Deux nouvelles tombent : la première la mort des enfants de Kaddhafi, le meurtre du dirigeant libyen est hors mandat de l’ONU et l’OTAN se cache à peine tout cela au nom des droits de l’homme. Outre que le meurtre de son fils et de ses petits enfants soit accepté sans le moindre mouvement d’indignation ici , que la télévision puisse à l’heure des repas montrer la joie assez immonde des Benghazi,le spectacle offert témoigne du niveau où nous en sommes. Peut-être la joie des gens de Benghazi dans la guerre se justifie-t-elle mais que le média des familles nous offre comme une victoire une telle fantasia et des visages de nos « alliés » déformés par la haine face à la mort d’enfants cela sent les fumets de l’extermination, alors qu’est ce que cela signifie sur la nature de notre « opinion » ? Notre indifférence aux guerres que nous menons est le signe de ce que nous sommes devenus.
Le nombre de manifestants se réduits mais les foules enthousiastes que l’on nous montre sont non seulement les gens de Benghazi criant leur haine et leur joie à la mort d’enfants, mais les pieux pélerins qui célébrent la béatification de Jean paul II et celles qui réclament un baiser du couple royal devant Buckingam Palace. Sans parler de la promotion obligée pour cause d’élection présidentielle de Marine Le pen. Quand je vous disais que le nazisme est un message d’amour, celui du père tout puissant qui a tous les droits sur ceux qu’il a décervelés.
La deuxième mort est celle de Ben laden je ne le pleurerai pas, le 11 septembre fut non seulement criminel mais imbécile, mais pourquoi l’assaut « final » me laisse-t-il un arrière goût de mise en scène? Parce que nous apprenons que, si l’on en croit le rapport établi par John kerry (novembre 2009), le secrétariat à la défense Donald Rumfeld et le général Tommy Franck ont refusé de déployer des forces américaines suffisantes alors qu’il aurait été possible de le prendre en 2001 (Le Monde mardi 3 mai 2011: quinze ans de duel, p.5). On apprend également que Ben laden loin d’être réfugié dans une tribu vivait dans un bunker dans une zone résidentielle aux alentours de la capitale pakistanaise Islamabad, sa résidence était huit fois plus importante que toutes celles qui l’entouraient. On ne l’a pas pris vivant. pourquoi tout cela fait-il penser que les Etats-unis peuvent désormais se débarrasser d’un allié encombrant et que tout cela sent non le printemps arabe que l’on nous vante mais des reconversions d’alliance dont la Libye est le terrain d’exercice ? Bref qu’il s’agit de l’exercice d’une vengeance privée et pas de droit et que nous sommes conviés au spectacle? Pas un seul commentateur pour souligner que la guerre d’Afghanistan ne se justifie plus vu qu’on a enfin trouvé l’ennemi …. en train de se la couler douce dans la capitale du Pakistan.
Walter Benjamin a une trés belle expression » la vie nue » commme élément décisif de la modernité. La vie nue( bloss leben) un un concept « border line » entre violence et droit, le vivant défini comme ce qui peut être mis à mort et qui se produit hors des formes rituelles de la mise à mort, c’est une vie exclue de l’interdit de meurtre.Des être ont été mis massivement à mort par simple exercice du droit souverain du père de la horde. Je ne cesse de vous répéter qu’il y a eu quelque chose de franchi de ce point de vue à Auschwitz et à Hiroshima qui faute d’être pensé est rejoué avec les bénédictions de tous les négationnistes.
Chaque bombardement est la répétition pour moi de ce no man’s land que décrit Primo Levi et qui n’a cessé de le hanter jusqu’à son suicide, il fait un rêve joyeux dans un paysage printannier en famille et puis tout à coup tout s’écroule, son angoisse se fait plus précise, il est de nouveau dans le camp, il n’y a jamais eu rien d’autre que les camps… Primo Levi a bien décrit ce que l’on éprouve cette idée que si l’on survit à l’inhumanité on est coupable de cette survie sommes-nous si peu nombreux à éprouver cela, à sentir confusément qu’il y a bien sûr les bourreaux bureaucrates méthodiques, intérêts avides, mais que c’est l’humanité entière de chacun d’entre nous qui est remise en question.
Les camps ne concernent pas seulement les juifs ou les tziganes ou les malades mentaux, pas plus qu’Hiroshima ne concerne seulement les Japonais mais ils sont un miroir dans lequel les êtres humains doivent se regarder parce qu’ils savent désormais jusqu’où ils peuvent aller pour faire tomber des individus hors de l’humanité.
Il faudrait des mouvements de masse pour s’opposer à l’horreur mais il n’y aura pas de survie de l’humanité tant qu’il y aura déni de ce dont elle est capable mais il y aurait aussi des leçons à tirer de la survie, de ce qui a préservé l’humain dans la pire des horreurs. Personnellement je ne peux pas me sentir exister, agir dans un monde qui refuse de procéder à ce travail indispensable et qui ne voit pas vers quelle auto-destruction il va. La politique ne m’intéresse plus, les enjeux sont ailleurs. Ne vous faites pas d’illusion je ne suis pas la seule à penser ainsi. Certains se racontent que les Français sont moins nombreux parce qu’ils attendent avec impatience de manifester dans les urnes, je crains que l’on se raconte des histoires là-dessus aussi. Il y a une trop grande distance entre la crise de civilisation et les moyens que nous avons actuellement de la comprendre, de pouvoir nous situer sans parler d’agir réellement sur ce qui menace.
Danielle Bleitrach