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Réveil Communiste

La lutte pour le socialisme et le communisme, aujourd'hui en France, par JC Delaunay (1/2)

10 Juillet 2013 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Théorie immédiate

 

  JC Delaunay (titre RC)

 

Ce texte a été rédigé pour la préparation des Assises du Communisme (Marseille, 28-30 juin 2013), pour exprimer comment, sur deux ou trois points, on peut percevoir la lutte pour le socialisme et le communisme, en France. C’est une contribution personnelle à la discussion collective. Je ne doute pas que cette dernière sera fructueuse. Voici le plan que j’ai suivi.


- Introduction (essai de définition du socialisme et du communisme)

- Première Partie : Aspects de la mondialisation capitaliste

  • Avec la mondialisation capitaliste, les dirigeants socialistes n’ont plus rien à voir avec le socialisme car le capitalisme, leur référence, a changé. Ils n’ont plus d’alibi.
  • L’Union européenne et la mondialisation capitaliste sont-elles identiques ?
  • La Chine socialiste et nous.
  • Le principe « gagnant-gagnant », aspects de l’internationalisme prolétarien aujourd’hui.

- Deuxième Partie : Les classes sociales en France aujourd’hui

  • La classe ouvrière française.
  • Les autres classes sociales.
  • Grands traits d’une théorie hétérodoxe de la classe ouvrière dans un pays développé comme la France.

 

Ce texte est indépendant de toute autre forme d’intervention pendant les Assises du Communisme. C’est, je le répète, une contribution personnelle et limitée à la réflexion générale. J’indique, de manière incidente, que le titre de ma contribution « Comprendre pour accomplir » est la reprise du titre d’un ouvrage qu’Henri Jourdain publia en 1982 (dialogue avec Claude Willard). Cet enfant de la Sologne, entré dans le travail à l’âge de 13 ans, devint ajusteur de son métier. Ce fut d’abord un syndicaliste. Il fut notamment dirigeant du syndicat CGT de la Métallurgie, puis de la Fédération syndicale mondiale. Il intervint très activement dans les discussions avec le patronat de l’aéronautique, au moment du Front populaire. Il adhéra au Parti communiste en 1936. Entré dans la clandestinité en juillet 1940, il est arrêté, puis déporté à Mauthausen jusqu’en 1945. Membre du Comité central du PCF, il fut également en charge de la Section économique du Comité central et de la Revue « Economie et Politique, revue marxiste d’économie », entre 1961 et 1972. Je mentionne son nom car les Assises que nous allons tenir ne sont pas venues du ciel. Elles prennent place dans la continuité de luttes anciennes, rudes, et même meurtrières, menées par des gens de cœur et de conviction. Nous pouvons donc associer à ces Assises la mémoire de celles et de ceux qui nous ont formés. Ce faisant, nous serons peut-être d’autant plus portés à donner, dans les discussions à venir, le meilleur de nous-même.

Introduction : socialisme et communisme, essai de définition.

Dans un pays comme la France, l’exigence du socialisme prend aujourd’hui place dans l’évidence des contradictions insolubles de ce système. D’un côté, le capitalisme développe toujours plus avant les forces de production. Il étend le nombre de travailleurs impliqués dans la production. Il multiplie les quantités produites, il augmente les périmètres sur lesquels ces productions sont réalisées, il modernise considérablement les moyens de leur transport. Il produit de nouveaux moyens pour les hommes de communiquer entre eux de façon rapide et polyvalente. Il accroît la capacité financière des sociétés humaines et la possibilité de lier entre elles les époques et les générations. Il développe et enrichit le contenu des activités de l’Etat. Son horizon est aujourd’hui mondial. En bref, il accroît le degré de sa complexité tout en socialisant la production et la consommation sur des échelles toujours plus vastes. Il le fait par l’intermédiaire du marché capitaliste mondial.


D’un autre côté, en raison des rapports de propriété privée ou privative que ses agents exercent sur les moyens de production, de transport, de commerce, de financement, de communication médiatique, en raison de leur influence sur l’appareil d’Etat et les institutions, ses limites sociales demeurent infranchissables. Le capitalisme engendre le développement inégal de la richesse des pays et des groupes sociaux. Il condamne des pans entiers de l’humanité à la migration pour la survie. Il fait la guerre aux populations réticentes à ses impulsions. Il détruit les formes existantes de la production, de la consommation individuelle et collective, mais sans apporter d’améliorations autres que celles conquises dans la lutte par les populations concernées, en sorte que, si elles ne luttent pas, elles crèvent.


La socialisation que ce système impulse n’apporte aucun mieux être durable aux travailleurs. Au contraire, elle pousse, de manière généralisée, à l’application de politiques salariales restrictives, à la destruction des protections sociales ainsi que des régimes de retraite, au démantèlement du droit du travail, à la réduction des impôts versés par les grandes entreprises, aux transferts de revenus vers les entreprises les plus puissantes, à la privatisation et au pillage des entreprises publiques, à l’austérité accrue dans les dépenses de l’Etat, à la mise en difficulté des hôpitaux et des laboratoires. Les plus pauvres des Français sont durement touchés dans leur vie courante. La population de celles et de ceux que la crise économique affecte, tant au plan économique que moral, est croissante. Alors que la société est de plus en plus complexe, interdépendante, productive, socialisée, porteuse de potentialités, les bénéficiaires de la richesse produite forment le petit nombre des privilégiés de la société moderne. La domination qu’ils exercent sur l’appareil productif et la vie sociale se révèle de plus en plus gaspilleuse et stérilisante.


Si les exploités du monde contemporain veulent enrayer la misère, s’ils veulent changer durablement les difficultés et l’état de décadence qu’engendre aujourd’hui l’installation du capitalisme mondialisé, il leur faut chasser les maîtres de cette société. Il leur faut prendre, au plan politique, la direction du mouvement de socialisation économique. Les activités économiques qui, avec la mondialisation capitaliste, ne servent plus au bien être des masses, doivent être investies à nouveau par les classes populaires et travailleuses. La socialisation des forces de production doit rentrer dans le rang, sur les espaces où son contrôle a un sens et une efficacité.


Grâce à l’action de la population majoritaire, le processus de socialisation doit être conduit de façon totalement renouvelée et mis au service des masses. Il s’agit, sur la longue durée mais avec détermination et constance, car rien ne se fera en cinq minutes ou même le temps séparant deux élections, de mettre en place le socialisme, c’est-à-dire, de manière progressive, le processus complémentaire de socialisation des techniques et de socialisation des hommes par d’autres voies que le marché capitaliste. Il ne s’agit plus de « faire du social » dans un contexte marchand capitaliste et mondialisé, ce qui est d’ailleurs aujourd’hui quasiment impossible. Il s’agit de socialiser, de manière parallèle mais aussi de manière conjointe et cohérente, les activités de toutes sortes et les hommes, aujourd’hui rangés, distribués et d’une certaine manière pétrifiés dans des catégories de toutes sortes, en premier lieu dans ce qu’on nomme leur classe sociale.


Les communistes ont la perspective de construire une société communiste. Une telle société est celle dans laquelle le processus de socialisation par les hommes (le politique) deviendra le processus social dominant de tous les processus de socialisation, sur le fondement d’une économie extrêmement développée (production abondante) au plan national et mondial. Il aura pour effet d’anéantir l’incidence majeure sur chacune et chacun de son rangement dans des classes sociales et de faire évoluer l’incidence éventuelle des autres classements.

Première partie : Aspects de la mondialisation capitaliste

- I - Avec la mondialisation, les dirigeants socialistes n’ont plus rien à voir avec le socialisme car le capitalisme, leur référence, a changé. Ils n’ont plus d’alibi.


Peut-être certains se disent-ils aujourd’hui : « Quand j’ai voté pour François Hollande, après tout, je savais ce que je faisais. François Hollande n’est pas pire que Guy Mollet ». C’est vrai. Les élites socialistes françaises ont toujours su se déshonorer à temps et avec continuité, par exemple en laissant tomber le République espagnole, en votant les pleins pouvoirs à Pétain, en faisant la guerre en Algérie, en attirant les Français dans le piège de Maastricht. Mais une chose a changé profondément depuis une quarantaine d’années, c’est le capitalisme.


Après 1945, les populations des pays développés avaient réussi à nationaliser leurs nations. Certains ont appelé capitalisme monopoliste d’Etat le système capitaliste alors mis en place. Au cours des années 1970, ce système qui assurait, quoique de manière instable et toujours dans la lutte, un certain équilibre entre Travail et Capital, est entré en crise.


Par la suite, la grande bourgeoisie a uni internationalement ses efforts pour desserrer l’étau de la baisse générale de la rentabilité du Capital. Elle s’est engagée avec détermination dans une nouvelle étape de son pouvoir, celui du capitalisme monopoliste financier mondialisé. Elle s’est soudainement découvert une ambition philanthropique originale : contribuer au développement du monde. Ce faisant, elle a réussi, au plan mondial, à dénationaliser et à privatiser les nations dont ses diverses fractions étaient issues.


Elle les a dénationalisées car la globalisation économique capitaliste a pris appui sur la dérégulation complète des marchés des marchandises, du travail et de la finance pour instaurer, à l’échelle mondiale, la suprématie de « l’épargne capitaliste ». Ce faisant, elle a privé les populations accrochées et fidèles à leur rocher national, de tout pouvoir sur leur économie. Les politiques nationales ont été déclassées et sont devenues impuissantes.


Elle les a privatisées, au sens propre et figuré du terme, car chaque fraction de la classe capitaliste mondiale a besoin d’un État, pour son compte exclusif, pour contrôler son salariat. De la même façon, elle a besoin d’un État pour aider ses plus grandes entreprises à mener le combat des géants dans l’arène mondiale. La fraction localisée en France de la classe capitaliste mondialisée s’est donc employée elle aussi à dénationaliser la nation française et à privatiser son État.


François Hollande est certainement un aussi triste sire que Guy Mollet, mais la portée de ses mensonges est infiniment plus grave, le contexte capitaliste ayant profondément changé. Guy Mollet lançait la France dans la guerre en Algérie. Mais les salariés français, dans le cadre national, menaient encore avec succès des luttes économiques. Il était possible de « faire du social » avec les socialistes au pouvoir, à condition, cela va de soi, de les « pousser au cul ».


J’espère que personne ne se méprendra sur le sens de mon propos, qui ne dédouane pas ce personnage de ses responsabilités historiques. Aujourd’hui, cependant, l’époque du capital industriel national ou même du CME est révolue. Nombre de salariés raisonnent encore ainsi, dans l’idéologie de ce passé. Ils se disent que les dirigeants socialistes sont certainement des menteurs et des coquins, mais que, bon an mal an, le combat social, avec eux, sera plus facile. Ils se trompent, nous nous trompons.


A l’époque du capitalisme monopoliste financier mondialisé, les salariés français font l’expérience qu’ils ne peuvent lutter pour le maintien ou l’amélioration de leur situation économique sans mettre explicitement, radicalement en cause la libre circulation mondiale des capitaux et les institutions qui l’organisent, sans mettre en cause le pouvoir économique, financier, politique des plus puissants.


Trois conclusions peuvent être immédiatement tirées de ces observations.


a) La première est que les élites socialistes du PS n’ayant aucune volonté de changer le système capitaliste, elles avalisent le capitalisme financier mondialisé et proposent uniquement aux salariés dont elles prétendent défendre les intérêts fondamentaux, un socialisme du benchmarking ou de « la bonne pratique capitaliste », couplé à un socialisme du ramassage des morts et des blessés de la grande guerre économique. Les socialistes ne sont plus en mesure de « faire du social », ce qui, jusqu’à présent, leur avait servi d’alibi pour défendre le système capitaliste contre les assauts des révolutionnaires. De même, les classes populaires ne sont plus en mesure de « faire du social » avec les socialistes au pouvoir.


b) La deuxième conclusion est, par conséquent, que le moment est venu, pour les révolutionnaires de ce pays, d’arrêter tout soutien électoral aux élites socialistes et d’intervenir activement pour leur mise hors circuit du champ politique. Sans doute convient-il de distinguer, dans la fraction socialiste de la population française les socialistes d’en haut et les socialistes d’en bas. Les élections communales en préparation illustrent cette exigence. Mais il ne suffira pas de séparer ces deux groupes et de faire alliance avec le deuxième pour bâtir le changement social. Les socialistes d’en bas devront être séparés idéologiquement et politiquement des socialistes d’en haut sur la base d’une politique d’union du peuple de France pour le renouveau de la France, pour le socialisme et le communisme. C’est sur le fondement de cet élan général que les socialistes d’en bas seront entraînés vers le changement.


c) La troisième conclusion est qu’il n’y aura pas de projet socialiste, au sens que nous donnons à ce terme, qui n’ait d’abord pour objectif de sortir la nation de l’étranglement que lui inflige la mondialisation capitaliste. La mondialisation capitaliste est la stratégie mise en œuvre par les forces du Capital, à la fin du 20ème siècle, pour privatiser les nations à leur avantage. Les travailleurs et les citoyens de ce pays se doivent donc de renationaliser la France et de rendre l’État aux travailleurs et à la nation s’ils souhaitent :

  • 1) améliorer le sort de la majorité de la population,

  • 2) que notre pays reconquière sa dignité et sa souveraineté. Il me semble que nous, communistes, devons aujourd’hui élaborer une politique d’union du peuple de France, pour la France, pour le socialisme et le communisme.

- II - L’Union européenne et la mondialisation capitaliste sont-elles identiques ?


Mais n’est-il pas équivalent de combattre l’Union européenne et la mondialisation capitaliste ? Personnellement, je crois que ce n’est pas exactement pareil, malgré l’étroitesse des liens entre les deux. Je crois que nous avons intérêt à faire cette distinction. Car si ces deux aspects de la réalité sont liés quoique distincts, nous nous appuyons sur leurs différences pour les attaquer et nous utilisons leurs liaisons et leurs effets réciproques pour les détruire ou les transformer.


Ce que nous appelons l’Europe est une notion plutôt récente ayant vaguement pris forme au 15ème siècle, en réponse à l’avancée victorieuse des Ottomans. L’Europe politique ne s’est cependant pas constituée à ce moment-là. Elle est née progressivement de l’expérience sanglante des guerres du 19ème et surtout du 20ème siècle et de la prise de conscience que les forces de production techniques tendaient à dépasser largement le cadre des nations telles qu’elles existaient sur ce continent.


Il me semble que les dirigeants de la grande bourgeoisie ont alors eu, pendant les années 1950, le projet d’une grande nation, certes dominée par les capitalistes et en parfaite continuité sur ce plan fondamental avec l’Union européenne d’aujourd’hui, mais dont les traits politiques définitifs étaient incertains. Cela dit, de façon immédiate, et après l’échec de la Communauté Charbon-Acier, ils ont retenu la dimension économique d’un grand marché. Il faut se rappeler qu’à cette époque existaient deux géants, le russe et l’américain. Les capitalistes d’Europe se sont dits qu’ils ne « faisaient pas le poids » et que leur marché devait grandir en taille. Je fais abstraction des aspects directement politiques de ce projet, à l’égard notamment, de l’URSS et du système socialiste du moment.


Après une période de tâtonnements, surtout monétaires (phase Giscard d’Estaing-Schmidt), la mondialisation capitaliste a rattrapé le projet européen initial. L’idée s’est alors précisée en France, pour les fractions dominantes de la classe bourgeoise, de l’articulation du projet capitaliste européen au processus de mondialisation capitaliste. L’étude des archives éclairera ces aspects. Mais je crois que les socialistes français ont, encore une fois, joué leur rôle historique de facilitateurs du capitalisme mondialisé. Au cours des années 1990, on est passé, dans l’idéologie sur l’Europe, de « la grande nation » à la « la grande nation intégrée au capitalisme mondial ».


A mon avis, la faiblesse principale de l’argumentation communiste, en France (l’Europe des Peuples contre l’Europe du Capital), fut alors de s’être située dans le cadre national exclusif des nations existantes, cela


1) sans explorer la dimension « évolution des forces productives »,

2) sans bien comprendre ce qu’impliquait le processus de mondialisation capitaliste sur le fonctionnement de l’économie nationale. Les socialistes, de leur côté, se sont ralliés à la droite européenne classique. C’est encore leur stratégie, avec cette différence cependant, que 20 ans se sont écoulés et que l’échec en est patent.


Je trouve entièrement justifié que nous nous opposions à l’Union européenne et que, la jugeant non réformable de l’intérieur, nous développions l’idée qu’il faut en sortir, en commençant par son mécanisme central, l’euro. En effet, le choix de la monnaie unique a résulté non seulement de la puissance propre du capitalisme allemand et de sa capacité à imposer son choix aux autres fractions de la bourgeoisie européenne. Elle a aussi été retenue par ces autres fractions, celles-ci ayant estimé que les classes ouvrières seraient matées ou freinées dans leurs revendications par ce mécanisme contraignant, et son couplage à une Banque centrale dégagée de toute contrainte politico-sociale.


Cela étant dit, je crois qu’il faut :

- 1) non seulement mesurer les gains, mais aussi le coût d’une telle sortie, et le dire, pour prévoir d’éventuels amortisseurs du choc,

- 2) rendre clair les mécanismes institutionnels et politiques proposés en remplacement, pour tenir compte de l’évolution contemporaine des forces de production. Considérons-nous possible le lancement d’une Europe socialiste ? Si oui, quelle étape aujourd’hui ? Quel processus ?

- 3) Être précis sur le périmètre géographique d’une telle Europe (quid de la Turquie ? du Maghreb ? de la stratégie d’extension à l’infini ?) et sur les minima institutionnels et politiques nécessaires,

- 4) Faire attention, pour s’en méfier, à la croyance selon laquelle, si l’on sortait de l’euro, on pourrait tout faire tout de suite, sans avoir jamais à rendre de comptes.


Je ne crois pas que cela dispense pour autant de s’attaquer explicitement et distinctement à la mondialisation capitaliste.


En premier lieu, le mécanisme principal et majeur du capitalisme contemporain est la mondialisation capitaliste, où que l’on se trouve, en Europe, en Amérique latine ou ailleurs. C’est lui que nous devons, en France combattre en priorité alors même que la façon dont les dirigeants communistes interprètent la révolution informationnelle donne du crédit à ce processus, et les conduit à des énoncés politiques incohérents.


En second lieu, même si Jacques Delors a eu pour mission de réaliser un marché financier européen, et même si les capitalistes ont avancé dans cette direction, je ne crois pas que l’Union européenne en soit arrivée à ce degré de maturité. Les fractions capitalistes dirigeantes de chaque « grand pays » ayant chacune « leur propre » approche de l’intégration à la mondialisation capitaliste, les mécanismes institutionnels de cette intégration existent tout autant au niveau national qu’au niveau européen. S’attaquer à la mondialisation capitaliste peut donc, me semble-t-il, avoir pour objectif raisonnable de s’attaquer aux institutions de la mondialisation capitaliste au plan national.


En troisième, la démarche, déjà ancienne mais aujourd’hui plus rapide, tant par le grand capital européen que par celui de l’Europe, de constitution d’un grand marché atlantique montre que l’union européenne n’est qu’un maillon de la mondialisation capitaliste.


Le fait de s’attaquer à la mondialisation capitaliste et à l’Union européenne m’apparaît comme la combinaison de deux luttes qui s’éclairent l’une par l’autre et se complètent.


- III - La Chine et le socialisme


Parmi les sujets devant être évoqués au cours de ces Assises, je crois que figure celui de la Chine contemporaine et de la position que les communistes français doivent raisonnablement exprimer à l’égard de ce pays.


J’observe que, malheureusement, un certain nombre de dirigeants communistes ne manquent jamais une occasion d’exprimer publiquement leur méfiance profonde à l’égard du gouvernement de la Chine et de sa référence au socialisme. Ils pensent que la Chine est le contraire d’un pays socialiste. Leur question préférée, quand ils s’adressent à des responsables chinois, est la suivante « Et l’indépendance du Tibet ? ». Est-il donc si difficile d’entretenir avec les dirigeants chinois des rapports de respect mutuel et de confiance réciproque plutôt que des rapports d’hostilité ? Les communistes chinois et le gouvernement de la Chine seraient-ils à ce point « dégoûtants » que nous devrions les combattre comme s’ils étaient les descendants directs d’Attila, le roi des Huns ?


Il y a 60 ans, les révolutionnaires chinois ont définitivement gagné l’indépendance de leur pays. Ils ont reçu l’appui solide des masses paysannes. Ils ont libéré les femmes. Ils ont cherché à développer l’économie chinoise, et ont un peu réussi à le faire. Puis ils ont eu l’ambition, et d’une certaine manière la contrainte eu égard à l’augmentation de la population, d’accélérer la cadence de leur développement. Ils ont alors pratiqué un volontarisme sans limite qui conduisit à de dramatiques échecs. C’est pourquoi, autour des années 1980, leur stratégie changea radicalement. Ils passèrent du socialisme de pénurie de Mao Zedong, à dominante politique, au socialisme de Deng Xiaoping, à dominante économique. Comment expliquer cette nouvelle orientation ? Trois points méritent, selon moi, d’être soulignés.


Le premier est que la Chine des années 1970 étant demeurée sous-développée et sa population étant grandissante, les communistes chinois ont compris qu’ils ne pouvaient construire le socialisme en distribuant seulement des cailloux. Marx avait imaginé que le socialisme viendrait au terme d’un capitalisme industriel développé, et qu’il serait pris en charge par un prolétariat industriel très éduqué. Au contraire, les Chinois ont été portés par l’histoire à construire le socialisme dans leur pays sur une base économique arriérée, avec une population engluée dans la tradition et la ruralité, tout en prenant place dans un environnement capitaliste dominant.


Le deuxième est qu’ils ont d’abord cherché à sortir de cette arriération, mais sur l’impulsion d’une politique volontariste et repliée sur le territoire national. Après avoir subi plusieurs échecs graves, ils ont admis que pour réaliser leur révolution industrielle, car c’est bien de cela qu’il s’agissait, et pour réaliser ultérieurement le socialisme, « l’économie de marché socialiste », à la fois interne et externe, était la voie la plus sûre et la plus rapide. Même si l’on ne peut identifier marché et capitalisme, ils ont consciemment introduit le capitalisme industriel dans leur économie et son ouverture sur le monde comme moyen de son développement accéléré. Tout en réaffirmant leur objectif socialiste, ils se sont centrés dans l’immédiat sur le développement économique.


Le troisième aspect à considérer est que, par différence avec le socialisme égalitaire et de pénurie à la Mao Zedong, les communistes chinois ont anticipé que le socialisme à la Deng Xiaoping serait certes plus abondant mais aussi plus inégalitaire. La croissance de l’inégalité des conditions a été conçue comme le prix à payer au développement économique. Mais ils ont fait le pari que l’État pourrait redistribuer partiellement la richesse créée.


La société chinoise en est à ce stade. La misère a reculé dans ce pays parce que la salarisation a pris la place du chômage déguisé. La distribution de salaires et la dépense publique ont créé la production marchande et le marché intérieur. Les surplus de production ont alimenté le marché mondial et permis l’accumulation de monnaie mondiale. Ce mouvement d’ensemble a engendré des profits. La sociologie de la Chine a été transformée en profondeur par la diminution forte des paysans (mais ceux-ci font encore la moitié de la population), par l’apparition simultanée d’une classe diversifiée de capitalistes (petits, moyens et grands, voire très grands, chinois continentaux, chinois d’outre-mer, étrangers) et d’une classe ouvrière encore proche de la ruralité. L’urbanisation, très rapide, a nourri l’apparition d’une population travaillant dans les services, appelée hâtivement « classes moyennes ». Telle est l’esquisse du gigantesque bouleversement ayant affecté la société chinoise depuis 30 ans. Le mouvement, c’est la contradiction. Alors que cette société demeura stable et pauvre pendant très longtemps, elle est aujourd’hui aspirée à toute vitesse par la tornade du développement. Les contradictions y prennent de l’ampleur.


Que signifie, dans ce contexte, le jugement agressif émis à l’égard de la Chine sous le prétexte que ce pays serait capitaliste ? A mon avis, la signification d’un tel jugement est celle de l’ignorance des situations concrètes. Je crois que, dans le meilleur des cas, ces personnes ignorent ce qu’est le sous-développement et l’énorme contrainte que représente son environnement. Elles ignorent les résultats du développement actuel de la Chine, malgré ses insuffisances et ses injustices. Elles ignorent que l’histoire est histoire de la lutte des classes, en Chine comme ailleurs, et que, en suivant des formes et des modalités que nous connaissons mal, les ouvriers et les salariés chinois, les paysans, les salariés urbains, imposent, tant bien que mal, une direction générale au mouvement de l’ensemble. Les dirigeants communistes de la Chine ne sont pas descendus d’une image pieuse. Ce sont les produits de ce pays. Ils savent que pour faire, tant bien que mal, face aux contradictions que le développement engendre, l’économie chinoise doit, chaque année, créer 15 millions d’emplois, et que l’État central ainsi que les gouvernements locaux doivent redistribuer beaucoup mieux la richesse. Sinon, les communistes qui gèrent ces institutions seront disqualifiés.


De la situation chinoise, je tire pour ma part, 4 conclusions, que voici :


1) Il me paraît hasardeux de jouer « le socialisme du 21ème siècle » contre « le socialisme du 20ème siècle ». Le monde actuel est majoritairement sous la domination du capitalisme. Nous ne pouvons pas nous payer le luxe de dédaigner le socialisme chinois, qui est en train de redonner confiance au tiers-monde.

2) Le socialisme chinois est plein de contradictions ? Il y aurait en lui « du bon et du mauvais » ? Eh bien soutenons au moins le bon, mais sans donner de leçons aux dirigeants de ce pays. Nous ne résoudrons pas les problèmes à la place des chinois. Si nous estimons devoir traiter avec les communistes de ce pays de tel ou tel aspect du socialisme, faisons-le en d’autres termes et selon d’autres méthodes que celles privilégiées par les Américains.

3) Je crois que nous pouvons tirer quelques enseignements de l’expérience chinoise. Voici ceux que je retiens.


Le premier enseignement pourrait être qu’il n’y aura pas de socialisme en France sans amélioration de la situation économique du plus grand nombre. Les masses populaires ne soutiendront pas le socialisme parce cela mettra en accord les forces productives et les rapports sociaux de production. Elles soutiendront le socialisme lorsqu’elles seront convaincues que leur situation économique sera par lui améliorée, dans son ensemble et dans la diversité des situations concrètes.

Le deuxième enseignement est que le socialisme est un choix politique effectué sur la base d’un certain niveau de production et d’un certain niveau de savoir-faire. A mon avis, nous ne construirons pas le socialisme en France sans que les salariés se soient appropriés intimement le savoir-faire des capitalistes. Un certain nombre de capitalistes devra y être associé.

Le troisième enseignement est que si le socialisme prend forme en France, cela se fera dans un tourbillon de contradictions de toutes sortes. Le socialisme du grand soir est certainement terminé. Mais ne croyons pas pour autant au socialisme angélique de l’aurore aux doigts de roses.

Le quatrième enseignement est que les gouvernements qui auront à gérer les affaires de la France pendant la phase du socialisme, n’apprécieront pas qu’on leur donne des leçons de l’extérieur. Alors pourquoi en donnerions-nous aux communistes chinois ? En réalité, ce qui compte le plus avec le gouvernement de la Chine, parce que cela nous concerne directement, ce sont les positions internationales qu’il prend et non ses décisions de politique intérieure.


- IV - Le principe « gagnant-gagnant », aspects de l’internationalisme prolétarien aujourd’hui.


Je souhaite, avec ce point et dans le contexte de la mondialisation capitaliste, poursuivre ma modeste réflexion sur la Chine et plus exactement sur le principe « gagnant-gagnant » que préconisent nos camarades Chinois. Ce principe est une composante de « l’internationalisme prolétarien » contemporain. Je vais d’abord essayer de situer ces notions les unes par rapport aux autres.


L’internationalisme prolétarien est, me semble-t-il, dans le langage communiste, un principe supérieur de définition et d’encadrement des rapports devant prévaloir entre les peuples. Ayant d’abord pris racine au sein des impérialismes dominants, il a été mis en œuvre par les communistes et les gouvernements de différents pays, comme principe de solidarité politique. Aujourd’hui, il revêt une forme non seulement politique mais économique, ce qui en complexifie le fonctionnement. C’est ce que je vais montrer à propos du principe « gagnant-gagnant ». Auparavant, cependant, je dois indiquer deux caractéristiques de la dimension économique de l’internationalisme prolétarien aujourd’hui.


La première est que, par rapport au cadre du 20ème siècle, ce principe existe dans un cadre mondial étendu. Il ne prend plus principalement place dans des rapports entre métropoles et colonies (pour une intervention politique en faveur des « colonisés »). Il se déroule entre pays politiquement indépendants dans le contexte du monde entier.


La deuxième est que ce principe se déploie à l’intérieur d’habits idéologiques nouveaux. Contrairement aux Américains, qui font prévaloir l’image du rapport de forces dans leurs relations internationales (Hilary Clinton est représentative de cette culture de la gâchette), les Chinois se présentent comme un peuple pacifique, souhaitant faire prévaloir l’équilibre, la justice et le gain réciproque dans ce type de relations. Ils cherchent à promouvoir une certain image de la Chine et dans ce but, semblent s’inspirer de la doctrine des lettrés et de sa référence confucéenne. On entend aujourd’hui une expression, celle du « rêve chinois », de contenu encore vague mais qui est constamment répétée à l’occasion des rencontres officielles. Elle indique que, d’un côté, se trouverait le « rêve américain », mais que ce dernier ne serait plus seul car de l’autre côté s’affirmerait « le rêve chinois ». Le principe « gagnant-gagnant » peut être considéré comme une composante du « rêve chinois ».


Telles sont, selon moi, les données que l’on doit prendre en considération pour réfléchir à l’internationalisme prolétarien aujourd’hui. Il est non seulement politique, il est également économique et il est accompagné d’une idéologie reflétant cette évolution. Comme la Chine est le principal « vis-à-vis » des États-Unis, et que son économie, en raison de sa taille, est inévitablement mondiale, il vient que les pratiques et l’idéologie des Chinois s’imposent comme l’élément premier de toute réflexion sur les aspects économiques de l’internationalisme prolétarien. Quelles remarques peut-on faire et se faire à propos de ce principe et de sa pratique actuelle ? J’en vois principalement trois.


La première remarque est que, bien que les communistes chinois soient les promoteurs du principe « gagnant-gagnant », sa mise en œuvre et son amélioration éventuelle ne devraient pas seulement relever des Chinois.


En effet, l’économie chinoise étant, de facto, une économie de portée mondiale (à ne pas confondre avec une économie capitaliste mondialisée), il découle de cette situation que nombre de pays en sont les partenaires obligés et sont confrontés aux effets de sa dynamique interne. Par exemple, les ressources alimentaires de la Chine étant insuffisantes, le gouvernement chinois cherche à atteindre la sécurité alimentaire de la population en achetant ou en louant des terres hors de Chine. Les contradictions caractéristiques de la dynamique chinoise ne sont pas seulement internes. Elles sont également externes. Dans ces conditions, il est justifié que les autres pays du monde interviennent dans la définition et le déroulement de ces contradictions. Le principe « gagnant-gagnant » ne peut pas être uniquement « un principe chinois », même si la Chine est à l’origine de son application aux relations extérieures.


La deuxième remarque est que cette façon d’apporter « une juste et pacifique solution aux contradictions entre les peuples » tranche absolument avec les pratiques impériales des États-Unis. En Irak, par exemple, la puissance américaine a fait prévaloir le principe « écrasement de l’Irak-gagnant américain » de façon à mieux satisfaire sa stratégie d’approvisionnement en pétrole. La stratégie « gagnant-gagnant » semble apporter une tonalité différente et nouvelle dans le champ des relations économiques internationales. Véhiculant avec elle une sorte de petite musique non-impérialiste, elle est perçue de manière positive.


« Gagnant-gagnant » tranche également avec le concept de coopération, qui met l’accent sur le qualitatif des relations et ne dit rien sur les quantités. Or, dans les pays africains, par exemple, on considère généralement que la politique de coopération n’a pas produit les résultats quantitatifs et réciproques escomptés sur le développement. Les élites de ces pays sont donc sensibles à la thématique chinoise du « gagnant-gagnant », selon laquelle toutes les parties devraient « gagner », en fonction de stratégies concertées. Le principe « gagnant-gagnant » apparaît comme une façon de reconnaître le rôle bienfaisant de la politique et de la négociation dans l’établissement de relations économiques internationales équilibrées.


Ma troisième remarque est que le principe « gagnant-gagnant », aussi intéressant soit-il, est encore loin d’être parfait. Il doit être construit et amélioré. Bien des questions doivent être résolues à son propos. Supposons, par exemple, que des investisseurs chinois se proposent de racheter une entreprise de pétrochimie dans la région de Marseille et qu’ils réussissent cet achat selon le principe auquel ils se réfèrent désormais. A qui s’applique le principe du « gagnant-gagnant », aux propriétaires de l’entreprise, aux salariés de l’entreprise ou à d’autres agents ? Dans un univers traversé par la contradiction sociale et le conflit de classe, qui est gagnant ? Autre question : le principe « gagnant-gagnant » met en rapport deux quantités. Mais comment évaluer ces quantités ? Supposons, par exemple, que d’un côté, une entreprise chinoise ait obtenu des droits de pêche sur un certain nombre de tonnes de sardines pendant un certain temps (ce qui peut être évalué en monnaie) et que, en contrepartie, le gouvernement chinois ait financé un hôpital, dont le coût de construction est lui aussi évaluable en monnaie. Peut-on mettre en équivalence ces deux quantités ? Dans un pays en voie de développement, financer un hôpital sans financer simultanément son entretien ainsi que la formation et le fonctionnement du personnel est la même chose que ne rien financer du tout. Il faut donc savoir précisément ce que recouvrent les termes « gagnant-gagnant ». Que gagne-t-on de part et d’autre ? Accorder un droit de pêche pendant dix ans avec, en contrepartie, la construction des murs d’un hôpital, reviendrait à conclure un accord « gagnant-perdant » et non un accord « gagnant-gagnant ».


Ma conclusion sur ce point est la suivante. Je ne pense pas que, en tant que communistes, nous puissions considérer de la même manière les contradictions internes du dynamisme chinois et ses contradictions externes. Sur ces dernières, non seulement nous avons notre mot à dire mais nous pouvons intervenir à leur propos de manière certes appropriée mais active.


En agissant ainsi, je crois que les partis communistes dans le monde, celui de la Chine compris, contribueraient à l’amélioration du contenu et des modalités d’application du principe « gagnant-gagnant ». Ainsi s’élaborerait peut-être un principe de remplacement des règles aujourd’hui imposées dans les relations économiques internationales par la brutalité américaine et véhiculées par les organismes internationaux. Ce principe améliorerait, je le crois, celui énoncé aujourd’hui de la coopération et il tendrait à remplacer le libéralisme économique absolu, aujourd’hui imposé par les grands intérêts capitalistes et quand ça les arrange, dans les relations économiques internationales.


La suite  : La lutte pour le socialisme et le communisme, aujourd"hui en France, par JC Delaunay (2/2)


Notes

[1] J’ai indiqué que je ne discuterai pas, dans ce texte, des thèses avancées par certains théoriciens de la décroissance. Je voudrais quand même dire que, puisqu’aujourd’hui la connaissance scientifique, l’enseignement et la recherche précèderaient la production matérielle, il vient (selon moi) que ces théoriciens ne s’attaquent pas seulement aux pulsions de la consommation finale. Ils s’attaquent aussi, et peut-être surtout, à l’activité de connaissance, fondamentale et appliquée. Je crois que ces personnes sont conduites à adopter des positions d’hostilité à la science. Avec l’excuse de lutter contre « le matérialisme de la consommation finale », ils (elles) contribuent à nourrir les idéologies de peur des progrès de la connaissance et de la recherche scientifique. Ils (elles) se réjouissent de la préservation de ce que certaines cultures peuvent contenir de réactionnaire.


[2] L’inversion du mouvement de l’accumulation ne signifie évidemment pas que le crédit puisse être distribué sans limite. A l’émission de crédit (de valeur sous forme monnaie) doit correspondre une quantité de valeur produite et réellement transformable en monnaie.


[3] Dans le célèbre Fragment sur les Machines, publié dans les Grundrïsse, Marx donne une définition quantitative du moment où l’abondance fait la loi. C’est le moment où la productivité du travail et des moyens de production est si élevée que la loi de la valeur n’a plus de sens. Le numérateur (la quantité de travail total) est fini alors que le dénominateur (la quantité de produits) est infini. La valeur unitaire est proche de zéro. Le marché n’a plus de sens.

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