Face à la modernité, les civilisations diffèrent et ne se valent pas, par Quynh Delaunay
Le débat sur les civilisations a intéressé la communauté scientifique, en Europe et aux États-Unis, durant les XIXe et XXe siècles. Il a enrichi les sciences sociales, notamment parmi les philosophes, les historiens et les sociologues. Il a créé aussi de nouvelles branches du savoir dont l’ethnographie. En contribuant à la connaissance des autres peuples de la terre, il a permis de comprendre notre propre histoire et notre propre civilisation. Il nous en a révélé la richesse et l’exceptionnalité, le désir de les défendre, sans pour cela mépriser les autres, bien au contraire. Il nous aide à comprendre les difficultés auxquelles se heurtent les peuples qui, dans la mondialisation actuelle, se trouvent confrontés à la nécessité d’importer le modèle de production et de consommation que le développement du capitalisme industriel et financier, invention de la modernité occidentale, leur impose. Il appartient à cette partie de la culture politique à laquelle chaque personne, soucieuse de comprendre le mouvement du monde contemporain, devrait s’intéresser.
Ce débat si riche et si exigeant, si passionnant, s’enlise aujourd’hui dans des dénis, par l’obsession d’une fausse tolérance et d’une morale sûre d’elle-même. D’interrogation scientifique, il est devenu inquisition, conformisme intellectuel, mauvaise foi, infantilisme et bien-pensance de gauche. Il est idéologie. C’est la raison pour laquelle, tout débat qui ne lui serait pas conforme est impossible sinon interdit dans un journal comme L’Humanité où le comité de censure de la Tribune des idées et débats n’autorise, dans ce domaine, que des publications indolores, inodores et sans saveur, adaptées à sa vision bisounours du monde. Cet article a pour vocation de réactiver cette interrogation et de montrer son actualité politique.
Les civilisations se différencient par la combinaison de trois dimensions : la religion (Max Weber), la civilisation matérielle [(blé/riz/maïs, nomade/sédentaire, ovins/porcins, techniques (Braudel)], la civilisation des mœurs [communauté/société (Tönnies), monogamie/polygamie (Duby), contrôle des affects/logique de l’honneur et pulsions (Élias)]. Au sein des grandes aires de civilisation, chaque société comporte des spécificités liées à son histoire, faite d’échanges, de rencontres et d’expériences, qui lui forgent son identité. Elle produit sa propre culture.
Les civilisations, que la mondialisation capitaliste oppose brutalement, sont très différentes les unes des autres, même si elles sont l’expression d’une commune humanité et d’une richesse spirituelle diversifiée. Mais sous prétexte que le capitalisme est la cause de souffrances dans les confrontations actuelles, il serait vain de refuser qu’elles puissent être l’objet d’analyses, de classements et de choix. Il s’agit moins de les mettre en compétition pour les places dans un musée (où elles se valent toutes), que d’évaluer leur distance par rapport à la modernité du système économique dominant, afin de souligner les violences que les sociétés traditionnelles subissent en s’imposant un rythme de développement étranger à leur culture et à leurs capacités à l’adopter. Ce système possède trois autres composantes intrinsèquement liées, le politique, le sociologique et le culturel, qui en accentuent la distance.
Les grandes zones de civilisations se sont différenciées très tôt. Tous les hommes ont commencé par être des chasseurs-cueilleurs. Dans la fusion avec la nature, source de leur existence, ils nourrissaient un rapport identique au surnaturel, qu’ils traduisaient par la notion d’esprits avec lesquels ils se situaient dans des échanges réciproques négociés. C’est la phase de l’animisme, une étape de l’humanité, une expérience générale de l’esprit humain.
Sa sortie fut favorisée par le progrès économique, social et intellectuel, et la constitution des grands empires. En effet, avec une plus grande maîtrise de la nature, les hommes se sont posé la question de leur existence. Ils se sont posé la question du salut individuel et se sont interrogés sur les inégalités sociales que l’animisme ne pouvait expliquer. Les « nouvelles religions » ont visé le salut dans l’au-delà et non plus le confort ici-bas, Elles ont codifié l’obéissance à des lois supra-mondaines et universelles, cette observance des règles éthiques devant constituer, après la mort, le critère de rétribution des âmes.
Deux grands groupes de religions se détachent : celui des religions monothéistes prêchant un Dieu unique, avec un au-delà différencié (paradis/enfer) et une résurrection finale, et celui des religions karmiques (Inde et Extrême-Orient), fondé sur la croyance en un karma ou bilan des mérites et démérites de chacun, la vie étant une étape dans la roue des existences faites de renaissances déterminées par le poids du karma, jusqu’au nirvana ou absorption dans l’âme universelle. À ces deux groupes, on ajoutera celui de la Chine, dans un entre-deux, ni Dieu ni karma, mais la poursuite d’une fusion avec la nature (taoïsme) et la croyance dans un ordre social qu’il conviendrait de respecter car il serait le reflet de l’ordre du Ciel (confucianisme). Le bonheur est à trouver sur terre, la longévité étant le moyen d’en prolonger la jouissance. Ces religions se sont toutes construites en référence au bien et au mal. Elles sont source de vie morale.
Entre le VIIe et le Ve siècle (av. J.C.), s’établit « l’âge axial de l’humanité » (Jaspers, 1889-1969), âge décisif dans la divergence des trajectoires des civilisations en lien avec les religions. Cette période marquera de son empreinte les grands empires qui, progressivement, remplaceront les royaumes morcelés : Perse, Inde, Chine, Grèce. Dans ces empires, les pouvoirs se centralisent sur des territoires de plus en plus vastes. Leurs sujets relèvent d’une même entité multiethnique qui cherche à s’unifier en renforçant l’unicité des lois, de l’administration, de la langue, et à étendre leur influence au-delà de leur territoire. Les « nouvelles religions » optent d’emblée pour le principe d’universalité. Cette période constitue le début d’un tournant majeur dans l’évolution des sociétés humaines (Lenoir). Elle décide de leurs parcours idéologiques et intellectuels qui les mènent, les uns vers la conception de l’individu comme acteur de son destin et de son milieu (conception individualiste), les autres vers la conception du tout devant régir le sort de l’individu au sein d’une totalité (conception holiste). Le premier parcours correspond à l’entrée de la Grèce archaïque dans l’ère classique. Le deuxième fut adopté par les autres dont l’Inde et la Chine, avec des nuances entre ces deux grands pays, le premier marquant cette totalité d’une profonde empreinte religieuse, le second la sécularisant dans le culte de l’empereur, fils du Ciel trônant au sommet de l’ordre social, reflet de l’ordre cosmique.
Ces religions aboutirent à des visions du monde avec, soit l’objectivation de la nature et sa laïcisation (Grèce), soit le maintien du cordon ombilical avec elle (les autres sociétés). Par la philosophie, les Grecs cherchèrent les moyens d’établir la vérité (raison et démocratie) opposée à une morale fondée sur l’argument d’autorité (textes sacrés, statut social). Tout comme les techniques qui furent objets d’échanges, dès le début des sociétés humaines, les religions et les philosophies sortirent de leur pays d’origine, pour aboutir à de grandes aires de civilisation, regroupant des sociétés qu’elles marquèrent de leur influence.
L’Occident chrétien reçut des Arabes l’héritage intellectuel des Grecs. Il reçut aussi des techniques, notamment de la Chine lointaine. Ces échanges y donnèrent lieu à des découvertes majeures, dont la pensée scientifique et technique moderne, et à des transformations sociales radicales, alors que les Arabes ne profitèrent pas de l’héritage grec et laissèrent la Renaissance à l’Occident. De la même façon, l’avance technique chinoise ne se transforma pas en pensée scientifique moderne. Pour quelles raisons ?
Les réponses se résument ainsi : en Europe occidentale, il existait une classe bourgeoise industrieuse encourageant les avancées techniques, un espace de liberté au sein des villes où elle pouvait se développer, un intérêt pour la pensée scientifique comme condition de son émancipation, une idée du droit venant de Rome et enfin, à travers le christianisme (héritier lui-même des courants de pensée du bassin méditerranéen, dont le stoïcisme grec), une dualité des mondes, celui de Dieu qui reconnaît l’individu et son libre arbitre, et celui des hommes où la foi n’interdit pas d’agir (et où, même selon Max Weber, elle susciterait l’action comme glorification de Dieu). La référence au royaume de Dieu fut une force motrice : l’utopie socialiste en fut la version laïque. Ailleurs, les structures sociales et les mentalités ont empêché les sociétés de faire fructifier les échanges. Aujourd’hui, elles pèsent sur leur entrée dans la modernité.
Grâce à un travail sur les héritages et les emprunts, à une histoire particulière de la raison (Habermas), l’Occident acquit les valeurs de la modernité (rationalité, laïcité, égalité des sexes, liberté de pensée et d’expression, dignité des femmes, monogamie, public/privé, démocratie). Deux phénomènes s’y sont combinés : d’une part, la création progressive des royaumes d’Occident et leur développement politique, économique et sociologique spécifique, puis leur essor technique et scientifique à partir de la Renaissance, sur la base d’un long travail intellectuel au cours d’un Moyen-Âge moins immobile qu’on le croit (Koyré, Gille) ; d’autre part, une intense activité intellectuelle d’interprétation et de compréhension des textes religieux ou savants, de critique des idées courantes, mais surtout un effort d’émancipation par rapport au religieux, en intégrant les découvertes de la science à leur vision du monde. C’est en Occident qu’est née la science moderne, fruit du péché d’Adam, alliant observation, hypothèse, expérimentation, recherche de preuve, mathématisation de la nature. Si tous les peuples connaissaient les mathématiques, - certains même y furent brillants -, elles ne les aidèrent à la production de la science moderne. Celle-ci dut son émergence à des faits beaucoup plus complexes, dont, entre autres, les structures sociales et la conception de l’homme et de ses rapports au monde.
En effet, si on admet, à la suite de Feuerbach et de Marx, que Dieu résulte d’une création de l’homme dans son aliénation aux forces naturelles et sociales, on admettra que l’homme créé par Dieu (à son image dans le christianisme), n’est autre que celui qu’il a créé lui-même, à partir de la représentation qu’il avait de lui et de sa place dans la société. Par conséquent, avec Max Weber, ou plus particulièrement avec Louis Dumont (1987), on dira que l’homme occidental, chrétien et individualiste, doté de libre arbitre, tirant son esprit de révolte du message divin lui-même (cf. Thomas Münzer, in Ernst Bloch), est très différent de celui des sociétés non-européennes, holistes ou simplement soumises à la domination du message sacré et/ou à la hiérarchie sociale (confucianisme), au non-sens de la vie (hindouisme, bouddhisme), et marquées par les relations de communauté et non de société (Tönnies, 1922). Poser la question des civilisations dans des termes scientifiques permet de comprendre le malaise des populations que la mondialisation jette les unes contre les autres, sans préparation et sans aménagement concret des moyens de la rencontre.
Le modèle de développement qui s’impose aujourd’hui à la planète est celui du capitalisme occidental, plébiscité par les populations du point de vue de la consommation (confort matériel, système de santé, communication), mais impossible à suivre, du point de vue de la production (structures sociales inadaptées, absence de capitaux, habitudes de travail, mentalités rurales) et destructeur du point de vue de la société (pollution, croyances, traditions, bouleversement des hiérarchies de pouvoir et des réseaux familiaux et sociaux, ébranlement de la domination masculine, visibilité des femmes). L’hostilité anti-occidentale que l’on observe dans plusieurs endroits de la planète vient aujourd’hui de l’impuissance des sociétés traditionnelles à résoudre ces contradictions. Elles sont entraînées malgré elles dans le sillage du modèle occidental, alors qu’elles sont dépourvues des moyens de l’atteindre. C‘est par le biais du système de valeurs que des groupes sociaux, religieux et/ou conservateurs, dénoncent le modèle, quand bien même ils ne renonceront jamais à la consommation de la voiture, de l’avion, du train, du confort matériel, des soins médicaux et de bien d’autres choses. On perçoit un peu mieux ce que veut dire le choc des civilisations, mot lancé par Huntington (1993) sans grand contenu. Dans l’histoire de l’humanité, ce choc a toujours existé lors de leur rencontre. Celle-ci a donné lieu à des échanges fructueux mais souvent s’est faite dans la violence. Aujourd’hui, si les armes constituent encore le moyen de la domination, c’est dans le système économique que réside l’essentiel du pouvoir.
En Europe, les populations sont confrontées, elles aussi, à ce choc, avec plus ou moins de brutalité, selon la capacité de la société d’accueil à le comprendre et à l’adoucir. C’est souvent sur le plan de la consommation et non de la production (du travail) que les différences sont perçues. Issues d’aires de civilisation extra-européenne, ces populations apportent leurs habitudes, leur rapport à l’espace, aux femmes, leurs codes de politesse, leur vision du monde. La plupart du temps, leurs sociétés d’origine sont rurales, pauvres et frustes, d’où des façons de vivre étrangères au mode de vie de la société d’accueil (famille étendue/cohabitation, bruit et exubérance, crachat comme hygiène de la gorge et des poumons et/ou comme manifestation de mépris, appropriation privative de l’espace public) et le maintien des valeurs traditionnelles (importance du sacré, discrimination sexuelle, communautarisme, distance par rapport aux institutions nationales – police, justice, ordre public -).
Le changement quantitatif de la population, dans certains quartiers, peut atteindre un seuil où des modifications touchent à des aspects qualitatifs de la civilisation. En France, le retour des débats sur la laïcité et les valeurs républicaines, clos depuis un siècle, après des décennies de luttes politiques et sociales, en porte témoignage. Difficiles à aborder sont les domaines où les différences sont plus délicates à saisir et à exprimer, car elles touchent au niveau de développement, et par voie de conséquence, au cœur de la civilisation et de la culture. Elles concernent pour une grande part le sort réservé aux femmes. Quant aux gestes élémentaires de la vie (manger, boire, se loger, se vêtir), ils s’accompagnent toujours d’une forte composante symbolique que des dénis volontaires ou une cécité idéologique passent sous silence. Ils renvoient aux trois dimensions de la civilisation (religion, matériel, mœurs) que chacun porte en lui.
L’école de la IIIe République, dans la période de la construction de l’État républicain et de la transformation de la société, a su unifier la France autour des aspirations au progrès et à la connaissance, dans un contexte de diffusion des découvertes scientifiques (mécanique, électricité, chimie, biologie) et de leur application à la vie économique et sociale. Cette unification s’est faite dans l’apprentissage d’une langue commune, le français, véhicule des valeurs républicaines, de l’héritage culturel, littéraire et artistique, et des connaissances scientifiques. Malgré ses limites historiques, cette école a permis à tous de bénéficier des apports de la science et de la technique, de prendre connaissance des règles d’hygiène, participant à l’élévation de l’espérance de vie. Elle a contribué à la modification sociologique de la France, par le biais de la promotion sociale.
Aujourd’hui, dénoncée de toutes parts, elle montre son impuissance à poursuivre dans cette voie. À l’égalité des chances, une source de stimulation et d’efforts, elle a substitué l’égalitarisme des contenus et des résultats, une gageure pour une société complexe, évoluée, individuée et diverse dans ses capacités. Le français, langue de Descartes et moyen de communication entre les membres d’une même société pour l’analyse du présent et pour l’appropriation du passé, ne constitue plus sa priorité. Au demeurant, son apprentissage passe par une bizarrerie pédagogique, présentée comme une innovation révolutionnaire, se rapprochant de celui, global, du chinois, langue monosyllabique et idéogrammique, fondée souvent sur des références symboliques imposant le par-cœur, alors que sa propre construction repose sur une combinaison polysyllabique à partir d'un alphabet de vingt-six lettres, nécessitant des outils analytiques pour son déchiffrage et pour la compréhension de sa syntaxe et de sa grammaire. À l’unité de la langue et de la culture, facteur du rassemblement de la population dans une même civilisation, l’école (et un courant de la société) prône le relativisme culturel, écartant les populations immigrées des transformations mentales nécessaires, indissociables de la révolution technologique de notre époque, en les enfonçant dans des comportements peu adaptés à la société moderne qu’est la France du XXIe siècle, pour les épingler ensuite comme différentes.
Si les problèmes des valeurs sont assumés par la République, à travers l’affirmation de la laïcité et la lutte contre des pratiques extra-légales trop visibles, le « choc des civilisations », au quotidien, est laissé à la charge des individus les plus modestes et les plus captifs de leur habitat. Ce n’est qu’avec les faits divers qu’il est révélé au public, lors des événements graves se déroulant dans certains quartiers (tournantes, assassinats de jeunes filles, mariages forcés).
Croire que les classes populaires ne possèdent qu’un ventre que les responsables politiques auraient seulement pour charge de remplir témoigne d’un profond mépris à leur égard et d’une grande ignorance de leurs problèmes. Certes, ceux du chômage, de l’emploi, de la santé, de la retraite et du pouvoir d’achat apparaissent dans la liste de leurs priorités. Cela ne veut pas dire pour autant que l’avenir de la France dans la mondialisation les laisse indifférentes. Pour une grande partie des Français, la nation demeure encore le repère d’une histoire au sein d’une civilisation ayant fait la preuve de son efficacité sur de nombreux plans. Analyser leur réaction de défiance face au déni de la gauche et à ses explications faciles, au nom d’un internationalisme abstrait et d’un relativisme culturel antiscientifique, uniquement comme des peurs et des réflexes de repli, relève davantage d’un calcul électoraliste sélectif que d’une reconnaissance des graves enjeux auxquels, justement, la France est placée dans la mondialisation contemporaine. Les valeurs républicaines sont la traduction laïque d’une longue histoire dans laquelle des luttes idéologiques lui ont permis d’aboutir à un haut niveau de pensée et à un consensus permettant à une société aussi complexe que la France de vivre ensemble. Dans ces enjeux qui sont aussi des enjeux de civilisation, elles doivent être identifiées comme des principes. Leur violation ne saurait bénéficier d’aucune exception. Trop souvent, est évoqué, en forme d’excuse, le fait que les fautifs ne constitueraient qu’un petit nombre. Or chacun sait qu’on ne peut extrapoler l’avenir à partir d’un point. L’histoire de France ne fut pas construite et partagée par toutes les populations qui vivent depuis peu sur son territoire. Elle continuera à se construire avec de nouveaux acteurs. Ceux-ci ne pourront s’y inscrire qu’en reconnaissant son apport. Car, dans ce qui constitue son long passé, elle possède sa pertinence et sa dignité. C’est tout le travail à faire de la part de la société d’accueil, sans complaisance comme sans mépris, mais avec fermeté.
Contrairement à certains partis politiques de gauche qui avancent, le nez dans le guidon, le combat pour nos valeurs ne se mène pas uniquement en France. Il a lieu aussi dans l’arène internationale (Onu, Unesco) où leur universalité peut être contestée par des sociétés traditionnelles qui leur opposent leurs propres coutumes. Ainsi, on peut en voir un exemple avec les débats sur la Déclaration universelle des droits de l’homme à l’Onu, où on retrouvait la défiance (Arabie saoudite) vis-à-vis des valeurs européennes de la monogamie, du mariage avec consentement des époux ou encore de la liberté de changer de religion (Delmas-Marty et Will). On la retrouve partout dans l’actualité politique. La « citoyenneté mondiale » relève de l’eurocentrisme.
Avec Valéry, nous savons que les civilisations sont mortelles. La nôtre, en particulier. Issues de l’histoire de l’Occident, donc minoritaires, ces valeurs prétendent à l’universalité, mais elles ne sont pas universelles. Elles ne trouvent pas de légitimité dans toutes les cultures ni partout d’institutions pour les porter. Elles sont fragiles et réversibles, même là où elles paraissent le mieux assurées. Pour les transmettre à nos enfants, il nous faut être lucides sur les sociétés traditionnelles, comme Marx le fut en son temps (cf. The British rule in India, 1853, réédité dans The first Indian war of independance, éditions de Moscou, 1960) et sortir des niaiseries multi-culturalistes compassionnelles qui entretiennent des archaïsmes et des anachronismes néfastes. L’unité humaine n’est pas une donnée de départ (Cavalli-Sforza). C’est un état à conquérir, qui ne pourra se faire qu’à un haut niveau.
Quynh Delaunay, sociologue