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Réveil Communiste

Naissance de la Chine moderne, l’Empire du milieu dans la mondialisation, par Quynh Delaunay

5 Septembre 2014 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Chine

Envoyé par l'auteur :

Université d’été du Parti communiste  français

Les Karellis (Montrichet Albanne Savoie) - 2014

 

« Naissance de la Chine moderne, l’Empire du milieu dans la mondialisation »[1]

 

Thème de l’intervention :

L’insertion de la Chine dans la mondialisation

 

 

1)      Préliminaires :

 

 

L’ouvrage que j’ai écrit sur la Chine a l’ambition de donner au public français – mais il a déjà trouvé un écho auprès des Chinois intéressés à ce que disent les chercheurs français sur eux -  des éléments pour comprendre aujourd’hui ce pays, afin d’éviter des contresens par l’application de nos propres schémas de pensée et nos jugements de valeur. Il ne part pas de présupposés anthropologiques ni philosophiques sur l’abstraction d’une commune humanité présente dans toutes les civilisations. Il recourt aux thèmes de l’évolution des sociétés humaines initiés au XIXe siècle avec Marx sur la transition du féodalisme au capitalisme et la découverte d’autres sociétés. Ces thèmes occupèrent la recherche en sciences sociales durant une grande partie du XXe siècle, avec les problèmes de la colonisation et du développement. Les conclusions qui en furent tirées mettaient l’accent sur leur différenciation, faisant de nos différences l’un des grands obstacles à l’unité du monde contemporain. Par la pensée, nous pouvons enjamber le temps et l’espace à notre guise. Sur le terrain, des millénaires de différenciation, dans le réel et dans l’imaginaire, pèsent sur nos pratiques. L’unification du monde est un combat à mener à partir des réalités historiques et culturelles de chaque peuple.

Ce livre propose ainsi un ensemble de problématiques, permettant de faire ressortir des « façons de voir et de raisonner » des Chinois, accompagnées des outils conceptuels et des informations indispensables. Je crois que, par voie de conséquences, cela nous permettra aussi de mieux comprendre notre propre société.

De la Chine, tout est accessible à la raison occidentale, y compris son écriture. Il faut seulement objectiver les catégories de pensée que nous utilisons pour la réfléchir. Il faut tenir compte de son histoire et  de sa culture. Ce point est à rappeler pour l’analyse de toute société, particulièrement de celles qui nous sont étrangères. Chose que l’on a tendance à oublier de nos jours, par absence de prise en compte de la longue durée et par aplatissement des systèmes de représentations et des valeurs.

Aujourd’hui, l’idéologie ambiante souligne que ce qui divise les individus, c’est l’existence de leurs nations et que ce qui les unifie, c’est le capitalisme sans frontières et son marché mondialisé dans lequel fonctionnent des individus interchangeables, sur lesquels le passé n’a laissé aucune trace.. La réalité est que la nation est le cadre historique dans lequel ils se sont forgées une identité et une force collectives. L’exemple de la Chine montre qu’hier comme aujourd’hui, la nation demeure une notion forte et un intermédiaire incontournable pour réaliser les changements et pour gérer les conflits entre les groupes sociaux d’un même peuple et ceux des peuples entre eux, dans la différence et la complémentarité de leurs intérêts.

 

2)      Thème développé dans l’exposé :

 

Pour faire comprendre ce qu’est la Chine, j’ai retenu les trois dimensions qui définissent toute civilisation. Elles constituent le point de départ de la grande divergence de ce pays et de l’Occident dans leur rapport à la modernité. Ce sont : l’organisation politique, la gestion de l’idéologie et le rapport à la connaissance. La modernité s’impose aujourd’hui à toute société voulant se développer// Elle est la condition d’une entrée réussie dans la mondialisation. Or, telle qu’elle se présente actuellement, la mondialisation ne doit pas nous faire oublier qu’elle est le résultat, à partir des années 1980, de la défaite du Tiers monde  et du système socialiste face au capitalisme..

En effet, la rupture voulue par la Chine avec son passé, à partir de 1949, puis son entrée dans la mondialisation, ne peuvent occulter la continuité de son histoire  depuis la rencontre avec l’Occident au XIXè siècle et la continuité de l’histoire du monde contemporain. Cette dernière renvoie à l’expansion du capitalisme industriel dans le monde et sa colonisation par les grandes puissances occidentales.

 Après la conquête de leur indépendance, les pays anciennement colonisés ont cherché une voie en rupture avec ces puissances. Ce fut l’échec, en raison de la persistance de leurs structures traditionnelles, sociales et mentales, de leur ruralité. Autour des années 1980-1990, pour commencer à satisfaire l’urgence du développement économique auquel ils n’avaient pas réussi à donner corps, ils ont été amenés à entrer dans la mondialisation ouverte par l’Occident. La Chine, après des expériences tragiques, semble avoir trouvé la voie du développement par l’industrialisation en s’ouvrant aux capitaux étrangers et aux technologies occidentales. Cependant son développement économique se heurte à des problèmes qui relèvent de l’héritage de son passé.

Mon exposé se présente en deux parties. La première porte sur ce qui a différencié, dès les origines, la civilisation occidentale de celle de la Chine, inscrivant la modernité dans la logique de l’évolution de l’Occident et dans les problèmes que la Chine connaît à y entrer. La deuxième partie examine les atouts de son passé mais aussi la permanence de certaines caractéristiques qui pèsent sur les réponses à associer au développement.

 

Les chemins de la différenciation : le concept historique de modernité

 

Qu’est-ce que la modernité ? Déjà Roger Bacon, au XIIe siècle dans son monastère, affirmait : « Nous, les modernes…». Il entendait par là qu’il était en phase avec son temps. Ce jugement subjectif ne fait pas progresser notre compréhension. Il faut donc déconstruire le concept pour voir ce qu’il recouvre..

La modernité a été préparée de longue date, en Occident, dans l’articulation concomitante des trois composantes d’une civilisation : le pouvoir (le régime de la propriété), les représentations du monde (la raison), le rapport à la nature (la pensée scientifique et technique).

La propriété privée est la marque de l’Occident dès ses origines. Elle a concerné d’abord la terre qui fut l’objet de luttes, dans les cités grecques pour son appropriation privative contre la propriété collective de la commune primitive. Sur le territoire même de l’Europe occidentale, la petite propriété privée du mode de production germanique consolida les tendances dessinées par l’empire gréco-romain. La propriété privée de la terre d’abord, puis sa généralisation à d’autres biens constituent la dynamique de l’Occident. Elle devint le ferment de la lutte des classes, entre les serfs et les seigneurs, entre les seigneurs et les bourgeois. Elle constitue le noyau du politique.

La forme politique dans le régime de propriété privée de la Grèce est la démocratie qui nécessite le débat. Elle donna lieu à des recherches sur la question philosophique de vérité. Ces recherches, dès le Moyen Âge occidental, se poursuivirent dans la problématique chrétienne de la quête de Dieu. La représentation chrétienne d’un monde dual, celui de Dieu et celui des hommes créés à l’image de Dieu les dotant d’une raison capable de comprendre son œuvre (la nature dotée de cohérence)  permit de laïciser la nature et de faire émerger l’esprit scientifique. En s’ajoutant aux mutations économiques et politiques (montée de la bourgeoisie et déclin de la féodalité), cette représentation débouche, avec les découvertes scientifiques, sur la Renaissance au XVIe siècle. Cette période marque la rupture avec la science médiévale et l’essor de la pensée européenne moderne. Ainsi la modernité est une configuration globale née des conditions idéologiques, sociales et politiques propices qui donnèrent la suprématie scientifique et technique, économique et politique, à l’Europe occidentale à partir du XVIIIe siècle.

La modernité est donc d’un concept occidental. Cela semble arbitraire de prendre cette référence pour juger des sociétés non occidentales. Pourtant, c’est par elle que les organisations internationales, reprenant les valeurs de l’Occident, évaluent leur développement suivant des indicateurs de niveau de vie et les somment de justifier leurs actes au nom des droits de l’homme, de la liberté, etc… Il faut donc expliciter ces catégories de pensée qui paraissent aller de soi ou revêtir une valeur universelle. Cette démarche permet  d’avoir un référent commun, pour l’étude des problèmes de la Chine tout en examinant ceux de l’Occident à la lumière de ce référent.

Le politique, longtemps, organisa la société d’une façon que nous qualifierons aujourd’hui de totalitaire, car il englobait toutes les fonctions, y compris celle du religieux. La lutte des rois pour se dégager de l’emprise du pouvoir spirituel de la papauté constitue un des moments du processus de rationalisation des sociétés occidentales et de  leur marche vers la modernité.

Ce processus se parachève avec l’autonomisation de l’économique par rapport aux autres grandes sphères d’activité que sont le religieux, le politique, l’idéologique et le domestique. En dégageant le de ses liens avec les autres sphères d’activité, il a brisé les traditions et libéré l’individu des contraintes villageoises, familiales et religieuses, en faisant de lui un être autonome. Il a, en même temps, accompagné et poussé les autres sphères d’activité dans la même trajectoire d’autonomisation et de rationalisation. Il a permis le développement des connaissances. Il produit le progrès et la destruction, la richesse et la misère, l’émancipation et l’aliénation, la démocratie et l’impérialisme.

La modernité se réalise dans le capitalisme qui lui donne aujourd’hui sa forme mondialisée. Le capitalisme découle donc de l’évolution logique, pourrait-on dire, des sociétés occidentales. Il en développe jusqu’au bout les caractéristiques fondamentales :.propriété privée, individualité et raison, nature constituée de lois objectives. Mais les structures mentales n’auraient été rien si elles ne s’étaient pas appuyées sur une organisation politique et sociale capable de s’en saisir. Ainsi, en Occident, l’existence d’une bourgeoisie permit la rupture avec le système féodal. Elle permit l’installation du système capitaliste.

Les Chinois ont construit leur parcours civilisationnel d’une toute autre manière. Sur ls caractéristiques fondamentales que nous avons évoquées pour l’Occident, ils s’opposent totalement. La propriété privée est à peine ébauchée et souvent contrariée. Elle est demeurée collective marquée par l’héritage de la commune primitive. Sous le Ciel, tout appartient à l’empereur. Malgré des tensions autour de cette question, malgré des révolutions et des réformes, aujourd’hui l’État demeure propriétaire de toutes les terres. Il accorde, par exemple, seulement l’usage du terrain aux acquéreurs du logement.

Dans leur représentation du monde, les Chinois puisent dans l’observation des phénomènes naturels l’idées d’une totalité qui intègre des contraires. Ces contraires ne se suppriment pas mais se juxtaposent  pour la renouveler. Cette conduite explique la façon dont les Chinois cherchent à gérer les contradictions de leur société. Leur idéologie reproduit l’ordre cosmique dans l’ordre social. Cette fusion de l’homme dans la nature ne leur a pas permis de prendre du recul par rapport aux observations souvent pointues des faits naturels. Ils sont restés dans une attitude pragmatique, sans chercher à déterminer les causes des phénomènes étudiés.. Dans cet ordre social, ils ont créé un État chargé de maintenir l’harmonie à l’image de l’univers.

Si en Occident, les querelles religieuses, âpres et sanglantes, aboutirent à la construction d’une société fondée sur la science moderne, en Chine, des idéologies coexistent pour répondre aux trois questions des religions universelles : la place de l’homme dans la nature (le taoïsme), ses rapports dans la société (Confucius) et sa destinée dans l’au-delà (le bouddhisme). Elles débouchent sur la méfiance vis-à-vis du savoir humain et la non-intervention sur la nature, la hiérarchie sociale et l’obéissance, la fuite dans la négation du monde. Elles reposent sur des aspirations différentes de celles de l’Occident : la propriété importe moins que le pouvoir, la liberté moins que l’égalité., le changement que la stabilité, l’enfant moins que les ancêtres, le futur moins que le passé.

Tandis que les sociétés occidentales vivent les désordres d’un économique dérégulé, la Chine trouve dans la mondialisation les ressources nécessaires mais puise aussi des atouts dans son histoire et sa culture. Elle s’appuie sur la force d’un État tutélaire hérité de son passé. Trois pressions y ont toujours joué pour lui donner sa forme originale : la démographie, les catastrophes naturelles, les menaces étrangères. Pour y faire face, la population chinoise a développé un sens aigu des cycles naturels jusqu’à en faire partie, la primauté du collectif sur l’individu, l’effort, le travail acharné, l’adaptation, l’unité nationale. Si la dynamique de l’Occident se trouve, à un moment donnée, dans l’existence d’une bourgeoisie, en Chine, la force omniprésente qui traverse son histoire est l’État. Cet État reposait dans son principe, non pas sur un contrat social entre des citoyens libres et égaux en droit, mais sur un mandat : faire progresser le peuple vers la civilisation. Il s’appuyait sur un parti unique, celui des lettrés. Il tirait sa légitimité de son efficience à satisfaire les besoins du peuple. Il était vu comme un moyen de remplir des fonctions collectives (barrages, irrigation, défense nationale) et non comme un instrument de puissance au service de cette société d’agriculteurs sédentarisés sur un vaste territoire qui se suffisait à lui-même avant la rencontre avec l’Occident.

 Autrefois, reconnue par le mandat du Ciel octroyé à la dynastie capable de résoudre les problèmes de l’heure, aujourd’hui, la légitimité est conférée au Parti communiste chinois du fait de son rôle dans la lutte pour l’indépendance et pour l’unité de la Chine. Ce dernier la consolide en l’inscrivant dans la prospérité et la fierté nationale retrouvées.

Mais la poursuite des réformes des trois dernières décennies bute sur les pesanteurs du passé : mentalités et absence d’institutions adaptées à l’émergence d’une société moderne. En même temps, elles suscitent de graves tensions sociales.

 

Les tensions sociales liées aux réformes ?

Parmi les traits permanents, on trouve, sans surprise, les valeurs attachées à la famille et au milieu, tout ce qui a trait aux parents, à la morale confucéenne, à l’harmonie sociale. Ces valeurs ont organisé la vie des Chinois, comme réponses aux contraintes du milieu. Malgré des ruptures opérées par le pouvoir révolutionnaire, elles demeurent comme moyens d’attachement à la communauté et un moyen de stabilisation des individus dans une période de transition rapide (permanence du système clanique).

Mais les changements radicaux sont ceux qui  touchent à la structure même de la société. La société chinoise contemporaine se bâtit sur la division technique du travail à la manière des sociétés complexes de l’Occident, avec un degré élevé de spécialisation. La constitution d’un champ économique autonome entraîne la formation des catégories socioprofessionnelles modernes par le découpage de la main- d’œuvre suivant des niveaux techniques et scolaires en fonction des besoins des entreprises. Elle défait sur le terrain l’idéologie de l’harmonie sociale qui reflétait, en quelque sorte, la stabilité de la société et la répartition de sa population en quelques grands groupes de la division du travail d’une société rurale. Un reclassement des hiérarchies sociales se fait dans lesquelles de nouvelles évaluations se font selon la loi du marché, en déclassant une partie des anciens groupes qualifiés par le politique (paysans et ouvriers). Apparaissent les cadres supérieurs, défendant la propriété privée du logement comme l’expression de leur liberté et de leur mérite. Les ouvriers perdent leur statut de « maîtres de la Chine » et se voient attribuer une place dans l’échelle sociale à la mesure de leurs salaires. Les paysans, tout en étant reconnus comme les bâtisseurs de la Chine moderne, reculent dans le classement social. Les migrants ruraux suscitent même la méfiance et le mépris.

De nouveaux comportements naissent au sein des trois grandes catégories sociales (paysans, ouvriers, classes moyennes) dans la quête de leur identité. De fait, un clivage interne divise ces catégories, le rapport à l’État. Obtenir un emploi dans le secteur privé par ses propres moyens fait se tenir à distance du pouvoir étatique dans la mesure où on ne lui doit rien, travailler ans le secteur public rend redevable et loyal envers lui et ses agents. On a pu le constater avec les mouvements des propriétaires de logement où les contestataires les plus acharnés appartiennent aux cols blancs du secteur privé. On peut aussi le voir dans la confiance dans l’État exprimée par les ouvriers du secteur public malgré la privatisation de leur entreprise et dans l’indifférence envers lui de la part des jeunes ouvriers ruraux des entreprises du secteur privé, abandonnés à leurs revendications.

La formation d’un marché du travail, dans lequel les réseaux de relations interviennent moins, privilégie les diplômes et non plus l’appartenance politique. On voit diminuer l’intérêt opportuniste pour l’adhésion au parti communiste mais aussi les besoins de son existence.

Les autorités locales, pressées de participer au développement, privatisent, exproprient, investissent dans des projets immobiliers et hôteliers disproportionnés, créant d’énormes opportunités d’affaires et de corruption. Alors que dans la Chine traditionnelle, les structures sociales étaient peu changeantes et les mobilités tant professionnelles que géographiques faibles, ces changements ont lieu sous l’égide de l’État, focalisant sur lui tous les mécontentements, d’autant plus que dans cette société habituée à l’égalitarisme de la pauvreté, les inégalités sociales sont devenues criantes.

Les idées du progrès d’une génération à l’autre apparaissent. Pour tous, s’ouvrent - de façon inégale - de nouvelles perspectives, mais apparaissent aussi des conflits entre les groupes sociaux pour un meilleur partage du progrès.

Les nouvelles conditions de vie amènent les Chinois à s’interroger sur les conduites et la morale traditionnelles. On assiste à l’émergence d’aspirations aux valeurs liées au nouveau fonctionnement économique au sein des couches sociales les plus occidentalisées et les plus aisées (individu, liberté, égalité, progrès, propriété privée, transmission des biens, maîtrise de l’avenir).

Or l’organisation du pouvoir et des institutions politiques et administratives reprend, sur de nombreux points, l’esprit de la Chine traditionnelle : parti unique à l’instar du parti des Lettrés, faiblesse de l’administration centrale, autonomie de l’administration locale, prédominance des relations informelles reposant pour une large part sur des liens de proximité au sein de la famille, du village, faiblesse de la loi écrite et des institutions. Ces caractéristiques de la société chinoise, donnent à l’informel la primauté sur les lois écrites et les institutions. Si elles règlent dans l’immédiat les problèmes liés à l’absence d’institutions modernes, elles entraînent aussi des dérives, car l’informel favorise la corruption et l’arbitraire.

La difficulté pour le gouvernement central d’agir sur l’application de ses décisions entraîne des dérives, de nature politique, administrative et judiciaire. Ces dérives viennent de la prédominance du système des relations informelles sur celui de la loi. Ce type d’organisation focalise sur le Parti communiste les fautes les plus graves (corruption, injustices et pratique mafieuses) car ces responsables en sont souvent les membres.

D’une façon générale, sera posée pour l’ensemble des Chinois la question du rapport au politique. En effet, ils deviennent plus impliqués dans la marche de la nouvelle société par son fonctionnement même, plus instruits et plus ouverts aux influences extérieures, notamment celles de l’Occident. Ce dernier propose d’autres formes d’organisation politique dont le système représentatif et la pluralité des partis. Les Chinois se montrent circonspects sur l’applicabilité de ce modèle dans leur pays. Ils lui reconnaissent, cependant, l’avantage de leur donner des possibilités de contrôle sur leurs dirigeants, et cela au niveau le plus proche. Il leur est devenu manifeste qu’un assouplissement du système deviendrait nécessaire dans le fonctionnement auquel la Chine est parvenue.

Répondre à ces aspirations supposerait la construction d’une sphère économique dont le fonctionnement, indispensable pour créer les richesses, dissoudrait, s’il n’était maîtrisé, dans des conflits violents une sociétés jusqu’alors structurée essentiellement par le politique. Mais l’économique, à son tour, conduit les acteurs à se doter d’autonomie, exigeant reconnaissance des intérêts des groupes et reconnaissance de l’individu. Là gît le défi de la modernisation de la Chine. Il s’agit d’un bouleversement complet de sa culture. L’État n’est plus la seule force agissante. Il est concurrencé par l’autonomisation de l’économique, lui-même en prise avec les forces extérieures de la mondialisation.

Ce qui maintenait la cohésion sociale ne fait plus sens pour tout le monde. Un vide risque de se substituer à l’emprise d’une morale conformiste et autoritaire, trop marquée par son historicité. L’individualisme, le repli sur la famille et l’immersion dans la recherche d’une carrière et du confort matériel risquent de devenir le but d’une société en perte d’idéal.

Entre la menace de perdre ses repères, en quittant le monde de la nécessité, et l’intrusion de l’Occident, la Chine se cherche une identité équilibrée entre tradition et modernité. Mais peut-on importer les techniques occidentales sans leur associer les valeurs et l’imaginaire qui ont permis à ces techniques d’émerger ? La technique ne se sépare pas du contexte social et intellectuel qui contribue à lui donner naissance.

Le retour controversé à l’enseignement de Confucius et la réception passive de celui de Marx, censé établir une perception scientifique du monde, font apparaître la difficulté de trouver dans la culture chinoise des éléments pour accompagner la politique de modernisation. Aussi bien les partisans d’un retour à l’identité chinoise que ceux d’une occidentalisation contrôlée se heurtent au mode de penser et d’agir chinois. Conçu comme la doctrine devant servir à stabiliser l’ordre social, l’enseignement de Confucius s’effectue dans le même esprit que le contenu qu’il diffuse : c’est une pédagogie de la répétition, de la copie, du pragmatisme et du modèle à suivre. Il n’est pas étonnant alors que le marxisme lui-même subisse quelque peu cette méthode pédagogique. Conçu comme une discipline scolaire obligatoire, il en subit le même sort : la contrainte et l’ennui.

 

3)      Conclusion

La recherche que j’ai réalisée sur la Chine vise à donner au public français la possibilité de connaître ce pays en prenant du recul par rapport à ses propres valeurs. Toutes les sociétés n’ont pas connu le même parcours. Par conséquent, elles doivent se comprendre à l’aune de leur propre histoire et de leurs spécificités.

L’entrée dans la mondialisation contemporaine constitue, pour les sociétés de l’ancien Tiers-Monde non un choix mais une contrainte à laquelle elles doivent se plier C’est d’abord l’échec des solutions alternatives au capitalisme (socialisme et troisième voie, et non une quelconque révolution technologique qui permettrait de relier les sociétés entre elles). Elle se réalise dans l’exportation, non plus des marchandises mais du mode de production capitaliste (système production avec sa division technique et sociale du travail et son modèle de consommation) et sous la domination du capitalisme financier.

La réflexion sur la modernisation de la Chine sous ses propres couleurs participe de celle de savoir s’il y a des moyens diversifiés de parvenir à la modernité ou bien si le processus de rationalisation qu’a connu l’Occident est la seule voie possible.

Autrement dit, le capitalisme est-il la voie d’évolution de toutes les sociétés pour atteindre le développement ou s’agit-il seulement des sociétés féodales occidentales ? C’était la question que Marx se posait à propos de ces dernières. Il ne se la posait pas pour les sociétés du mode de production asiatique, particulièrement de la Chine. Celle-ci a peut-être trouvé une voie originale pour arriver à l’aisance. Le plus grand atout de la Chine réside, dans l’existence d’un État puissant, habitué à la direction d’un pays habité par des traditions de travail et de cohésion sociale, et doté d’une forte conscience nationale. Mais en sera-t-il toujours ainsi alors que l’entrée dans la mondialisation (notamment avec l’Organisation mondiale du commerce) exige de nouvelles règles qui obligent au retrait de l’État (action sur la monnaie, privatisation, diminution des aides étatiques, démocratie représentative)?

 

Quynh Delaunay

sociologue

 

Les Karellis, le 31 août 2014

 

 

P.S. Pour ceux que ce propos intéresse, la Fête de l’Humanité m’offre l’occasion de présenter mon livre au village du Livre, dimanche 14 septembre 2014 à 10h.

La librairie Le Phénix, 72 Boulevard de Sébastopol à Paris, de son côté, organise une rencontre-débat sur ce livre, le 26 septembre de 18h à 20h. Pour tous renseignements, taper sur le Web : librairie Le Phénix et aller sur « Rencontre ».

 

 

 

 



[1][1] Quynh Delaunay, Naissance de la Chine moderne, l’Empire du milieu dans la mondialisation, Ivry-sur-Seine, Les éditions de l’Atelier, avril 2014, 394 p.

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G
<br /> Quynh Delaunay semble envisager une évolution de la chine vers le multipartisme et le le système parlementaire libéral, sous l'influence de la nouvelle bourgeoisie crée par l'industrialisation.<br /> Mais ce système qui est à l'agonie chez nous ne représente pas pour la majorité une plus grande démocratie et un plus grand contrôle politique, tout au contraire : il donne le pouvoir aux grandes<br /> corporation et aux réseau d'initiés. Un parti dans un système politique pluraliste de marché se structure autour d'un média qui représente à son tour un bloc historique d'intérêts économiques,<br /> pour paraphraser Gramsci; ou plutôt, le bloc s'otrganise versticalement sur l'axe parti-média-groupe économique. Le peuple n'a aucun rôle à jouer, d'autant plus qu'il est continuellement invité<br /> par l'ensemble des médias, au elà de leurs antagonismes, à se diviser dans de faux débats. on doit redouter une telle perspective pour la Chine, surtout si l'on médite sur l'expérience historique<br /> de l'URSS.<br />
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