitaliste ? Comment ? Sur quel périmètre ? Je retiens par exemple ce qu’écrit Gerin : « PSA est trop mondialisée… ».
III) Est-ce cela, le socialisme, « la réconciliation des entreprises et de la société » ? : Réconciliation par le paiement de salaires convenables (Mercier, Buffet…), par le paiement des impôts (Mercier…), par le maintien de l’emploi (tous les intervenants), par l’établissement de « bons rapports » non seulement avec les salariés, mais avec les autres entreprises ? N’est-ce pas aussi, et simultanément, la modification institutionnelle et structurelle de l’entreprise sans laquelle la réconciliation « harmonieuse » n’aura pas lieu.
En effet, cette réconciliation, dont le contenu doit être explicité, doit-elle être forcée (nationalisation (Matthieu), par exemple, car elle ne se fera pas « naturellement ») ? Doit-elle être sauvegardée institutionnellement (intervention des travailleurs, nouveaux droits…) (un commentaire) ?
IV) Le socialisme, est-ce de l’emploi pour tous, avec de « bons » salaires, dans une vie de travail dont la durée soit socialement définie et acceptée (Mercier…) ?
V) Le socialisme doit-il avoir notamment pour conséquence d’unifier l’entreprise autrement que de façon financière (ce que dit Mercier, par exemple, sur le repartage du travail au sein de l’entreprise…) ?
VI) Le socialisme suppose-t-il la mise en place de politiques industrielles volontaires de reconquête de l’espace productif (Gerin, Bramy) ? Le socialisme, serait-ce de bons salaires, mais aussi de bons produits (Bramy) ?
En rassemblant ces divers points, je me dis que, même si le terme de socialisme n’est pas évoqué, c’est du socialisme dont il est question. Il faut donc rendre le débat plus clair sur ce point.
Pour conclure le point 3.
Le socialisme apporterait-il-quelque chose aux salariés de PSA, ce faisant aux autres entreprises rencontrant des difficultés identiques, et à la société française dans son ensemble ? Qu’apporterait-il ? En prenant quelles décisions ? En résolvant quels problèmes ?
Au cœur de toutes les remarques que je viens de reprendre ci-dessus, se trouve l’idée du besoin de reconversion complète des entreprises capitalistes mondialisées. Elles sont devenues des organismes autonomes gigantesques, non seulement détachés des formations sociales dans lesquelles elles agissent mais antagoniques de leur fonctionnement. Ces grandes entreprises considèrent désormais, eu égard aux exigences de la structure capitaliste, que les formations sociales et les populations du monde entier sont à leur service.
Au lieu que les sociétés dans lesquelles elles fonctionnent soient au service des grandes entreprises capitalistes mondialisées, ces dernières ne doivent-elles pas être mises au service de ces sociétés ? Le monde contemporain permet-il d’envisager cette reconversion ? Pour quel avenir social, une telle reconversion complète devrait-elle être accomplie ? Selon quels procédés politiques ?
Le fait selon moi remarquable est que le caractère défavorable de ce terrain à l’idée du socialisme prend sa source au cœur même de l’idéologie politique des communistes. Cette idéologie présente trois obstacles.
Par conséquent, si l’on estime, en tant que communiste, que les exemples de PSA et d’autres entreprises justifieraient que l’on parlât aujourd’hui du socialisme à leur propos, il convient, pour clarifier cette exigence, de critiquer les raisons pour lesquelles « cette parole » n’est pas prononcée.
L’échec du socialisme de type soviétique est certainement le principal facteur d’explication de la discrétion absolue des communistes à l’égard du socialisme aujourd’hui.
C’est non seulement le modèle du « pays frère » qui sortit des esprits après 1990, ainsi que la notion de modèle elle-même, mais c’est encore, plus récemment, le concept de « socialisme » qui se transforma en vapeur et disparut dans le cyberespace.
La joyeuseté alcoolique avec laquelle des pitres comme Eltsine ont jeté leurs oripeaux de dignitaires communistes aux orties a certainement laissé de l’amertume chez celles et ceux pour lesquels le socialisme avait été non seulement un régime mais une espérance. Quant aux jeunes générations, quels motifs auraient-elles de promouvoir un système qui, dans ses dernières années, s’est révélé aussi fragile ?
Pourtant, vingt ans ont passé depuis le moment de l’effondrement politique de l’URSS. Vingt ans, ce n’est pas grand-chose et c’est beaucoup.
Car après avoir triomphé de son spectre, le système capitaliste révèle à nouveau combien il est lui-même borné historiquement. Le capitalisme est gravement malade. Il est au bord de ne plus être le système dominant du monde. Cela dit, il continue de pourrir notre existence. Pourtant, en France notamment, rien ne le remplace encore dans l’imaginaire populaire.
Au-delà de la disparition du système socialiste de l’URSS et des pays d’Europe centrale, ce phénomène, selon moi, s’explique en France à l’aide de trois raisons de nature idéologique et théorique.
1) Première raison
Le capitalisme doit être dépassé et non pas renversé. Ce type de dépassement fut introduit en 1996, lors du 29ème Congrès du PCF. Il s’agissait d’éviter l’autoritarisme étatique ayant caractérisé le fonctionnement courant de la révolution soviétique.
Dépasser le capitalisme supposerait donc que le mouvement révolutionnaire suivît au plus près tant les contradictions du système capitaliste que le mouvement populaire de lutte contre ce système. C’est sur cette base supposée réelle, revisitée chaque matin avec l’ensemble des acteurs de la lutte, que la société actuelle serait progressivement transformée.
En théorie, c’est-à-dire sur le papier, cette approche de la transformation sociale par le dépassement est séduisante. Elle révèle une grande ambition démocratique. Mais comme toute chose en ce monde, elle est contradictoire.
D’abord, les révolutionnaires qui prirent le pouvoir en Russie ou en Chine, par exemple, ne l’ont-ils pas fait au nom d’une utopie, certes fortement décalée par rapport à la société dont ils recherchaient la transformation radicale, mais qui leur donna la force d’âme et la conviction que cette transformation était possible ?
Ensuite, en quoi le fait de se donner pour tâche de ne suivre que le mouvement réel est-il une garantie contre les erreurs, individuelles ou collectives ? Nous, communistes, sommes convaincus qu’un certain nombre d’ouvriers, par exemple, se trompent, parfois même gravement, dans leurs choix politiques. Mais quand nous discutons avec eux, leur première réaction sera de nous dire « qu’ils suivent le mouvement réel ». Suivre le mouvement réel, c’est être « le nez dans le guidon ». Avoir le nez dans le guidon, c’est bien souvent avoir le nez dans l’idéologie.
Les partisans du dépassement critiquent leurs adversaires en prétendant que ces derniers font reposer leur pensée sur « une utopie ». Mais ce qu’on nomme « utopie » ne peut sortir de nos cerveaux sans matérialité. Cette matérialité étant l’histoire, il vient que les principes de guidage d’une action révolutionnaire peuvent être un résumé nécessaire à l’interprétation du mouvement réel, au jour le jour, pour lui donner une orientation, une ligne, qui ne soit pas celle de l’idéologie courante.
Enfin, l’idée du socialisme n’apparaît pas seulement comme un produit de l’histoire, comme une théorie de long terme , ce qui lui donnerait du poids relativement au dépassement, issu du court terme. En fait, cette idée, qui est nourrie par l’expérience historique, plonge ses racines dans le présent. C’est l’analyse d’aujourd’hui qui rend le socialisme rationnel. Ce n’est pas seulement celle d’hier.
2) Deuxième raison
Le Parti communiste doit être « dépassé » en tant qu’organisation. Cette raison a été exposée et examinée depuis déjà plusieurs années. En novembre 2009, lors d’un entretien avec Michel Vakaloulis (site de la Fondation Gabriel Péri), Pierre Laurent déclarait :
« Il faut être capable de réinvestir le débat sur le projet et les enjeux de société. Cela présuppose que le PCF se déploie au-delà des limites dans lesquelles il est inscrit jusqu’ici, en réalisant une sorte de dépassement de soi ».
Cette conception est toujours active. Aujourd’hui, le PCF est appelé à « dépasser » ses limites grâce au Front de gauche. Cette stratégie du dépassement politique de l’organisation révolutionnaire a été maintes fois exposée et critiquée. Elle est de nature totalement électoraliste. Or d’une part, ses effets électoraux sont douteux. D’autre part, elle a un coût politique et théorique énorme. Sous prétexte de dynamiser la pensée communiste, l’approche frontiste (ou mouvementiste) est une approche du « plus petit commun dénominateur ». Plus question, par conséquent, de socialisme.
Lorsque se produit la conjonction des idées selon lesquelles il faudrait, d’une part, dépasser les limites de l’organisation révolutionnaire grâce à une organisation de type frontiste et, d’autre part, donner à cette nouvelle organisation la mission de dépasser le capitalisme au jour le jour, sans cette référence « aux principes » qui sont une sorte de résumé de l’expérience historique ainsi que l’analyse en profondeur du présent, le résultat est clairement l’abandon de toute référence au socialisme. Comme le dirait peut-être « le mystérieux Descartes » (une désignation qui n’est pas de mon fait) : « Encore une fois, les classes moyennes et leur néo-réformisme auront durement frappé [5] ».
3) Troisième raison
Il existe peut-être une troisième raison expliquant que les dirigeants communistes du PCF n’utilisent pas le concept de « socialisme » pour réfléchir au présent et à l’avenir de la société française. Cette raison tient au fait qu’existerait une construction théorique « faite maison », la théorie de la révolution informationnelle et son prolongement immédiat, la « Sécurité emploi et formation ». Cette théorie, qui serait de portée mondiale, est typiquement française.
Cette construction est qualifiée de révolutionnaire par son concepteur (Paul Boccara) et ses utilisateurs les plus fervents (la Section économique du PCF). Elle n’est pas associée au concept de socialisme dans la mesure où elle est liée à la notion de « dépassement du capitalisme ». Mais il s’agit d’une notion économique du dépassement. Il s’agit de dépasser le capitalisme par le biais de ses marchés et de ses institutions monétaires, sans intervenir forcément dans la production. Elle a été largement utilisée pendant la récente période électorale, constituant l’un des volets majeurs du « programme partagé ».
A mon avis, elle irrigue la pensée de M-G. Buffet, comme le suggère son propos, rapporté ci-dessus, sur le fait qu’il va falloir beaucoup parler de salaires pendant les cinq ans à venir. Un dispositif salarial pour pervertir de l’intérieur la société capitaliste, voilà qui semble intéressant !
Aujourd’hui, tout le monde veut dépasser. Il n’est plus question de révolution et de socialisme, il est question de « dépassement ». Tout se passe comme si on voulait remplacer l’insecticide chimique par de l’insecticide écologique. On observe un appel à dissoudre la pensée dans des processus réputés naturels, et l’essai du remplacement de la pensée collective par de la médecine « soft ».
Pour conclure le point 4
Ne pas réfléchir à l’avenir des grandes entreprises françaises, de plus en plus socialisées, sans faire appel au concept de socialisme paraît certes lié en premier ressort au déroulement des luttes dans ces entreprises et aux exigences immédiates du combat.
Mais la réflexion communiste rencontre sur ce point d’autres obstacles, de nature idéologique et théorique. Outre celui constitué par l’échec du socialisme de type soviétique, j’en ai repéré 3 (théorie du dépassement du capitalisme, théories du dépassement politique du parti révolutionnaire, théorie de la Révolution Informationnelle et de la Sécurité Emploi Formation, qui est une théorie du dépassement économique).
Les questions que je me pose sont maintenant de deux sortes :
1) Ces obstacles sont-ils de « bons » obstacles ? S’ils ont du contenu et sont « de bons obstacles », il serait alors justifié de s’en inspirer. Ce faisant, on abandonnerait le concept de socialisme. Cet abandon serait alors un progrès de l’action et de la pensée communistes et non une régression.
2) Si ce ne sont pas « de bons obstacles », quelles conséquences tirer de cette conclusion ? En quoi déforment-ils et ralentissent-ils la lutte des communistes pour une société meilleure ? Inversement, en quoi l’usage du concept de « socialisme » pourrait-il contribuer à l’amélioration qualitative de l’action révolutionnaire ?
Je vais maintenant aborder quelques aspects seulement des réponses que j’apporte à ces interrogations.
Plus qu’un obstacle, il s’agit, à mon avis, d
Mais « la correction » révèle aujourd’hui ses limites. En voulant coller au mouvement réel, on ne parle plus du tout de socialisme. Or le socialisme n’est pas une création « ex-nihilo », venue du Ciel et d’on ne sait quelle planète.
C’est un résumé de l’histoire ouvrière et paysanne, de l’expérience qu’elle exprime, de la réflexion collective. Que les conditions de production de cette conception doivent être améliorées, j’en suis convaincu. Mais qu’il faille l’abandonner pour l’améliorer me paraît excessif.
Ce n’est pas, me semble-t-il, en tordant un arbre, d’abord à droite, puis à gauche, puis encore à droite, puis encore à gauche, et ainsi de suite, qu’on le fera pousser de manière droite et sans dommage.
Cette dernière remarque me semble d’autant plus fondée que le fait de ne pas avoir de modèle pour réfléchir à la situation présente et à sa transformation radicale ne garantit absolument pas l’unicité et la qualité des interprétations faites ici et là « du mouvement réel », fût-ce au sein du parti communiste.
Il n’y aurait plus de « modèle du socialisme », soit, supposons. Mais quel serait le gain révolutionnaire de la mise à l’écart du concept de « socialisme » si la masse des communistes se mettait à croire que la propriété privée des moyens de production et de commerce ainsi que l’accès privilégié à la finance ne sont plus un problème digne de leur attention ?
Quel serait le gain révolutionnaire de ce rejet s’ils se mettaient à penser que le seul vrai problème de la société est seulement celui du pouvoir exercé par tel ou tel groupe humain, par telle ou telle institution, par tel ou tel individu ? Bien sûr qu’il faut être très concerné par le pouvoir. Mais il faut l’être aussi, et peut-être en priorité par la nature de la propriété.
Enfin, le socialisme n’est pas aujourd’hui, me semble-t-il, une exigence historique venue des temps lointains et qui, petit à petit, ferait son chemin. C’est une réalité d’aujourd’hui. C’est une exigence d’aujourd’hui.
La vraie difficulté, selon moi, n’est pas celle de la contrainte qu’exercerait le concept de socialisme. C’est celle d’une insuffisante maîtrise du marxisme en tant que corps théorique dynamique et créatif à l’aide duquel le socialisme, et par ce biais la transformation sociale en profondeur de la société actuelle, doivent être pensés. C’est peut-être aussi celle d’une insuffisante maîtrise du caractère nécessairement collectif de la réflexion.
Pour conclure le point 5
S’il est vrai que la conception du dépassement du capitalisme est un frein à l’usage du concept de socialisme pour penser les transformations sociales contemporaines, alors cette conception doit être dépassée à son tour.
Il faut régler autrement que par ces coups de balancier inopinés la capacité des communistes à produire de la pensée scientifique. Nous devons apprendre, en tant que communistes, à enrichir les acquis de notre expérience historique sans les abandonner, si ce n’est pour des raisons très sérieuses et amplement discutées.
L’abandon de la notion de dictature du prolétariat, par exemple, n’a pas été discuté sérieusement, démocratiquement.
Nous devons nous demander si le socialisme est, ou non, une exigence « d’aujourd’hui » et organiser en conséquence notre réflexion et notre action collectives.
Cet « obstacle » est d’une autre nature que le précédent. Se donner pour stratégie de dépasser les limites politiques d’audience du PCF par la constitution d’un front visant à rassembler diverses composantes du mouvement social, a peu de chances de promouvoir le socialisme.
L’idéal du socialisme est un idéal de révolution sociale situé dans le moyen long terme alors que l’idéal d’un front politique est avant tout un idéal électoral de court terme. Car pour déboucher sur une majorité ou sur un nombre suffisant de voix de façon à « faire bouger les lignes », selon l’expression à la mode, la stratégie frontiste me semble, par définition, une stratégie « du plus petit commun dénominateur », même si ce PPCM ne doit pas dépasser certaines limites d’affadissement et de relâchement par rapport aux principes.
C’est la nature profondément électoraliste de la stratégie frontiste, en l’occurrence celle du « front de gauche » qui conduit ses partisans à privilégier la réforme politique comme nécessité première. Il faudrait une VIème République, vite, vite.
Le front de gauche est une conception d’élus ayant pour priorité absolue d’être élus à nouveau. C’est également une conception destinée à favoriser l’individualisme politique : comment radicaliser les classes moyennes sans leur faire peur ?
Je vais ajouter ici un dernier argument concernant la nécessité de défendre l’idéal du socialisme dans notre pays plutôt que des stratégies électoralistes « à la noix ». En effet, on peut dire que les dirigeants socialistes ont à peu près tous abandonnés l’ambition de lutter pour cet idéal. Ce ne sont pas des socialistes, ce sont des modernistes. Ils continuent, cependant, de s’appeler « socialistes ». Cette image de marque « paye » et « payera » de moins en moins, mais elle paye encore.
C’est dire qu’une partie de la population française vit avec une vague idée du « socialisme ». L’idéologie socialiste n’est pas morte. Certes, les dirigeants socialistes travaillent avec obstination à sa liquidation. Mais il nous appartient peut-être, à nous communistes, si nous voulons mettre en œuvre une stratégie d’union solide au sein du peuple de France, une stratégie de masse et de moyen long terme, visant la conquête des cœurs et des esprits pour le succès du socialisme, de savoir de quoi nous parlons quand nous parlons de socialisme.
Ainsi, plutôt que de nous complaire à dépasser le capitalisme, ou pire encore à mettre en œuvre des stratégies frontistes à la fois inopérantes et de court terme de dépassement du PCF, devons-nous être prêts notamment à débattre (au cas où l’on aurait arrêté de le faire), non pas avec les dirigeants socialistes, gens de peu d’intérêt humain et intellectuel, mais avec ces populations qui se reconnaissent encore et malgré tout, fût-ce de manière vague, dans cet idéal. Mais nous devons avoir « des billes » pour le faire et nous devons savoir les écouter.
Pour conclure le point 6
Je ne vais pas en dire plus sur cet aspect du présent texte. J’ai plusieurs fois essayé d’analyser le phénomène « frontiste » et son couplage avec l’idéologie « mouvementiste » (Cf. La Chine, la France). Il y a eu, depuis longtemps, d’excellents écrits critiques sur ce sujet, de la part notamment de Marie-Christine Burricand. Je crois que la stratégie du front éloigne fortement les communistes d’une conception de l’avenir qui serait orientée par l’idéal du socialisme. On a pu lire récemment à ce propos, sur le site de RC, une déclaration revigorante du secrétaire de la section du PCF de Jarnisy, déclaration dans laquelle Jean Baus s’est exprimé avec autant de force que de simplicité.
Une conception de ce genre (la conception socialiste) vise la simplification de la vie sociale par élimination du plus important problème rencontré par les travailleurs aujourd’hui, savoir le fonctionnement du capitalisme mondialisé. Avec le socialisme, il s’agit de mettre en correspondance les faits de socialisation et de nouveaux rapports sociaux. Une stratégie frontiste n’a pas cet objectif. Elle peut se satisfaire de bavarder indéfiniment sur « un avenir meilleur ».
Paul Boccara et ses camarades de la section économique ne considèrent certainement pas que ces deux branches de la théorie économique, lesquelles bénéficient d’une position hégémonique au sein du PCF (la révolution informationnelle et la SEF), soient antinomiques du socialisme. Elles sont tout simplement, selon eux, révolutionnaires.
J’ai tendance à penser qu’elles ne sont pas révolutionnaires. Je me suis plusieurs fois expliqué à leur propos, mais, je dois dire, sans succès pour ce qui concerne l’amorce de la moindre discussion. Les positions dont je conteste le bien-fondé ne semblent pas négociables. Et comme les communistes que je contredis ont une conception très particulière du débat d’idées et de la discussion scientifique, pas question, pour eux, de dialoguer [6].
Certes, elles ne sont pas désignées, par eux, comme « socialistes ». Je dois dire que, pour moi, cette désignation (ou cette non-désignation) n’est pas un problème. C’est le fond qui importe et non l’enveloppe de la présentation.
Ces positions ne sont pas qualifiées de « socialistes », sans doute pour éviter qu’elles soient identifiées à des préconisations bureaucratiques, de type soviétique. Mais elles sont tenues par leur auteur et celles, ceux qui s’y reconnaissent, comme des théorisations de première grandeur, susceptibles de pervertir de fond en comble le système capitaliste mondial, même si cela n’est envisagé que de manière graduelle. Que pourrait-on demander de mieux ? Si elles sont réellement socialistes dans le fond, elles prendront place aisément dans toute théorisation du « socialisme ».
Que je les tienne pour un obstacle à l’idée même de socialisme et à la transformation radicale du capitalisme à l’échelle mondiale est donc une façon de m’exprimer extrêmement forte.
D’autant plus que, comment prétendre, comme je le fais, que la révolution de notre temps ne serait pas celle de l’information alors que l’on perçoit à chaque instant les changements introduits dans la vie courante par les multiples facettes de l’information et de ses technologies ? Plusieurs rédacteurs communistes ont, par exemple, publié, dans la revue Economie Politique ou dans la revue du Projet, d’intéressants articles sur la Révolution informationnelle située au cœur des évolutions de l’industrie aéronautique. Comment oser contester le bien-fondé de cette théorisation ?
En prolongement, car la révolution informationnelle, une fois prise en charge par les forces de progrès, engendrerait des gains de productivité si considérables que beaucoup d’initiatives radicalement transformatrices de la société pourraient être prises grâce à ce financement, comment peut-on contester l’ambition du système de Sécurité emploi et/ou formation puisqu’il vise à « débarrasser la société du chômage et de la précarité (ce qui) ne peut se faire sans faire preuve d’une audace comparable à celle dont firent preuve les créateurs de la Sécurité sociale » (Revue du projet, texte du 06/04/2006).
Ce point sera détaillé dans la deuxième partie de cet article
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