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Réveil Communiste

LA LAÏCITÉ EST UN COMBAT. Point de vue d'Anicet Le Pors

25 Décembre 2013 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Positions

Sur le blog de Anicet le Pors :

L’Humanité - PAR ANICET LE PORS, ANCIEN MINISTRE, CONSEILLER D’ÉTAT HONORAIRE.

 

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La laïcité, telle que forgée par notre histoire, semble parfois embarrasser. Elle est alors qualifiée de positive (Nicolas Sarkozy), raisonnée (Les Verts), ouverte (Marie Geprge Buffet). Étienne Balibar distingue une conception étatiste et une conception libérale, pour choisir … la seconde. Jean Baubérot distingue des laïcités séparatiste, autoritaire, anticléricale. Ce besoin de qualifier exprime, selon le cas, une hostilité, une réserve ou une gène ; il affaiblit l’idée et dispense d’approfondir.

La laïcité s’affirme en relation avec la sortie du pouvoir politique de la religion. À la fin du XIIIe siècle, Philippe Le Bel, après avoir affronté le pape Boniface XIII,  impose à son successeur Clément V de résider en Avignon pour lui signifier qu’il n’est plus roi « par la grâce de Dieu » mais  en raison du pouvoir séculier qu’il détient. François Ier supprime le monopole du droit d’asile détenu par l’Église et impose le français comme langue officielle contre le latin, la langue du sacré, par l’Édit de Villers-Cotterêts de 1539. La Renaissance et la Réforme, le retour à l’étude de l’Antiquité et du droit romain, le bouillonnement intellectuel de l’époque concourent à la sécularisation du pouvoir. La Révolution française institue la Constitution civile du clergé, confisque ses biens et tente d’instaurer le culte de la Raison. Au-delà du Concordat signé par Pie VII et Napoléon en 1801, les luttes du XIXe  siècle pour la République, le socialisme, les droits économiques et sociaux, s’accompagnent d’un long effort pour désimprégner la société de la religion. Ce que le philosophe Marcel Gauchet a appelé le « désenchantement du monde ».

Les grandes lois sur la laïcité des années 1880 consacreront cet effort pluriséculaire en instituant le monopole d’État sur la collation des grades universitaires, l’enseignement primaire gratuit et obligatoire ; la « Lettre aux instituteurs » de Jules Ferry en 1883 célèbre la grande « cause de l’école laïque » et ouvre la voie à la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905. Celle-ci énonce les deux principes fondamentaux de la laïcité : la liberté de conscience et la neutralité de l’État, base nécessaire de la formation de l’esprit critique et de l’apprentissage de la tolérance.  Il faudra attendre la constitution du 27 octobre 1946 pour que l’on écrive à l’article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Exemple unique dans le monde. Cet héritage a été promu avec passion pendant des décennies par les instituteurs de la IIIe République et par les autorités de l’époque. Rappelons que Clémenceau interdit à ses ministres d’assister au Te Deum de la victoire célébré par l’Église catholique en 1918.

Le principe de laïcité a depuis été  profondément dénaturé par le maintien de l’exception du régime concordataire de l’Alsace Moselle, les réglementations favorables aux financements publics de l’enseignement confessionnel (lois Debré de 1959, Guermeur de 1977, accords Lang-Cloupet de 1992, loi Carle de 2009, etc.). Les juridictions administratives et judiciaires se sont montrées fort complaisantes vis-à-vis des demandes religieuses. La commission Stasi, en 2003, a cru devoir ajouter un troisième principe à la laïcité, en enjoignant à l’État d’assurer l’égalité entre les religions (alors que l’article 2 de la loi de 1905 dispose que la République ne « reconnaît » aucun culte !). Le discours de Nicolas Sarkozy à Latran en 2007 a été le signal d’une offensive renforcée contre la laïcité pour – dans ce domaine comme en d’autres : services publics, décentralisation, institutions, immigration,… – mettre notre pays aux normes de l’Union européenne. Malheureusement, face à cette offensive, les mouvements qui auraient du répliquer au même niveau ont fait singulièrement défaut, ne se manifestant, comme il a été dit, qu’en variations qualificatives, protestations contre toute réglementation dans l’espace public, expressions  de bonnes consciences par l’invocation véhémente autant que paresseuse des droits de homme plutôt que du citoyen. Comme si c’étaient là les seuls moyens d’affirmation de la laïcité face aux problèmes de notre temps.

La laïcité est une création continue qui suppose un effort important d’approfondissement théorique. C’est un lieu de responsabilité juridique qui doit clairement distinguer ce qui relève de la loi, du règlement et du débat de convictions. C’est un terrain revendicatif de première importance en raison du caractère « transversal » de la laïcité dans la formation de la citoyenneté. Par là,  la laïcité peut être un puissant moyen de recomposition politique et sociale, à vocation universelle. En contribution au champ de la revendication, aujourd’hui à peu près vide : retour progressif de l’Alsace Moselle dans le droit commun à échéance de trente ans, claire distinction du cultuel et du culturel par la jurisprudence et la loi, formulation républicaine des jours fériés, discrétion des personnalités publiques vis-à-vis des représentants des Églises et organisations associées, reprise en main du financement et de l’organisation du service public de l’Éducation nationale dans l’esprit du projet de loi d’Alain Savary de 1984*.

* On trouvera un développement de cet article sous le titre d’une conférence « La laïcité, spécificité française ou valeur universelle ? » sur le site :   http://anicetlepors.blog.lemonde.fr

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