Déclin industriel ou industrialisation capitaliste ? Raphaël Thaller, économiste
3 Février 2011 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Economie
Signalé par André Gerin
8 mars 2010
Le président de la République a donc dénoncé la «désindustrialisation massive» de la France. La faute en incomberait bien sûr aux 35 heures et aux « charges sociales qui ont « tué l’industrie française ». Voyons d’un peu plus près les causes de cette désindustrialisation dont le constat apparemment irréfutable semble faire l’objet d’un consensus sans doute un peu hâtif. On comptait, en 2007, 3,4 millions d’emplois industriels, contre 5,3 millions en 1980. L’industrie française a donc perdu 1,9 millions d’emplois au cours de cette période, sans même parler de la nouvelle hémorragie due à la crise économique de 2009. Et on ne compte plus les usines fermées entraînant dans certaines régions une véritable désertification industrielle.
Ces suppressions d’emplois ont deux causes principales. La première cause réside dans l’externalisation massive de certaines activités industrielles, qui ont été progressivement confiées à des sous-traitants : par exemple les activités de maintenance (mécaniciens, électriciens, tuyauteurs…) ou encore les bureaux d’étude, la logistique, etc. Les entreprises donneuses d’ordre ont cherché par là à baisser leurs coûts, pour profiter de l’écart existant entre les conventions collectives et en faisant pression sur leurs prestataires. Par la même occasion, une calamiteuse division des salariés a été instaurée, séparant les « organiques » et les « intervenants ». Ce phénomène explique que 800 000 emplois industriels au moins ont été transférés dans la catégorie des « services aux entreprises », mais n’ont pas pour autant disparu. De ce fait, du PIB industriel s’est évaporé, transformé en PIB de « services ». Mais ce PIB n’a pas disparu.
La deuxième cause principale des suppressions d’emplois industriels réside dans les gains de productivité continuels qui laminent en permanence les emplois : augmentation des cadences, intensification du travail, polyvalence des postes, automatisation, restructurations, réorganisations, économies d’échelles, regroupement des productions, spécialisation des usines, accroissement du rendement productif des machines …. L’inventivité du capital pour augmenter les « performances industrielles » est considérable … et destructrice d’emplois. On estime entre 500 000 et un million le nombre de postes de travail supprimés de cette manière.
Mais parallèlement la production a continué de croître. En 20 ans, l’indice de la production industrielle globale a encore augmenté de près de 15 %, (jusqu’à la crise de 2009 qui a fait chuter cet indice).Il s’agit bien sûr d’un indice global qui recouvre de grandes disparités selon les branches, dont certaines ont fortement diminué. Mais la réalité est quand même très loin de l’image consensuelle d’un « déclin industriel » généralisé.
D’où le paradoxe apparent : la productivité détruit du PIB industriel (c'est-à-dire la valeur monétaire des produits) mais ne détruit pas la richesse elle-même (les produits au sens physique). La France industrielle continue de produire massivement et dans des conditions de plus en plus dures ! Quant aux délocalisations, souvent citées comme preuves de la désindustrialisation, elles ne suffisent pas à réfuter fondamentalement cette analyse. Elles doivent bien sûr être combattues sans réserve à cause de leur brutalité et du chantage à l’emploi auquel elles aboutissent souvent (« acceptez des reculs sociaux sinon nous délocalisons ! »). Pour autant elles n’expliquent que 10 à 15 % des suppressions d’emplois et elles ne sauraient masquer les deux principaux facteurs explicatifs soulignés plus haut (les externalisations et la productivité).
Plutôt que de déclin industriel et même de désindustrialisation, il vaut donc bien mieux souligner les dégâts de l’industrialisation capitaliste, à qui l’on assigne le triple objectif de compétitivité (des produits sur le marché mondial), de rentabilité (des capitaux investis dans l’industrie) et de productivité (des travailleurs qui les fabriquent). Ne tombons pas dans le piège : c’est au nom de la lutte contre le déclin industriel que N. Sarkozy veut engager la « rupture » contre les 35 heures et les retraites, comme il l’a fait avec la taxe professionnelle, afin de poursuivre, en réalité, la satisfaction des besoins du patronat industriel. L’action pour un tout autre développement industriel, créateur d’emplois et répondant aux besoins de la population, devra bien affronter, d’une manière ou d’une autre, ce modèle de l’industrialisation capitaliste. D'abord, le type d'insertion de la France dans l'économie mondiale devra être repensé car vouloir fabriquer toujours plus de biens industriels (N. Sarkozy a fixé l'objectif de +25 % d'ici 2015 !) pour les exporter sur le marché mondial, avec comme contrepartie toujours plus de concurrence, ne peut plus constituer un modèle de développement durable. Ensuite, l'insatiable appétit de rentabilité du capital pose plus que jamais la question de la maîtrise sociale de ce que l'on appelait jadis les « grands moyens de production », tant il est vrai que « là où est la propriété, là est le pouvoir » (Anicet Le Pors). Enfin, on sait que « le capital exploite l'homme comme la Nature » (Marx). Une nouvelle politique industrielle sera donc sans doute « écologique », mais elle sera aussi sociale, c'est-à-dire qu'elle ne cherchera plus la productivité à tout prix, mais elle cherchera en permanence à respecter « l'homme au travail » au lieu de l'épuiser.
Réveil Communiste :
Réveil Communiste est animé depuis 2010 par Gilles Questiaux (GQ), né en 1958 à Neuilly sur Seine, professeur d'histoire de l'enseignement secondaire en Seine Saint-Denis de 1990 à 2020, membre du PCF et du SNES. Les opinions exprimées dans le blog n'engagent pas ces deux organisations.
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