Geoffrey Roberts, "Les Guerres de Staline" : Stalin's Wars: From World War to Cold War, 1939-1953 : un événement éditorial
Envoyé par Alain Rondeau.
C'est ce livre qui est maudit par les bibliothécaires de la Sorbonne. L'ouvrage est maintenant traduit en français et publié aux éditions Delga (2014). Les liens des notes ne fonctionnent pas mais elles sont accessibles à la fin du texte.
Annie Lacroix-Riz, université Paris 7
Il convient de signaler l’importance considérable du dernier ouvrage de Geoffrey Roberts, dont les travaux, qui ont d'abord porté sur la période précédant la « Grande Guerre patriotique » [1], tranchent depuis près de vingt ans avec l’effroyable portrait de Staline dressé par l’historiographie française en l’ère Courtois-Furet-Nicolas Werth du Livre Noir du communisme [2]et popularisé par la grande presse [3].
L’historien britannique décrit les trois phases de la période 1939-1953 sur la base des archives soviétiques, qu’il croise systématiquement avec les témoignages politiques et militaires a posteriori. Je n’ai guère, sur la première partie (1939-22 juin 1941), qu’une réserve notable à émettre. L’auteur, dans sa mise au point sur les années antérieures à la signature du pacte germano-soviétique, a suivi la tendance à laquelle avait cédé Jonathan Haslam avant lui, consistant à ne pas étudier les circonstances réelles de la répression conduite contre le haut état-major de l’Armée rouge à partir de mai-juin 1937 [4]. Il soutient la thèse des « motivations siégeant au royaume de l’idéologie », optant d'ailleurs pour l’hypothèse de l’entière sincérité d’un Staline convaincu de la validité de la théorie du renforcement des luttes de classes en Union Soviétique. Il eût mieux valu vérifier par l’examen de sources strictement contemporaines de l’événement que cette affaire apparaissait alors claire, et qu’elle avait donc été progressivement enfouie dans les mensonges a posteriori (permettant telle réhabilitation hâtive) ou les ténèbres archivistiques de l’ère post-stalinienne.
Car Staline, en frappant impitoyablement la tête du secteur occidental de l’Armée rouge, ne fit que répliquer en 1937 à une enquête sérieuse de ses services de renseignements (d'ailleurs secondés par certains services étrangers, français notamment). Il ne se contenta pas, comme le croit Roberts, de se fier à une « vision apocalyptique du combat de classe entre communistes et capitalistes ». La haute trahison de Toukhatchevski et du noyau du haut état-major soviétique qui l’accompagna dans la tentative d’échange, discutée à Londres via le général Putna, attaché militaire soviétique, entre cession de l’Ukraine au Reich et renversement du pouvoir soviétique par la Wehrmacht visé par les conjurés, fut avérée : la correspondance occidentale, militaire et diplomatique, étirée sur plusieurs mois, revêt une diversité excluant toute erreur ou confusion. La négociation, conduite par Toukhatchevski et les siens avec quelques pairs de l’état-major de la Wehrmacht, eut bien lieu, à Londres surtout, via le général Putna, attaché militaire soviétique, sur la base suivante : renversement allemand du pouvoir soviétique requis par les conjurés intérieurs contre cession de l’Ukraine au Reich – sans parler de la satisfaction de ce dernier (et de nombre d’Occidentaux au silence complice et ravi, Anglais en tête) de se débarrasser enfin des Soviets.
Ces archives infirment formellement la thèse d’une Terreur irraisonnée dictée par des présomptions idéologiques de nature intérieure (ou extérieure) sincères mais infondées [5]. L’affaire Toukhatchevski nous place au cœur de la problématique d’Arno Mayer d’une violence révolutionnaire défensive, intrinsèquement liée à la violence matériellement avérée de la contre-révolution [6]; elle nous éloigne de la thèse, aujourd'hui hégémonique en France, selon laquelle les révolutionnaires, depuis les débuts (français) de l’ère maudite des révolutions, auraient, en vue de justifier leur « système de pensée extrêmement violent », instrumentalisé l’ennemi contre-révolutionnaire sur une base largement, sinon exclusivement, fantasmagorique [7].
Sur la période stricte annoncée par le titre de l’ouvrage, Roberts a travaillé de façon approfondie. Il rappelle ce qui a nourri ses ouvrages antérieurs, les conditions qui avaient imposé la signature du pacte germano-soviétique. Lequel ne fut jamais une alliance mais une sage précaution, imposée par le comportement des deux alliés vainement recherchés depuis 1933 – Paris et Londres – , et prévue par eux depuis la même date au cas où cette alliance de revers ne serait pas conclue [8]. Il étudie pas à pas l’évolution des rapports germano-soviétiques entre le 23 août 1939 et le 22 juin 1941, et notamment le lien entre les « gages » territoriaux saisis par l’URSS et l’avancée du Blitzkrieg allemand entre les triomphes en Pologne (entrée de l’Armée rouge en Galicie orientale) et à l’Ouest (en Bessarabie et Pays Baltes, après la débâcle française). Entre autres mesures défensives de protection du territoire en vue de la guerre germano-soviétique imminente, il inclut la « guerre d’hiver » contre la Finlande (décembre 1939-mars 1940), épisode qui occupe dans l’historiographie française actuelle à peu près le même rôle de propagande-repoussoir antisoviétique qu’à l'époque même de l’événement : l’atmosphère en a été récemment décrite, pour le cas français et anglais, par un excellent collègue et ami de Geoffrey Roberts, Michael Jabara Carley [9]. L’épisode sembla devoir aboutir à la Sainte Alliance « occidentale » unissant toutes les puissances « démocratiques » et l’Axe Rome-Berlin contre les Soviets, vieil objectif dont les tentatives de réalisation avaient occupé tout l’entre-deux-guerres. L’aspect militaire en est ici minutieusement décrit, avec ses difficultés initiales terribles (militaires et politiques), la victoire amorcée au début de 1940, et les leçons que ce rude conflit administra pour la suite, préparée et attendue par Staline et les siens : l’attaque prochaine de l’Allemagne.
Sur la Grande Guerre patriotique, il n’existe actuellement rien de comparable en langue française à cette synthèse exceptionnelle d’une histoire militaire anglophone considérablement renouvelée depuis une dizaine d’années. Histoire dont, il faut le déplorer, aucun fragment, qu’on eût par exemple pu puiser à l’œuvre foisonnante de l’ancien militaire américain, devenu historien militaire, David M. Glantz – référence très fréquente de Roberts – , n’a filtré en France. L’auteur procède à une réfutation argumentée de la représentation a posteriori serinée depuis les années soixante du Staline 1° abruti d’illusions sur son compère Hitler, naïf surpris par l’assaut allemand puis 2° accablé, terré dans son bunker moscovite, tenté par l’abandon et incapable de la moindre initiative pendant plusieurs semaines. La liquidation de ces légendes inoxydables lui offre l’occasion, renouvelée ensuite maintes fois, de montrer les carences de l’« histoire officielle » post-stalinienne. Cette dernière trouva en effet un fondement essentiel dans les témoignages mensongers et intéressés de certains des compagnons et/ou successeurs de Staline. Or, les témoins concernés, soit étaient dépourvus du courage politique nécessaire pour affronter les graves problèmes de l’après-mars 1953 (par opposition au fidèle, assurément, mais surtout honnête Molotov), soit avaient beaucoup à se faire pardonner – tel Khrouchtchev, qui préféra la stigmatisation (non contrôlable) des manquements allégués de Staline à la dure mission d’informer les Soviétiques sur son propre comportement militaire défectueux de l’été 1941 en Ukraine.
Le grand journaliste britannique Alexander Werth avait dès 1964 souligné les périls d’une réécriture de l’histoire soviétique systématiquement antistalinienne, et confronté des réalités politiques ou événements que, ayant passé les années de guerre en URSS, il connaissait personnellement, à des manipulations « khrouchtchéviennes » [10]. Roberts a, sur la base, désormais, des archives et d’une confrontation permanente entre ces sources originales et les « témoignages » postérieurs à mars 1953, établi et réfuté des interprétations et descriptifs que leur seul caractère antistalinien avait depuis lors suffi à avérer.
Montrant la profonde popularité du régime et notamment le retentissement énorme du courage du chef du pays sur le moral et la combativité de sa population, il analyse avec une extrême précision la conduite de la guerre et les leçons tirées par Staline et les dirigeants militaires des erreurs et des carences des débuts. On est ici à mille lieues de l’historiographie dominante française, qui ne recule devant rien quand il s'agit d’accabler le communisme et les Soviets. Ainsi va-t-elle actuellement jusqu'à banaliser le caractère atroce de la guerre menée par le Reich en URSS, imputant au surplus à cette dernière la responsabilité, en dernière analyse, de l’immensité de ses pertes. Jean-Jacques Becker, spécialiste de la guerre de 1914-1918 – pas de la suivante, mais c’est sans importance, tomber à bras raccourcis contre l’URSS conférant en France compétence automatique sur le sujet [11] – , a ainsi récemment tranché en des termes dont le ridicule le dispute à l’odieux : « mis à part qu’elle s’est déployée sur des espaces bien plus vastes, mis à part le coût extravagant des méthodes de combat surannées de l’armée soviétique, sur un plan strictement militaire, la seconde guerre a été plutôt moins violente que la première » [12].
Le spécialiste de l’URSS Roberts préfère étudier par le menu les origines historiques des « méthodes de combat » soviétiques, tel le passage de l’« offensive » – tradition contemporaine de la fondation de l’Armée rouge pendant la guerre civile et étrangère de 1918-1920, enracinée par les succès bolcheviques d’alors – , à la « défensive » rendue impérative par la supériorité matérielle initiale de l’ennemi. Il n’inscrit pas l’extrême rigueur des mesures prises à l’été 1941 contre tout recul devant l’ennemi au passif de Staline et des siens. Il démontre que l’ampleur et la férocité de l’assaut allemand ôtèrent aux dirigeants soviétiques la liberté d’esquiver cette répression impitoyable contre « les lâches et les espions » – répression d'ailleurs brève et relativement limitée vu son efficacité, et surtout beaucoup plus sévère contre les officiers supérieurs que contre les soldats. Faute d’un tel « choix », l’URSS aurait connu la défaite quasi immédiate.
Même si le lecteur n'est pas d’ordinaire (c’est mon cas) transporté par ce qu’on appelle l’histoire militaire, il ne peut être que passionné par le descriptif de toutes les étapes d’une guerre de « Titans » [13] conduite, du côté soviétique, dans la solitude. Car l’URSS dut vaincre l’assaillant en l’absence du « second front » vainement réclamé pendant si longtemps, grâce, donc, à ses seules forces économiques, politiques et militaires. Outre que les morts de la guerre menée contre la Wehrmacht furent quasi exclusivement soviétiques, la contribution économique américaine à cet effort, le Prêt-Bail, sans être nulle, fut extrêmement modeste. La quasi totalité n’en fut en outre acquise qu’après l’extraordinaire victoire de Stalingrad, c'est à dire quand Washington eut acquis la certitude définitive que l’Armée rouge triompherait des envahisseurs. Cet ouvrage apporte la démonstration catégorique, certes naguère universellement admise, mais oubliée chez nous depuis des lustres, que la victoire militaire contre la Wehrmacht fut, et fut seulement, une victoire soviétique.
Roberts expose également avec sérieux et méthode tous les aspects de la question polonaise, dont je ne retiendrai ici que deux, qui ont joué un rôle essentiel dans la diabolisation des Soviets depuis 1943-1944 : d'une part, le dossier de Katyn et, d'autre part, celui de la chronologie de la libération (tardive) de Varsovie par l’Armée rouge.
Il présente la décision du 5 mars 1940 d’exécuter les officiers supérieurs polonais (prisonniers de guerre depuis le 17 septembre 1939 dont Moscou avait vainement recherché l’adaptation au « nouvel ordre soviétique » en Galicie orientale) non comme une preuve de la barbarie stalinienne, mais comme une précaution à motivation militaire. Représentant 5% des effectifs polonais qui avaient été neutralisés après septembre 1939 puis largement libérés par l’Armée rouge entre cette date et novembre 1941 (400 000 prisonniers ou relégués polonais), 20 000 officiers et dirigeants politiques (soit un effectif supérieur à celui ordinairement présenté, pour les seules exécutions de Katyn) furent classés en russophobes incurables, prêts à tout contre les Soviets. Ils faisaient courir à l’URSS alors confrontée à la dure « guerre d’hiver » contre la Finlande un péril militaire jugé insupportable : elle redoutait l’extension en guerre générale de ce conflit dans lequel le Reich – soutenu par la ligue unanime, de l’Axe aux « démocraties », des ennemis de l’État russe d’après novembre 1917 – avait précipité son alliée finlandaise; elle voyait consécutivement dans ces russophobes acharnés des alliés potentiels notables pour les troupes allemandes qui bientôt franchiraient ses frontières occidentales.
Roberts ne le précise pas, mais la férocité des maux que la germanophilie et la russophobie du régime des colonels polonais, auxiliaires zélés du Reich depuis 1933-1934, avaient récemment contribué à infliger aux États slaves voisins – Tchécoslovaquie en tête – donnait très solide fondement aux soupçons et craintes soviétiques. L’URSS de Staline n’eut, il est vrai, pas le courage politique d’assumer cette décision, exécutée, rappelle Roberts, « non seulement à Katyn mais dans nombre d’autres endroits de la Russie, de la Biélorussie et de l’Ukraine ». On ne peut, pour des raisons tant scientifiques que politiques, que le regretter, comme l’a récemment fait Thomas Kenny dans sa recension de l’ouvrage de Roberts : « hélas, comme un ami sage me l’a écrit : “quel dommage que les Soviétiques n’aient pas eu le courage d’ouvrir leurs archives plus tôt”. Le débat serait clos de nos jours » [14]. D'autant plus que le silence ou les dénégations visaient un dossier dont, à partir de 1943, se saisirent tous les ennemis de la Russie d’après novembre 1917 : le Reich, les Polonais de Londres, puis les « alliés » occidentaux, sans oublier le Vatican, auquel sa haine recuite contre la Pologne n’ôtait jamais la moindre capacité de nuire à la Russie, firent du dossier dit de « Katyn » un brûlot permanent, qui n’a de nos jours rien perdu de sa vigueur.
Que « le débat [soit] clos de nos jours » par l’éventuelle présentation au public des archives du dossier est cependant douteux, comme le prouve a contrario la question des conditions réelles de la prise tardive de Varsovie par l’Armée rouge. Car elles furent pour leur part connues pratiquement depuis l’été 1944, c'est à dire dès la survenue des faits. Roberts montre avec précision que l’Armée rouge ne put entrer dans Varsovie pour des raisons strictement militaires à l'origine : la puissance des regroupements alors opérés dans Varsovie et sa région par la Wehrmacht, chassée du territoire soviétique, excluait formellement, comme l’avait naguère montré Alexander Werth, la libération immédiate ou rapide de la capitale polonaise. Le gouvernement polonais de Londres, qui n’en ignorait rien, comme les alliés occidentaux, avait d’autres préoccupations. Sa virulence antirusse n’avait pas faibli d’un pouce depuis la débâcle immédiate infligée par la Wehrmacht à dater du 1er septembre 1939. Il lança donc à la résistance anticommuniste un ordre d’insurrection qu’il savait prématuré, provoquant l’indignation des Soviétiques placés devant le fait accompli de ces « aventuriers » politiques : il s'agissait uniquement pour ceux-ci d’éviter que l’Armée rouge ne jouât dans la libération de Varsovie un rôle décisif – et qu’elle n’assurât à l’URSS l’influence décisive sur l'avenir politique de la Pologne qui en résulterait immanquablement.
Les alliés occidentaux ne venaient pour leur part d’ouvrir le « second front », à l’Ouest du continent européen, que parce que l’Armée rouge était sortie des frontières (de 1939-1940) du territoire soviétique, et s’apprêtait à repousser la Wehrmacht au-delà, c'est à dire à l’Ouest desdites frontières, dans le « cordon sanitaire » de l’entre-deux-guerres. Ils firent désormais, d'abord clandestinement ou discrètement, puis de plus en plus fort, de la question polonaise un abcès de fixation qu’ils ne cesseraient plus d’entretenir, en tant que de besoin. Cela les conduisit à flatter outrageusement les héritiers des « colonels » et des hobereaux qui s’étaient révélés depuis l’entre-deux-guerres aussi criminels pour leurs voisins que pour leur propre peuple, et à la fin de la guerre aussi irresponsables qu’avant et pendant [15].
Roberts cède parfois aux attraits de la thèse en vogue de « la cour politique » de Staline, « tsar rouge », thèse qu’il a empruntée à autrui et qui, on s’en doute, a trouvé quasi immédiate traduction française [16]. Mais, de fait, il déboulonne surtout l’image du « tyran » décisionnaire unique : il montre au fil des chapitres un fonctionnement collégial de l’exécutif civil et militaire soviétique et la forte tendance de Staline à déléguer pouvoirs et attributions à ceux qui avaient démontré un dévouement sans bornes à la « patrie en danger » – critère prioritaire de son jugement sur les individus de son entourage. Il balaie la thèse de la volonté d’expansion soviétique au profit de la démonstration sur les impératifs, objectifs et subjectifs, de la sécurité soviétique dans la perspective de l’après-guerre – ce qui, hors des manuels d’histoire français, est largement admis – et l’était naguère par tous les historiens sérieux.
Je serai plus longue sur la troisième partie, l’après-mai 1945 ou la Guerre froide, dernière des « guerres de Staline », qui n’occupe que trois chapitres sur douze mais qui prête davantage à débat. Notamment parce qu’elle ne répond pas assez nettement à la question de savoir à quel titre la Guerre froide fut une « guerre de Staline » : y eut-il manipulation de l’appréhension par le peuple soviétique de la guerre dans laquelle le « dictateur » aurait recherché des atouts intérieurs – cœur de la thèse de « l’instrumentalisation » stalinienne chère à l’historiographie dominante française [17]? Erreur d’appréciation de Staline sur la véritable stratégie d’après-guerre de ceux avec lesquels il avait depuis juin 1941 conclu la « Grande alliance »? Ou inversement, craintes anglo-américaines, si infondées soient-elles, de plans expansionnistes soviétiques? Guerre strictement imposée par le grand vainqueur (non militaire) de la Deuxième Guerre mondiale, celle-ci à peine finie, et subie par le grand vainqueur militaire quasi anéanti? Sur cette mise au point, que j’estime préalable à toute étude de la politique soviétique entre 1945 et 1953, les études « révisionnistes » anglo-saxonnes (adjectif, je le rappelle, synonyme de « radicales ») consacrées à la politique américaine vont plus loin que le présent ouvrage. Elles affirment catégoriquement, archives occidentales à l'appui, au contraire de ce que Roberts suggère, que :
1° Washington et Londres n’interprétèrent pas mal la politique soviétique et ne crurent aucunement à une volonté d’expansion là où il n'y avait que recherche de sécurité. Ils comprirent simplement à quel degré de faiblesse l’URSS épuisée par la guerre était parvenue et quel boulevard cette situation leur ouvrait – ou plus exactement ouvrait aux Américains, les Anglais jouant surtout les utilités idéologiques au service de leurs prêteurs et tuteurs. La réalité des rapports américano-soviétiques ou américano-anglo-soviétiques se situe fort loin de la thèse psychologisante de la « défiance » mutuelle ou de l’erreur d’appréciation.
2° Washington ne s’opposait pas aux réparations parce qu’elles auraient mis en danger « la restauration de l’économie européenne après la guerre » qui n’aurait pu se concevoir sans « reconstruction économique » préalable et prioritaire « de l’Allemagne ». Cet argument fut en effet officiellement seriné, mais il servit de simple masque aux objectifs américains réels, qui demeuraient antagoniques avec l’octroi de réparations aux vainqueurs militaires en 1945 pour les mêmes raisons qu’en 1919. Les motifs du veto étaient encore renforcés en 1945 par le fait que le principal vainqueur avait soustrait ses 22,4 millions de km2la propriété privée et à la libre circulation des capitaux – ce qui n’était pas le cas des deux rivaux (et gros débiteurs) français et anglais de 1919. Un apport matériel conséquent de « réparations » aurait bénéficié à des nations rivales (en premier lieu à la France en 1919, en premier lieu à l’URSS en 1945 – sans parler de l’Angleterre et des autres) : il aurait amélioré leur position concurrentielle dans le commerce international et, plus largement, dans l’économie mondiale. Il aurait grandement nui au rendement maximal des capitaux que les Américains projetaient d’exporter comme naguère et dans les meilleurs délais dans le Reich, pays européen au capitalisme le plus puissant et le plus concentré. Ceci sans préjudice des projets d’exportation de ces mêmes capitaux dans tout le reste du Vieux Continent, alors même que, pour en interdire ou en menacer l’accès, la sphère d'influence soviétique venait désormais s’ajouter au territoire de l’Union lui-même agrandi par rapport à l’avant 17 septembre 1939.
3° Moscou n’exagéra pas davantage après 1945 qu’avant les menaces directes que l’impérialisme, désormais placé sous la houlette des États-Unis, faisait peser sur le système socialiste. Dimension militaire incluse : Washington prépara dès la guerre elle-même, comme l’ont montré les travaux de Michael Sherry [18], l’assaut sérieux et définitif non contre l’Allemagne mais contre l’URSS – enjeu décisif pour une économie américaine dont la guerre était au XXème siècle devenu un mode de gestion permanent de la surproduction chronique [19]. Voilà un domaine qui démontre de façon particulièrement nette la faiblesse de la thèse d’une « défiance » mutuelle croissant au fil des étapes chronologiques de la Guerre froide [20].
Sur le problème des relations générales Est-Ouest (ou plutôt Washington-Londres-Moscou) dans l’immédiat après-guerre, Roberts, qui pour la première fois aborde dans un ouvrage cette période, cède donc plus que pour les années antérieures à l’idéologie dominante. Il se situe en retrait par rapport aux « révisionnistes » américains les plus radicaux en accordant crédit aux motivations officielles que les États-Unis donnèrent à leur politique d'emblée et systématiquement antisoviétique. Même trotskistes (donc peu suspects de sympathie pour Staline, sinon résolument hostiles), les « révisionnistes », comme Gabriel Kolko [21], ont démontré, depuis plusieurs décennies, qu’aucune ligne tactique ou stratégique de Staline n’aurait pu épargner à l’URSS la vindicte américaine. Rien n’aurait en effet dissuadé l’impérialisme américain, considérablement enrichi et renforcé par une guerre mondiale dont plus de la moitié des victimes étaient soviétiques, de renoncer à exploiter l’appauvrissement de l’URSS ravagée par cette guerre d’attrition pour parvenir à transformer la modeste « sphère d'influence » soviétique en « sphère d'influence » américaine – sans préjudice de la suite et fin visée, la frappe au cœur même des 22,4 millions de km2soustraits à la libre circulation des capitaux américains.
À la fin des années 1990, Carolyn Eisenberg a démontré, après bien d’autres spécialistes – tel le pionnier de l’analyse des motivations réelles (économiques et strictement américaines) du veto de Washington contre les réparations, Bruce Kuklick [22], dont elle se réclame – , que sur la question allemande, l’URSS fut depuis le 8 mai 1945 en situation perdante. Son influence fut sur le sort de l’Allemagne, et en particulier du cœur industriel de son économie de guerre, la Ruhr, annulée par la mise à bas de ses armes. Depuis ce jour, les États-Unis furent placés en posture de vainqueur à tous coups [23]. La récente synthèse sur Truman d’Arnold Offner [24], faisant suite à une foule d’autres, décrit un rouleau compresseur américain : dès la fin du conflit, les États-Unis pratiquèrent moins le containment (endiguement) de l’URSS, mot d'ordre des gouvernants démocrates devenu officiel à partir de 1946-1947, que le roll back (refoulement – autrement dit la reconquête de la sphère d'influence soviétique), qui servirait en 1952 de programme électoral officiel à l’équipe présidentielle républicaine d’Eisenhower et John Foster Dulles. J’arrête la liste mais on délaisse ici, sur les réparations et sur le reste, l’approche psychologisante qui obère en partie l’analyse finale de Roberts.
Sur les périls mortels que fit précocement courir à la survie de l’URSS la vieille association – héritée de 1918 – entre le vainqueur économique américain de la guerre et le vaincu allemand du front de l'Est (en 1918, de l’Ouest), la description de l’avenir par Armand Bérard, en février 1952, sonne comme une prédiction de Cassandre. Le diplomate français révèle ainsi ce que les décideurs de « Occident » pensaient réellement, en pleine Guerre froide, du rapport de forces au sein de ce trio. Le propos, sincère (et inquiet, non des intentions soviétiques, mais des effets de la puissance germano-américaine), s’inscrit en faux contre les contes à dormir debout que ces décideurs bien informés diffusaient, France incluse, avec un entrain débridé depuis le discours au Congrès de Truman et la conférence de Moscou (mars-avril 1947) à leur « opinion publique » [25].
« La contre-offensive antisoviétique que commencent à déclencher les Américains[…]éveille chez les Allemands l'espoir que la défaite de 1945 n'a été qu'un épisode dans un plus long conflit, qu’aucun traité ne le sanctionnera et que le règlement européen prendra pour base non pas la situation de 1945, mais celle qui résultera de cette contre-offensive. Dès maintenant leurs diplomates[…]et leurs experts militaires manœuvrent pour qu'au moment de ce règlement l'Allemagne se trouve dans la position la plus favorable et tire le maximum d'avantages d'une paix où, pour la première fois, depuis 40 ans, elle prendra place aux côtés des vainqueurs. Ils pensent que des mérites qu'elle se sera acquis dépendra, dans une large mesure, la solution de la question autrichienne et celle des problèmes territoriaux en Europe Centrale et Orientale. Avec l'absence de mesure qui souvent la caractérise, l'Allemagne se précipitera avec ardeur dans la voie indiquée par l'Amérique, si elle acquiert la conviction que la plus grande force est de ce coté et se montrera même plus américaine que les États-Unis ».
La réorganisation territoriale commencerait par la « revendication allemande », désormais tapageuse, du « rétablissement de l'Allemagne dans ses frontières de 1937.[…]Adoptant les thèses américaines, les collaborateurs du Chancelier [Adenauer] considèrent en général que le jour où l'Amérique sera en mesure de mettre en ligne une force supérieure, l'URSS se prêtera à un règlement dans lequel elle abandonnera les territoires d'Europe Centrale et Orientale qu'elle domine actuellement. » [26] Cet avertissement, prophétique à la lumière des bouleversements du statu quo de 1945 intervenus au tournant des années 1980, atteste, comme le reste de la correspondance diplomatique occidentale, que les craintes de Staline sur les conséquences à moyen terme de la puissance conjuguée des États-Unis et du Reich déployée contre la « forteresse assiégée » soviétique relevaient de l’appréciation réaliste, non de la fantasmagorie.
Roberts n’en décrit pas moins un Staline très « dédiabolisé », presque trop aimable avec ceux qui bafouèrent quotidiennement l’URSS victorieuse mais impuissante et violèrent les accords conclus avec elle en 1944-45, encore en temps de guerre. Il lui prête un optimisme quasi naïf, dans les premiers mois de l’après-guerre, sur la capacité du « camp démocratique » à arracher à l’impérialisme quelques avancées notables, tant dans la sphère d'influence soviétique que dans l’américaine. L’interprétation est peut-être erronée (tout le reste de l’ouvrage tend à exclure la naïveté de Staline), mais elle a le mérite de contraster avec la dénonciation des noirs desseins dont nous abreuve en France la fureur fureto-courtoisienne qui n’épargne désormais aucune génération : arme de choix, les manuels scolaires y sont depuis une bonne vingtaine d’années périodiquement remaniés dans un sens de plus en plus violemment antisoviétique [27]. Roberts décrit un Staline respectant scrupuleusement les compromis de 1944 sur la définition des sphères d'influence tandis que, à son grand dam, les enrichis de la guerre ne cessaient de lui disputer la « zone de sécurité » enfin acquise au prix de tant de souffrances et de sacrifices soviétiques.
Une audace indigna particulièrement le leader soviétique dans le deux poids, deux mesures « occidental », le traitement des cas respectifs de la Grèce et de la Pologne : Staline invoqua – aussi régulièrement que vainement – le contraste entre le désintéressement soviétique, qu’il avait promis à Moscou à Churchill en octobre 1944, dans le dossier grec (la Grèce étant incluse en « zone britannique »), et la contestation permanente par les Anglo-Américains du droit que les Soviétiques estimaient avoir entre juin 1941 et mai 1945 gagné, pour un certain temps, à ne plus vivre avec à leur frontière occidentale des dirigeants polonais assez hostiles pour ouvrir avec zèle la route de la Russie à tout envahisseur, y compris au prix de la liquidation territoriale de leur propre pays. Le lecteur trouvera dans les réalités d’aujourd'hui de l’Europe orientale utile réflexion sur l’espoir, longuement décrit, de Staline (et son échec consacré par les dernières décennies) de réaliser une solide union des peuples slaves contre un Reich que, bien avant la fin de la guerre, il savait promis à une reconstitution-éclair par la politique des États-Unis. En lisant les paragraphes consacrés à l’épouvantable sort du peuple grec qui, après avoir si vaillamment résisté à l’occupant allemand, fut livré à la répression féroce des Anglais puis des Américains – successivement affairés à remettre en selle les complices grecs des occupants allemands – , on est tenté de regretter que le respect soviétique du compromis ait été si rigoureux. Mais le reste des chapitres sur l’ère de Guerre froide montre que l’URSS n’avait guère le choix, le rapport de forces général établi en mai 1945 excluant d'emblée que l’Armée rouge pût porter secours aux Grecs assaillis.
Sur la scission de 1949 avec Tito, Roberts insiste sur la condamnation de l’hérétique yougoslave indocile – par opposition au fidèle entre tous, le Bulgare Dimitrov – devant le veto de Staline contre une fédération balkanique que ce dernier jugeait de nature à intensifier les « efforts [occidentaux] de consolidation d’un bloc antisoviétique ». Les archives occidentales apportent là encore un autre éclairage, non idéologique, établissant la responsabilité du leader yougoslave dans la rupture et ses motivations financières : la quête éperdue de crédits américains par Tito eut pour contrepartie une tutelle précoce (bien avant « la chute du Mur ») exercée sur la ligne intérieure et extérieure de son pays par les États-Unis et de l’Allemagne occidentale. Ces deux puissances tutélaires furent quotidiennement secondées par le Vatican, dont la haine antiserbe n’avait jamais faibli depuis la naissance de la Serbie et qui ne cessa pas un jour de servir contre elle avant, pendant (et après) l’ère de l’unité territoriale yougoslave les intérêts de ses ennemis (empire austro-hongrois, puis Reich, puis association entre États-Unis et héritier ouest-allemand du Reich, association qui maintint cependant le second dans le statut de favori).
Ce fut Tito qui neutralisa son propre combat, indéniable, contre le Vatican, en laissant de fait à la « clique Spellman-Stepinac » la liberté, pour cause de prêts en dollars, d’agir contre la Yougoslavie dans ses frontières et au-dehors au service de l’alliance germano-américano-oustachie. « Il y a, dans la question catholique yougoslave, assez de force explosive pour désagréger un jour l'empire slave que Tito a recueilli de la succession des Karageorges », et le PC yougoslave « sent parfaitement ce danger », avait en juin 1947 rapporté G. Heuman, consul de France à Ljubljana [28]. La rupture officielle pour « indépendance » à l'égard de Staline entretint la réputation d’un Tito souverain en masquant la dépendance financière envers les États-Unis dans laquelle ce dernier avait engagé la Yougoslavie. Staline tenta certes avec autorité ou autoritarisme de combattre cette orientation. Mais, outre qu’on puisse douter que la douceur ait été en mesure de lutter contre l’attirance de Tito pour la carotte dollar, Staline, si cassant qu’il se montrât, ne fut pas l’initiateur réel de cette première rupture – économique et de politique extérieure – précocement intervenue dans la sphère d'influence soviétique. C’est à Tito que revint la responsabilité de gérer l’antagonisme entre la dépendance « atlantique » et le maintien des frontières yougoslaves – là où ses prédécesseurs monarchiques avaient dû gérer l’antagonisme entre un Reich rendu à la puissance et la survie de l’État yougoslave. Quoiqu'il en soit, l’explication « idéologique » – Staline aurait visé une tutelle soviétique absolue sur la sphère d'influence soviétique – pèche autant que celle, fort courante, qui consiste, à propos de la guerre d'Espagne, à attribuer l’échec des Républicains à leurs querelles internes [29]. Roberts se rapproche d'ailleurs de la réalité des enjeux en liant le conflit soviéto-yougoslave à l’appréciation par Staline « de la situation internationale toujours plus dangereuse et complexe créée par la Guerre froide ».
Sur l’histoire intérieure de l’URSS après-guerre Roberts oscille entre éloignement net de l’image dominante et rapprochement – la hargne en moins, ce qui n'est pas rien. Il a tendance à imputer les rigueurs politiques de l’après-guerre et « la campagne contre l’Occident » à des tendances « ultra-patriotiques et nationalistes » nées de l’excessif orgueil (hubris) de Staline quant à « la place que la victoire aurait dû accorder à l’URSS dans le monde d’après-guerre. » Mais il ne renonce pas à liquider, comme pour la période antérieure, quelques préceptes de « la guerre de Staline contre son peuple » – cheval de bataille de Nicolas Werth – dans son analyse et son chiffrage de la répression contre les civils et les prisonniers de guerre soviétiques conduite après examen du cas de tous les ressortissants soviétiques ayant été en contact, de quelque type que ce soit, avec l’ennemi allemand.
Le lecteur francophone comparera avec profit la présentation du dossier par Roberts à celle de Nicolas Werth. Ce dernier a consacré dans les nombreux manuels d’histoire contemporaine des concours de recrutement des professeurs d’histoire français (entre 2003 et 2005) auxquels il a participé beaucoup plus de place et d’indignation à l’examen biaisé du sort réservé par l’URSS à ses civils et à ses prisonniers de guerre revenus des camps allemands – traitement qualifié de « “sale guerre” d’une extraordinaire violence » – qu’à la liquidation par la Wehrmacht d’un pourcentage situé entre les 2/3 et les 3/4 des prisonniers de guerre soviétiques tombés (entre 1941 et 1943 surtout) en mains allemandes : aux deux questions le soviétologue français a consacré respectivement plus de trois pages et deux lignes.
La répression qui frappa les Soviétiques revenus dans leur pays après mai 1945 résulta, expose à l’inverse Roberts, d’enquêtes limitées à un double souci, qu’il est permis de juger légitime au terme d’une guerre si coûteuse, plus légitime encore vu les intentions américaines : débusquer « les traîtres et les espions » et s’assurer que les prisonniers de guerre ne s’étaient pas rendus trop facilement aux Allemands, les critères demeurant beaucoup plus sévères pour les officiers supérieurs que pour les soldats. Le chiffrage cité exclut à lui seul la thèse des atrocités soviétiques infligées à des innocents pour fautes imaginaires qui n’auraient, selon Nicolas Werth, germé que dans le cerveau malade des chefs des « “détachements d’extermination” du NKVD » engagés par Staline dans une persécution aveugle de l’Ukraine occidentale (la Galicie orientale anciennement polonaise) ou des Pays Baltes martyrs où « la guerre n’a pas pris fin le 9 mai 1945 » [30]. Relevons d'ailleurs que c’est dans le même chiffrage que celui repris par Roberts que Werth a puisé l’interprétation conforme à son postulat de « la guerre de Staline contre son peuple » : sur 4 millions de personnes (2,66 de civils, un peu plus d’1,5 million d’anciens soldats survivants des massacres allemands), moins de 273 000 furent transférés au NKVD « pour crime ou délit ». Ces sanctions, graduées donc selon les fautes, ne châtiaient pas des griefs forgés pour les besoins de la cause par les bolcheviques, mais des actes bien établis, commis pendant, voire après l’occupation allemande : 1° la collaboration avec l’occupant : « un million de citoyens soviétiques avaient servi les forces armées de l’Axe pendant la guerre, dont la moitié en fonction militaire, le reste comme auxiliaires civils »; 2° la participation, dès la libération des territoires concernés par l’Armée rouge, à l’inexpiable guérilla menée par les éléments antisoviétiques dans les marches occidentales, payée de plusieurs nouvelles dizaines de milliers de morts soviétiques (question évoquée plus loin).
Sur ce point aussi, le travail de Roberts tranche sur la complaisance inouïe de l’historiographie française à l'égard de la collaboration polono-ukrainienne et balte aux pires atrocités, notamment antisémites, de la guerre d’extermination menée par l’Allemagne contre l’URSS (Slaves et juifs mêlés). Par antisoviétisme, la soviétologie française en est arrivée à nier la contribution active d’une fraction des ressortissants soviétiques à « la destruction des juifs d’Europe ». Elle a désormais définitivement opté pour l’équation : Balte ou Ukrainien criminel de guerre – catégorie jugée précieuse par les États-Unis en Guerre froide contre l’URSS et systématiquement recyclée à divers usages [31] – égale héros victime de l’abominable Staline. Se prêtant à une manipulation scientifique, elle assume en outre, surtout à l’heure où le fascisme relève la tête et exalte en Europe orientale les bourreaux vernaculaires de 1941-1945, une lourde responsabilité politique et civique.
Moins solidement documentés sont les trois dossiers de « l’affaire de Leningrad », du « comité juif antifasciste » et du « complot des médecins ». Roberts fournit des éléments documentés contestant le grief d’antisémitisme stalinien universel sous nos climats et, chiffres à l'appui, il réduit considérablement, par rapport à nos usages, l’ampleur de la répression politique conduite sur fond de Guerre froide exacerbée. Mais il n’examine pas sur la base des archives originales l’éventuelle pertinence des accusations portées contre les accusés divers, « sionistes » ou pas, tentés après-guerre par un appui politique sur et par les États-Unis. Or, les archives occidentales (je puis en témoigner personnellement) et soviétiques et les travaux qui en sont issus mettent sérieusement en cause la thèse selon laquelle la répression conduite à partir de 1948 aurait été le fruit essentiel ou exclusif soit de la « croyance[de Staline]dans les conspirations criminelles » soit de sa « paranoïa politique ». Roberts a d'ailleurs tenu compte de ces apports contradictoires avec la thèse des bases « idéologiques » de la répression en livrant le bilan chiffré de la guérilla, soutenue par l’étranger, dans les marches occidentales de l’URSS : « 35 000 cadres militaires et du parti en Galicie orientale tués entre 1945 et 1951; 100 000 ressortissants des Pays Baltes affairés à « empêcher la restauration du pouvoir communiste » – estimation empruntée à des études anglo-saxonnes et à des archives soviétiques récemment publiées (entre 2001 et 2006) [32].
Il faudra dans l'avenir étudier sérieusement dans quelle mesure le masque de la protection des juifs soviétiques a, en URSS même et hors d’URSS, offert aux États-Unis un levier considérable et permanent contre l’État soviétique. Et comment ce tapage de plusieurs décennies, sous Staline et au-delà, a fait oublier aux populations efficacement mobilisées, ici et là, contre les féroces dirigeants de l’URSS que 1° ces juifs n’étaient pas si différents, somme toute, de ceux contre lesquels Washington avait durci ses lois des quotas anti-immigration dans les années trente des persécutions fascistes en Europe non soviétique; 2° Washington violait aussi ses lois de quotas d’après-guerre pour faire entrer librement en territoire américain, en tant qu’auxiliaires du « roll back », les criminels de guerre de l’Europe orientale qui avaient, entre 1939 (ou 1941) et 1945, massacré tant de juifs d’Europe [33].
On peut donc reprocher à l’étude des années de Guerre froide des carences qu’a presque toujours évitées jusqu'alors l’ouvrage et qui proviennent de la non-confrontation systématique de l’analyse soviétique et de la réalité de la politique américaine – démarche qui seule permet de se prononcer sur la question de l’éventuelle « paranoïa » de Staline ou de conclure à sa lucidité. D'autant plus que, dans la tactique américaine de guérilla contre l’URSS, la dénonciation, à propos d’accusations parfaitement fondées, de la paranoïa soviétique fut érigée en système.
La tradition en était née du temps des complots anglais, français, puis allemands contre l’URSS de l’entre-deux-guerres. De ces opérations répétées, passant par le financement de tout élément antisoviétique jugé intéressant, le record fut peut-être détenu dans l’entre-deux-guerres par le grand nazi britannique Sir Henry Deterding, champion toutes catégories de l’anticommunisme pétrolier : aucune agitation en terre caucasienne – « Tchétchénie », aujourd'hui si notoire, incluse – , où sa compagnie, la Royal Dutch Shell, avait à la fâcheuse ère soviétique perdu ses avoirs pétroliers, ne se produisit jusqu'à sa mort (le 4 février 1939 à Berlin, où il s’était installé en 1936) sans qu’il eût loué les services de ses animateurs; il accompagna aussi les Allemands dans tous leurs plans russes, Ukraine comprise, etc. L’impérialisme allemand à l’ère nazie avait constitué en matière de fieffé mensonge ou de religion du démenti formel de son terrorisme d’État quotidien une sorte de modèle achevé. La victime tchécoslovaque constitua à cet égard un cas de figure, au point que l’intoxication allemande antérieure à son dépeçage trouve encore écho chez certains historiens : ils croient par exemple que la mobilisation des 20-21 mai 1938 fut une « provocation inutile[de Prague]contre l’Allemagne » [34].
Les impérialismes concurrents, ceux des pays « démocratiques » n’eurent pas grand chose à envier au Reich de l’entre-deux-guerres en quête d’expansion. Washington fit merveille aussi dans la tactique consistant à ridiculiser un adversaire qu’il s’efforçait par tous les moyens d’affaiblir et d’écraser, à lui imputer les manœuvres et méfaits divers mis en œuvre contre lui et à gloser sur son effondrement assuré pour motifs purement internes : l’inépuisable littérature américaine sur les services secrets en fait foi [35]. Cette ligne privant l’assailli des soutiens que lui aurait peut-être valus la notoriété de pareilles pratiques et mettant les sceptiques et les rieurs du côté de l’agresseur a été si étudiée que l’ampleur de l’entreprise découragerait presque de citer des références. On en trouvera écho dans tous les travaux qui suivent, tels ceux d’Arnold Offner et de Christopher Simpson, déjà cités, de Walter L. Hixson [36], d’Eric Thomas Chester [37], de Thomas G. Paterson – qui a étudié les méthodes terroristes américaines contre les Soviets [38] avant de passer à leur application au cas cubain (en tous points semblable) [39] – et de mille autres. Certes, Roberts présente une bibliographie imposante, mais la référence à ce genre d’ouvrages, puisés aux sources occidentales, aurait convaincu son lecteur que les frayeurs obsidionales soviétiques avaient des fondements objectifs de béton. Ce qui eût entièrement changé la présentation de cette « guerre de Staline » dont ni lui-même ni l’URSS après sa mort ne sortirent victorieux.
L’idée de l’aggravation de la lutte internationale des classes (et de ses profonds effets internes) tant qu’existaient hors de l’URSS et de sa sphère d'influence des impérialismes puissants, nettement plus puissants que « le camp socialiste » des nations les plus éprouvées par la guerre récente (et pour la plupart, fort arriérées naguère), n’était pas une figure de rhétorique. Les analyses du Jdanov de 1947 sur « le camp impérialiste » n’étaient pas moins fondées que sa dénonciation, en juin 1939, d’un consensus de l’« Occident » – démocratique » et fasciste – en vue de la liquidation des Soviets [40]. Staline et les siens avaient eu matière à alarme bien avant l’émergence publique du Pacte atlantique (avril 1949) qui visait, non seulement le contrôle définitif, économique et politique, de l’ensemble de la sphère d'influence américaine de 1945, via l’installation définitive de bases aéronavales dans les « stepping stone countries », mais aussi l’encerclement de l’URSS et de sa sphère d'influence. Washington avait en effet préparé ledit encerclement et le recours au « potentiel militaire que représent[ai]ent en Allemagne de nombreuses générations bien aguerries » contre les « armées russes » – formule de Bonnet en mars 1949 [41] – bien avant que réarmement allemand ne prît un caractère public ou officiel : ses origines américaines remontaient aux années de guerre mêmes et les étapes de sa réalisation, sous la houlette des États-Unis, au jour même de la capitulation sans condition [42]. L’assaut fut programmé bien avant la guerre de Corée, qui ne « commença[pas]par une invasion nord-coréenne de la Corée du Sud en juin 1950 » – formule reprise à la vulgate occidentale, que le grand journaliste-historien I.F. Stone avait démentie précocement [43]; mais qui, surtout, permit enfin à Washington de mettre en œuvre la résolution NSC-68 d’avril 1950 requérant un développement considérable des dépenses militaires, seul susceptible de résoudre la crise américaine de surproduction en cours depuis deux ans [44].
Le descriptif de ce qui ne fut qu’une réplique de l’URSS à l’immixtion américaine tous azimuts dans ses affaires intérieures et extérieures, nécessitait des précisions au moins bibliographiques sur les capacités réelles d’intervention de Washington dans la sphère d'influence soviétique et en URSS avant même la fin de la guerre – intervention directe ou via les auxiliaires, tel le Vatican, partenaire décisif et irremplaçable dans cette partie de l’Europe au moins autant que dans la sphère d'influence américaine. Des décennies de recherche m’ont convaincue qu’il n'y a pas eu plus de paranoïa soviétique après qu’avant mai 1945, mars 1946 (le discours de Churchill à Fulton) ou mars 1947 (celui de Truman au Congrès), et que l’URSS abattue par quatre ans de destructions est demeurée après la capitulation allemande une « forteresse assiégée ». C’est Washington qui menait désormais contre le premier pays ayant décidé l’abolition de la propriété privée des moyens de production et d’échange la coalition que Londres (et Paris) avai(en)t dirigée dans les années 1920, puis à son tour le Reich dans les années trente et celles de la guerre. Roberts le suggère d'ailleurs en lui-même en montrant que Staline passa d’un optimisme raisonné, entre la fin de la guerre et les mois qui la suivirent, à un pessimisme marqué sur les relations avec l’Occident dirigé désormais par les Américains : pourquoi donc son « hubris » aurait-il cédé entre 1944 et l’été 1945 de Potsdam?
Il n'en reste pas moins que, sur le Staline (et l’URSS) des années 1939-1953, je n’ai pas souvenir d’avoir lu de travail universitaire aussi honnête, sérieux et indifférent au qu’en dira-t-on (c'est à dire à l’historiographie occidentale dominante) depuis que j’ai fait de l’histoire des relations internationales mon métier – et particulièrement depuis la généralisation à l’ensemble de l’Europe, au cours des années 1980, de la chape de plomb réactionnaire. De même que je n’ai sur la décennie antérieure rien lu de plus honnête et sérieux que les travaux de Michael Carley qui ont débouché sur l’ouvrage 1939, auquel j’ai proclamé toute ma dette dans Le choix de la défaite. Bref, Roberts s’est livré à un bel exercice de courage intellectuel en résistant à la marée antisoviétique qui a recouvert le champ de la « soviétologie » internationale (et submergé la française). Il nous porte à mille lieues des imprécations non documentées de l’historiographie qui règne chez nous depuis le milieu des années 1990. Il aura notablement contribué à donner satisfaction posthume à la revendication d’histoire honnête d’Alexander Werth qui – la différence de son fils Nicolas, porté toujours plus loin au fil des décennies vers la diabolisation de Staline et vers l’indulgence à l'égard de tout label antisoviétique – aima l’URSS de la « Grande Guerre patriotique » et estima grandement son leader « aux nerfs d’acier » (formule empruntée au maréchal Joukov). À lire les 468 pages consacrées au chef politique et militaire qui avait montré depuis son accession au pouvoir suprême un dévouement total au système socialiste et à la « patrie soviétique », on a la conviction que le peuple soviétique, en le pleurant en mars 1953, démontra non son hébétude, mais son intelligence politique, et lui manifesta une gratitude légitime.
Un éditeur français s’honorerait en décidant de faire traduire et de publier le livre de Roberts. Peut-être d'ailleurs le tapage sur le loup-garou commence-t-il à être jugé pesant par au moins une fraction de la population française soucieuse d’information, lassitude susceptible de rendre l’opération rentable.
[2] Stéphane Courtois, Nicolas Werth et al., Le Livre noir du communisme, Paris, Robert Laffont, 1997.
[3] Exemples significatifs entre tous: 1° le dossier consacré en mars 2003 par Le Monde au cinquantenaire de la mort de Staline ; 2° l’émission de la chaîne 6 du groupe allemand Bertelsmann sur « Staline, le tyran rouge » qui a reçu la caution du Ministère de l'éducation nationale et de l’association des professeurs d’histoire et géographie, et a eu pour conseiller historique Nicolas Werth, diffusée le 13 mars 2007.
[4] Jonathan Haslam, The Soviet Union and the struggle for collective security in Europe, 1933-1939, Londres, Macmillan Press Ltd, 1984, p. 138-139 (« The year of the Terror, 1937 », p. 129-157).
[5] Critique d’Haslam et présentation du dossier Toukhatchevski, Annie Lacroix-Riz, Le Choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930, Paris, Armand Colin, 2eéd., 2007, p. 393-399.
[6] Arno Mayer, Les Furies, 1789, 1917, Violence vengeance terreur aux temps de la révolution française et de la révolution russe, Paris, Fayard, 2002
[7] « Classification[qui…]a surtout représenté un instrument par lequel la radicalisation a pu s’opérer, au détriment de groupes disqualifiés dans le jeu des luttes politiques, ceci hors de toute réalité politique », Jean-Clément Martin, titulaire de la chaire de Paris I (naguère fief marxiste), « Les mots de la violence : les guerres révolutionnaires », in Stéphane Audoin-Rouzeau et al., dir., La violence de guerre 1914-1945, Bruxelles, Complexe, 2002, p. 28-42, citation p. 29, et Contre-révolution, Révolution et Nation, France, 1789-1799, Paris, Seuil, 1998.
[8] Sur la recherche d’alliance depuis les débuts de la décennie, et même la décennie précédente, voir aussi les ouvrages cités n. suiv.
[9] Michael Jabara Carley, 1939, the alliance that never was and the coming of World War 2, Chicago, Ivan R. Dee, 1999, p. 236-241 (traduction, 1939, l’alliance de la dernière chance. Une réinterprétation des origines de la Seconde Guerre mondiale, Les presses de l’université de Montréal, 2001) ; sur le cas français, Le Choix, chapitre 11.
[10] Alexander Werth, La Russie en guerre, Paris, Stock, 1964, p. 19-20.
[11] On aura une idée de l’atmosphère irrespirable que font régner les maîtres absolus du champ historiographique français en lisant mon article « Complément à la bibliographie de capes-agrégation 2003-2005 parue dans Historiens et Géographes n°383 », La Pensée, n° 336, octobre-décembre 2003, p. 137-157 (Historiens et Géographes est la revue de l’APHG (association des professeurs d'histoire et géographie) mentionnée à la n. 3).
[12] Jean-Jacques Becker, « Retour sur la comparaison et réflexion sur les héritages », in Stéphane Audoin-Rouzeau et al., dir., La violence de guerre 1914-1945, Complexe, Bruxelles, 2002, p. 333.
[13] David M. Glantz et Jonathan M. House, When Titans Clashed: How the Red Army Stopped Hitler, University Press of Kansas, 1995.
[14] « An honest book by a bourgeois historian », Socialist Voice (mensuel du parti communiste d'Irlande), avril 2007, traduction par moi-même.
[15] Sur la virulence russophobe et tchécophobe et l’obséquiosité germanophile des dirigeants polonais de l’entre-deux-guerres, Le Choix, passim (index, Pilsudski, Beck, Radziwill) ; sur leur irresponsabilité, et sur les fureurs vaticanes, Le Vatican, passim, dont chap. 10-11.
[16] Simon Sebag Montefiore, Stalin, The Court of the Red Tsar, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 2003, promptement traduit en Staline, La cour du Tsar rouge, Paris, Éditions des Syrtes, 2005.
[17] Voir par exemple, pour les années trente, la thèse, erronée, de la peur de la guerre manipulée par Staline, de Sabine Dullin, Des hommes d’influences. Les ambassadeurs de Staline en Europe 1930-1939, Paris, Payot, 2001.
[18] Preparation for the next war, American Plans for postwar defense, 1941-1945, New Haven, Yale University Press, 1977; The rise of American Air Power: the creation of Armageddon, New Haven, Yale University Press, 1987; In the shadow of war : the US since the 1930’s, New Haven, Yale University Press, 1995.
[19] Problématique au cœur de la synthèse de Jacques Pauwels, Le Mythe de la bonne guerre : les USA et la Seconde Guerre mondiale, Bruxelles, Éditions Aden, 2005 (et de sa bibliographie).
[20] On trouvera en français dans le CV de mes travaux nombre de publications dont les intitulés sont consacrés (explicitement) à ces questions, www.historiographie.info et comportant une bibliographie américaine abondante (complétée dans les ouvrages américains récents, tel celui d’Offner, déjà cité).
[21] Entre autres, Joyce et Gabriel Kolko, The Limits of Power. The World and the United States Foreign Policy 1945-1954, New York, Harper and Row, 1972).
[22] American Policy and the Division of Germany. The clash with Russia over Reparations, Cornell University Press, Ithaca, 1972.
[23] Drawing the Line. The American decision to divide Germany, 1944-1949, Cambridge University Press, 1996.
[24] Another Such Victory: President Truman and the Cold War, 1945-1953, Stanford, CA, Stanford University Press, 2002, Relevons pour mémoire, vu les circonstances présentes, qu’on y trouve une analyse détaillée de la provocation permanente contre les Soviets que constitua la politique iranienne – strictement pétrolière – de Washington après la guerre et surtout à partir du début de 1946. Offner nous rappelle que les États-Unis n’ont pas découvert l’Iran quand les Anglais les ont suppliés de les aider à vaincre Mossadegh et quand ils ont combattu ce dernier avec leur (richissime) laquais, le Shah Reza Pahlavi : ils n’ont en 1953 que remporté la victoire définitive qu’ils avaient solidement amorcée en 1946 en compagnie d’un des prédécesseurs de Mossadegh et avec l’aide du même Shah.
[25] Sur cette phase de l’intoxication efficace jusqu'à la mort de l’URSS, Annie Lacroix-Riz, « 1947-1948. Du Kominform au “coup de Prague”, l'Occident eut-il peur des Soviets et du communisme? », n° 324, août-septembre 1989, Historiens et Géographes, p. 219-243.
[26] Tél. Bérard n° 1450-1467, réservé, Bonn, 19 février 1952, Europe 1949-1955, vol. 22, CED, janvier-avril 1952, MAE ; la citation complète montre les angoisses que ces perspectives éveillaient chez ce haut fonctionnaire spécialiste de l’Allemagne, cf. Annie Lacroix-Riz, « La France face à la puissance militaire ouest-allemande à l'époque du Plan Pleven (1950-1954) », Cahiers d'histoire de l'institut de recherches marxistes, n° 45, 1991, p. 95-143.
[27] Analyse des débuts du phénomène par l’historienne américaine Diana Pinto, après lecture des manuels français d’histoire du secondaire de la cuvée 1983, « L'Amérique dans les livres d'histoire et de géographie des classes terminales françaises », Historiens et Géographes, n° 303, mars 1985, p. 611-620 ; sur la suite, Annie Lacroix-Riz, L’histoire contemporaine sous influence, Pantin, Le temps des cerises, 2004.
[28] Dépêche 75, Ljubljana, 25 juin 1947, Europe Yougoslavie 1944-1960, vol. 35, Questions religieuses, relations avec Saint-Siège octobre 1946- juin 1947, archives du ministère des Affaires étrangères (MAE), et sur la question serbe depuis l’avant 1914, mon ouvrage Le Vatican, l'Europe et le Reich de la Première Guerre mondiale à la Guerre froide (1914-1955), Paris, Armand Colin, rééd., 2007
[29] Le lecteur curieux sera fixé en lisant les archives allemandes publiées, Documents on German Foreign Policy, Series D (1937-1945), vol. III, Germany and the Spanish Civil War, 1936-1939, USGO, Washington, 1950 (et Le choix, chapitre 7).
[30] Nicolas Werth, « La société russe en guerre », in Omer Bartov et al., Les sociétés en guerre 1911-1946, Paris, Armand Colin, p. 144-148 ; citations, p. 144-145 (je renonce à la liste de ses autres contributions, identiques, à la préparation de ce concours).
[31] Tom Bower, Blind eye to murder. Britain, America and the purging of Nazi Germany, a pledge betrayed, London, André Deutsch, 1981 ; Christopher Simpson, Blowback. America’s recruitment of Nazis and its effects on the Cold War, New York, Weidenfeld & Nicolson, 1988. Voir l’obligeante et précoce (1944) contribution suédoise au recyclage américain des « réfugiés baltes en Suède », Annie Lacroix-Riz, L'économie suédoise entre l'Est et l'Ouest 1944-1949: neutralité et embargo, de la guerre au Pacte Atlantique, L'Harmattan, 1991, p. 45 et 49.
[32] Sur la complicité du Vatican à cette guerre soutenue par Washington de l’après-guerre allemande, Le Vatican, chapitres 10 et 11.
[33] Juste pour éclairer ces allusions : David Wyman, L’abandon des juifs. Les Américains et la Solution finale, Paris, Flammarion, 1987 (édition américaine, 1984), Peter Novick, L’holocauste dans la vie américaine, Gallimard, Paris, 2001(édition américaine, 1999), et Christopher Simpson, Blowback, déjà cité.
[34] Le choix de la défaite, index, Deterding, et sur l’épisode tchécoslovaque, p. 428 et n. 36, p. 617 (et passim).
[35] Voir par exemple Burton Hersh, The old boys : The American Elite and the origins of the CIA, New York, Scribners, 1992
[36] George F. Kennan: Cold War iconoclast, New York, Columbia University Press, 1989, et Parting the Curtain: Propaganda, Culture and the Cold War, 1945-1961, New York, St. Martin's Press, l997.
[37] Covert network, Progressives, the International Rescue Committee and the CIA, Armonk, New York, M. E. Sharpe, 1995
[38] Soviet-American Confrontation, Postwar Reconstruction and the Origins of the Cold War, The John Hopkins University Press, Baltimore, 1973; On every front: the making of the Cold War, New York, 1979; Meeting the communist threat, Truman to Reagan, New York, Oxford University Press, 1988.
[39] « Fixation with Cuba: the Bay of Pigs, Missile Crises and covert war against Fidel Castro », in Paterson, dir., Kennedy’s quest for victory, American Foreign Policy, 1961-1963, Oxford University Press, 1989, Oxford University Press, 1989
[40] Sur sa dénonciation des intentions malignes de Paris et Londres mitonnant un accord avec le Reich aux dépens de l’URSS qu’ils traitaient, tout en faisant mine de rechercher un accord avec elle, en « valet de ferme qui porterait tout le poids des engagements sur ses épaules », Lacroix-Riz, Le Choix, Paris, Armand Colin, 2eédition, 2007, p. 491
[41] Tél. Bonnet n° 1212, Washington, 19 mars 1949, MAE, Z Europe Généralités 1944-1960, vol. 26, Pacte Atlantique, 10-31 mars 1949, archives du MAE.
[42] Ajouter aux travaux de Michael Sherry, déjà cités, Preparation for the next war; The rise of American Air Power; In the shadow of war, Albert Resis, « Spheres of Influence in wartime Diplomacy », Journal of Modern History, vol. 53, septembre 1981, p. 417-439, et Annie Lacroix-Riz, « Sécurité française et menace militaire allemande avant la conclusion des alliances occidentales: les déchirements du choix entre Moscou et Washington (1945-1947) », relations internationales, n° 51, automne 1987, p. 289-312; «Vers le Plan Schuman: les jalons décisifs de l'acceptation française du réarmement allemand (1947-1950)», guerres mondiales et conflits contemporains, 1989 (« I. De la reconstruction prioritaire au réarmement», n° 155, juillet 1989, p. 25-41); « II. Paris et le projet américain de réarmement de l'État allemand », n° 156, octobre 1989, p. 73-87 ; « La France face à la menace militaire allemande au début de l'ère atlantique: une alliance militaire redoutée, fondée sur le réarmement allemand (1947-1950) », Francia, vol. 16, cahier n° 3, mai 1990, p. 49-71.
[43] Citation de Roberts, p. 364: sur les réalités de la guerre de Corée, Stone I.F., The hidden history of the Corean War, New York, Monthly Review Press, 1971 (1eédition 1952), et, sur la base des archives désormais, Jon Halliday et Bruce Cumings, Korea : The Unknown War, Pantheon Books, New York, 1988; Bruce Cumings, The Origins of the Korean War, vol. I: Liberation and the Emergence of Separate Regimes, 1945-1947, vol. 2, The Roaring of the Cataract, 1947-1950, Princeton University Press, 1981 et 1990 (et pour en avoir une idée, en français: Bruce Cumings, « Mémoires de feu en Corée du Nord », Monde diplomatique, décembre 2004, p. 22-23).
[44] Voir, outre les travaux « révisionnistes » déjà cités, Annie Lacroix-Riz, « La France face à la puissance militaire ouest-allemande à l'époque du Plan Pleven (1950-1954) », n° 45, 1991, p. 95-143 ; « La perception militaire de l'URSS par l'Occident au début des années cinquante: peur de l'Armée rouge ou "ogre soviétique"? », n° 46, 1991, p. 19-61.